Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

BLANCHE GAMOND

vers 1665-1718

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 Elle avait vingt-trois ans lorsqu'elle écrivit, à Berne, en 1688, le Récit des persécutions que Blanche Gamond, de Saint-Paul-Trois-Châteaux, en Dauphiné, âgée d'environ vingt et un ans, a endurées pour la querelle de l'Évangile, ayant dans icelles surmonté toutes tentations par la grâce et Providence de Dieu.

Ses parents étaient des bourgeois aisés. Dragonnés en 1683, ils s'enfuirent à Orange en septembre 1685, et vécurent un mois à la belle étoile, se cachant surtout dans les bois.

Blanche, sa mère et son frère essayèrent de gagner Genève, mais une escouade de dragons se jeta sur eux. Alors, ce fut pour Blanche la basse-fosse de Grenoble, et ce fut l'hôpital de Valence, que dirigeait l'affreux Guichard, qui se faisait appeler La Rapine, ou plus aristocratiquement d'Hérapine, un « insigne malfaiteur », dit Antoine Court dans son Histoire inédite des Églises réformées de France. Comme Jeanne Terrasson, sa compagne de Grenoble et de Valence, elle lassa la violence des convertisseurs et obtint sa liberté à prix d'argent vers la fin de 1687.

Blanche était à Genève au mois de février 1688. En novembre, elle se retira à Berne où elle rédigea son entraînant récit, sur la demande de Mme Scherer, de Saint-Gall, ascendante directe du critique Edmond Scherer. Elle s'en alla mourir à Zurich. Les Registres de cette ville portent ceci : « 1717 ; don de 9 florins à Blanche Gamond qui a beaucoup souffert par sa foi. On lui permet de passer l'hiver ici. - 1718 : elle reçoit par mois un secours de 2 florins 6 schellings, elle est maintenant hydropique. Morte d'hydropisie, elle a été ensevelie à Zurich. »

 ÉDITION : Th. Claparède et Ed. Goty, Deux héroïnes de la foi, Blanche Gamond, Jeanne Terrasson, Paris, Neuchâtel, Genève, 1880, p. 33, 53, 85, 122. Jurieu, Lettres pastorales, Il, p. 356 (pour la lettre au pasteur Murat).

 À CONSULTER : Jules Chavannes, dans le Chrétien Évangélique, août 1867. France Protestante, 2e éd., VI, art. Gamond.



 LES « DRAGONS ENVENIMÉS. »

 Dans l'année 1683, au mois de février, nous commençâmes d'être persécutés. Notre ville a été la première persécutée du Dauphiné. Notre évêque fit venir six compagnies de soldats du régiment de Vendôme, et les fit mettre en discrétion sur les Messieurs de la Religion, à cause, disait-il, de la cloche (1), et on choisit les plus méchants soldats pour les mettre sur notre pasteur, qui était pour lors Monsieur Piffard. En les changeant de chez lui, on les mettait à la maison de mon père, et je puis dire que je n'en avais jamais vu de plus méchants dans la maison. On faisait mille ravages, on passait les nuits entières en faisant des grillades, en mettant des quartiers de lard sur les charbons ; car, quand on mange du salé, on boit davantage. Aussi fallait-il une personne qui ne rit autre chose que leur donner à boire...

Au mois d'avril, un jour devant Pâques, dans la même année, leur délogement arriva, tellement qu'ils partirent de chez nous. Ils nous avaient presque ruinés, mais Dieu qui est riche et abondant en bénédictions, bénit notre terroir, qui nous donna une belle récolte de cocons, du blé, du vin et abondamment de toutes les autres denrées. Et je puis dire que je n'avais pas vu une plus belle récolte, de laquelle nous croyions jouir paisiblement. Mais, au mois de septembre, voilà encore un coup de verge, qui redoubla sur nous de quatre compagnies de cavalerie, du régiment d'Arnaudfiny, à cause, disaient-ils, du Camp de l'Éternel (2), qui consuma tout ce qu'on pouvait avoir, jusques à donner le reste du blé aux chevaux, et le pauvre peuple était à la faim. Après cela, cette cavalerie nous fut ôtée ; mais dans peu de temps, on nous envoya des dragons envenimés (3), desquels on ne saurait raconter ni décrire les tourments qu'ils nous firent souffrir longtemps, outre le passage ordinaire des troupes, qui montaient et descendaient, tellement que le plus souvent nous avions jusques à vingt hommes dans la maison. Et nous étions toujours les plus foulés de la ville, quoique nous n'étions pasdes plus riches, à cause que nous étions des plus fermes de notre Religion...

Quelques temps après cela, on fit rouer M. Chamier, à Montélimar, pour la Religion, et je disais à moi-même : « Pourrais-tu bien, souffrir la roue ou le feu, si Dieu t'appelait à cela ? Comme la semence de l'Église ce sont les martyrs, quel bonheur si Dieu te faisait la grâce d'être du nombre ! » Je m'éprouvais sur cela en approchant ma main près du feu ; mais sitôt que mes doigts se brûlaient, je retirais au plus tôt ma main, et je m'écriais : « O Dieu, il faut qu'à mesure que tu affliges tes enfants, tu leur augmente tes grâces et la vertu de ton Esprit saint pour les soutenir dans leurs épreuves, car nous sommes la faiblesse même » (4).

 L'ARRESTATION.

 ... Je fis dessein de sortir de France, et de ne pas demeurer dans le royaume, moyennant l'aide de Dieu, que j'implorais de tout mon coeur pour cet effet. Mais, au mois de mars (1686), étant couchée avec des demoiselles, environ deux heures après minuit, je vis une lumière comme à plein midi, et à même temps, j'ouïs une voix qui me dit : « Lève-toi, et pars ! Ne crains point, je ne t'abandonnerai point, je serai toujours avec toi, jusques à la fin. » Et à même temps, je fus remplie de force, de hardiesse et de courage ; je m'habillai pour partir sans aucun délai. Et celles qui étaient couchées avec moi me dirent : « Pourquoi vous levez-vous si matin ? » je leur dis : « Parce qu'il me faut partir et m'en aller tout présentement. » Elles me dirent : « Pourquoi nous voulez-vous quitter ? Nous vous aimons comme si vous étiez de la maison, et comment ferons-nous si vous nous quittez ? » je leur répondis : « Mes chères demoiselles, je vous enverrai de mes nouvelles, et vous aurez la même bonté pour moi de me faire tenir des vôtres. »

Et ainsi nous nous séparâmes ; mais non pas sans verser de larmes, car elles avaient une grande tendresse pour moi. Elles me souhaitèrent toutes sortes de prospérités et de bénédictions, en me disant : « Le bon Dieu vous conduise, vous conserve et vous préserve de la main de vos ennemis, comme il a fait jusqu'à présent. » je les remerciai très humblement, et leur fis le même souhait. Je ne sais pas si elles entendirent la voix et si elles virent la clarté ; toutefois, je ne leur en dis, rien.

... Nous (5) passâmes dans une montagne nommée Glandasse, proche de Die, mais non pas sans peine, car c'est la plus rude que j'aie vue en ma vie ; nous avions de la neige jusqu'aux épaules, et nous marchâmes tout ce jour-là. Mais enfin Dieu nous fit la grâce d'en sortir. Nous arrivâmes à Grenoble heureusement ; nous y séjournâmes sept à huit jours, jusques à ce que nous trouvâmes des guides, et aussi une honorable compagnie ; c'est que nous fîmes rencontre de Monsieur Cassagne et de Mademoiselle Marthe, sa soeur, qui était de la Basse-Guyenne.

Nous partîmes tous cinq, avec quatre guides, le trentième de mars. Nous couchâmes dans une métairie ; nous y séjournâmes tout le jour. Le lendemain, les guides nous firent cacher dans une île, proche du pont de Goncelin. Des cavaliers, qui étaient gardes du régiment d'Arnaudfiny, vinrent chasser dans cette île ; ils nous prirent, à la réserve de Monsieur Cassagne et des guides, qui s'en sauvèrent. C'était le 1er avril, à huit heures du matin, 1686.

On nous mena à la Terrasse (6), où ils nous fouillèrent et nous ôtèrent tout ce que nous avions. On me prit du linge, de l'argent et du papier, qui étaient cousus dans mon corps (corset) ; car, comme on m'avait dépouillée (on ne m'avait laissé que la chemise), on rompit mon corps, et on tira les baleines, croyant qu'il y avait de l'argent caché. On trouva aisément ce papier, où il y avait en écrit quatre-vingts ou nonante passages, que Monsieur Piffard, notre fidèle pasteur, nous avait expliqués dans notre église, depuis le dernier synode qui se tint à Charenton ; car l'Esprit me disait, dans le temps de notre prospérité, que peut-être on nous ôterait les livres de l'Écriture sainte, et « ces passages seront très propres à te fortifier ».

 « DU FOND DE L'ABÎME. »

 Prière dans une basse-fosse

 Nous te rendons grâces, grand Dieu, Seigneur du ciel et de la terre, de tant de faveurs que tu nous as départies depuis le jour de notre naissance, mais d'une façon plus particulière de ce que tu nous as soutenues et fortifiées par ton bon et saint Esprit, pendant que nos juges ont exercé toutes leurs douceurs et leurs menaces pour nous faire renoncer à la vérité de l'Évangile que tu as planté dans nos coeurs. Mon Dieu, fais comprendre à nos juges qu'un jour ils seront jugés de toi, et que tu rendras à un chacun selon ses oeuvres, et que chacun remportera en son corps selon qu'il aura fait, soit bien ou mal... O Dieu, nous te prions pour tous les rois et princes de la terre, mais principalement pour le roi de France. O Dieu, adoucis son coeur, comme tu fis autrefois, celui d'Assuérus, afin qu'ayant changé de pensée, il nous mette en liberté, et tous ceux qui sont détenus en prison comme nous, et qu'il cesse de persécuter ton Église. Aie pitié de ton Église, vois en quel état elle est depuis si longtemps, sois touché de ses maux, entends nos ennemis qui nous disent : « Où est votre Dieu ? » Les émotions bruyantes de tes entrailles sont-elles retenues en notre endroit ? Réveille-toi, ô Dieu, réveille, dis-je, ta vertu, et pour jamais ne nous délaisses...

 « J'EUS L'HONNEUR D'ÊTRE FOUETTÉE POUR LE NOM DE CHRIST. »

 De l'hôpital de la Rapine de Valence, le 20 d'octobre 1687.
 À Monsieur Murat, pasteur réfugié à Lausanne,

 J'arrivai le vingt-troisième du mois de mai, à midi. Le soir, La Rapine étant venu, on me traîna et on me battit à coups de pied, à coups de bâton, et avec des soufflets. Et voyant que je souffrais tout, on ne laissa pas de me traîner dans leur chapelle, et les coups ne m'étaient rien au prix de cela. Le neuvième de juin, à deux heures après midi, on m'ôta mes habits et ma chemise, depuis la ceinture en haut, on m'attacha par les mains au plancher, et six personnes, chacune avec une poignée de verges d'une aune de long, et à pleines mains, se lassèrent toutes six sur moi, et me rendirent noire comme le charbon. Puis on me détacha du plancher, on me fit mettre à genoux au milieu de la cuisine, et on continua à me battre jusqu'à ce que le sang coulât de mes épaules. Le grand Apôtre ne me reprochera pas que je n'aie pas résisté jusqu'au sang, puisque Dieu m'a fait la grâce de surmonter le sang et toute autre chose... On peut dire que je suis ici comme dans l'enfer. Dieu veuille m'en tirer par son bras puissant...




JEANNE TERRASSON

(1693)


 Née à Die, en Dauphiné, Jeanne Terrasson veuve Reymond, appartenait aussi à une famille de la bourgeoisie. Son frère Abraham était pasteur dans le Velay, et mourut six ans avant la Révocation de l'Édit de Nantes. Son mari, Jean Reymond, abjura en 1685. En 1687, elle était veuve. Arrêtée, déguisée en homme, lorsqu'elle cherchait à sortir de France, fin septembre 1686, elle fut emprisonnée jusqu'en novembre 1687. Réfugiée à Berne, elle écrivit, dans l'année 1693, la relation de ses souffrances : Recueil des choses qui me sont arrivées en France, dans le temps des persécutions et des maux qu'on m'y a fait souffrir, à moi, la veuve Reymond, née Jeanne Terrasson, une des confesseuses de Jésus-Christ, y reconnaissant les grâces que j'aie reçues de lui pendant la même persécution. Fait à Berne, dans l'année 1693. Nous ignorons les dates de sa naissance et de sa mort.

Sous le titre « Le meilleur grain », nous citons un fragment d'un véritable sermon qui se trouve dans le récit de Jeanne.

 ÉDITION : Th. Claparède et Ed. Goty, Deux héroïnes de la foi..., P. 245, 248, 265, 251.



 HABILLÉE EN HOMME.

 ... Et pour revenir à mon sort, qui a toujours été conduit par la Providence divine, je dirai que j'ai demeuré cachée depuis le mois de septembre 1685 jusques au dit mois de septembre 1686. Ainsi j'ai resté cachée une année entière chez de nos amis ou ailleurs, où souvent je me suis trouvée d'obligation à sortir la nuit, au coeur de l'hiver pour changer d'une maison à une autre. Surtout une nuit entre les autres, qu'il tombait de la neige prodigieusement, au milieu de laquelle il me fallut faire une lieue, n'étant pas assurée là où j'étais auparavant. Et je craignais plus de trouver des gens à mon chemin que d'y trouver des bêtes féroces, d'autant que ces bêtes n'auraient pu que dévorer mon corps, mais, ayant pu être reconnue par les personnes, ils n'auraient pas manqué de m'introduire aux pièges de nos ennemis, qui ne cherchaient qu'à dévorer mon âme, s'il leur eût été possible, après la perte de laquelle il n'y a rien à prétendre.

Ces remuements n'ont pas duré un jour seul, ni une semaine, mais cinq mois entiers, avec une peine incroyable, parce qu'il me fallait tenir dans des lieux écartés, et parce aussi qu'il se publia un arrêt de la part du roi, qui portait des grandes peines contre ceux qui cacheraient quelque personne que ce fût de ceux qui n'avaient pas changé de religion. De sorte qu'il n'était pas étrange de voir tous ceux qui s'étaient rendus dans la crainte de se faire de mauvaises affaires, puisqu'ils avaient préféré leurs biens à leurs personnes, il ne faut pas s'étonner, dis-je, qu'ils préférassent ces biens à la personne de leurs amis. Cet événement me jeta dans la crainte et dans une grande consternation.

Étant dans ce triste état, il me vint à la pensée d'aller à une petite maison que feu un mien frère avait dans un bien qui était environ une demi-heure loin de la ville, que mon mari tenait pour lors. Je lui dis mon entreprise ; il s'y accorda, et trouva un expédient, qui fut de faire courir un bruit que j'étais sortie du royaume et qu'assurément on m'avait vue à Genève, ce qui passa pour véritable. Je restai donc dans cet endroit sept mois, après les cinq mois que je viens de dire, étant travestie en homme, sans que jamais aucun qui me pût nuire s'en aperçût ; quoique, parfois, je sortais par là autour, de crainte d'y être surprise dedans par les espions des papistes.

Il arriva, un matin, qu'étant sortie, j'aperçus venir cinq hommes, desquels il y en avait trois papistes de naissance et, des deux autres, il y en avait un qui n'était papiste que par force, et l'autre était un apostat qui s'était changé pour de l'argent. Il n'y avait pas de pire ennemi contre les pauvres fidèles. Enfin, ces quatre étaient gagés des ecclésiastiques pour épier, comme je viens de le dire, et pour leur amener tous ceux qu'ils trouveraient qui n'auraient pas changé de religion. Ils m'abordèrent pour me demander s'il y avait longtemps que j'étais là, si par hasard je n'avais point vu remuer le lièvre à ce quartier, et qu'ils avaient été depuis le grand matin à la chasse, qu'ils en avaient fait partir un. Je leur répondis que non, que je ne faisais que d'arriver. Pour lors, ils étaient à la chasse après le gibier, et je reconnus que c'était pour Monsieur le gouverneur de la ville ; car celui que j'ai dit, qui n'était papiste que par force, était son homme de chambre. Mais s'ils m'eussent reconnue, ces quatre satellites auraient bien été chasseurs pour l'Antéchrist...

 NOS LIVRES DE DÉVOTION.

 Nos adversaires avaient pris les livres de dévotion de iceux de notre Religion et les avaient brûlés, ce que, par la grâce de Dieu, ils n'avaient pas fait des nôtres, par les soins que nous avions pris de les cacher avant l'arrivée des soldats ; et aussi, comme notre maison leur avait été exposée, l'on avait cru qu'ils les avaient pris, ce qui fait que nous n'en avions point fourni à ces malheureux qui les brûlaient. Et ainsi, nous profitions de ces livres, quoiqu'il nous les fallait, pour la plupart du temps, comme ensevelir, en continuant à les cacher dans la terre ou ailleurs, de crainte qu'ils ne nous fussent enlevés, quoique pourtant nous en avions toujours quelqu'un des plus consolants entre mains.

 LA BASSE-FOSSE DE GRENOBLE.

 L'on nous sortit toutes de ce cachot... pour nous mettre dans une basse-fosse... Laquelle était fort infecte et mauvaise à cause de la grande puanteur et de l'humidité causée par une grande rivière nommée l'Isère, tout auprès de laquelle est bâtie ladite prison. Ce qui faisait que, tous les matins, nous étions aussi mouillées comme si nous eussions été exposées à la rosée de la nuit, parce que les nuages qui sont d'ordinaire fréquents sur les grandes rivières, entraient par les fenêtres, auxquelles il n'y avait que des fers, et point de vitres, de châssis de fenêtres ni contre-fenêtres qui pussent les empêcher. Si bien que les prisonnières qui y étaient avant nous étaient affligées d'une gale si envenimée qu'elle leur causait des fleurons semblables à des boutons de peste...

J'ai demeuré six mois, enfermée dans ce même endroit que je viens d'indiquer, sans que jamais l'on nous sortît, que quand ils nous faisaient répondre devant nos juges. Il s'y rencontra une femme de ma connaissance, laquelle me fit place dans son lit, quoiqu'elles y fussent bien pressées ; par un bien que Dieu m'accorda, ni elle, ni celles qui y couchaient, n'avaient point la gale. Par ce moyen-là, je n'en fus point attaquée, et je n'en eus point d'autre que celle que les poux de mon premier cachot m'avaient causée, laquelle se passa ensuite. Mais, pour cela, je ne fus pas exempte de mal ; car, quand j'y fus demeurée les trois ou quatre mois du commencement (parce que ce fut tout le long de l'hiver, et que nous y souffrions du froid prodigieusement), il me survint une toux si extraordinaire, qu'elle ne me donnait presque aucun relâche, ni le jour, ni la nuit, et ne m'a point quittée depuis ce temps-là, moins encore l'hiver que dans toute autre saison, dans chacun desquels j'en suis si incommodée et si pressée, que je ne crois pas d'en être délivrée que je ne sois dans le tombeau, puisque je sens qu'elle est toujours enracinée.

 LE MEILLEUR GRAIN.

 Le meilleur grain est celui qu'on vanne et qu'on crible le mieux, le plus fin or est celui qui a été le plus affiné, et c'est par les afflictions que Dieu nous excite à le prier plus soigneusement et avec plus de zèle. Il remarque quels progrès ont fait notre patience, notre espérance, notre charité et toutes nos autres vertus chrétiennes, depuis que nous sommes en son école ; car, sans cette épreuve, elles s'enrouilleraient comme le fer, ou se corrompraient comme l'eau dormante qui, croupissant et n'étant point agitée, s'empuantit. Afin donc que le fidèle perde la mauvaise odeur de sa nature corrompue, qui voudrait demeurer toujours dans son malheureux état, Dieu l'exerce par des tribulations et l'agite pour le conduire au salut éternel.

L'affliction sanctifiée est donc une aide singulière à une vraie conversion, et une sûre guide pour retourner en la maison de notre Père céleste, par une vraie repentance. En leurs angoisses, dit le Seigneur, ils me chercheront de grand matin... Car, comme l'arche de Noé, plus elle était agitée par les flots, plus elle montait vers les cieux, ainsi aussi, l'âme agitée par les tribulations, plus elle est affligée, plus elle s'élève vers Dieu. Heureuse donc l'affliction qui attire le pécheur à se prosterner du corps, mais encore plus du coeur, aux pieds de Jésus-Christ pour y confesser ses fautes et pour implorer sa grâce.

Béni et à jamais béni soit ce bon Sauveur, qui ne rejette point le pécheur qui vient à lui, bien que poussé par les tempêtes et par les orages de l'affliction et de la misère. Nos afflictions nous donnent de la compassion pour celles de nos prochains, et nous les font sentir comme si nous les souffrions nous-mêmes. C'est pourquoi Jésus-Christ a voulu souffrir et être tenté en toutes choses comme nous, excepté le péché, afin qu'il fût souverain sacrificateur et qu'il eût compassion de nos infirmités ; car il n'y a personne qui puisse si bien plaindre la misère d'autrui que celui qui en a éprouvé une pareille. Et sur ce fondement, un pécheur gémissant et accablé de douleur peut dire avec confiance à son Sauveur : « Seigneur, toi qui sais combien le fardeau du péché est pesant, soulage-moi de celui des miens, sous lequel je suis prêt à succomber sans ton assistance. »


(1) Les protestants avaient enlevé secrètement la cloche de leur temple, que l'évêque destinait à sa cathédrale.

(2) En août 1683, des protestants se réunirent en armes dans la forêt de Saou, à quelques lieues de Die. Arnaud, Histoire des Protestants du Dauphiné, II, 114 ss.

(3) Réminiscence du psaume XLIV, dans la traduction de Théodore de Bèze : « Parmi dragons envenimés, - Combien que ta main nous accable. »

(4) Au témoignage de Charles Drelincourt, qui l'avait appris en sa jeunesse par des personnes dignes de foi, la demoiselle de Graveron (voir plus haut, p. 13) « avait une telle défiance d'elle-même qu'elle priait Dieu tous les jours de l'exempter de la souffrance des martyrs. « Hélas ! disait cette jeune femme, j'ai de la peine à souffrir une morsure de puce, ou un rayon de soleil, et comment pourrais-je supporter la violence des bourreaux et l'ardeur des flammes ? O mon Dieu, aie pitié de moi, et ne m'abandonne point à, la tentation ! » Cité par Ch. Bost, Bull. LXXV, 1926, p. 150.

(5) Elle était en compagnie de sa mère et de son frère.

(6) Village près de Goncelin.
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