Marie, l'aînée des cinq filles
d'Elisabeth de Nassau et la soeur de Turenne,
épousa, le 19 janvier 1619, son cousin Henri
de La Trémoïlle, qui abjura en 1628.
Elle possédait au plus haut degré les
vertus aimables. On a d'elle des lettres qui font
honneur à sa charité, celles, par
exemple, qu'elle adressa au ministre Alexandre
Morus. Ce dernier était doué de beaux
talents oratoires, mais dépourvu
d'austérité, et sa conduite donna
lieu à de justes critiques. Il eut
néanmoins de chauds amis, parmi lesquels la
famille de La Trémoïlle. Les lettres
que Marie de La Tour lui écrivit sont
intéressantes et ne manquent pas de piquant.
Ardente calviniste, - ne l'appelait-on pas
« la papesse des
Huguenots ? » - elle présida
avec sollicitude à l'éducation
chrétienne de Charlotte-Amélie de La
Trémoïlle, sa petite-fille, qui lui dut
en partie les fortes convictions qu'elle conserva
jusqu'au bout. On a, de la plume de celle-ci, un
récit de la mort de Marie de La Tour, qu'un
mal foudroyant enleva en plein éclat de
force et de santé, le 24 mai 1665. Il vaut
la peine d'en reproduire
quelques lignes.
« À l'instigation de mon
oncle de Laval, on ordonna à M. Bodeau,
chanoine et curé de la chapelle (de
Thouars), de venir dans sa chambre pour lui
demander si elle ne voulait point changer de
religion, selon que le roi avait ordonné que
l'on fît pour tous les malades de notre
Église. Comme il était fort
honnête homme et qu'il n'avait pas une haine
mortelle contre nous, et qu'il avait beaucoup de
respect pour Madame ma grand'mère, il lui
dit, en tout peu de mots, que sa charge l'obligeait
à venir lui demander si elle était
résolue à mourir dans la même
religion qu'elle avait professée jusqu'ici,
et quoique Madame ma grand'mère n'eût
parlé de fort longtemps, et que toutes les
fois qu'elle l'avait fait, c'était avec tant
de faiblesse qu'on avait peine à l'entendre,
elle répondit :
« Oui » avec une force
extraordinaire, et cela en souriant, comme si elle
avait voulu dire : Ce n'est pas le temps,
à présent que je vais me
présenter devant mon souverain juge,
d'abandonner la religion qu'il a conservée
dans mon âme parmi tant de tentations. M.
Bodeau se contenta de cela, et après avoir
fait quelques excuses sur ce qu'il venait de faire,
il se retira. »
La duchesse s'est peinte elle-même
dans l'un de ces portraits de
société, alors fort à la mode
et dont Mlle de Montpensier, aidée de
Segrais, avait publié un recueil en 1659.
« Ce bel ouvrage, dit Segrais, parlant du
portrait composé par Marie de La Tour, a
couru toute la France et en a été
l'admiration. »
LA DUCHESSE PEINTE PAR ELLE-MÊME.
Puisque la suffisance d'un peintre dépend
principalement de bien faire ressembler un portrait
à son original, on ne saurait douter que ce
soit le but que je me propose, dans le dessein que
j'ai de faire ici le mien.
Son ébauche vous apprendra
qu'étant jeune, je passais pour n'être
ni fort belle, ni fort laide, et pour avoir plus
d'agrément que de beauté. J'avais les
yeux petits, un peu penchants aux deux bouts, d'un
beau bleu et assez vifs, le nez fort laid, la
bouche petite et les lèvres fort rouges, le
teint beau, le tour du visage entre le rond et
l'ovale, le front trop grand, les cheveux d'un
blond châtain, fort déliés et
assez longs ; et pour la taille, je l'avais
des plus belles, soit en sa forme, soit en sa
hauteur. Je n'étais ni maigre ni grasse,
mais ayant plus de penchant vers la maigreur que
vers l'embonpoint. Voilà ce qui se peut dire
du passé ; il faut le retoucher pour en
faire voir le changement...
J'ai toujours craint, plus que la mort, de
faire aucune tache à ma réputation,
et mon humeur a toujours été si
éloignée de la galanterie, que je
n'ai jamais eu besoin de la combattre ; mais
quand il en aurait été autrement,
j'ai tellement fait un capital d'être
véritablement ce que je voulais
paraître, que je n'aurais rien
épargné pour parvenir à ce
but, et en cela ma physionomie n'a pas
démenti mes inclinations. J'ai pris peu de
soin à m'ajuster, et en mes habillements
j'ai toujours également plaint le temps et
la dépense, et je ne me suis jamais
regardée en mon miroir qu'avec cette
pensée que dans peu d'heures je
déferais tout ce que je faisais. Je me
contentais que mes habits fussent propres et modestes,
et j'étais bien
aise qu'ils devançassent mon âge
plutôt que d'en être
devancés.
J'ai moins aimé la lecture que je ne
fais présentement, et les livres qui sont
plus selon mon goût, après ceux de
dévotion, ce sont ceux qui règlent
les moeurs par les exemples et par les
préceptes. La lecture des romans m'a
toujours été insupportable, parce que
ils n'apprennent que ce que je voulais
ignorer...
Je me plais fort en la compagnie des gens
d'esprit, mais surtout de ceux qui s'attachent au
bon sens et à la raison ; toutes les
finesses et les subtilités qui s'en
éloignent me sont d'un mauvais goût.
Je n'ai nul savoir et ne sais que ce qu'on ne peut
ignorer sans honte. J'entends la raillerie assez
pour ne me piquer pas mal à propos de celles
qui s'adressent à moi...
Ceux qui me connaissent peu me croient
glorieuse, parce que mon abord est froid et peu
caressant, et que ma réputation ne
m'ôte rien de l'ambition que l'on me sait
être naturelle, mais la vérité
est que je hais fort la sotte gloire...
Je hais, la menterie comme un vice bas et de
valet ; mais je ne saurais dire si cette haine
m'est naturelle, ou si elle me vient de
l'éducation que j'ai reçue d'un
père qui nous en a toujours imprimé
l'horreur avec tous les soins imaginables ; et
cela a pris de si fortes racines en moi, que
j'aperçois dans mes récits une
affectation à affaiblir plutôt les
choses qu'à les grossir, quand elles passent
pour assez extraordinaires...
Je suis constante et ferme en ce que je
promets, et mes amis peuvent s'assurer que j'ai
pour eux la dernière fidélité,
et que rien ne me touche plus sensiblement que le
plaisir de les obliger...
La passion où j'ai le plus de pente
est celle de l'ambition ; néanmoins,
j'y mets autant que je peux
cette borne, de ne la pousser que par de bons et
légitimes moyens, et je ne puis assurer
qu'elle ne se termine point en ma personne, et que
son objet principal est la maison où je suis
entrée.
Quant à ce qui est de la
piété, je m'y trouve fort
défaillante, mais néanmoins avec des
sentiments fort épurés pour le
service de Dieu, et une résolution ferme de
les préférer à tous les
avantages de la terre.
LES DÉFAUTS DU PASTEUR MORUS.
25 février 1652.
... Vous avez de beaucoup de sortes d'ennemis, et vos amis sauraient sujet de craindre pour vous, si vous ne mettiez Dieu de votre côté ; et c'est ce que je vous conjure de faire... Vous m'avez avoué des défauts en votre conduite, corrigez-les, au nom de Dieu, fermez la bouche à vos ennemis en vivant aussi saintement que vous prêchez purement...
5 mars 1662.
J'eus hier un grand entretien de vous avec mon frère (Turenne). Je voudrais que tous ceux qui l'approchent fussent aussi modérés qu'il l'est sur votre sujet. Ce n'est pas que les personnes que vous connaissez ne lui aient persuadé autant qu'elles ont pu tout ce qui s'est dit contre vous, mais je lui ai fait avouer que, quand tout serait aussi vrai que je le crois faux, la charité nous doit plutôt porter à désirer et procurer votre amendement, qu'à vous pousser dans une ruine totale, qui ne peut arriver sans un extrême scandale et sans la perte des fruits que peuvent produire les excellents dons que Dieu vous a départis.
15 mars 1662.
Il y a des informations faites contre vous qui
vous chargent furieusement. Que si vous pouvez vous
en défendre, et en bonne conscience, vous
pouvez revenir hardiment. Dieu sera le protecteur
de votre innocence et vos amis ne vous manqueront
point. Mais si vous sentez ne le pouvoir pas faire,
donnez gloire à Dieu, rendez vos amis
témoins de votre repentance, prenez un train
de vie qui édifie cette église, et
après que, par l'espace de quelque temps,
vous serez confirmé dans un si bon chemin,
ne doutez point que Dieu n'étende sa
bénédiction et sur votre personne et
sur votre ministère. Mais, Monsieur, pour en
venir là, il faut renoncer à tous
préjugés, ne rechercher votre gloire
mais celle de Dieu, agir en toutes vos actions vous
le représentant toujours scrutateur de votre
coeur et comme un Dieu qui ne peut être
moqué ni trompé.
Prenez, je vous supplie, cette bonne
résolution. Ne vous fiez ni en votre
capacité, ni en votre adresse - ce sont des
armes trop faibles pour résister à
Dieu ; mais faites qu'en vous retournant
à lui, il se retourne à vous, et lors
vous serez assez fort, Il vous donnera la victoire
et contre vous-même et contre tous ceux qui
vous sont ennemis injustement, et donnera à
vos amis la joie de vous revoir au milieu d'eux, et
à cette église celle de profiter de
vos bons enseignements et des fruits de vos
excellents dons.
Je me trouve bien hardie, Monsieur, de vous
écrire avec tant de liberté, mais
vous l'avez voulu.
Vous jugez bien que je n'ai pas la folie de
croire que j'étais en état de vous
pouvoir jamais rien apprendre. Je connais trop bien
mon ignorance, pour aller à un si grand
excès, mais je me crois propre à vous
exhorter à l'humilité et à la
charité, et à prier Dieu de vous
remplir tellement de son Esprit que
dorénavant vous n'ayez autre but que sa
gloire et l'édification de son
Église. Ce sont les souhaits très
ardents que fait pour vous et de tout son coeur
M. D. L. T.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |