Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHARLOTTE-AMÉLIE DE LA TRÉMOILLE

1652-1732

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 Elle naquit à Thouars, le 5 janvier 1652, au milieu des troubles de la Fronde. Elle était la fille aînée de Charles-Henri de La Trémoïlle, prince de Tarente, duc de Thouars, qui devait tant l'affliger par son abjuration, et d'Émilie de Hesse-Cassel, grande protectrice des réfugiés, huguenote intraitable et d'une pitié rigide, qui inspirait à Charlotte-Amélie plus de crainte que d'affection. Comme nous l'avons dit, elle fut élevée par Marie de La Tour, sa grand-mère, jusqu'à la mort de celle-ci, en 1665. « Elle tâchait de me donner de petits plaisirs pour me bien disposer pour l'étude... Mais son amitié n'en demeurait point aux bagatelles, et elle prenait un extrême soin de m'instruire et surtout dans la Religion. »

Émilie de Hesse quitta la France, après la conversion de son mari au catholicisme, pour l'empêcher de faire abjurer sa fille aînée, comme ses autres enfants. Charlotte-Amélie devint, en 1672, demoiselle d'honneur de la reine de Danemark, sa parente. Elle épousa, en mai 1680, Antoine, comte d'Altenbourg, qu'elle perdit en octobre de la même année. Elle mourut à Utrecht, le 21 janvier 1732.

Elle était aussi intelligente qu'énergique, et ce n'est pas peu dire. Elle se plut toujours à écrire. Elle nous apprend que, dès l'âge de cinq ans et demi, elle se peignit elle-même, comme l'avait fait sa grand-mère, dans l'un de ces portraits mis à la mode par Mademoiselle de Montpensier, et sa petite composition fut également imprimée dans le fameux Recueil.

« J'ai les yeux noirs, un peu trop petits, le tour du visage rond, le front trop grand..., la bouche fort jolie, le menton fourchu, un peu carré, le teint bien blanc... J'aime fort à lire, et principalement la Parole de Dieu... J'ai l'humeur fort gaie. Je n'aime point ceux qui mentent, et je me hais quand j'ai menti... Je ne serai jamais coquette. Je suis fort craignant Dieu. »

Elle a laissé des Mémoires, dédiés à son fils, pour l'affermir dans la foi évangélique. « Un souffle puissant y règne », qui leur donne « un cachet particulièrement intéressant, dit M. Édouard de Barthélemy, l'éditeur catholique de ces pages. Nous y trouvons les détails les plus curieux sur l'intérieur d'une grande famille protestante, sur l'éducation des enfants, sur mille faits intimes formant un tableau qui nous semble véritablement nouveau et original ».

On va lire quelques extraits trop courts de ces Mémoires où l'histoire a l'intérêt du roman.

 ÉDITION : Mémoires de Charlotte-Amélie de La Trémoïlle, publiés par E. de Barthélemy, Genève et Paris, 1876, p. 75-79, 88-89, 91-93.

 À CONSULTER : Dr R. Mosen, Das Leben der Prinzessin Charlotte-Amélie de La Trémoïlle, Oldenburg und Leipzig, 1892. Jules Bonnet, La jeunesse de Charlotte-Amélie de La Trémoïlle dans Bull. XXV, 1876, p. 207-222. Mme Alexandre de Chambrier, Henri de Mirmand, Neuchâtel, Paris, 1910.



 DRAME DE FAMILLE.

 Une fille de chambre de ma mère vint me dire qu'elle voulait me parler. Je lui demandai avec d'autant plus d'empressement ce qu'elle voulait que je remarquai que cette fille avait pleuré ; elle ne me voulut rien dire, sinon que je me levasse bien vite et que j'allasse sans m'habiller trouver ma mère chez le sieur Boulenois où elle attendait. Ayant pris ma robe de chambre en tremblant, je courus chez Boulenois. Je trouvai ma mère couchée sur le lit de Mlle Boulenois tout épleurée, neuf ou dix personnes qui étaient dans la chambre en même état, de sorte que c'était une fort triste musique : J'eus même de la peine à tirer de quelqu'un le sujet de ces pleurs et de ces cris, les miens ne furent pas longtemps à se mettre de la partie, quand j'en sus que mon père avait pris la résolution d'abandonner notre sainte Religion.

On m'apprit qu'il l'avait déclaré à ma mère de cette sorte que, s'étant réveillé de fort grand matin, il lui avait dit, « Vous m'avez écrit des lettres comme un ministre. » Elle lui répondit : « J'espère que vous ne l'aurez pas trouvé mauvais. Il courait des bruits qui me touchaient si fort que, quoique je sois fort assurée que vous, connaissez trop la vérité pour l'abandonner, je n'ai pourtant pu m'empêcher de vous écrire sur un sujet qui me touchait si fort. » Il répliqua : « Cela n'a pourtant de rien servi. » Elle lui répondit : « Il est trop tôt de recommencer à me tourmenter sur ce sujet, et la chose est de trop grande importance pour en railler. Je vous prie, épargnez-moi. » Il lui dit : « Ce n'est point raillerie. Dieu m'a enfin ouvert les yeux, et je suis résolu de quitter l'erreur. J'ai longtemps refusé, mais il faut en donner la gloire à Dieu. »

Sur cela, elle se jeta hors du lit, et s'en alla dans la chambre de M. Boulenois, où je la trouvai.

... J'allai dans le salon, et je demandai à mon frère s'il savait notre malheur commun. Il me dit que non. Je le lui dis en deux mots. Il me dit que mon père lui en avait voulu toucher quelques mots en allant à Louzy ; il s'était promené sur le bastion et lui avait dit de regarder les églises catholiques et notre temple, que les premières paraissaient si vieilles, et notre temple si neuf, qu'il en était de même des deux religions. Il ajouta : « je n'ai su que répondre, tant j'ai été étonné. Je pensais qu'il fût devenu fou. »

Les pleurs vinrent aux yeux de mon frère, et il me dit qu'il viendrait l'après-dîner auprès de moi : ce qu'il fit. Nous étions auprès du lit de ma mère, et mon pauvre frère pleurait à chaudes larmes. Mon frère de Talmont et ma soeur entrèrent, se tenant par la main. Mon frère me dit : « Que ces pauvres enfants sont à plaindre ! Car pour nous, ma soeur, nous savons, grâces à Dieu, ce que nous devons croire, mais ces deux pauvres petits seront mis dans des couvents. »

Mon père m'envoya quérir. Je demandai à ma mère ce qu'elle voulait que je fisse. Elle me dit d'y aller. En y allant, plusieurs moines et prêtres me rencontrèrent, avec des mines si réjouies que cela redoublait beaucoup ma douleur. J'avais cependant bien tiré ma coiffe sur mes yeux pour qu'on ne vit pas si aisément que j'avais pleuré. J'entrai dans la chambre de mon père. Il me dit à peu près : « je ne sais si vous savez la résolution que j'ai prise, par la grâce de Dieu, de rentrer dans la vraie Église de laquelle on m'a fait sortir. Je vous ai envoyé quérir pour vous le dire et pour vous demander ce que vous voulez faire. » Je lui dis, fort altérée et avec beaucoup de résolution, que j'espérais que Dieu ne m'abandonnerait pas à un point que je l'abandonnasse, et que je voulais employer mon temps à prier Dieu qu'il lui pardonnât ses péchés. J'ajoutai quelque chose et nommai mon frère. Il me dit alors : « Doucement, doucement, Mademoiselle, ne nous fâchons pas sur le sujet de votre frère. Je n'y entends point de raillerie ; je veux qu'il me suive et j'y mettrai bon ordre... »

Un jour que nous allions nous promener, passant devant la maison des Capucins, où il y a une grande croix au bout d'une avenue, mon père glissa sa main derrière mon dos, sans que je le sentisse, et me fit pencher le corps malgré moi en passant cette croix, comme lui faisant une révérence. Il se mit à rire, et me demanda pourquoi je ne voulais pas faire cet honneur à Jésus-Christ. Je lui dis que je croyais que, sur le même pied, on pouvait faire la révérence à une ânesse, parce que Jésus-Christ avait monté dessus. En retournant et passant devant la même croix, je pensais bien qu'il me ferait encore la même pièce ; mais, sans faire semblant de rien, j'appuyai mes pieds de toute ma force au devant du carrosse (car c'était un petit carrosse coupé) pour me tenir ferme, et ainsi cela ne réussit pas, de quoi je me mis à rire à mon tour...

Il m'arriva encore une aventure, pendant que mon père était à Angers, qu'il ne faut pas que j'oublie. J'étais allée voir mon frère de Talmont, qui avait la fièvre, et comme j'y étais, mon grand-père y vint et me fit la mine quelque temps, et puis me demanda brusquement pourquoi je ne l'étais pas venu voir depuis quelques jours. Je lui dis que sa chambre était toujours si pleine de réjouissances, que j'avais l'esprit peu propre à la joie, que j'avais cru être plus nécessaire auprès de ma mère qu'à être témoin de ces plaisirs. Il me répliqua, et moi à lui, de sorte qu'il me dit que je ferais bien de suivre l'exemple de mon père. Je lui répondis très brusquement que j'espérais bien que Dieu me garderait d'une telle sottise ou folie, ou quelque autre terme signifiant la même chose. Sur cela, il s'emporta, et me dit mille injures... Il leva sa canne pour me battre, mais un gentilhomme de Saintonge, nommé de Langle, sur lequel il s'était appuyé en venant, voyant ce qui allait arriver, le tira et l'emmena enfin comme malgré lui, en tempêtant et criant que l'on fermât les portes après lui, afin que je ne le suive pas, ce dont je n'avais d'ailleurs nulle envie. Il y avait beaucoup de femmes et de filles de la ville, qui, en sortant du temple, étaient venues voir mon frère ; elles se mirent à pleurer et à gémir, comme si j'avais été un martyr de la Religion.

Ma mère me fit tout raconter. Elle fit venir Boulenois et lui dit d'aller trouver mon grand-père de sa part et de lui dire que j'étais prête à sortir de sa maison et qu'elle n'aurait pas cru voir chasser les enfants de cette sorte à coups de bâton. Mon grand-père, dont la colère était passée, fit dire assez civilement à ma mère et dit à Boulenois qu'il empêchât que je partisse ; il se fit trois ou quatre messages de part et d'autre, ceux de ma mère fort haut à la main, et les autres fort souples.

Enfin la conclusion fut que j'irais le voir, ce qui se fit avec Mme d'Anché. Il me reçut dans son cabinet, me fit asseoir auprès de lui sur un lit de repos, m'embrassa, me conta l'histoire d'une pénitente qui était venue à la chapelle du château en chemise, avec une chaîne de fer autour du corps, pieds nus, etc. ; il me parla de notre brouillerie en la traitant de raillerie.




MARIE OURSEL

1668-1749


 La lettre d'une jeune fille de 18 ans va nous permettre de constater comment de petites protestantes, à la Révocation, ont pu discuter théologie avec les convertisseurs. Bible, patristique, leur culture religieuse était étonnante.

Au Havre, en février 1686. « On tient conférences et on nous y fait aller, écrit Catherine Crommelin. Cela nous instruit assurément, mais ce n'est pas comme ils pensent ; car notre bon Dieu plein de compassion et qui ne veut pas perdre ses enfants, nous fortifie de plus en plus. Manon s'y est tellement fait connaître que tous les gens d'esprit en font cas, tant d'un côté que de l'autre. La vérité de l'Écriture s'accomplit : Dieu parle par la bouche des enfants. Elle a de la mémoire et elle sait fort bien sa croyance. » Une fieffée huguenote, cette Catherine Crommelin.

Originaire de Saint-Quentin, d'une riche famille de manufacturiers venue de Belgique, elle épousa François de Coninck, de noble souche flamande, lui aussi, et en eut cinq enfants. Devenue veuve, elle se remaria avec Robert Oursel, négociant et armateur, d'une ancienne famille havraise, et de cette union naquirent quatre enfants. Manon, c'est-à-dire Marie, fut baptisée au temple de Quevilly (Rouen), le 12 août 1668. Elle quitta la France en 1714, et s'établit d'abord en Hollande, puis, en 1725, à Berlin, où elle mourut célibataire, le 30 mars 1749.

Elle avait exactement 17 ans et demi lorsqu'eurent lieu les conférences dont parlait sa mère, et dont elle écrivit elle-même à sa future belle-soeur, Marie Camin, emprisonnée alors dans un couvent, près de Dieppe.

 ÉDITION : Ph. Mieg, Les de Coninck au Havre et à Rouen de 1682 à 1691, dans le Bull. LXXII, 1923, p. 171.

 À CONSULTER : Charles Bost, Récits d'histoire protestante régionale, Normandie, Le Havre, 1928, p. 96-98.



 « MONSIEUR L'INTENDANT ME DIT QUE J'ÉTAIS UN PETIT DOCTEUR. »

 Au Havre, le 20 février 1686.

 ... Je sais qu'il n'y a aucune considération mondaine, si grande qu'elle puisse être, qui nous doive empêcher de combattre pour Jésus-Christ. C'est l'esprit de l'Évangile d'être persécuté... Nous avons, ma chère demoiselle, un excellent modèle de persévérance en vous, que Dieu a choisie pour faire paraître sa force et sa vertu... L'assurance que j'ai que Dieu n'abandonne jamais les siens me fait résoudre à tout ; quand je devrais être chambrière pour gagner ma vie, je m'estimerais heureuse, puisque du moins j'aurais la conscience libre.

Touchant l'entretien que j'ai eu avec Monsieur l'abbé Pilon, il faut croire que j'ai bien des amis qui prennent bien de la peine d'amplifier si bien les choses à mon avantage... Il est vrai que je me suis trouvée quelquefois chez Monsieur l'Intendant de la Marine, où Monsieur le Coadjuteur faisait faire, quatre fois la semaine, des instructions de conférences pour les Nouveaux Catholiques, par son abbé (l'abbé Pilon). Mais, comme... l'abbé parlait une heure et demie sans vouloir permettre de l'interrompre, je priai Monsieur le Coadjuteur de nous en donner la liberté, quand il dirait quelque chose où nous trouverions de la difficulté, parce qu'il nous était impossible de nous pouvoir souvenir de tout. Ce qu'il m'accorda et ce que nous fîmes les jours suivants. Mais, quant à moi, je ne mérite pas d'être mise en conte, car je ne dis rien que ce que le plus ignorant de notre Religion aurait fort bien pu dire...

Sur le fait de la transsubstantiation, il usa d'un plaisant tour de chicane. Il nous demanda si Jésus-Christ était menteur. Je dis que, si nous commettions un tel blasphème, nous passerions condamnation sur nous, et qu'il n'y a supplice si cruel que nous ne méritassions.

« Jésus-Christ, nous dit-il, a-t-il bu du calice de la Cène, quand il la distribua à ses disciples ? » je lui dis que si il avait mangé du pain, sans doute il avait bu du calice. « Vous dites donc qu'il a bu. Saint Luc nous dit que, quand il donna la coupe de la Pâque, il dit qu'il ne boirait plus de fruit de vigne ; cependant il a communié avec ses disciples, et vous dites que c'est du vin qui y était et non du sang. Il est donc menteur ! » je lui : dis que Dieu, qui nous a laissé sa Parole pour règle de notre foi, a permis que les écrivains sacrés, pour plus claire intelligence, se soient exprimés diversement, et que les uns aient mis avant ce que les autres ont mis après, et que nous demandions l'explication de la Parole de Dieu par la Parole de Dieu même, saint Matthieu et saint Marc.

... Quand je vis sa subtilité, je lui dis qu'il était honteux qu'un homme de son âge et de son caractère demande instruction de ceux qu'il doit instruire, et que ce n'était pas à moi à lui apprendre son catéchisme, qu'il le devait savoir. Que c'était à lui de prouver, avant qu'on le crût comme Jésus-Christ avait communié avec ses disciples ; que, pour nous, nous ne l'inférions que de là, mais, puisqu'il faut entendre cela d'une autre manière, qu'il nous le fallait montrer.

Il demeura un peu décontenancé, et chercha, comme ces oiseaux qu'on chasse, une autre branche pour asile : (à savoir) que Jésus-Christ avait dit : « Ceci est mon corps », qu'il le fallait croire, enfin des raisons à faire pitié. Il condamnait entièrement les sens, ne voulant pas qu'ils fussent juges de ce que nous voyons et touchons et goûtons.

« Quoi ! dit-il, ces Messieurs qui veulent absolument la Parole de Dieu s'attachent à leurs sens ? » je lui dis que le jugement des sens était recevable pourvu qu'il fût conforme à la Parole de Dieu, et que Jésus-Christ n'a pas condamné les sens, puisqu'après la Résurrection, quand il se manifesta au milieu de ses disciples, il leur dit : « Voyez-moi, touchez-moi, mettez vos doigts dans mes plaies, car un esprit n'a ni chair ni os, comme vous voyez que j'ai. »

... Je dis en sortant : « Pour conclusion, quiconque est dépourvu de sens est aujourd'hui fort bon catholique. » Sur cela, Monsieur l'Intendant me dit que c'était un petit docteur et qu'il me fallait donner le chapeau de cardinal. Je lui dis que, si j'étais quelque jour Cardinale, j'espérais devenir Papesse Marie (1).

Voilà, ma chère demoiselle, ce qui se passa à peu près. J'ai honte de vous mander si peu de chose, dont on fait tant de bruit.


(1) Marie fait allusion à la légende de la Papesse Jeanne. On voit que la petite ne manquait pas de toupet, et que ces catéchismes réussissaient assez mal.
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