Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

MARIE DE LA TOUR D'AUVERGNE

1601-1665

-------




 Marie, l'aînée des cinq filles d'Elisabeth de Nassau et la soeur de Turenne, épousa, le 19 janvier 1619, son cousin Henri de La Trémoïlle, qui abjura en 1628. Elle possédait au plus haut degré les vertus aimables. On a d'elle des lettres qui font honneur à sa charité, celles, par exemple, qu'elle adressa au ministre Alexandre Morus. Ce dernier était doué de beaux talents oratoires, mais dépourvu d'austérité, et sa conduite donna lieu à de justes critiques. Il eut néanmoins de chauds amis, parmi lesquels la famille de La Trémoïlle. Les lettres que Marie de La Tour lui écrivit sont intéressantes et ne manquent pas de piquant.

Ardente calviniste, - ne l'appelait-on pas « la papesse des Huguenots ? » - elle présida avec sollicitude à l'éducation chrétienne de Charlotte-Amélie de La Trémoïlle, sa petite-fille, qui lui dut en partie les fortes convictions qu'elle conserva jusqu'au bout. On a, de la plume de celle-ci, un récit de la mort de Marie de La Tour, qu'un mal foudroyant enleva en plein éclat de force et de santé, le 24 mai 1665. Il vaut la peine d'en reproduire quelques lignes.

« À l'instigation de mon oncle de Laval, on ordonna à M. Bodeau, chanoine et curé de la chapelle (de Thouars), de venir dans sa chambre pour lui demander si elle ne voulait point changer de religion, selon que le roi avait ordonné que l'on fît pour tous les malades de notre Église. Comme il était fort honnête homme et qu'il n'avait pas une haine mortelle contre nous, et qu'il avait beaucoup de respect pour Madame ma grand'mère, il lui dit, en tout peu de mots, que sa charge l'obligeait à venir lui demander si elle était résolue à mourir dans la même religion qu'elle avait professée jusqu'ici, et quoique Madame ma grand'mère n'eût parlé de fort longtemps, et que toutes les fois qu'elle l'avait fait, c'était avec tant de faiblesse qu'on avait peine à l'entendre, elle répondit : « Oui » avec une force extraordinaire, et cela en souriant, comme si elle avait voulu dire : Ce n'est pas le temps, à présent que je vais me présenter devant mon souverain juge, d'abandonner la religion qu'il a conservée dans mon âme parmi tant de tentations. M. Bodeau se contenta de cela, et après avoir fait quelques excuses sur ce qu'il venait de faire, il se retira. »

La duchesse s'est peinte elle-même dans l'un de ces portraits de société, alors fort à la mode et dont Mlle de Montpensier, aidée de Segrais, avait publié un recueil en 1659. « Ce bel ouvrage, dit Segrais, parlant du portrait composé par Marie de La Tour, a couru toute la France et en a été l'admiration. »

 ÉDITION : La Galerie des Portraits de Mlle de Montpensier, Paris, 1860, p. 35. Bull., XXII, p. 576. Bull., XXI, p. 148, 227, 231.

 À CONSULTER : Imbert, Histoire de Thouars. Bull. XXI, 1872. J. Bonnet, La jeunesse de Charlotte-Amélie de La Trémoïlle, dans Bull. XXV, 1876.



 LA DUCHESSE PEINTE PAR ELLE-MÊME.

 Puisque la suffisance d'un peintre dépend principalement de bien faire ressembler un portrait à son original, on ne saurait douter que ce soit le but que je me propose, dans le dessein que j'ai de faire ici le mien.

Son ébauche vous apprendra qu'étant jeune, je passais pour n'être ni fort belle, ni fort laide, et pour avoir plus d'agrément que de beauté. J'avais les yeux petits, un peu penchants aux deux bouts, d'un beau bleu et assez vifs, le nez fort laid, la bouche petite et les lèvres fort rouges, le teint beau, le tour du visage entre le rond et l'ovale, le front trop grand, les cheveux d'un blond châtain, fort déliés et assez longs ; et pour la taille, je l'avais des plus belles, soit en sa forme, soit en sa hauteur. Je n'étais ni maigre ni grasse, mais ayant plus de penchant vers la maigreur que vers l'embonpoint. Voilà ce qui se peut dire du passé ; il faut le retoucher pour en faire voir le changement...

J'ai toujours craint, plus que la mort, de faire aucune tache à ma réputation, et mon humeur a toujours été si éloignée de la galanterie, que je n'ai jamais eu besoin de la combattre ; mais quand il en aurait été autrement, j'ai tellement fait un capital d'être véritablement ce que je voulais paraître, que je n'aurais rien épargné pour parvenir à ce but, et en cela ma physionomie n'a pas démenti mes inclinations. J'ai pris peu de soin à m'ajuster, et en mes habillements j'ai toujours également plaint le temps et la dépense, et je ne me suis jamais regardée en mon miroir qu'avec cette pensée que dans peu d'heures je déferais tout ce que je faisais. Je me contentais que mes habits fussent propres et modestes, et j'étais bien aise qu'ils devançassent mon âge plutôt que d'en être devancés.

J'ai moins aimé la lecture que je ne fais présentement, et les livres qui sont plus selon mon goût, après ceux de dévotion, ce sont ceux qui règlent les moeurs par les exemples et par les préceptes. La lecture des romans m'a toujours été insupportable, parce que ils n'apprennent que ce que je voulais ignorer...

Je me plais fort en la compagnie des gens d'esprit, mais surtout de ceux qui s'attachent au bon sens et à la raison ; toutes les finesses et les subtilités qui s'en éloignent me sont d'un mauvais goût. Je n'ai nul savoir et ne sais que ce qu'on ne peut ignorer sans honte. J'entends la raillerie assez pour ne me piquer pas mal à propos de celles qui s'adressent à moi...

Ceux qui me connaissent peu me croient glorieuse, parce que mon abord est froid et peu caressant, et que ma réputation ne m'ôte rien de l'ambition que l'on me sait être naturelle, mais la vérité est que je hais fort la sotte gloire...

Je hais, la menterie comme un vice bas et de valet ; mais je ne saurais dire si cette haine m'est naturelle, ou si elle me vient de l'éducation que j'ai reçue d'un père qui nous en a toujours imprimé l'horreur avec tous les soins imaginables ; et cela a pris de si fortes racines en moi, que j'aperçois dans mes récits une affectation à affaiblir plutôt les choses qu'à les grossir, quand elles passent pour assez extraordinaires...

Je suis constante et ferme en ce que je promets, et mes amis peuvent s'assurer que j'ai pour eux la dernière fidélité, et que rien ne me touche plus sensiblement que le plaisir de les obliger...

La passion où j'ai le plus de pente est celle de l'ambition ; néanmoins, j'y mets autant que je peux cette borne, de ne la pousser que par de bons et légitimes moyens, et je ne puis assurer qu'elle ne se termine point en ma personne, et que son objet principal est la maison où je suis entrée.

Quant à ce qui est de la piété, je m'y trouve fort défaillante, mais néanmoins avec des sentiments fort épurés pour le service de Dieu, et une résolution ferme de les préférer à tous les avantages de la terre.

 LES DÉFAUTS DU PASTEUR MORUS.

 25 février 1652.

 ... Vous avez de beaucoup de sortes d'ennemis, et vos amis sauraient sujet de craindre pour vous, si vous ne mettiez Dieu de votre côté ; et c'est ce que je vous conjure de faire... Vous m'avez avoué des défauts en votre conduite, corrigez-les, au nom de Dieu, fermez la bouche à vos ennemis en vivant aussi saintement que vous prêchez purement...

 5 mars 1662.

 J'eus hier un grand entretien de vous avec mon frère (Turenne). Je voudrais que tous ceux qui l'approchent fussent aussi modérés qu'il l'est sur votre sujet. Ce n'est pas que les personnes que vous connaissez ne lui aient persuadé autant qu'elles ont pu tout ce qui s'est dit contre vous, mais je lui ai fait avouer que, quand tout serait aussi vrai que je le crois faux, la charité nous doit plutôt porter à désirer et procurer votre amendement, qu'à vous pousser dans une ruine totale, qui ne peut arriver sans un extrême scandale et sans la perte des fruits que peuvent produire les excellents dons que Dieu vous a départis.

 15 mars 1662.

 Il y a des informations faites contre vous qui vous chargent furieusement. Que si vous pouvez vous en défendre, et en bonne conscience, vous pouvez revenir hardiment. Dieu sera le protecteur de votre innocence et vos amis ne vous manqueront point. Mais si vous sentez ne le pouvoir pas faire, donnez gloire à Dieu, rendez vos amis témoins de votre repentance, prenez un train de vie qui édifie cette église, et après que, par l'espace de quelque temps, vous serez confirmé dans un si bon chemin, ne doutez point que Dieu n'étende sa bénédiction et sur votre personne et sur votre ministère. Mais, Monsieur, pour en venir là, il faut renoncer à tous préjugés, ne rechercher votre gloire mais celle de Dieu, agir en toutes vos actions vous le représentant toujours scrutateur de votre coeur et comme un Dieu qui ne peut être moqué ni trompé.

Prenez, je vous supplie, cette bonne résolution. Ne vous fiez ni en votre capacité, ni en votre adresse - ce sont des armes trop faibles pour résister à Dieu ; mais faites qu'en vous retournant à lui, il se retourne à vous, et lors vous serez assez fort, Il vous donnera la victoire et contre vous-même et contre tous ceux qui vous sont ennemis injustement, et donnera à vos amis la joie de vous revoir au milieu d'eux, et à cette église celle de profiter de vos bons enseignements et des fruits de vos excellents dons.

Je me trouve bien hardie, Monsieur, de vous écrire avec tant de liberté, mais vous l'avez voulu.
Vous jugez bien que je n'ai pas la folie de croire que j'étais en état de vous pouvoir jamais rien apprendre. Je connais trop bien mon ignorance, pour aller à un si grand excès, mais je me crois propre à vous exhorter à l'humilité et à la charité, et à prier Dieu de vous remplir tellement de son Esprit que dorénavant vous n'ayez autre but que sa gloire et l'édification de son Église. Ce sont les souhaits très ardents que fait pour vous et de tout son coeur

 M. D. L. T.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant