Elle avait vingt-trois ans
lorsqu'elle
écrivit, à Berne, en 1688, le
Récit des persécutions que Blanche
Gamond, de Saint-Paul-Trois-Châteaux, en
Dauphiné, âgée d'environ vingt
et un ans, a endurées pour la querelle de
l'Évangile, ayant dans icelles
surmonté toutes tentations par la
grâce et Providence de Dieu.
Ses parents étaient des bourgeois
aisés. Dragonnés en 1683, ils
s'enfuirent à Orange en septembre 1685, et
vécurent un mois à la belle
étoile, se cachant surtout dans les bois.
Blanche, sa mère et son frère
essayèrent de gagner Genève, mais une
escouade de dragons se jeta sur eux. Alors, ce fut
pour Blanche la basse-fosse de Grenoble, et ce fut
l'hôpital de Valence, que dirigeait l'affreux
Guichard, qui se faisait appeler La Rapine, ou plus
aristocratiquement d'Hérapine, un
« insigne malfaiteur », dit
Antoine Court dans son Histoire inédite des
Églises réformées de France.
Comme Jeanne Terrasson, sa compagne de Grenoble et
de Valence, elle lassa la violence des
convertisseurs et obtint sa liberté à
prix d'argent vers la fin de
1687.
Blanche était à Genève
au mois de février 1688. En novembre, elle
se retira à Berne où elle
rédigea son entraînant récit,
sur la demande de Mme Scherer, de Saint-Gall,
ascendante directe du critique Edmond Scherer. Elle
s'en alla mourir à Zurich. Les Registres de
cette ville portent ceci :
« 1717 ; don de 9 florins à
Blanche Gamond qui a beaucoup souffert par sa foi.
On lui permet de passer l'hiver ici. - 1718 :
elle reçoit par mois un secours de 2 florins
6 schellings, elle est maintenant hydropique. Morte
d'hydropisie, elle a été ensevelie
à Zurich. »
ÉDITION : Th. Claparède et Ed. Goty, Deux héroïnes de la foi, Blanche Gamond, Jeanne Terrasson, Paris, Neuchâtel, Genève, 1880, p. 33, 53, 85, 122. Jurieu, Lettres pastorales, Il, p. 356 (pour la lettre au pasteur Murat).
À CONSULTER : Jules Chavannes, dans le Chrétien Évangélique, août 1867. France Protestante, 2e éd., VI, art. Gamond.
LES « DRAGONS ENVENIMÉS. »
Dans l'année 1683, au mois de
février, nous commençâmes
d'être persécutés. Notre ville
a été la première
persécutée du Dauphiné. Notre
évêque fit venir six compagnies de
soldats du régiment de Vendôme, et les
fit mettre en discrétion sur les Messieurs
de la Religion, à cause, disait-il, de la
cloche (1),
et on
choisit les plus méchants soldats pour les
mettre sur notre pasteur, qui était pour
lors Monsieur Piffard. En les changeant de chez
lui, on les mettait à la maison de mon
père, et je puis dire que
je n'en avais jamais vu de plus méchants
dans la maison. On faisait mille ravages, on
passait les nuits entières en faisant des
grillades, en mettant des quartiers de lard sur les
charbons ; car, quand on mange du salé,
on boit davantage. Aussi fallait-il une personne
qui ne rit autre chose que leur donner à
boire...
Au mois d'avril, un jour devant
Pâques, dans la même année, leur
délogement arriva, tellement qu'ils
partirent de chez nous. Ils nous avaient presque
ruinés, mais Dieu qui est riche et abondant
en bénédictions, bénit notre
terroir, qui nous donna une belle récolte de
cocons, du blé, du vin et abondamment de
toutes les autres denrées. Et je puis dire
que je n'avais pas vu une plus belle
récolte, de laquelle nous croyions jouir
paisiblement. Mais, au mois de septembre,
voilà encore un coup de verge, qui redoubla
sur nous de quatre compagnies de cavalerie, du
régiment d'Arnaudfiny, à cause,
disaient-ils, du Camp de l'Éternel
(2),
qui consuma
tout ce qu'on pouvait avoir, jusques à
donner le reste du blé aux chevaux, et le
pauvre peuple était à la faim.
Après cela, cette cavalerie nous fut
ôtée ; mais dans peu de temps, on
nous envoya des dragons envenimés
(3), desquels
on
ne saurait raconter ni décrire les tourments
qu'ils nous firent souffrir longtemps, outre le
passage ordinaire des troupes, qui montaient et
descendaient, tellement que le plus souvent nous
avions jusques à vingt hommes dans la
maison. Et nous étions toujours les plus
foulés de la ville, quoique nous
n'étions pasdes plus
riches, à cause que nous étions des
plus fermes de notre Religion...
Quelques temps après cela, on fit
rouer M. Chamier, à Montélimar, pour
la Religion, et je disais à
moi-même : « Pourrais-tu bien,
souffrir la roue ou le feu, si Dieu t'appelait
à cela ? Comme la semence de
l'Église ce sont les martyrs, quel bonheur
si Dieu te faisait la grâce d'être du
nombre ! » Je m'éprouvais sur
cela en approchant ma main près du
feu ; mais sitôt que mes doigts se
brûlaient, je retirais au plus tôt ma
main, et je m'écriais : « O
Dieu, il faut qu'à mesure que tu affliges
tes enfants, tu leur augmente tes grâces et
la vertu de ton Esprit saint pour les soutenir dans
leurs épreuves, car nous sommes la faiblesse
même »
(4).
L'ARRESTATION.
... Je fis dessein de sortir de France, et de
ne
pas demeurer dans le royaume, moyennant l'aide de
Dieu, que j'implorais de tout mon coeur pour cet
effet. Mais, au mois de mars (1686), étant
couchée avec des demoiselles, environ deux
heures après minuit, je vis une
lumière comme à plein midi, et
à même temps, j'ouïs une voix qui
me dit : « Lève-toi, et
pars ! Ne crains point, je
ne t'abandonnerai point, je
serai toujours avec toi, jusques à la
fin. » Et à même temps, je
fus remplie de force, de hardiesse et de
courage ; je m'habillai pour partir sans aucun
délai. Et celles qui étaient
couchées avec moi me dirent :
« Pourquoi vous levez-vous si
matin ? » je leur dis :
« Parce qu'il me faut partir et m'en
aller tout présentement. » Elles
me dirent : « Pourquoi nous
voulez-vous quitter ? Nous vous aimons comme
si vous étiez de la maison, et comment
ferons-nous si vous nous quittez ? »
je leur répondis : « Mes
chères demoiselles, je vous enverrai de mes
nouvelles, et vous aurez la même bonté
pour moi de me faire tenir des
vôtres. »
Et ainsi nous nous
séparâmes ; mais non pas sans
verser de larmes, car elles avaient une grande
tendresse pour moi. Elles me souhaitèrent
toutes sortes de prospérités et de
bénédictions, en me disant :
« Le bon Dieu vous conduise, vous
conserve et vous préserve de la main de vos
ennemis, comme il a fait jusqu'à
présent. » je les remerciai
très humblement, et leur fis le même
souhait. Je ne sais pas si elles entendirent la
voix et si elles virent la clarté ;
toutefois, je ne leur en dis, rien.
... Nous (5) passâmes
dans une montagne
nommée Glandasse, proche de Die, mais non
pas sans peine, car c'est la plus rude que j'aie
vue en ma vie ; nous avions de la neige
jusqu'aux épaules, et nous marchâmes
tout ce jour-là. Mais enfin Dieu nous fit la
grâce d'en sortir. Nous arrivâmes
à Grenoble heureusement ; nous y
séjournâmes sept à huit jours,
jusques à ce que nous trouvâmes des
guides, et aussi une honorable compagnie ;
c'est que nous fîmes rencontre de Monsieur
Cassagne et de Mademoiselle Marthe, sa soeur, qui
était de la
Basse-Guyenne.
Nous partîmes tous cinq, avec
quatre guides, le trentième de mars. Nous
couchâmes dans une métairie ;
nous y séjournâmes tout le jour. Le
lendemain, les guides nous firent cacher dans une
île, proche du pont de Goncelin. Des
cavaliers, qui étaient gardes du
régiment d'Arnaudfiny, vinrent chasser dans
cette île ; ils nous prirent, à
la réserve de Monsieur Cassagne et des
guides, qui s'en sauvèrent. C'était
le 1er avril, à huit heures du matin, 1686.
On nous mena à la Terrasse
(6), où
ils nous fouillèrent et nous
ôtèrent tout ce que nous avions. On me
prit du linge, de l'argent et du papier, qui
étaient cousus dans mon corps
(corset) ; car, comme on m'avait
dépouillée (on ne m'avait
laissé que la chemise), on rompit mon corps,
et on tira les baleines, croyant qu'il y avait de
l'argent caché. On trouva aisément ce
papier, où il y avait en écrit
quatre-vingts ou nonante passages, que Monsieur
Piffard, notre fidèle pasteur, nous avait
expliqués dans notre église, depuis
le dernier synode qui se tint à
Charenton ; car l'Esprit me disait, dans le
temps de notre prospérité, que
peut-être on nous ôterait les livres de
l'Écriture sainte, et « ces
passages seront très propres à te
fortifier ».
« DU FOND DE L'ABÎME. »
Prière dans une basse-fosse
Nous te rendons grâces, grand Dieu, Seigneur du ciel et de la terre, de tant de faveurs que tu nous as départies depuis le jour de notre naissance, mais d'une façon plus particulière de ce que tu nous as soutenues et fortifiées par ton bon et saint Esprit, pendant que nos juges ont exercé toutes leurs douceurs et leurs menaces pour nous faire renoncer à la vérité de l'Évangile que tu as planté dans nos coeurs. Mon Dieu, fais comprendre à nos juges qu'un jour ils seront jugés de toi, et que tu rendras à un chacun selon ses oeuvres, et que chacun remportera en son corps selon qu'il aura fait, soit bien ou mal... O Dieu, nous te prions pour tous les rois et princes de la terre, mais principalement pour le roi de France. O Dieu, adoucis son coeur, comme tu fis autrefois, celui d'Assuérus, afin qu'ayant changé de pensée, il nous mette en liberté, et tous ceux qui sont détenus en prison comme nous, et qu'il cesse de persécuter ton Église. Aie pitié de ton Église, vois en quel état elle est depuis si longtemps, sois touché de ses maux, entends nos ennemis qui nous disent : « Où est votre Dieu ? » Les émotions bruyantes de tes entrailles sont-elles retenues en notre endroit ? Réveille-toi, ô Dieu, réveille, dis-je, ta vertu, et pour jamais ne nous délaisses...
« J'EUS L'HONNEUR D'ÊTRE FOUETTÉE POUR LE NOM DE CHRIST. »
De l'hôpital de la Rapine de Valence, le 20 d'octobre 1687.
À Monsieur Murat, pasteur réfugié à Lausanne,
J'arrivai le vingt-troisième du mois de mai, à midi. Le soir, La Rapine étant venu, on me traîna et on me battit à coups de pied, à coups de bâton, et avec des soufflets. Et voyant que je souffrais tout, on ne laissa pas de me traîner dans leur chapelle, et les coups ne m'étaient rien au prix de cela. Le neuvième de juin, à deux heures après midi, on m'ôta mes habits et ma chemise, depuis la ceinture en haut, on m'attacha par les mains au plancher, et six personnes, chacune avec une poignée de verges d'une aune de long, et à pleines mains, se lassèrent toutes six sur moi, et me rendirent noire comme le charbon. Puis on me détacha du plancher, on me fit mettre à genoux au milieu de la cuisine, et on continua à me battre jusqu'à ce que le sang coulât de mes épaules. Le grand Apôtre ne me reprochera pas que je n'aie pas résisté jusqu'au sang, puisque Dieu m'a fait la grâce de surmonter le sang et toute autre chose... On peut dire que je suis ici comme dans l'enfer. Dieu veuille m'en tirer par son bras puissant...
Née à Die, en Dauphiné,
Jeanne Terrasson veuve Reymond, appartenait aussi
à une famille de la bourgeoisie. Son
frère Abraham était pasteur dans le
Velay, et mourut six ans avant la Révocation
de l'Édit de Nantes. Son mari, Jean Reymond,
abjura en 1685. En 1687, elle était veuve.
Arrêtée, déguisée en
homme, lorsqu'elle cherchait à sortir de
France, fin septembre 1686, elle fut
emprisonnée jusqu'en novembre 1687.
Réfugiée à Berne, elle
écrivit, dans l'année 1693, la
relation de ses souffrances : Recueil des
choses qui me sont arrivées en France, dans
le temps des persécutions et des maux qu'on
m'y a fait souffrir, à moi, la veuve
Reymond, née Jeanne Terrasson, une des
confesseuses de Jésus-Christ, y
reconnaissant les grâces que j'aie
reçues de lui pendant la même
persécution. Fait à Berne, dans
l'année 1693. Nous ignorons les dates de sa
naissance et de sa mort.
Sous le titre « Le meilleur
grain », nous citons un fragment d'un
véritable sermon qui se trouve dans le
récit de Jeanne.
ÉDITION : Th. Claparède et Ed. Goty, Deux héroïnes de la foi..., P. 245, 248, 265, 251.
HABILLÉE EN HOMME.
... Et pour revenir à mon sort, qui a
toujours été conduit par la
Providence divine, je dirai que j'ai demeuré
cachée depuis le mois de septembre 1685
jusques au dit mois de septembre 1686. Ainsi j'ai
resté cachée une année
entière chez de nos amis ou ailleurs,
où souvent je me suis trouvée
d'obligation à sortir la nuit, au coeur de
l'hiver pour changer d'une maison à une
autre. Surtout une nuit entre les autres, qu'il
tombait de la neige prodigieusement, au milieu de
laquelle il me fallut faire une lieue,
n'étant pas assurée là
où j'étais auparavant. Et je
craignais plus de trouver des gens à mon
chemin que d'y trouver des bêtes
féroces, d'autant que ces bêtes
n'auraient pu que dévorer mon corps, mais,
ayant pu être reconnue par les personnes, ils
n'auraient pas manqué de m'introduire aux
pièges de nos ennemis, qui ne cherchaient
qu'à dévorer mon âme, s'il leur
eût été possible, après
la perte de laquelle il n'y a rien à
prétendre.
Ces remuements n'ont pas duré un
jour seul, ni une semaine, mais cinq mois entiers,
avec une peine incroyable, parce qu'il me fallait
tenir dans des lieux écartés, et
parce aussi qu'il se publia un arrêt de la
part du roi, qui portait des grandes peines contre
ceux qui cacheraient quelque personne que ce
fût de ceux qui n'avaient pas changé
de religion. De sorte qu'il n'était pas
étrange de voir tous ceux qui
s'étaient rendus dans la crainte de se faire
de mauvaises affaires, puisqu'ils avaient
préféré leurs biens à
leurs personnes, il ne faut pas
s'étonner, dis-je, qu'ils
préférassent ces biens à la
personne de leurs amis. Cet événement
me jeta dans la crainte et dans une grande
consternation.
Étant dans ce triste état,
il me vint à la pensée d'aller
à une petite maison que feu un mien
frère avait dans un bien qui était
environ une demi-heure loin de la ville, que mon
mari tenait pour lors. Je lui dis mon
entreprise ; il s'y accorda, et trouva un
expédient, qui fut de faire courir un bruit
que j'étais sortie du royaume et
qu'assurément on m'avait vue à
Genève, ce qui passa pour véritable.
Je restai donc dans cet endroit sept mois,
après les cinq mois que je viens de dire,
étant travestie en homme, sans que jamais
aucun qui me pût nuire s'en
aperçût ; quoique, parfois, je
sortais par là autour, de crainte d'y
être surprise dedans par les espions des
papistes.
Il arriva, un matin, qu'étant
sortie, j'aperçus venir cinq hommes,
desquels il y en avait trois papistes de naissance
et, des deux autres, il y en avait un qui
n'était papiste que par force, et l'autre
était un apostat qui s'était
changé pour de l'argent. Il n'y avait pas de
pire ennemi contre les pauvres fidèles.
Enfin, ces quatre étaient gagés des
ecclésiastiques pour épier, comme je
viens de le dire, et pour leur amener tous ceux
qu'ils trouveraient qui n'auraient pas
changé de religion. Ils m'abordèrent
pour me demander s'il y avait longtemps que
j'étais là, si par hasard je n'avais
point vu remuer le lièvre à ce
quartier, et qu'ils avaient été
depuis le grand matin à la chasse, qu'ils en
avaient fait partir un. Je leur répondis que
non, que je ne faisais que d'arriver. Pour lors,
ils étaient à la chasse après
le gibier, et je reconnus que c'était pour
Monsieur le gouverneur de la ville ; car celui
que j'ai dit, qui n'était papiste que par
force, était son homme de chambre. Mais
s'ils m'eussent reconnue, ces
quatre satellites auraient bien
été chasseurs pour
l'Antéchrist...
NOS LIVRES DE DÉVOTION.
Nos adversaires avaient pris les livres de dévotion de iceux de notre Religion et les avaient brûlés, ce que, par la grâce de Dieu, ils n'avaient pas fait des nôtres, par les soins que nous avions pris de les cacher avant l'arrivée des soldats ; et aussi, comme notre maison leur avait été exposée, l'on avait cru qu'ils les avaient pris, ce qui fait que nous n'en avions point fourni à ces malheureux qui les brûlaient. Et ainsi, nous profitions de ces livres, quoiqu'il nous les fallait, pour la plupart du temps, comme ensevelir, en continuant à les cacher dans la terre ou ailleurs, de crainte qu'ils ne nous fussent enlevés, quoique pourtant nous en avions toujours quelqu'un des plus consolants entre mains.
LA BASSE-FOSSE DE GRENOBLE.
L'on nous sortit toutes de ce cachot... pour
nous mettre dans une basse-fosse... Laquelle
était fort infecte et mauvaise à
cause de la grande puanteur et de l'humidité
causée par une grande rivière
nommée l'Isère, tout auprès de
laquelle est bâtie ladite prison. Ce qui
faisait que, tous les matins, nous étions
aussi mouillées comme si nous eussions
été exposées à la
rosée de la nuit, parce que les nuages qui
sont d'ordinaire fréquents sur les grandes
rivières, entraient par les fenêtres,
auxquelles il n'y avait que des fers, et point de
vitres, de châssis de fenêtres ni
contre-fenêtres qui pussent
les empêcher. Si bien que
les prisonnières qui y étaient avant
nous étaient affligées d'une gale si
envenimée qu'elle leur causait des fleurons
semblables à des boutons de peste...
J'ai demeuré six mois,
enfermée dans ce même endroit que je
viens d'indiquer, sans que jamais l'on nous
sortît, que quand ils nous faisaient
répondre devant nos juges. Il s'y rencontra
une femme de ma connaissance, laquelle me fit place
dans son lit, quoiqu'elles y fussent bien
pressées ; par un bien que Dieu
m'accorda, ni elle, ni celles qui y couchaient,
n'avaient point la gale. Par ce moyen-là, je
n'en fus point attaquée, et je n'en eus
point d'autre que celle que les poux de mon premier
cachot m'avaient causée, laquelle se passa
ensuite. Mais, pour cela, je ne fus pas exempte de
mal ; car, quand j'y fus demeurée les
trois ou quatre mois du commencement (parce que ce
fut tout le long de l'hiver, et que nous y
souffrions du froid prodigieusement), il me survint
une toux si extraordinaire, qu'elle ne me donnait
presque aucun relâche, ni le jour, ni la
nuit, et ne m'a point quittée depuis ce
temps-là, moins encore l'hiver que dans
toute autre saison, dans chacun desquels j'en suis
si incommodée et si pressée, que je
ne crois pas d'en être délivrée
que je ne sois dans le tombeau, puisque je sens
qu'elle est toujours enracinée.
LE MEILLEUR GRAIN.
Le meilleur grain est celui qu'on vanne et
qu'on
crible le mieux, le plus fin or est celui qui a
été le plus affiné, et c'est
par les afflictions que Dieu nous excite à
le prier plus soigneusement et
avec plus de zèle. Il
remarque quels progrès ont fait notre
patience, notre espérance, notre
charité et toutes nos autres vertus
chrétiennes, depuis que nous sommes en son
école ; car, sans cette épreuve,
elles s'enrouilleraient comme le fer, ou se
corrompraient comme l'eau dormante qui, croupissant
et n'étant point agitée, s'empuantit.
Afin donc que le fidèle perde la mauvaise
odeur de sa nature corrompue, qui voudrait demeurer
toujours dans son malheureux état, Dieu
l'exerce par des tribulations et l'agite pour le
conduire au salut éternel.
L'affliction sanctifiée est donc
une aide singulière à une vraie
conversion, et une sûre guide pour retourner
en la maison de notre Père céleste,
par une vraie repentance. En leurs angoisses, dit
le Seigneur, ils me chercheront de grand matin...
Car, comme l'arche de Noé, plus elle
était agitée par les flots, plus elle
montait vers les cieux, ainsi aussi, l'âme
agitée par les tribulations, plus elle est
affligée, plus elle s'élève
vers Dieu. Heureuse donc l'affliction qui attire le
pécheur à se prosterner du corps,
mais encore plus du coeur, aux pieds de
Jésus-Christ pour y confesser ses fautes et
pour implorer sa grâce.
Béni et à jamais
béni soit ce bon Sauveur, qui ne rejette
point le pécheur qui vient à lui,
bien que poussé par les tempêtes et
par les orages de l'affliction et de la
misère. Nos afflictions nous donnent de la
compassion pour celles de nos prochains, et nous
les font sentir comme si nous les souffrions
nous-mêmes. C'est pourquoi
Jésus-Christ a voulu souffrir et être
tenté en toutes choses comme nous,
excepté le péché, afin qu'il
fût souverain sacrificateur et qu'il
eût compassion de nos
infirmités ; car il n'y a personne qui
puisse si bien plaindre la misère d'autrui
que celui qui en a éprouvé une
pareille. Et sur ce fondement, un pécheur
gémissant et accablé
de douleur peut dire avec
confiance à son Sauveur :
« Seigneur, toi qui sais combien le
fardeau du péché est pesant,
soulage-moi de celui des miens, sous lequel je suis
prêt à succomber sans ton
assistance. »
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