Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

HENRIETTE DE CAUMONT LA FORCE

1623-1687

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 Fille de Henri-Nompar de Caumont et de Marguerite d'Escodéca, petite-fille du maréchal de La Force, cousine germaine de Mme de Turenne, elle naquit à Cugnac, le 23 mai 1623, et mourut en décembre 1687 au couvent de la Visitation Sainte-Marie de Bayonne, où on l'avait mise à la Révocation, et où on la tenait « si resserrée qu'elle n'avait de commerce avec personne du dehors » (Élie Benoist).

Le 8 septembre 1687, un notaire recevait ses dernières volontés. « Elle veut son corps être inhumé et enseveli dans la sépulture commune des religieuses du présent monastère... et que lesdites religieuses aient soin de prier pour le salut de son âme... Elle lègue à Mme la comtesse de Vivant, sa soeur, les hardes qu'elle a en ce monastère, avec une petite cassette qu'elle a fait cacheter en présence de moi, notaire. » Dès qu'elle fut morte, le bruit courut de sa conversion au catholicisme et on prétendit qu'elle s'était retirée spontanément dans ce couvent. Voire... Jacqueline de Caumont, comtesse de Vivant, ouvrit la cassette.

 ÉDITION : Jurieu, Lettres pastorales, Rotterdam, 1688, II, p. 467.

 À CONSULTER : E. Benoist, Histoire de l'Édit de Nantes, 1695, V, p. 901. Geneviève de la Verrie, comtesse de Vivant, et Richard de Boysson, Doyssac, Sarlat, 1929.



 DU SECRET CONFIÉ A UNE CASSETTE À BIJOUX.

 Pensant à ma fin, et ne sachent l'heure qu'il plaira à mon Sauveur de tirer mon âme de la prison de ce corps, où elle est renfermée pour peu de temps, je supplie de tout mon coeur ce miséricordieux Sauveur de la recevoir en son repos éternel et bienheureux. Et ne sachant aussi si, à cette heure-là, je pourrai faire confession de ma foi de bouche, comme je crois de coeur à justice, je déclare devant Dieu, devant ses anges et ses élus, que je crois fermement en tous points la religion chrétienne, qu'on nomme la Religion prétendue réformée, dont, par la grâce de Dieu, j'ai fait profession toute ma vie et dans laquelle je désire de finir mes jours.

Je crois que la doctrine qui m'a été annoncée est fondée entièrement sur la Parole de Dieu qui s'enseigne en nos églises, de même qu'elle a été prêchée et annoncée par les apôtres et par les évangélistes. Je suis persuadée que dans nos églises, les sacrements nous sont administrés dans leur simplicité et intégrité, et tels que le Fils de Dieu les a institués et sanctifiés en sa personne. Je rends grâces à Dieu de toute mon affection, de m'avoir fait naître dans son Église et je lui demande, par sa divine miséricorde, l'assistance de son Saint-Esprit pour lui être toujours fidèle.

 Caumont La Force.




ANNE DE CHAUFEPIÉ

1640...


 Elle naquit, le 20 février 1640, du mariage de Second de Chaufepié, pasteur à Champdeniers (Deux-Sèvres), avec Claude de La Forest, fille de Samuel de La Forest, pasteur à Mauzé en Aunis. Arrêtée le 24 avril 1686, alors qu'elle venait de s'embarquer dans le havre de La Rochelle afin de gagner un vaisseau anglais, elle souffrit la prison en l'île de Ré et le couvent « dans le pays de Perche », sans rien faire contre sa conscience. En mai 1688, elle partit avec les prisonniers de la Religion, « que l'on mettait hors de France, » en considération de ce que leur opiniâtreté semblait incurable, et elle arriva à Rotterdam le 3 juin. Elle écrivit, à Balk-en-Frise, en 1689, le récit détaillé de ses aventures, qui présente un intérêt exceptionnel ; le Bulletin l'a publié en 1857 avec quelques fautes de lecture.

Anne est la tante de Jacques-Georges de Chaufepié, l'auteur bien connu du Nouveau Dictionnaire historique et critique (1750-1756).

B. S. H. P. F., Ms. 468-1, f. 230 « Copie d'un Écrit fait par ma tante Anne de Chaufepié ».

 À CONSULTER : Bull. VI, LII.



 AU COUVENT.

 Monsieur le Vice-Bailli vit d'abord Mme l'Abbesse, et lui exposa sa commission en lui donnant la lettre de cachet, en vertu de laquelle il me mettait entre ses mains. Elle et toute sa communauté me vinrent recevoir à leur porte avec beaucoup d'honnêteté et des marques de bonté assez propres à adoucir l'amertume de mon état, si elle avait été moins grande ; mais l'adieu qu'il me fallut encore faire à mes deux compagnes et qui me fit ressentir tout de nouveau la perte des trois que j'avais laissées en (l'île de) Ré, me remplit l'âme de tant de douleur, que cela joint à tout mon état d'ailleurs ne me permit guère de trouver de douceur dans ce lieu-là...

J'y ai demeuré près de dix mois, pendant lesquels je n'ai vu que des ecclésiastiques, à qui l'on me faisait parler assez souvent. Le confesseur de l'abbaye, qui est d'un assez méchant caractère en tout, me menaçait, me querellait ou m'insultait toutes les fois que je le voyais, plusieurs autres m'ont paru beaucoup plus raisonnables et plus doux, et après de grandes conversations sur la religion, ils m'ont souvent quittée en me faisant des honnêtetés et en défendant aux religieuses de disputer avec moi sur cette matière, car « cela, disaient-ils à l'abbesse, ne servirait de rien dans les sentiments où est Mademoiselle, et cela pourrait, dans la suite, produire de plus méchants effets que vous ne pensez ». Cela n'empêchait pas la curiosité des religieuses : elles voulaient savoir mes conversations avec ces Messieurs, et me les demandaient quand l'occasion s'en présentait, je ne craignais pas de leur redire...

On me donnait souvent des livres, j'en lisais quelques-uns en présence de l'abbesse ; et ayant arrivé une fois à un plein de calomnies et de mensonges, dans lequel il y avait une confession de foi à faire horreur à tous ceux qui portent le nom de chrétiens, et qu'on me disait être celle de nos Églises, n'osant pas leur montrer, pour les démentir, celle que j'avais dans mon Nouveau Testament, de peur qu'on me l'ôtât, j'en écrivis une de ma croyance, que l'abbesse trouva bonne dans tous ses articles. Elle me dit seulement que, quoique ce que je croyais fût bon, je n'en croyais pas assez et que, n'étant pas dans l'Église romaine, je n'étais pas dans la voie du salut.

La lettre de petit cachet, qui m'avait mise dans cette maison, portait que je n'aurais aucun commerce ni au dedans, ni au dehors, ni par écrit, ni de vive voix. Mais l'abbesse, qui est bonne et charitable et qui a toujours devant les yeux cette règle d'équité qu'il ne faut pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu'on nous fît, n'observa pas cet ordre avec exactitude. On me fit d'abord manger avec de jeunes pensionnaires, en présence d'une religieuse à qui on avait commis le soin de veiller sur ma conduite. Mais les évêques du voisinage l'ayant su, ils me retranchèrent cette petite liberté et, contre le sentiment de l'abbesse, l'on me retint seule dans, ma chambre, où j'ai toujours mangé en particulier. Il est vrai que, quelques jours après ce nouveau chagrin, une vieille religieuse extrêmement raisonnable et sage, qui ne m'avait point encore parlé me vint voir, et ayant beaucoup de compassion de mon état tâcha de l'adoucir, et m'obtint, sans le su des évêques, la permission de voir toutes les religieuses qui le voudraient. L'abbesse me donna aussi la liberté de me promener avec elles ou seule, quand il me plairait, et celle d'écrire à mes parents et d'en recevoir des lettres, en lui montrant les unes et les autres, comme font toutes ses religieuses. J'eus le bonheur de me mettre si bien dans son esprit par la soumission que mon état et mon inclination me faisaient avoir pour ses ordres en tout ce qui n'intéressait point la conscience, que j'en recevais toutes les petites douceurs qui ne dépendaient que d'elle uniquement.

Je travaillais pour elle et pour les religieuses à tous les ouvrages qui n'avaient aucun rapport à leur religion ou à leurs dévotions superstitieuses, car pour ceux-là je n'y ai pas voulu toucher, m'en étant fait un scrupule de conscience ; j'en dis mes raisons à l'abbesse, qui les goûta et qui me dit que, quoiqu'à son avis, ce fût un bien et non pas un mal de faire ces sortes de choses, puisque ma conscience en faisait scrupule, il ne fallait plus m'en parler.

Toute la bonté de cette charitable fille n'a pas empêché que je n'aie goûté bien des amertumes chez elle, par les superstitions que j'y voyais tous les jours, par les injures et les calomnies effroyables que l'on y vomissait contre notre sainte Religion, contre nos réformateurs et contre nos ministres. J'étais exposée, là comme dans les autres lieux de ma captivité à diverses tentations.

L'amour de la liberté, si naturelle à tout le monde, la crainte d'une prison perpétuelle dont j'étais sans cesse menacée, la tristesse de la solitude où je passais d'ordinaire dix-huit ou vingt heures des vingt-quatre du jour et de la nuit, la douleur d'être séparée des personnes qui m'étaient chères, la perte de toutes les compagnies qui pouvaient m'être agréables, et la privation des exercices publics, livraient quelquefois de rudes combats, à ma persévérance. J'ai sentis souvent dans ces occasions la faiblesse de l'esprit humain et l'efficacité de la grâce ; la chair combattait contre l'esprit, et la grâce a toujours surmonté et vaincu hautement la nature.

Mon âme a été quelquefois pénétrée d'une affliction inexprimable, et jamais la grande miséricorde de mon Dieu ne l'a trouvée dans cet état, qu'elle ne l'en ait retirée bientôt par des consolations et des espérances vives de son secours, et des joies intérieures qu'il est impossible de concevoir sans les avoir senties.

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