Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHARLOTTE DE CAUMONT LA FORCE

MARÉCHALE DE TURENNE

1623-1666

-------

 À côté de Marie de La Tour, sa belle-soeur, l'exquise Mme de Turenne, vraie éducatrice d'âmes, elle aussi, que nous a racontée l'actuel duc de La Force.

« Brune et fraîche, la tête ronde sous les cheveux ramassés en arrière et retenus par une torsade de perles, les yeux bridés, le nez un peu trop long, la bouche petite et charnue, les lèvres d'un rouge vif, telle nous voyons Mlle de La Force, en un portrait où le peintre ne semble point l'avoir flattée. Un collier de grosses perles est à son cou, des boucles brunes retombent sur ses épaules qui sont belles et arrondies. Son corps est moulé dans une robe de satin bleu pâle. »

Petite-fille du maréchal de La Force, fille unique du marquis de La Force et de Jeanne de La Rochefaton, elle épousa, en août 1651, Henri de La Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne, maréchal de France, dont elle fut la bonne conseillère et qu'elle s'efforça de soustraire aux tentations des convertisseurs. Turenne n'abjura qu'après la mort de Charlotte. Très intelligente et cultivée, connaissant le latin, le grec et même l'hébreu, pure et belle âme à la « piété non pareille », les protestants la tenaient pour l'un « des plus fermes appuis de l'Eglise de Dieu ».

Elle mourut à 43 ans. « Le bon Dieu me l'avait donnée, c'est lui aussi qui me l'a ôtée, écrivit, le 26 janvier 1657, au pasteur Ferry, de Metz, Jeanne de La Rochefaton, qui vivait encore. Il nous a tous appelés à ce chemin et il faut que sa bonne volonté soit faite. » (Biblioth. de la Société de l'Hist. du Protestant. Français, Ms. 7609.)

Saint Jérôme entendit en songe une voix qui lui reprochait de trop aimer Cicéron ; le pasteur Pierre Du Bosc, que cette même voix tourmentait, se confia à Mme de Turenne : « L'amour des lettres vient à toute heure traverser celui de la sanctification. » Elle lui répondit comme un directeur de conscience. Ce morceau est un petit chef-d'oeuvre.

Nous croyons inédite sa lettre au pasteur Ferry sur Anne de Coligny, huguenote qui avait épousé un luthérien, George de Wurtemberg, en 1648, et s'efforça, sans aucun succès, d'amener la réunion des Églises luthérienne et calviniste. B. S. H. P. F., Ms. 760 (10)
.

 ÉDITION : Philippe Le Gendre, Vie de Pierre Du Bosc, Rotterdam, 1694, p. 384-388.

 À CONSULTER : Duc de La Force, Femmes Fortes, Paris, 1936. Jacques Pannier, Turenne d'après sa correspondance, Paris, 1907. Sur Anne de Coligny, Bull. III, XLI.



 LE SCRUPULE DU PASTEUR PIERRE DU BOSC.

 ... Le bon M. Gâches m'a appris que ceux qui commencent à recevoir des leçons de peinture s'admirent eux-mêmes lorsqu'ils commencent à faire les premiers traits, et sont très satisfaits de leurs progrès, mais qu'un bon peintre, quoiqu'il profite tous les jours, ne s'en aperçoit pas, parce que son augmentation n'est pas si sensible. Il dit qu'il en est de même de ceux qui s'adonnent à la piété ; que, dans les commencements qu'ils se séparent du train du monde, ils croient faire des merveilles, mais que, lorsqu'ils sont fort avancés, il leur semble qu'ils ne font plus rien, parce que leurs progrès sont plus imperceptibles. Il m'est aisé de juger que c'est là votre catégorie, et qu'ainsi on vous trouvera souvent mécontent de vous-même ; et votre lettre me marque bien évidemment cette vérité, puisqu'il me semble y apercevoir que vous passez quasi jusqu'au scrupule, comptant pour un détour considérable presque toutes les occupations qu'on peut prendre, hors la prière et la méditation.

S'il m'est permis de dire ma pensée en des matières qui me surpassent de bien loin et de quoi je ne puis parler, afin que je me serve du proverbe, que comme un aveugle des couleurs, je vous avouerai franchement que je crois que toutes les occupations purement mondaines et où l'on s'attache absolument et sans porter sa pensée plus haut, ont en elles quelque venin qui corrompt le bon train de la vie. Mais, comme dit l'Écriture, toutes choses sont pures â ceux qui sont purs. Je crois que, lorsqu'on peut tant faire que de regarder pour son but principal le service de Dieu en toutes les occupations de la vie, on les peut sanctifier par cette intention, pourvu qu'elles soient honnêtes et innocentes. Celui qui, en sortant de sa maison pour aller voir de la compagnie, se met dans l'esprit que c'est pour suivre la vocation à quoi Dieu l'a appelé, d'être dans la société et dans le commerce, que c'est pour entretenir des correspondances afin de servir son prochain quand l'occasion s'en présentera, et surtout qui se propose de tâcher dans sa conversation d'attirer les gens au bien, de les édifier et de les instruire autant qu'il pourra, je crois qu'il ne fait pas moins de bien que celui qui demeure en méditation.

J'ai la même opinion de celui qui travaille à ses affaires, non pas pour amasser des trésors, mais pour faire aller chez lui toutes choses honnêtement et par ordre, et pour trouver moyen d'avoir de quoi faire du bien à ceux qui en ont besoin.
Et je crois qu'on doit aussi mettre en ce rang ce qui est de la promenade, de la récréation, du manger, du dormir, de s'habiller, quand on regarde toutes ces choses comme des infirmités à quoi la divine Providence nous a assujettis, qu'on subit en s'humiliant, avec respect et avec intention de se rendre ensuite plus propre à son service, avec dessein de n'excéder pas en ces choses viles, et de s'en faire seulement un passage aux choses meilleures, se consolant en ces infirmités innocentes, en quoi notre Sauveur même y a bien voulu passer : toutes ces choses sans doute sont sanctifiées par ces bons mouvements.

C'est ce que je crois, Monsieur, qui vous sera plus aisé, plus salutaire, plus conforme à votre vocation et plus utile pour les autres, que si vous renonciez aux choses, Ne vous en privez pas ; mais assurez-vous que, les rapportant à ces bons usages, elles ne vous détourneront point de votre grand but, et qu'au contraire elles vous y seront des acheminements. Car, comme vous savez mieux que moi, tant que nous sommes en ce monde, il n'y a pas moyen de spiritualiser notre vie comme celle des anges, il faut que dans celle des plus saints il y ait toujours de l'animal et du terrestre, et nous avons assez à faire d'empêcher qu'il n'y ait point du démon. Sur ce pied-là, travaillez, je vous supplie, sans scrupule, à votre liberté, qui peut être si utile à l'Eglise ; sans inquiétude aussi, puisque la chose est en la main de Dieu ; mais avec cette persuasion que le travail du saint ministère ne nuira point à celui de l'avancement en la régénération, et qu'au contraire, en faisant ce qui est de sa principale fonction, qui est la conduite des âmes que Dieu vous a commises, vous pourrez, en leur appliquant les remèdes que vous pratiquez pour vous-même, vous y confirmer continuellement : selon la prérogative que Dieu a attribuée à cette sainte charge d'avancer son propre salut en procurant celui des autres, qui est assurément ce que le monde voit de plus excellent et de plus beau.

Je confesse qu'il me tarde fort de vous revoir la main à l'oeuvre, mais le Seigneur sait mieux que nous quand il le faut. Je le supplie de hâter son oeuvre en vous et de vous accorder tous les saints désirs de votre coeur. Vous lui en adressez de si avantageux pour nous, qu'il semble que ce voeu soit un peu intéressé, comme en effet il en tient quelque chose ; car je souhaite passionnément qu'il plaise à Dieu exaucer les prières que vous lui présentez en notre faveur, surtout pour les choses spirituelles.

... Pardonnez une lettre si barbouillée à une pauvre tête un peu étourdie.

 UNE ARRIÈRE-PETITE-FILLE DE L'AMIRAL COLIGNY.

 Au pasteur Paul Ferry.

 ... Je reçois souvent des lettres de Madame la Princesse de Wurtemberg toutes remplies de piété, et je vous avoue, Monsieur, que c'est une personne qui me fait grand' pitié et que j'aurais grande passion de servir. Elle a grand besoin de vos charitables offices pour tenir son esprit en bonne assiette, et je m'assure que vous ne les lui déniez pas, tant par vos bonnes et saintes lettres que par des prières pour sa consolation. Selon ce que j'apprends d'elle, rien n'y peut tant contribuer que d'avoir quelquefois la conversation et la prédication de pasteurs de notre communion ; et comme il n'y a point de lieu à sa bienséance que Sainte Marie-aux-Mines, je vous supplie de contribuer à le faire pourvoir de personnes capables et judicieuses qui sachent ménager l'esprit de Monsieur le Prince George, et guider et fortifier celui de Madame sa femme.

Il serait fort nécessaire pour cela de faire en sorte, s'il se pouvait, qu'il y eût deux pasteurs à cette église, afin qu'il pût y en avoir un auprès d'elle la plupart du temps, sans que ce troupeau en souffrit. J'ai oui dire qu'elle offrait de contribuer à la subsistance, et j'offrirai, de la part de ma mère et de moi, de suppléer à ce qui y manquerait et vous demanderai, Monsieur, de vouloir vous y employer et faire en sorte qu'il y ait des gens bien propres à ces emplois. S'il vous plaît de me faire savoir ce qu'il sera nécessaire de faire pour cela, on y pourvoira. Il ne faudra pas, s'il vous plaît, que Monsieur le Prince George sache que nous fournissons à la contribution, car peut-être qu'il s'en piquerait d'honneur et s'en ferait une matière d'obstacle. Ayez la bonté d'employer pour cela vos soins charitables...

 Paris, ce 11e mars 1660.




MARIE DU MOULIN

(1658)


 Une fille du célèbre Pierre Du Moulin et de sa première femme, Marie Colignon. Sa fille préférée, qu'il loue dans l'épître à ses trois fils, au début de la 8e décade de ses sermons (19 octobre 1649). Nous ignorons les dates de sa naissance et de sa mort.

Très savante personne, un peu « bas-bleu », croyons-nous. Elle correspondait en hébreu avec son oncle André Rivet, le fameux théologien de Leyde. Elle a écrit les Dernières Heures de M. Rivet, publiées en 1651. Esprit attentif, curieux, exercé à la réplique, se mesurant épistolairement avec « Sapho », c'est-à-dire avec Mlle de Scudéry, sur la difficulté pour une fille de conserver intacte sa réputation en allant à la guerre. Marie se défendait, du reste, de rabattre rien de la gloire de la Pucelle, car il s'agissait de Jeanne d'Arc. Le 21 août 1647, Madeleine de Scudéry la remerciait du « portrait d'une personne aussi illustre que Mlle de Schurman, envoyé par une main aussi chère que celle de Mlle Du Moulin ». Marie était l'amie intime de cette Anne-Marie de Schurman, autre zélée huguenote, autre grande humaniste, qu'on surnomma « la fille de Sapho ».

En 1683, réfugiée dans le plus hospitalier des pays, la Hollande, elle dirigeait, « avec la satisfaction et l'édification générale de toute la communauté », la « Société des Dames Françaises de Haarlem », fondée, cette année-là, dans le but de venir en aide aux filles de bonne maison, qui, disait-elle, avaient « préféré l'opprobre du Christ aux richesses de l'Égypte. » Elle gardait près d'elle une petite nièce. La France Protestante a dit par erreur qu'elle fut mise en prison en 1686.

B. S. H. P. F. Ms. 7605. Les lettres que nous citons sont inédites.

 À CONSULTER : Bull. X, XXVII. E. de Barthélemy et R. Kerviler, Un tournoi de trois pucelles en l'honneur de Jeanne d'Arc, Paris, 1878. France Protestante, 2e éd., V, 830. Rathery et Boutron, Mlle de Scudéry, Paris, 1873. Claude Aragonnès, Madeleine de Scudéry, reine du Tendre, Paris, 1934.



 D'UNE « CAJOLERIE » QUE MADEMOISELLE DU MOULIN JUGEAIT SANS FONDEMENT.

 Au pasteur Paul Ferry.

 ... Je serais bien aise d'entendre votre jugement de cette pièce (1), dont les jugements sont ici fort divers. Je m'en suis fait expliquer une partie, et ai rougi de honte, oyant comme il parle de moi. Certes, je ne l'eusse souffert si je l'eusse su, car il y a si peu de fondement à cette cajolerie que je n'en puis recevoir que de la honte et j'aime bien mieux la désavouer. Il est vrai que mon père, en sa grande maladie, pour se divertir, m'apprit à lire en hébreu, et que, depuis, Monsieur Daubert a tâché de m'en donner un peu plus de connaissance ; mais cela n'a servi qu'à lui faire voir, et à moi, combien il est impossible de défricher un esprit qui n'a jamais été cultivé à nulles sciences et qui, à grand'peine, a appris à parler et à écrire en français. Ce que je vous dis, Monsieur, afin que vous ne fassiez plus ce tort à l'incomparable Mademoiselle de Schurman de l'associer avec une personne qui lui est en toute sortes inférieure et qu'elle n'appelle sa soeur que par un effet de sa grande humilité. Je n'ai reçu autre lettre d'elle depuis la mort de mon oncle que celle-ci, dont je vous envoie copie. Je vous enverrais l'original pour voir l'excellence de sa main, n'était qu'il m'importe de le garder, pour le petit legs réciproque que nous nous sommes fait de bibles hébraïques que le défunt nous a laissées.

 Bréda, 24 juin 1651.

 À M. FERRY, MINISTRE DU SAINT ÉVANGILE, A METZ,
 en lui envoyant
 « LES DERNIÈRES HEURES DE M. DU MOULIN. »

 ... Je ne puis recevoir de plus sensible consolation en ma perte que d'hériter des amis qui ont été à mon père, et particulièrement, de ceux qu'il estimait comme vous. Il a joyeusement renoncé à toutes les affections terriennes, comme vous verrez en ses dernières paroles. Vous n'y trouverez pas de discours suivis et relevés, comme en celles de feu Monsieur Rivet, ayant, outre la très grande vieillesse, été abattu d'une véhémente fièvre qui assoupissait tous ses sens, mais, certes, en sa très grande infirmité, Dieu parfaisait sa vertu, en sorte que je n'y puis penser, que je ne goûte une très grande consolation, d'autant plus qu'il m'a fait la grâce de voir moi-même ce que je n'eusse pu aisément concevoir à l'ouïr dire... Je ne puis exprimer de quelle cordiale affection il me reçut et combien il avait mes petits services, agréables. Certes, Dieu a tout conduit pour sa consolation et la mienne. J'attends mon frère pour terminer nos partages. Je ne manquerai de le prier de voir entre ses manuscrits s'il trouvera celui que vous souhaitez.

 Sedan, 15 avril 1658.

 Je me suis ici établi un petit ménage, avec deux de mes neveux, qui ont tous deux entrepris l'étude de théologie et qui ont, grâce à Dieu, quelques dons pour y réussir.

 Sedan, 14 octobre 1658.


(1) La « harangue funèbre » sur son oncle André Rivet.
Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant