L'une des trois filles d'Isaac Homel
a
laissé un récit poignant de sa fin
héroïque. Publié à
Amsterdam sous ce titre : Histoire de la mort
et du martyre de M. Homel, pasteur de
l'église de Soyons en Vivaretz,
composée par demoiselle Anne Homel, sa
fille. Isaac Homel fut rompu vif à Tournon,
sur la place du Gravier, le 20 octobre 1683. Il
était âgé de 71 ans.
Fils d'un avocat au Parlement de Grenoble,
né à Valence en 1612, il
représenta le Vivarais au Synode national de
Loudun, qui le nomma membre de la commission
chargée de corriger les fautes des nouvelles
éditions de la Bible, des Psaumes, de la
Liturgie et du Catéchisme. En 1683, des
représentants attitrés du
protestantisme méridional, réunis
à Toulouse, chez Claude Brousson,
décidèrent de rétablir
l'exercice du culte réformé partout
où il avait été aboli. Les
assemblées furent dispersées par la
force. L'avocat Chamier, à
Montélimar, fut rompu vif.
Arrêté dans les environs d'Aubenas,
Homel se vit condamner lui aussi à la
roue.
Il avait trois filles : une qui
était veuve, une autre mariée
à Charmes (Ardèche), et
« Nanon », qui put sortit de
France. Parmi les Religionnaires emprisonnés
à l'hôpital de Valence, on trouve
Suzanne Homel, 40 ans.
ÉDITION : Bull. IX, 1860, p. 325.
À CONSULTER : France Protestante, art. Homel. Charles Bost, Les prédicants protestants des Cévennes et du Bas-Languedoc, Paris, 1912, I, p. 18, 27, 29. Samuel Mours, Le Haut-Vivarais Protestant, Valence, 1935, p. 57-60. (M. Mours prépare un ouvrage sur Isaac Homel.)
LE « TRIOMPHE » Du PASTEUR ISAAC HOMEL.
L'on lui présenta la question ; mais
il les pria avec tant d'instance d'avoir
égard à son âge, et qu'aussi
bien ne lui feraient-ils plus rien dire, qu'ils
furent obligés de le laisser.
On permit à son parent de le
voir, et deux heures avant qu'on le menât au
supplice, il y alla. D'abord qu'il le vit entrer il
en témoigna bien de la joie et lui
dit : « Ne soyez pas surpris de me
voir joyeux, c'est aujourd'hui le jour de mon
triomphe. » Son parent répondit
qu'aussi il n'était pas là pour lui
donner de la consolation, car il croyait bien qu'il
n'en avait pas besoin, mais pour en recevoir de
lui.
« Si fait, lui dit-il, j'en ai
besoin. Vous savez que l'esprit est prompt, mais la
chair est faible. Et j'en reçois beaucoup en
vous voyant. J'espère de la
miséricorde de Dieu qu'il me donnera toutes
celles qui me sont nécessaires. C'est un si
bon Père. J'attends tout de son secours et
de sa miséricorde... »
Son parent regardant sa montre, il lui
demanda quelle heure il était, et dit :
« Il me tarde d'aller
à mon Dieu. L'esprit de
l'homme est comme de ces gros oiseaux qui quand ils
sont à terre, ont peine de s'élever
au ciel ; mais lorsqu'ils ont pris le vol, ils
s'y en vont avec une effrayante rapidité. Je
suis présentement en cet état :
Dieu me fait la grâce de m'élever
à lui, et m'a mis dans une si bonne
disposition qu'il me tarde beaucoup que mon heure
s'approche ; mon désir tend à
déloger et d'être avec Christ. Mon
Dieu, pourquoi me fait-on tant
languir ?... »
Il pria son parent de demander son corps
et de le faire enterrer dans les masures du temple
de Soyons, où il avait prêché
environ trente-six années. « Non
pas, dit-il, que je considère cette
misérable chair plus que rien ; je sais
que ce n'est qu'un peu de terre et suis
persuadé que, de quelque manière
qu'on le mette, il ressuscitera beau et lumineux,
mais je vous fais cette prière à
cause de ma famille. » Il le pria aussi
de ne le quitter point. Son parent lui
répondit qu'il ne lui était pas
permis de l'accompagner, mais qu'il le suivrait de
si près qu'il pourrait.
Quand l'exécuteur entra, il se
jeta d'abord à genoux et fit sa
prière. Après, il se
déshabilla comme si ce ne fût que pour
aller dormir. L'exécuteur lui voulut aider,
mais il lui dit qu'il le ferait bien sans lui et le
pria de lui permettre de porter ses souliers, ce
qu'il ne lui accorda pas. Il s'en alla à la
mort avec tant de fermeté et de constance,
d'un air si content et résolu, qu'il surprit
les juges et tous ceux qui le virent et en
attendrit beaucoup. Il marchait les mains jointes,
les yeux élevés au ciel, priant le
Dieu tout haut. Il dit par les chemins le psaume
sixième et sur l'échafaud le
cinquante et un, et sur la fin un verset ou deux du
cinquante...
Il monta l'échelle aussi vite et
aussi ferme que des degrés, quoiqu'il
fût pieds nus et que les
échelons fussent fort
éloignés. Quand il fut sur
l'échafaud, il regarda attentivement
l'endroit où on l'allait rompre ; il
dit : « Voilà où je
signerai de mon sang les vérités que
j'ai prêchées.., » Puis
s'étendit comme l'exécuteur voulut,
et mit lui-même ses jambes sur les cordes,
afin qu'on les attachât.
Le premier coup de barre qu'on lui donna
fut si rude qu'il en rejaillit du sang et lui cassa
tous les os du bras sur lequel il donna, et fit
jeter un grand cri au pauvre patient, et dit :
« Miséricorde, mon Dieu ! je
te la demande. Ne me donneras-tu pas la force de
tout souffrir ? Si fait, mon Dieu, je sais que
tu me la donneras. »
Après il ne cria plus, et
continua de prier Dieu qu'il lui pardonnât
pour l'amour de Jésus-Christ ; il
priait tout haut avec une grande
véhémence. On lui donna trente
à quarante coups sur les bras, sur les
jambes, sur le ventre, sur le col ; on ne lui
donna point de coup de grâce sur l'estomac,
ni on ne l'étrangla point ; enfin, on
le roua tout vif ; il mourut à force de
coups, et on le traita de la dernière
cruauté. Comme il eut trois membres
brisés, et le ventre presque coupé,
la corde d'un de ses bras se détacha ;
il se retourna un peu devers le président
qui assistait à sa mort, et dit :
« Au nom de Dieu, ayez pitié de ma
pauvre famille. » L'exécuteur le
rattacha. Il continua à prier Dieu,
disant : « Mon Dieu, aie
pitié de moi, Seigneur. Viens maintenant
retirer mon âme, car il en est temps.
Seigneur Jésus, reçois mon
esprit. »
Ce furent les dernières paroles
qu'on lui ouït prononcer. Il resta les yeux
fermés, aussi blanc et aussi beau que s'il
n'eût rien souffert. L'exécuteur eut
la cruauté de lui tirer le nez par moquerie,
après qu'il fut expiré. Les coups
qu'il lui donnait étaient si rudes qu'il en
suait, et à chaque coup qu'il lui donnait,
l'entendant prier Dieu, il lui disait en
son langage
provençal :
« Prêcheras-tu
encore ? » (1) - On
l'exposa à
Beauchastel, sur une roue fort
élevée, à un coteau, le long
du Rhône, et sa tête à
Chalencon, quoiqu'il eût demandé, au
pied de l'échafaud, au président
d'être enterré. Sa tête
était à un endroit d'où on n'a
jamais pu l'enlever, quelque soin qu'on ait pris,
et son corps fut gardé jour et nuit par les
gens de guerre qui étaient logés
à Beauchastel, l'espace de six semaines. Son
corps resta toujours blanc et ferme, quoiqu'il
eût été tout brisé,
comme s'il eût été mort dans un
lit, d'une mort naturelle, et ne se changea ni
corrompit point. Il y avait un de ses bras hors de
la roue qui ne tomba jamais, et les corbeaux ne le
touchèrent point...
La soeur d'un favori de Louis XIII et
de
Louis XIV, Henri de Beringhen (on a lu plus haut la
lettre de Mme Des Loges à celui-ci).
Marguerite de Beringhen mariée, en 1628,
à Louis de Thioult, seigneur de La Luzerne,
de Caen, eut trois filles, dont l'une,
Anne-Françoise, réfugiée
à Rotterdam, épousa Henri de Mirmand,
ce grand homme de coeur, qui se dévoua au
soulagement de ses compatriotes
réfugiés. Marguerite devint veuve en
1656.
Non contente de
persévérer dans son
opiniâtreté huguenote, elle invitait
les autres à suivre son exemple. Lors de la
Révocation, on l'interna à la
Visitation Sainte-Marie de Caen, où
l'intendant de Gourgues en personne la conduisit
dans son carrosse. Malgré son grand
âge - 80 ans, - malgré la maladie,
elle ne céda pas. La brûlante
profession de foi, qu'elle rédigea
dès son entrée au couvent et signa
à deux reprises, met en
lumière sa fermeté
d'âme. Henri de Beringhen la fit
relâcher, sans qu'elle eût
fléchi. Elle mourut en 1688.
ÉDITION : N. Weiss, dans Bull. XLV, 1896, p. 539. Mme Alexandre de Chambrier, Henri de Mirmand et les Réfugiés de la Révocation de l'Édit de Nantes, Neuchâtel, Paris, 1910, App., p. 94.
À CONSULTER : A. Galland, Le Protestantisme à Caen et en Basse-Normandie, Paris, 1898. Charles Bost, Récits d'hist. protest. régionale, Normandie, Le Havre, 1928.
LA CONFORMITÉ DES SOUFFRANCES DE NOTRE SAUVEUR.
J'ai appris de mon seul et divin Docteur de ne
point craindre ceux qui ne tuent que le corps et
qui ne sauraient rien faire davantage. Car
qu'est-ce qui me pourrait faire douter d'une
religion qui n'a pour objet de son adoration que
Dieu seul ; pour Médiateur et pour
Intercesseur dans ses prières que le Fils
éternel du Père céleste ;
pour fondement de sa foi que la Parole et
l'Écriture divinement inspirée ;
pour sacrifice expiatoire que la mort de
Jésus-Christ sur la croix ; pour
purgatoire que son divin sang ; pour
satisfaction à la justice divine que celle
de ses bienheureuses souffrances ; pour culte
que le service en esprit et en
vérité, dégagé de
toutes les inventions humaines ; pour langage
que celui que j'entends et dont l'emploi me peut
également instruire et
édifier.
Voilà le plan de ma religion,
où je ne trouve rien à reprocher,
rien qui puisse faire la moindre peine à ma
conscience. Je la soutiendrai donc jusqu'au dernier
soupir, et m'estimerai très heureuse de
souffrir pour une si juste cause, et grâces
à Dieu je sens mon coeur
capable de soutenir quelque chose de plus effrayant
qu'une longue détention...
Hélas ! quand
aurons-nous payé à notre grand Dieu
ce que nous lui devons ? et quand aurons-nous
souffert pour notre divin Sauveur autant qu'il a
souffert pour nous ? Médite donc,
souvent, mon âme, la Passion de ce divin
Rédempteur. Ah ! ma mémoire,
représente-moi souvent la constance de tant
de martyrs qui ont tant enduré pour lui, et
qui sont demeurés victorieux ! Ils
faisaient leur devoir, et leur devoir de ce
temps-là est le nôtre
d'aujoud'hui ; pourrais-tu donc sans crime,
refuser cette glorieuse conformité des
souffrances de notre Sauveur, dont les premiers
chrétiens se sont fait tant d'honneur ?
Et en cet égard saint Paul disait que
« Dieu nous a prédestinés
à être rendus conformes à
l'image de son Fils ».
Et il dit encore
ailleurs :
« je m'éjouis maintenant en mes
souffrances », desquelles il
disait : « Nous sommes toujours plus
que vainqueurs par Celui qui nous a
aimés. » Enfin mon âme,
considère bien qu'une détention dans
un couvent n'est qu'un petit endroit de
conformité avec mon Sauveur. Je suis
prête de lui sacrifier, après ma
liberté, mon repos, ma vie et mon corps.
Et enfin, si je ne suis point
appelée à l'honneur du martyre, je le
ferai pourtant souffrir à mon coeur et lui
représenterai sans cesse les gênes et
les roues de tant d'excellents martyrs. Oui, mon
coeur, je te le dis : voilà ce que tu
devrais souffrir si Dieu ne t'épargnait, et
tu te dois mettre dans la même disposition
où tu devrais être si tu étais
destiné, presse à subir ces terribles
mais glorieux supplices. Représente-toi, mon
âme, les glorieuses couronnes qu'il
prépare à notre
fidélité. « Sois
fidèle, dit-il, jusques à la mort, et
je te donnerai la couronne de vie. Celui qui
vaincra, je le ferai seoir sur mon
trône... »
Je ne parle point ici de mon
corps,
ne sachant s'il aura l'honneur
de la sépulture. J'ai sujet d'en douter, si
je meurs dans le lieu où je suis
présentement, où je suis
prisonnière depuis le 5 juillet 1686. S'il
plaisait à Dieu que je n'y mourusse point,
je sentirais vivement cette grâce ;
sinon, vivante ou mourante, je me remets
entièrement à sa sainte et divine
volonté, que je trouverai toujours,
quoiqu'il m'arrive, bonne, plaisante et parfaite.
Signé par moi, Beringhen, le 15 juillet 1686.
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