Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

MARIE MOLINIER

1684-1777

-------



 Elle était le troisième enfant d'Antoine Molinier, négociant à Cournonterral (Hérault), et d'Alix ou Elisabeth Baudoin. Elle avait trois jours lorsqu'on la baptisa, le 30 septembre 1684, à Nîmes, et elle avait un an lorsque ses parents s'enfuirent avec ses deux frères. Des tantes la recueillirent.

En 1698, un ordre de Bâville la faisait enfermer à l'École Royale de Montpellier, d'où elle réussit à s'évader, le 1er novembre, jour de la Toussaint 1699 : elle avait quinze ans. De Nîmes, elle gagna Genève, sous la protection du guide André ; puis, fin mai 1700, se rendit en Hollande et de là passa en Angleterre. À Londres, en avril 1714, elle épousa David de Montolieu, seigneur de Saint-Hippolyte de Caton, baron du Saint-Empire romain, qui était venu en Angleterre en 1688 avec Guillaume d'Orange, et qui mourut général en 1761. Elle en eut trois enfants, deux filles et un fils, pour qui elle écrivit son captivant récit.

 ÉDITION : Proceedings du Bulletin de la Huguenot Society of London, 1912, X, p. 156. Bull. LXII. 1913, p. 441.

 À CONSULTER : N. Weiss dans Bull. LXII.



 UNE ASSEMBLÉE DANS UNE GROTTE.

 Il se faisait souvent des assemblées aux environs de ce village ; ma tante et mon oncle Molinier n'en manquaient que rarement. J'avais prié instamment ma tante de m'amener avec elle à une assemblée, ce qu'elle fit. Je désirais avec ardeur de voir un ministre. C'était à quelques milles de Cournon, dans un bois, que l'assemblée se fit. Nous partîmes entre neuf et dix heures du soir, en hiver, et marchâmes à travers des bruyères, et de temps en temps nous trouvâmes des sentinelles qui nous montraient le chemin. Enfin nous arrivâmes au pied d'une montagne, qui nous offrit une ouverture comme celle d'un four. L'on nous fit entrer dans cette grotte, où, à ma grande surprise, je vis deux grandes chambres qui allaient d'une à l'autre et toutes remplies de monde (1).

Dans la première se rendit le ministre, habillé en officier, ce qui me surprit. Il prit pour texte : « Sortez de Babylone, mon peuple, de peur que vous ne participiez à ses plaies. » Après le sermon, ceux qui voulaient communier entrèrent dans l'autre chambre, où la table était dressée.

 MARIE S'ENFUIT DE L'ÉCOLE ROYALE.

 Dans cette maison, il y avait deux tables pour les pensionnaires : l'une s'appelait la table des pauvres, et l'autre celle des riches, où on mangeait avec les soeurs. Je leur dis que je voulais être mise à celle des pauvres, mais elles ne voulurent jamais me l'accorder. L'on défendit à ma tante et à tous mes parents de venir me voir. Cela m'affligea beaucoup, mais il fallait se soumettre sans répliquer. Aussi mes parents, furent-ils bien observés tout le temps que j'y restai. Ils venaient chez un potier d'étain qui demeurait vis-à-vis de l'École ou chez une amie qui était à côté (tous les deux protestants), pour me voir par la fenêtre.

Le soir, l'on faisait la prière en latin. J'étais obligée d'y assister. Je n'y entendais rien, ni elles non plus... Un jour, je trouvai le Nouveau Testament de Louvain, qu'on avait imprimé pour satisfaire les Convertis, qu'ils ont traduit à leur manière. En l'ouvrant, je trouvai le passage de saint Paul, où il dit : « Mangez tout ce qui se vend à la boucherie, sans vous enquérir pour la conscience. » je le portai à la soeur et lui dis : « Pourquoi faire maigre, puisque cela ne fait rien pour la conscience, viande ou poisson ? » Elle fut si embarrassée à me répondre, que le livre fut pris et caché, et je ne le vis plus.

... il était presque nuit et pleuvait un peu. J'étais dans un coin à me lamenter dans mon coeur, lorsque le Puissant de Jacob vint à mon secours. C'est à Lui seul que je dois ma délivrance, et non à aucun secours humain, son doigt y est marqué dans les circonstances... Je fus machinalement demander à la soeur la Mer de me laisser monter à ma chambre. Elle me l'accorda et me donna deux filles papistes pour m'accompagner, ne voulant pas me laisser seule. Ces filles couchaient dans la même chambre. Étant entrée, je m'assis au pied du lit, près de la porte, fort rêveuse. Ces filles commencèrent de se déshabiller et me demandèrent pourquoi je ne faisais pas de même. Dans le moment, le bon Dieu me mit dans l'esprit de descendre, et comme il arriva à Saint-Pierre, l'ange me prit par la main. Je me levai sans savoir ce que je faisais ; les filles étant à moitié déshabillées ne purent me suivre.

Étant descendue, je me plantai devant cette porte qui renfermait toute la société, ne sachant ce que je devais faire, ou de frapper ou de descendre les autres degrés qui menaient à la rue. Je levai mon coeur avec ardeur à mon Dieu, en récitant le psaume 142, en mémoire de mon cher grand-père Baudoin, qui avait été mis à l'Inquisition. Me rappelant que j'étais dans le même cas, je me servais de même moyen, en priant Celui qui peut délivrer de la gueule des lions, disant : « Tire-moi de cette prison, afin que je chante ton nom ! »

Soudain, je me sentis un si grand courage que je descendis le degré et me fus cacher derrière la porte où il y avait une petite grille (2)... Ne voyant personne, je sortis et me mis à courir de toute ma force chez le potier.

Il était seul dans sa boutique quand j'entrai. Je le surpris si fort que, sans rien me dire, il courut à sa femme qui était dans une chambre à côté. « Voilà cette jeune demoiselle, dit-il, qui s'est échappée du couvent ! » Elle vint tout effrayée et me dit : « Hélas ! que puis-je faire pour vous ? » je la tirai d'embarras en lui disant d'appeler mon amie, ce qu'elle fit. Mon amie étant venue, elle voulait m'amener chez son oncle. Comme nous étions prêtes à partir, une femme entra, à qui l'on conta l'affaire. Ce fut comme une Achitophel pour moi. Elle dit à mon amie qu'il me fallait changer de robe, crainte que je ne fusse reconnue dans le chemin... Cette femme voulait être mon guide pour m'amener chez l'oncle de mon amie, qui demeurait à un des faubourgs de Montpellier. Étant arrivée chez cet honnête homme, il me reçut d'une manière si évangélique, qu'il fit mettre tous ses enfants à genoux et fit la prière pour rendre grâce à Dieu de ma délivrance. Cette femme s'en alla, et je ne l'ai vue ni connue depuis.

 LES CHEMINS DE L'EXIL : PAR TERRE.

 ... (A Nîmes) mes cousines me reçurent, non sans une grande frayeur, craignant que je ne fusse découverte chez elles. De mon côté, l'idée d'être reprise me donna des agitations si grandes, que souvent j'ai été sur le point de me jeter d'une fenêtre qui allait sur des tuiles où je me serais estropiée.

... Le jour de mon départ étant arrivé, mes cousines vinrent me prendre pour aller trouver le guide qui avait donné rendez-vous dans le chemin d'Uzès. Nous allâmes à un mille de la ville, à une métairie de Méran, qui était près du chemin, d'où nous pouvions voir passer notre guide. L'ayant aperçu, j'embrassai mes cousines, et je sortis toute seule de la maison pour que l'on soupçonnât rien, et je fus trouver mon guide. Quelle surprise pour moi de voir avec lui cette fille Roquette qui avait été menée au couvent en même temps que moi... Comme l'on m'aidait à monter à cheval, je vis sortir tout d'un coup d'un fossé deux messieurs qui vinrent m'embrasser ; l'un était un ami de mon père, l'autre un parent de ma mère. Ils recommandèrent fort au guide d'avoir soin de moi. Il leur promit et leur tint bien parole, car c'était un honnête homme, qui ne voulait nous confier qu'à ses yeux.

À Uzès, nous logeâmes chez un protestant. Notre guide était fort connu sur la route, faisant ce voyage plusieurs fois l'année ; l'on avait beaucoup d'égards pour lui. Il avait plusieurs mulets chargés de marchandises et des valets pour les conduire, lui était monté à cheval, moi sur un petit bidet, et la Roquette sur un mulet. Quand nous approchions des endroits où il y avait des gardes pour arrêter les personnes qui sortaient du royaume, il prenait la Roquette derrière lui et quittait le grand chemin, et par des sentiers détournés nous rejoignions, quand le mauvais pas était passé, les mulets chargés qui suivaient toujours la grande route.

Au Pont-Saint-Esprit, il nous fit passer le Rhône en bateau, à deux portées de mousquet du port. Arrivés à Montélimar, au signe du Mouton, l'hôte entra dans ma chambre pour me demander permission qu'un officier soupât avec nous. Je lui dis qu'il fallait la demander à maître André, notre conducteur. L'ayant obtenue, je vis entrer cet officier, âgé environ vingt-cinq ans. Après, les premiers compliments, il me dit qu'il était protestant et qu'ayant appris l'arrivée de maître André avec deux jeunes filles, la curiosité l'avait porté à nous voir et nous offrir de nous recommander à notre guide...

Arrivés dans un village frontière de la Savoie, il (maître André) nous mit dans une maison, et nous dit de nous tenir bien cachées, que nous devions, dans la nuit, passer dans, les terres de Savoie. Nous fûmes tout le jour en prière pour demander à Dieu sa protection. Sur les dix heures du soir, je vis entrer notre guide avec un autre homme. Ils montèrent à cheval et nous prirent en croupe. Nous marchâmes presque toute la nuit. Étant arrivés au bord d'une rivière, nous la guéâmes ; étant de l'autre côté, le guide me dit : « je vous félicite, vous voilà en sûreté dans la Savoie ! » Pour lors, le roi de Sardaigne donnait passage aux fugitifs sur ses terres.

Nous allâmes à Chambéry et de là à Genève. Je descendis auprès des Trois Rois. Il me laissa dans une boutique dont la maîtresse était d'Uzès, pour aller mettre ses chevaux à l'écurie. Dans cet intervalle, je demandai à la marchande si je ne pouvais pas voir une église. Elle me mena à Saint-Gervais. Je me sentis une si grande joie qu'il m'est impossible de l'exprimer, de me voir dans la maison du Seigneur. Le zèle que j'avais alors me fait honte aujourd'hui pour mon refroidissement.




ROSE DE BOILEAU

(1703)


 « Issue d'une des premières familles, et des plus riches, d'Uzès, elle s'exila, et ses cinq enfants la suivirent à Lausanne. Ses deux fils combattirent pour le prince d'Orange, en Irlande ; à la bataille de la Boyne, où ils furent tués, ils entraînaient les soldats languedociens en leur criant : « Anen, zôu, li gènt d'Aurenge ! En avant, les gens d'Orange ! »

Une de ses filles épousa un de Bercher, de Lausanne ; une autre dirigea l'hôpital de Lausanne. Nous avons d'elle une lettre à son mari, David de Pérotat, seigneur de Saint-Victor, resté en France. Du 13 septembre 1703. On était en pleine guerre camisarde. Arrêté à Montpellier, dans les derniers jours de mars 1704, M. de Pérotat fut conduit à la prison de Pierre Scize, à Lyon. Il avait 80 ans, On l'accusa de faire semblant d'avoir des procès au Parlement de Toulouse, d'où il écrivait à Montauban et en Guyenne, demandant aux Nouveaux Convertis des secours pour les Camisards. C'est le catholique Louvreleuil qui l'affirme. » (Note manuscrite de Charles Bost.) David de Pérotat mourut en prison, vers 1708.

La lettre dont nous citons les principaux passages a été retrouvée aux Archives de l'Hérault (dossier Pérotat) par la baronne de Charnisay ; M. Charles Bost a bien voulu nous la communiquer. Lisez ces adjurations, pleines de dignité et de force, d'une femme qui somme religieusement son mari de venir la rejoindre en Suisse. Elle le croit indifférent, endurci ; et lui ne pense qu'à se procurer des subsides qu'il fait passer aux Camisards.

 À CONSULTER : Baronne de Charnisay, Un gentilhomme huguenot au temps des Camisards, le Baron d'Aigaliers, Musée du Désert, en Cévennes, 1935.



 LETTRE À SON MARI, QU'ELLE EXHORTE À S'EXILER.

 Le 13 septembre 1703.

 J'ai reçu votre lettre du 4 de ce mois.
Il me serait bien difficile de vous exprimer tout le déplaisir que votre procédé me donne. Nous vous écrivons sur des matières importantes et qui vous devraient bien tenir au coeur, et vous êtes plus d'un mois sans y répondre, et enfin, de quelle manière le faites-vous ! Votre lettre ne roule que sur des choses de néant. Vous dites en passant qu'il faut attendre, un autre temps pour ce que nous vous proposons. Bon Dieu, quel endurcissement ! Le temps et les saisons sont-elles en votre puissance ? Avez-vous fait accord avec la mort ? Je vous avoue que je suis dans la dernière désolation de voir que vous touchez à votre fin, sans qu'il me paraisse que vous y fassiez la moindre attention.

Je sais que votre chute (3) de Toulouse vous a fort affaibli. Je ne puis pas me flatter qu'à mesure que l'homme extérieur déchet en vous, l'homme intérieur se renouvelle, ce qui me perce le coeur. Je prie Dieu sans cesse qu'il lui plaise vouloir toucher le vôtre. Priez l'en aussi, je vous en conjure, mon cher mari, puisque nous ne sommes pas capables de nous-mêmes d'avoir une bonne pensée.

Je vous prie de considérer le bon support dont Dieu a usé envers vous, et quel est l'usage que vous en faites ! Je crains avec raison que sa patience ne se change en fureur contre vous, qui croupissez volontairement dans l'état du monde le plus malheureux à tous égards ; il l'est d'autant plus que vous n'en (ne) soitez (souhaitez) pas le changer : c'est ce que votre conduite me persuade.

Je vous conjure, au nom de Dieu, de vous réveiller de votre léthargie et de penser chaque jour à votre fin, qui est peut-être plus près que vous ne pensez.

Si vous aviez quelque reste d'amitié pour moi, vous devriez bien vous faire des reproches, des déplaisirs mortels que vous me donnez, et à toute notre famille qui ne cesse de gémir de votre état. Voyez depuis quel temps nous sommes dans l'attente sur votre sujet. Je vous déclare que je ne vous laisserai jamais de repos, à moins que vous me marquiez que votre intention n'est pas telle que je le souhaite. Expliquez-vous donc, je vous en conjure, mon cher mari, afin que je ne me consume plus en soins inutiles et vains.

Vous m'opposerez, sans doute, les difficultés que vous croyez qu'il y a là-dessus. À quoi j'ai à vous dire que j'aurais des voies sûres pour cela. Il ne s'agit que de vouloir...
Faites-moi réponse, s'il vous plaît, au plus tôt, par la même voie que je vous écris aujourd'hui...
Adieu, toute à vous.


(1) La grotte de Bioge. Elle existe encore, telle qu'elle est ici décrite, à une lieue et demie de CournonterraI. Voyez les Prédicants de Ch. Bost, 11, 154-5.

(2) Un portillon à claire-voie.

(3) M. de Pérotat avait été blessé dans un voyage.
Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant