À côté de Marie de La
Tour, sa belle-soeur, l'exquise Mme de Turenne,
vraie éducatrice d'âmes, elle aussi,
que nous a racontée l'actuel duc de La
Force.
« Brune et fraîche, la
tête ronde sous les cheveux ramassés
en arrière et retenus par une torsade de
perles, les yeux bridés, le nez un peu trop
long, la bouche petite et charnue, les
lèvres d'un rouge vif, telle nous voyons
Mlle de La Force, en un portrait où le
peintre ne semble point l'avoir flattée. Un
collier de grosses perles est à son cou, des
boucles brunes retombent sur ses épaules qui
sont belles et arrondies. Son corps est
moulé dans une robe de satin bleu
pâle. »
Petite-fille du maréchal de La Force,
fille unique du marquis de La Force et de Jeanne de
La Rochefaton, elle épousa, en août
1651, Henri de La Tour d'Auvergne, vicomte de
Turenne, maréchal de France, dont elle fut
la bonne conseillère et qu'elle
s'efforça de soustraire aux tentations des
convertisseurs. Turenne n'abjura qu'après la
mort de Charlotte. Très
intelligente et cultivée, connaissant le
latin, le grec et même l'hébreu, pure
et belle âme à la
« piété non
pareille », les protestants la tenaient
pour l'un « des plus fermes appuis de
l'Eglise de Dieu ».
Elle mourut à 43 ans. « Le
bon Dieu me l'avait donnée, c'est lui aussi
qui me l'a ôtée, écrivit, le 26
janvier 1657, au pasteur Ferry, de Metz, Jeanne de
La Rochefaton, qui vivait encore. Il nous a tous
appelés à ce chemin et il faut que sa
bonne volonté soit faite. »
(Biblioth. de la Société de l'Hist.
du Protestant. Français, Ms. 7609.)
Saint Jérôme entendit en songe
une voix qui lui reprochait de trop aimer
Cicéron ; le pasteur Pierre Du Bosc,
que cette même voix tourmentait, se confia
à Mme de Turenne : « L'amour
des lettres vient à toute heure traverser
celui de la sanctification. » Elle lui
répondit comme un directeur de conscience.
Ce morceau est un petit chef-d'oeuvre.
Nous croyons inédite sa lettre au
pasteur Ferry sur Anne de Coligny, huguenote qui
avait épousé un luthérien,
George de Wurtemberg, en 1648, et s'efforça,
sans aucun succès, d'amener la
réunion des Églises
luthérienne et calviniste. B. S. H. P. F.,
Ms. 760 (10).
ÉDITION : Philippe Le Gendre, Vie de Pierre Du Bosc, Rotterdam, 1694, p. 384-388.
À CONSULTER : Duc de La Force, Femmes Fortes, Paris, 1936. Jacques Pannier, Turenne d'après sa correspondance, Paris, 1907. Sur Anne de Coligny, Bull. III, XLI.
LE SCRUPULE DU PASTEUR PIERRE DU BOSC.
... Le bon M. Gâches m'a appris que ceux
qui commencent à recevoir des leçons
de peinture s'admirent eux-mêmes lorsqu'ils
commencent à faire les
premiers traits, et sont très satisfaits de
leurs progrès, mais qu'un bon peintre,
quoiqu'il profite tous les jours, ne s'en
aperçoit pas, parce que son augmentation
n'est pas si sensible. Il dit qu'il en est de
même de ceux qui s'adonnent à la
piété ; que, dans les
commencements qu'ils se séparent du train du
monde, ils croient faire des merveilles, mais que,
lorsqu'ils sont fort avancés, il leur semble
qu'ils ne font plus rien, parce que leurs
progrès sont plus imperceptibles. Il m'est
aisé de juger que c'est là votre
catégorie, et qu'ainsi on vous trouvera
souvent mécontent de vous-même ;
et votre lettre me marque bien évidemment
cette vérité, puisqu'il me semble y
apercevoir que vous passez quasi jusqu'au scrupule,
comptant pour un détour considérable
presque toutes les occupations qu'on peut prendre,
hors la prière et la
méditation.
S'il m'est permis de dire ma
pensée en des matières qui me
surpassent de bien loin et de quoi je ne puis
parler, afin que je me serve du proverbe, que comme
un aveugle des couleurs, je vous avouerai
franchement que je crois que toutes les occupations
purement mondaines et où l'on s'attache
absolument et sans porter sa pensée plus
haut, ont en elles quelque venin qui corrompt le
bon train de la vie. Mais, comme dit
l'Écriture, toutes choses sont pures â
ceux qui sont purs. Je crois que, lorsqu'on peut
tant faire que de regarder pour son but principal
le service de Dieu en toutes les occupations de la
vie, on les peut sanctifier par cette intention,
pourvu qu'elles soient honnêtes et
innocentes. Celui qui, en sortant de sa maison pour
aller voir de la compagnie, se met dans l'esprit
que c'est pour suivre la vocation à quoi
Dieu l'a appelé, d'être dans la
société et dans le commerce, que
c'est pour entretenir des correspondances afin de
servir son prochain quand l'occasion
s'en présentera, et
surtout qui se propose de tâcher dans sa
conversation d'attirer les gens au bien, de les
édifier et de les instruire autant qu'il
pourra, je crois qu'il ne fait pas moins de bien
que celui qui demeure en méditation.
J'ai la même opinion de celui qui
travaille à ses affaires, non pas pour
amasser des trésors, mais pour faire aller
chez lui toutes choses honnêtement et par
ordre, et pour trouver moyen d'avoir de quoi faire
du bien à ceux qui en ont besoin.
Et je crois qu'on doit aussi mettre en
ce rang ce qui est de la promenade, de la
récréation, du manger, du dormir, de
s'habiller, quand on regarde toutes ces choses
comme des infirmités à quoi la divine
Providence nous a assujettis, qu'on subit en
s'humiliant, avec respect et avec intention de se
rendre ensuite plus propre à son service,
avec dessein de n'excéder pas en ces choses
viles, et de s'en faire seulement un passage aux
choses meilleures, se consolant en ces
infirmités innocentes, en quoi notre Sauveur
même y a bien voulu passer : toutes ces
choses sans doute sont sanctifiées par ces
bons mouvements.
C'est ce que je crois, Monsieur, qui
vous sera plus aisé, plus salutaire, plus
conforme à votre vocation et plus utile pour
les autres, que si vous renonciez aux choses, Ne
vous en privez pas ; mais assurez-vous que,
les rapportant à ces bons usages, elles ne
vous détourneront point de votre grand but,
et qu'au contraire elles vous y seront des
acheminements. Car, comme vous savez mieux que moi,
tant que nous sommes en ce monde, il n'y a pas
moyen de spiritualiser notre vie comme celle des
anges, il faut que dans celle des plus saints il y
ait toujours de l'animal et du terrestre, et nous
avons assez à faire d'empêcher qu'il
n'y ait point du démon. Sur ce
pied-là, travaillez, je vous supplie, sans
scrupule, à votre liberté, qui peut
être si utile à
l'Eglise ; sans inquiétude aussi,
puisque la chose est en la main de Dieu ; mais
avec cette persuasion que le travail du saint
ministère ne nuira point à celui de
l'avancement en la
régénération, et qu'au
contraire, en faisant ce qui est de sa principale
fonction, qui est la conduite des âmes que
Dieu vous a commises, vous pourrez, en leur
appliquant les remèdes que vous pratiquez
pour vous-même, vous y confirmer
continuellement : selon la prérogative
que Dieu a attribuée à cette sainte
charge d'avancer son propre salut en procurant
celui des autres, qui est assurément ce que
le monde voit de plus excellent et de plus
beau.
Je confesse qu'il me tarde fort de vous
revoir la main à l'oeuvre, mais le Seigneur
sait mieux que nous quand il le faut. Je le supplie
de hâter son oeuvre en vous et de vous
accorder tous les saints désirs de votre
coeur. Vous lui en adressez de si avantageux pour
nous, qu'il semble que ce voeu soit un peu
intéressé, comme en effet il en tient
quelque chose ; car je souhaite
passionnément qu'il plaise à Dieu
exaucer les prières que vous lui
présentez en notre faveur, surtout pour les
choses spirituelles.
... Pardonnez une lettre si
barbouillée à une pauvre tête
un peu étourdie.
UNE ARRIÈRE-PETITE-FILLE DE L'AMIRAL COLIGNY.
Au pasteur Paul Ferry.
... Je reçois souvent des lettres de
Madame la Princesse de Wurtemberg toutes remplies
de piété, et je vous avoue, Monsieur,
que c'est une personne qui me fait grand'
pitié et que j'aurais
grande passion de servir. Elle a
grand besoin de vos charitables offices pour tenir
son esprit en bonne assiette, et je m'assure que
vous ne les lui déniez pas, tant par vos
bonnes et saintes lettres que par des
prières pour sa consolation. Selon ce que
j'apprends d'elle, rien n'y peut tant contribuer
que d'avoir quelquefois la conversation et la
prédication de pasteurs de notre
communion ; et comme il n'y a point de lieu
à sa bienséance que Sainte
Marie-aux-Mines, je vous supplie de contribuer
à le faire pourvoir de personnes capables et
judicieuses qui sachent ménager l'esprit de
Monsieur le Prince George, et guider et fortifier
celui de Madame sa femme.
Il serait fort nécessaire pour
cela de faire en sorte, s'il se pouvait, qu'il y
eût deux pasteurs à cette
église, afin qu'il pût y en avoir un
auprès d'elle la plupart du temps, sans que
ce troupeau en souffrit. J'ai oui dire qu'elle
offrait de contribuer à la subsistance, et
j'offrirai, de la part de ma mère et de moi,
de suppléer à ce qui y manquerait et
vous demanderai, Monsieur, de vouloir vous y
employer et faire en sorte qu'il y ait des gens
bien propres à ces emplois. S'il vous
plaît de me faire savoir ce qu'il sera
nécessaire de faire pour cela, on y
pourvoira. Il ne faudra pas, s'il vous plaît,
que Monsieur le Prince George sache que nous
fournissons à la contribution, car
peut-être qu'il s'en piquerait d'honneur et
s'en ferait une matière d'obstacle. Ayez la
bonté d'employer pour cela vos soins
charitables...
Paris, ce 11e mars 1660.
Une fille du célèbre Pierre Du
Moulin et de sa première femme, Marie
Colignon. Sa fille préférée,
qu'il loue dans l'épître à ses
trois fils, au début de la 8e décade
de ses sermons (19 octobre 1649). Nous ignorons les
dates de sa naissance et de sa mort.
Très savante personne, un peu
« bas-bleu », croyons-nous.
Elle correspondait en hébreu avec son oncle
André Rivet, le fameux théologien de
Leyde. Elle a écrit les Dernières
Heures de M. Rivet, publiées en 1651. Esprit
attentif, curieux, exercé à la
réplique, se mesurant épistolairement
avec « Sapho »,
c'est-à-dire avec Mlle de Scudéry,
sur la difficulté pour une fille de
conserver intacte sa réputation en allant
à la guerre. Marie se défendait, du
reste, de rabattre rien de la gloire de la Pucelle,
car il s'agissait de Jeanne d'Arc. Le 21 août
1647, Madeleine de Scudéry la remerciait du
« portrait d'une personne aussi illustre
que Mlle de Schurman, envoyé par une main
aussi chère que celle de Mlle Du
Moulin ». Marie
était l'amie intime de
cette Anne-Marie de Schurman, autre
zélée huguenote, autre grande
humaniste, qu'on surnomma « la fille de
Sapho ».
En 1683, réfugiée dans le plus
hospitalier des pays, la Hollande, elle dirigeait,
« avec la satisfaction et
l'édification générale de
toute la communauté », la
« Société des Dames
Françaises de Haarlem »,
fondée, cette année-là, dans
le but de venir en aide aux filles de bonne maison,
qui, disait-elle, avaient
« préféré l'opprobre
du Christ aux richesses de
l'Égypte. » Elle gardait
près d'elle une petite nièce. La
France Protestante a dit par erreur qu'elle fut
mise en prison en 1686.
B. S. H. P. F. Ms. 7605. Les lettres que
nous citons sont inédites.
À CONSULTER : Bull. X, XXVII. E. de Barthélemy et R. Kerviler, Un tournoi de trois pucelles en l'honneur de Jeanne d'Arc, Paris, 1878. France Protestante, 2e éd., V, 830. Rathery et Boutron, Mlle de Scudéry, Paris, 1873. Claude Aragonnès, Madeleine de Scudéry, reine du Tendre, Paris, 1934.
D'UNE « CAJOLERIE » QUE MADEMOISELLE DU MOULIN JUGEAIT SANS FONDEMENT.
Au pasteur Paul Ferry.
... Je serais bien aise d'entendre votre jugement de cette pièce (1), dont les jugements sont ici fort divers. Je m'en suis fait expliquer une partie, et ai rougi de honte, oyant comme il parle de moi. Certes, je ne l'eusse souffert si je l'eusse su, car il y a si peu de fondement à cette cajolerie que je n'en puis recevoir que de la honte et j'aime bien mieux la désavouer. Il est vrai que mon père, en sa grande maladie, pour se divertir, m'apprit à lire en hébreu, et que, depuis, Monsieur Daubert a tâché de m'en donner un peu plus de connaissance ; mais cela n'a servi qu'à lui faire voir, et à moi, combien il est impossible de défricher un esprit qui n'a jamais été cultivé à nulles sciences et qui, à grand'peine, a appris à parler et à écrire en français. Ce que je vous dis, Monsieur, afin que vous ne fassiez plus ce tort à l'incomparable Mademoiselle de Schurman de l'associer avec une personne qui lui est en toute sortes inférieure et qu'elle n'appelle sa soeur que par un effet de sa grande humilité. Je n'ai reçu autre lettre d'elle depuis la mort de mon oncle que celle-ci, dont je vous envoie copie. Je vous enverrais l'original pour voir l'excellence de sa main, n'était qu'il m'importe de le garder, pour le petit legs réciproque que nous nous sommes fait de bibles hébraïques que le défunt nous a laissées.
Bréda, 24 juin 1651.
À
M. FERRY,
MINISTRE DU SAINT ÉVANGILE, A
METZ,
en lui
envoyant
« LES
DERNIÈRES HEURES DE M. DU
MOULIN. »
... Je ne puis recevoir de plus sensible consolation en ma perte que d'hériter des amis qui ont été à mon père, et particulièrement, de ceux qu'il estimait comme vous. Il a joyeusement renoncé à toutes les affections terriennes, comme vous verrez en ses dernières paroles. Vous n'y trouverez pas de discours suivis et relevés, comme en celles de feu Monsieur Rivet, ayant, outre la très grande vieillesse, été abattu d'une véhémente fièvre qui assoupissait tous ses sens, mais, certes, en sa très grande infirmité, Dieu parfaisait sa vertu, en sorte que je n'y puis penser, que je ne goûte une très grande consolation, d'autant plus qu'il m'a fait la grâce de voir moi-même ce que je n'eusse pu aisément concevoir à l'ouïr dire... Je ne puis exprimer de quelle cordiale affection il me reçut et combien il avait mes petits services, agréables. Certes, Dieu a tout conduit pour sa consolation et la mienne. J'attends mon frère pour terminer nos partages. Je ne manquerai de le prier de voir entre ses manuscrits s'il trouvera celui que vous souhaitez.
Sedan, 15 avril 1658.
Je me suis ici établi un petit ménage, avec deux de mes neveux, qui ont tous deux entrepris l'étude de théologie et qui ont, grâce à Dieu, quelques dons pour y réussir.
Sedan, 14 octobre 1658.
Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant