Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

MARTHE-MARIE DE CAUSSADE

1668...

-------

 Antoine d'Aliès, seigneur et baron de Caussade, conseiller du roi en son Conseil d'État, refusa d'abjurer à la Révocation et, en 1686, parvint à se réfugier en Suisse, où le suivirent plusieurs de ses enfants. Les deux filles aînées, Marthe-Marie de Caussade et Marthe de Réalville, habitaient encore Paris, rue de Seine, avec leur mère, demoiselle Marthe de Garrisson, en 1689. Elles avaient 21 et 20 ans. Elles s'absentèrent, sous prétexte d'aller voir une de leurs parentes à la campagne, et ne revinrent pas. L'admirable lettre qu'elles écrivirent après leur évasion est de la main de Marthe-Marie.

Elle épousa, en 1717, Jean Robert Tronchin, et sa soeur, B. J. Courault, sieur du Portail, lieutenant général en Prusse.

 ÉDITION : Bull. XLI. 1892, P. 29. 0. Douen, op. cit., II, 486.

 À CONSULTER : N. Weiss, dans Bull. XLI. France Protestante, 20 éd., art. Aliès. H. de France, Les Montalbanais et le Refuge, Montauban, 1887.



 « NOS CONSCIENCES EN LIBERTÉ. »

 Lettre de deux filles à leur mère
 Ce 8 octobre 1689.

 C'est avec un extrême déplaisir, ma très chère mère, que nous vous rendons compte de notre départ. Nous ne doutons pas que vous n'en receviez beaucoup de chagrin, mais nous vous prions très humblement de n'avoir pas la pensée que nous manquions de respect et d'obéissance envers vous. Il y a longtemps que nous aurions pris ce parti, si nous ne vous y avions pas vue trop opposée, mais enfin, ma très chère mère, il y avait déjà trop de temps que nous résistions aux violents désirs que nous avions de mettre nos consciences en liberté.

Nous avons obéi à tout ce que vous avez soité (souhaité) de nous, en écoutant tous ceux qui nous ont voulu donner des instructions. Dieu nous a fortifiées contre toute sorte de tentations, et tout ce que nous avons appris par les livres ou par les conversations n'a point effacé les premières lumières que vous-même nous avez inspirées dans notre première jeunesse. Il ne faut point vous dissimuler, ma très chère mère, que nous avons demandé pardon à Dieu des efforts inutiles que nous avons faits, pour arracher de nos coeurs l'attachement que nous avons pour la véritable Religion que nous croyons professer. Mais ce qui a le plus contribué à nous faire prendre ce parti a été le danger où nous nous trouvions exposées.

Vous savez les premières alarmes que nous donnèrent l'enlèvement de nos amies, Mesdemoiselles Dolon, et l'emprisonnement (à la Bastille) de notre cher oncle, Monsieur le comte de Vivans. Il est vrai que nous avions trouvé un remède apparent contre ces frayeurs dans l'asile que notre oncle, Monsieur d'Aliès, nous avait donné dans sa maison, mais c'est ce qui nous a causé le plus de peine et d'embarras. Les bontés qu'il nous a témoignées nous engageaient à beaucoup de reconnaissance ; il fallait, pour cela, entrer dans ses sentiments, et c'est ce que nous ne pouvions faire. Toutes ses conversations ont toujours été sur la religion catholique dans laquelle il est fort instruit. Il nous a pressées là-dessus trop vivement, quoique avec beaucoup de charité ; son zèle est allé jusques à nous représenter que, si nous ne prenions pas le parti qu'il nous inspirait, il ne pouvait peut-être pas empêcher qu'on ne nous mît, comme tant d'autres, dans un couvent.

En vérité, ma très chère mère, c'est ce qui a achevé de nous désespérer. Nos pensées ne dépendent point de nous, Dieu seul en est le maître, et c'est lui qui s'en est réservé l'autorité.

Nous ne doutons pas qu'outre les chagrins que nous vous donnons, vous ne nous reprochiez peut-être que nous allons nous exposer à être misérables. Mais, ma chère mère, ne nous alléguez point des raisons humaines. Dieu aura pitié de nous et sa bonne Providence ne nous abandonnera point, et quand nous serions assez peu raisonnables pour mettre en balance notre devoir envers Dieu avec les commodités de la terre, serions-nous plus heureuses, en demeurant en France auprès de vous, que dans les pays étrangers ? Nous ne voyons que trop, ma très chère mère, que notre famille est dans la dernière désolation, et peut-être à la veille de n'avoir pas de pain ; après tant de pertes que vous avez souffertes tout nouvellement, on vous demande encore quarante mille livres. Que vous restera-t-il pour vous et pour un si grand nombre d'enfants ? Ainsi, ma très chère mère, il vaut bien mieux, pour notre repos, que nous allions servir hors de notre patrie que d'y languir avec la secrète persécution dont nos consciences gémissaient...




SUZANNE DE ROBILLARD

1671...


 Fille de Josias de Robillard et de Marie de La Rochefoucauld, elle avait seize ans lorsqu'elle quitta La Rochelle et sortit de France, avec ses petits frères et soeurs. Sa mère réussit, de son côté, à gagner l'Angleterre. De là, elles se rendirent en Hollande, s'installèrent à Leyde d'abord, puis près de La Haye, où Josias de Robillard les rejoignit en juillet 1688.

Suzanne épousa, le 12 décembre 1692, Charles de La Motte-Fouqué, baron de Saint-Surin et de Tonnay-Boutonne. Celui-ci avait abandonné, depuis 1685, « pour ne rien faire contre sa conscience », la plus ancienne baronnie de Saintonge et un revenu de plus de vingt mille livres. Il était bien plus âgé que Suzanne, et il mourut en 1701, la laissant dans le dénuement avec trois petits garçons et réduite à implorer la charité des États-Généraux des Pays-Bas.

Notre héroïne fut la mère du célèbre général de La Motte-Fouqué, l'ami de Frédéric II, et la bisaïeule du gracieux auteur d'Ondine. Le récit de sa fuite, dont le manuscrit se trouve à la Bibliothèque de Darmstadt, Hesse, ne manque pas de pittoresque.

 ÉDITION : Der Deutsche Hugenott (Berlin), février 1984, p. 12. Bull. XVII, p. 489.

 À CONSULTER : Gabriel Monod dans Bull. XVII ; et. Bull. XXXIX, 1890, p. 137.



 LES CHEMINS DE L'EXIL : PAR MER.

 Quatre matelots se trouvèrent sur le rivage à marée basse, nous prirent sur leurs épaules, moi avec ma petite soeur entre mes bras sur la tête de l'un ; ainsi nous portèrent-ils au navire, et nous firent entrer dans la cache qu'ils y avaient fait, dont l'ouverture était si petite qu'un homme était dedans pour nous y tirer. Après que nous y fûmes placés et assis sur le sel, ne pouvant y être en d'autre posture, on referma la trappe, et on la goudronna comme le reste du vaisseau pour qu'on n'y pût rien voir. Le lieu était si bas, que nos têtes touchaient aux planchers d'en-haut ; nous primes soin de tenir nos têtes droit sous des poutres, afin que, quand les visiteurs, selon leur belle coutume, larderaient leurs épées, ils ne nous perçassent pas le crâne. Aussitôt nous être embarqués, on mit à la voile, et les gens du roi y vinrent faire leur visite. Nous eûmes le bonheur de n'y être ni trouvés ni découverts, de même qu'à la seconde et troisième fois.

Le vent, qui nous était favorable, nous porta, le 28e (d'avril), dès onze ou douze heures du matin, hors de vue de tous les ennemis de la vérité. Il était temps, car nous étouffions dans ce trou, et croyions y aller rendre l'âme, aussi bien que tout ce que nous avions dans le corps. On nous donna de l'air, et en sortîmes, quelques heures après, plus morts que vifs. Notez pourtant que, malgré ce mauvais état, toute ma jeunesse ne jeta ni cris ni plainte, et qu'après, tous sentirent beaucoup de joie d'être hors de la tyrannie.

Nous abordâmes à Fallmouth, petite ville en Angleterre, où notre capitaine avait résolu de nous laisser, quoiqu'elle fût éloignée de trente lieues de celle où il s'était engagé de nous mener. Il me demanda le reste de l'argent que je lui devais donner. Je le trouvai injuste et j'en portai mes plaintes au gouverneur de ladite ville, qui m'écouta favorablement, et me reçut chez lui avec toute ma suite, avec mille marques de bonté et de compassion. Il obligea le maître du vaisseau à nous reprendre et à nous rendre au lieu que nous étions convenus avec lui, à peine d'en être puni, s'il contrevenait à ses ordres... M'étant aperçue qu'il nous reprenait contre son gré et avec chagrin, je jugeai qu'il pourrait nous mal nourrir, quoiqu'il se fût engagé par notre accord. Pour y suppléer, je me pourvoyais de provisions, qui nous furent très nécessaires, puisque nous fûmes vingt-quatre heures dans son vaisseau sans nous offrir à boire ni à manger.

Le lendemain, 6e (de mai), la mer devint si calme que nous n'avancions point, ce qui rendait le maître du navire encore plus chagrin. Plusieurs de ses gens, pour s'occuper, prirent des lignes pour pêcher. Je les priai de m'en donner une, qu'ils m'accordèrent ; j'eus le bonheur de prendre, dans mon après-dîner, sept gros poissons qu'on appelle maquereaux, poissons excellents à manger. Ma bonne pêche mit mon capitaine en belle humeur. (Il) commença à me parler et le soir m'en envoya, et à ma troupe, trois tout cuits et bien apprêtés, ce qui nous fut aussi nécessaire qu'agréable, puisque nos provisions étant dès lors à peu près finies.

Lorsque nous crûmes être bien rapatriés avec lui, le septième jour à neuf heures du soir, nous vîmes aborder le vaisseau. On nous fit descendre tous, avec le peu de nippes que nous avions. Sur ce rivage ou petit port, il ne nous parut ni ville ni maison. La peur nous prit, et ce ne fut pas sans raison, de nous voir dans un lieu qui nous semblait un désert. Le capitaine vint à moi, d'un air fort résolu, me dire : « De l'argent, de l'argent ! Les cinq cents livres que vous me devez encore ! » Je lui répondis que sa demande était injuste, puisqu'il ne nous menait pas à Tapson, près de Exceter, où il avait promis de nous laisser. Il fallut néanmoins le payer. Après quoi il remit à la voile, et nous restâmes dans ce lieu qu'on nommait Falcombe, à vingt lieues de Tapson où nous devions, aller, et l'avions ainsi stipulé avec cet honnête homme qui ne se laissa point fléchir à toutes mes paroles, quoiqu'accompagnées de larmes et de sanglots, que moi et ma troupe jetions, qui était de sept personnes, qui croyions être perdues.

Les lamentations que nous faisions, et la curiosité, attira dans ce même lieu quelques enfants, à qui nous fîmes pitié. Ils allèrent d'eux-mêmes chercher un homme, mais qui ne parlait point le français, ni nous l'anglais. Ne pouvant nous faire entendre, il nous demanda si nous parlions latin. Je dis « oui », tout d'abord, en ayant appris quelques mots avec mes frères. Il dit : « Bon », nous prit par la main, et fit porter la plus jeune de mes soeurs à un quart de lieue de là, où était une auberge où il nous mena. Nous y ayant laissés, il alla ensuite chercher un ministre, à qui il raconta la troupe de jeunes personnes qu'il avait trouvée sur le bord de la mer et amenée audit lieu où nous étions ; que nous ne parlions point l'anglais, ni lui le français ; aussi ne savait-il pas ce que nous souhaitions ; qu'une jeune dame avait dit savoir le latin.

Ce pasteur vint, m'aborda d'une manière obligeante, me faisant un grand discours en latin, à quoi je ne pus répondre ni l'entendre, je demeurai à peu près muette. Notre triste situation, mes larmes et celles que mes frères et soeurs versaient à mon imitation, attendrirent si fort cet honnête homme, qu'il nous promit de nous aider en tout ce qu'il pourrait, comme effectivement il le fit, et comprit peu à peu où nous voulions aller et d'où nous venions.

Mes mots de latin me furent fort utiles. Je lui fis voir que j'avais encore quatre louis d'or, ainsi que ce n'était point l'argent qui me manquait ; je le priai de souper avec nous, ce qu'il n'accepta point, mais dit qu'il reviendrait le lendemain, à huit heures du matin, où il me montra, plus par figures qu'en paroles, qu'il avait loué une chaloupe où nous devions nous mettre, que je devais donner deux louis d'or au maître pour nous mener à Tapson, avec une lettre pour un monsieur chez qui nous devions descendre, qui nous devait bien recevoir et fournir d'ailleurs ce que nous aurions besoin pour nous rendre à Exceter.

La recommandation nous fut très utile. Nous y arrivâmes le dimanche, entre onze heures et midi; il nous donne un bon dîner, un quartier de boeuf rôti excellent ; en attendant, il nous fit trouver des chevaux, les uns sellés pour les plus grands de nous, les autres avec des bâts et mannequins ou corbeilles pour y mettre les enfants, avec un homme pour nous conduire à Exceter, où nous arrivâmes un peu devant deux heures après midi, chez le ministre français, nommé M. Sausai, ci-devant ministre de l'église de Tonnay-Boutonne, en Saintonge, fort de notre connaissance, qui n'eut pas peu de joie de nous voir, et nous pas moins de l'avoir trouvé et d'être heureusement arrivés dans ces heureuses contrées. Il allait monter en chaire ; il retarda son sermon d'un quart d'heure, pour que nous eussions la consolation d'aller l'entendre, et rendre grâces à Dieu de nous avoir délivrés des ennemis de notre sainte Religion.

... Je croyais déjà jouir des délices : du paradis, et ne trouvai nulle peine à faire même des ouvrages grossiers, à quoi je n'avais point été élevée. Je louai des chambres pour me loger avec ma troupe, et fis de mes mains deux matelas pour nous coucher, j'empruntai un berceau pour y mettre ma petite soeur... Je tins mon petit ménage avec ma petite famille, à laquelle je servais de mère, tout le temps que nous étions privés de la nôtre. ... Enfin, après trois mois passés, elle nous y vint trouver... Cette illustre mère arriva avec mon frère aîné et une servante. La nuit se passa à pleurer de joie de nous retrouver ensemble, et à nous embrasser. Je me levai à six heures du matin, à quoi j'étais déjà accoutumée ; je fis du feu, et mis le pot pour faire de la soupe ; j'allai ensuite chercher à la boucherie de quoi régaler cette bonne mère et mon frère qui, de joie, n'avaient rien pu manger, le soir d'avant, d'autant que, ne les ayant point attendus, nous avions soupé, et rien de bon à leur donner. Cette bonne mère parut contente des soins et peines que j'avais pris de mes petits enfants, car c'est la raison pourquoi on m'appelait à Exceter: la mère aux petits enfants.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant