Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

ELISABETH DE MONTCALM DEMOISELLE DE GOZON

1667-1744

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 Il y aurait beaucoup à dire sur cette femme remarquable et sur sa soeur aînée, Mlle de Saint-Véran. Elles furent les grand'tantes du héros de Québec. Filles de Pierre de Montcalm, baron de Saint-Véran-Gozon, conseiller au Parlement de Grenoble, et de Madeleine de Vignoles, sorties de France en 1689, elles jouissaient d'une haute considération parmi les réfugiés de Genève. Mlle de Gozon est l'auteur d'un livre paru sous le voile de l'anonymat : L'Art de penser et la Recherche de la Vérité. Protectrice de Jacques Saurin, qui était son parent et qu'elle regardait un peu comme son fils, elle laissa par testament aux enfants du grand sermonnaire le bien qu'elle possédait en Hollande. Cette intelligente femme critiquait sans miséricorde les dissertations savantes qui encombraient parfois la prédication de Saurin. Elle était liée avec Antoine Court, dont elle appréciait vivement la clarté, le sens pratique, et s'intéressait fort à cette Histoire des Confesseurs, pour laquelle il amassait des matériaux. « Il y a peu de chose à corriger dans votre cahier sur M. de Salgas », lui écrivait-elle le 29 août 1741. Quand il le pouvait, il allait la voir à Bursins, canton de Vaud, où elle s'était retirée, et lui lisait l'un de ses manuscrits.

B. S. H. P. F., Papiers Court, 601, t. V, p. 20, 449 (f. 23, 495) ; t. XII, p. 399 (f. 474) ; t. XV, P. 22 (f. 7).

 À CONSULTER : J. Gaberel et E. des Hours-Farel, Jacques Saurin, Genève, Paris, 1864. Mme A. de Chambrier, Henri de Mirmand.



 TOINON ET L'ANCIEN CAMISARD.

 On me mena dimanche votre cher fils, Monsieur. Je vous félicite de son arrivée, et ma chère commère. C'est un petit ours que les soins de la mère et de Marion (1) perfectionneront bientôt. Il a bonne façon, et, s'il a vos dons naturels comme votre ressemblance, avec le secours de l'étude, vous pourriez bien vous voir surpasser. Je le souhaite et crois bien que vous n'en serez pas jaloux.

Le notable M. Bonbonnoux soupa hier avec moi. Je lui remis cinq écus que M. Vial (2) me donna pour lui, et il lui en avait déjà donné autant. Apparemment il vous le dira ; ainsi ne lui en parlez pas. Cela vous défrayera pour quelque temps de sa nourriture, mais, en vérité, ayant autant d'enfants que vous en avez, ma commère délicate, vous ne pouvez pas vous charger d'embarras ni de dépense. Cet homme, quoiqu'affaibli par ses courses, pourrait pourtant un peu s'occuper à quelque ouvrage en laisse (3), car peut-être, si Leurs Excellences lui assignent quelque pension, elle ne sera pas bien considérable ; un travail modéré ne nuit en aucune manière.

Vous avez raison, mon cher compère, de croire que je m'intéresse à ce qui vous regarde ; vous avez acquis ces sentiments à grand prix, et qui sait ce qu'il vous reste à faire ? Puisse-t-il être toujours dirigé par la divine Providence, à laquelle je vous recommande de tout mon coeur.

 Mardi 19 septembre (1730).

 Je ne sais, Monsieur, si vous persistez dans le dessein de composer l'Histoire dont vous m'avez parlé et si vous trouvez les secours qui vous sont nécessaires. Les personnes à qui j'en ai parlé, bien loin de m'indiquer où puiser, m'ont fait des difficultés, quoiqu'elles approuvent que l'on recueille les divers événements et qu'on les écrive en forme de Mémoires. C'est tout ce que je puis vous dire pour le présent. Vous avez à Lausanne d'habiles gens que vous consultez sans doute.

 15 août 1731.

 ... Ce qui reste donc de solide est de transmettre à la postérité les souffrances, la persévérance des saints, et comment la divine Providence a conservé son Église, malgré les attaques de ses ennemis.

 9 avril 1740.

 « ON DIT QUE LE ZÈLE SE RÉVEILLE EN FRANCE. »

 À Étiennette Pagès.

 Il doit vous paraître, ma chère commère, que je tarde bien à vous remercier l'excellent bonbon que vous m'envoyâtes par Janette. Les occasions pour Lausanne sont rares, et comme je voulais vous renvoyer votre boîte, je souhaitais de la remplir de quelque chose qui en valût la peine.

 ... La maison de M. de Salgas est toujours bien sociable. Au reste, ma chère commère, j'ai fait demander à M. Court les lettres du digne confesseur, Monsieur son père ; il peut faire copier les endroits dont il veut se servir et me renvoyer les lettres, que je serais bien aise de revoir et de les donner à Monsieur son fils.

Nous ! avons vu son petit-fils aux vendanges. C'est un très bon sujet, chéri de ses professeurs par les progrès qu'il fait dans les études. Je souhaite que votre fils mérite les mêmes éloges. Pour l'encourager, vous trouverez pour lui un écu neuf dans la boîte...

Adieu, Madame ma chère commère... J'aime toujours mes amis, mais je ne suis plus bonne à rien. Puissé-je le devenir à moi-même, en travaillant efficacement à mon salut !

On dit à Genève que le zèle se réveille en France. En savez-vous quelques nouvelles particulières ? Le bon Dieu veuille revêtir les conducteurs de lumière et de prudence et donner à ces brebis errantes des pasteurs selon son coeur.

Ceux qui s'y sont dévoués dans votre ville font-ils des progrès ? Et leur vie répond-elle à leur destination ? Mon compère, sans doute, y veille, pour en détourner ceux qui ne sont pas de bon aloi, car il ne faut que des gens fidèles.

 26 novembre 1743.




MARIE HUBER

1695-1753


 Belle, avec de l'humour et de l'esprit, et une grande charité, elle fut un philosophe chrétien de premier ordre, dont les livres eurent le plus vif succès.

Elle naquit à Genève, de Jean-Jacques Huber et de Catherine Calandrini-Fatio, dans un milieu piétiste, Elle mourut à Lyon, où elle passa presque toute sa vie. Elle est la soeur de l'historien des oiseaux de proie, Jean Huber, la tante de l'historien des abeilles, François Huber, et la grand'tante de l'historien des fourmis, Pierre Huber.

Ses ouvrages : Écrit sur le jeu et les Plaisirs, Le Monde fou préféré au Monde sage, L'état des Âmes séparées des Corps, Lettres sur la Religion essentielle à l'Homme, parurent en 1722, 1731, 1738, sans nom d'auteur, et portent comme lieu d'impression Londres et Amsterdam, alors qu'ils furent tous édités à Genève.

Pour Marie Huber, il n'y a qu'une seule autorité religieuse : la conscience, à la fois raison, sentiment et volonté. « L'obéissance à la conscience est la véritable clef de la connaissance ; c'est l'introduction à toute vérité. » Elle cherchait à réconcilier les incrédules avec le christianisme, un christianisme simplifié réduit à « l'essentiel », à quelques vérités élémentaires et pratiques, « un système de religion où tout aboutit, non à la spéculation, mais à l'action ». Il nous manque une bonne biographie de cette célèbre théologienne et moraliste, inspiratrice de Rousseau.

 ÉDITION : Le monde fou préféré au monde sage, 1731, Il, p. 60. Lettres sur la Religion essentielle à l'homme, 1738, 1, p. 21 ; 11, p. 54, 59.

 À CONSULTER : E. Ritter, La jeunesse et la famille de Marie Huber, 1882. V. Courdavaux, Une aïeule du protestantisme libéral, Mlle Marie Huber, 1884. Gustave A. Metzger, Marie Huber, Genève, 1887. Pierre-Maurice Masson, La religion de Jean-Jacques Rousseau, Hachette, 1916.



 ON SE BAT SUR DES MOTS.

 Eraste. - Qu'il y a de différence, mon cher Criton, entre le raisonnement et la droite raison, c'est manque d'en savoir faire la distinction que l'on s'est battu contre son ombre par des disputes de mots sans fin.

Criton. - Sans parler des différends qu'il y a eu sur cet article entre les théologiens, vous savez que l'on taxe les mystiques d'interdire tout usage de la raison et d'en parler comme d'une chose très pernicieuse.

Eraste. - Les mystiques, ou plutôt les apprentis mystiques, qui ont voulu faire les singes des autres, ont peut-être parlé contre la raison à l'ombre des premiers sans les avoir compris. Il est risible de voir à quoi les hommes s'accrochent ou se heurtent. Un mot qu'ils regardent comme sacré ne peut être attaqué qu'ils ne s'hérissent tout de bon ; il faut qu'ils le défendent jusques à extinction. Un mot qu'ils tiennent pour proscrit, en tant qu'il l'a été par quelqu'un de leurs saints, ce mot les effarouche, ils ne le peuvent non plus souffrir que s'il était sorti de l'abîme. À force de se battre sur des mots, l'on s'accoutume à les substituer aux idées des choses. Les mots sont pour bien des gens ce qu'étaient pendant un temps, les billets de banque : l'on se contentait d'être payé avec du papier et l'on payait les autres de même ; il y a quelque sujet de croire que le crédit des mots ne tombera pas moins que celui du papier pour ceux qui aimeront de la réalité.

Criton. - La comparaison est plaisante ; ce qu'il y a, c'est que chacun aime fort la réalité en or et argent et que très peu se soucient de la réalité du vrai. L'on n'est point fâché à cet égard de se payer de mots, au lieu que ce n'était que par force que l'on se payait de papier.

Philon. - Puisque les mots destitués d'idées ne doivent plus avoir cours entre nous, il faut, mon cher Eraste, que vous nous donniez ici l'idée de la différence que vous mettez entre le raisonnement et la droite raison.

 METTRE LES CHRÉTIENS D'ACCORD.

 Si le sentiment et l'expérience ne devaient pas servir de base à la religion essentielle à l'homme, il serait en droit de se plaindre de la divinité ; elle l'aurait avantagé infiniment moins du côté des choses spirituelles que du côté des matérielles ; il ne pourrait avoir de certitude au premier égard, tandis qu'elle serait entière au dernier ; c'est-à-dire que la partie la plus noble de son être se trouverait réduite à flotter dans l'incertitude, à se nourrir de spéculations creuses, sans arriver jamais à l'indubitable, qui ne peut être qu'un effet de l'expérience.

On a chargé la religion d'une infinité de questions qui lui sont tout à fait étrangères, et qui, loin de conduire l'homme à ce qu'elle a d'essentiel, ne sont propres qu'à l'en détourner.
C'est qu'en effet les hommes aiment bien mieux spéculer qu'agir. De la spéculation ils viennent à la dispute, et là ils trouvent un vaste champ à faire travailler leur imagination.

La religion, dans ce qu'elle a de simple, couperait racine à tant de débats, on l'a remarqué plus d'une fois : il n'y a que le composé, la multiplicité d'opinions, qui puisse les entretenir.
Hé ! soit, dira quelqu'un, on ne demanderait pas mieux. Quel plus grand bonheur pour la chrétienté, si par le retranchement d'une multitude d'opinions, les chrétiens pouvaient enfin être mis d'accord !
Cela aurait lieu, sans doute, s'ils voulaient se réduire ou se borner à des principes simples et en très petit nombre, ou, pour dire mieux, à des principes si dépendants l'un de l'autre que les conséquences ne pussent être mises en opposition...

... Toutes ces difficultés levées, que reste-t-il à faire ? Il reste à faire la chose de toutes qu'on aime le moins : c'est de pratiquer, c'est d'agir.


(1) La domestique.

(2) Vial de Beaumont, pasteur à Genève.

(3) Ne faut-il pas lire : « en Suisse » ?
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