Dans la « Lettre à ses
filles sur les femmes doctes du
siècle », Agrippa d'Aubigné
déclare : « Nous avons vu
depuis reluire en France cet excellent miroir de
vertu, la duchesse de Rohan, de la maison de
Soubise, et dans son sein Anne de Rohan, sa fille.
Les écrits des deux nous ont fait cacher la
plume plusieurs fois. En elles deux les vertus
intellectuelles ont eu un doux combat à qui
surmonterait. »
Anne de Rohan fit des vers toute sa vie, et
il en est d'elle qui sont d'une
pénétrante beauté et
même d'un accent tout cornélien,
où revit l'âme des Rohan, en son
altière indépendance (« Roi
ne puis, prince ne daigne, Rohan je
suis. ») Anne avait une enthousiaste
admiration pour sa mère, à l'esprit
si souple et si viril, et pour son frère,
Henri de Rohan, dont le génie de capitaine,
de politique et d'écrivain porta si haut la
gloire de la famille. Elle puisa ses meilleures
inspirations dans la piété filiale et
fraternelle, glorifiant en particulier le souvenir
de l'une de ses soeurs, la belle duchesse de
Deux-Ponts, et celui de Catherine de
Parthenay,
présentée comme l'émule des
saintes femmes de l'Ancienne et de la Nouvelle
Alliance. Quand Henri IV fut assassiné, elle
sut exprimer le deuil de la France.
ÉDITION : P. Marchegay, Recherches sur les poésies de Mesdemoiselles de Rohan-Soubise, 1874, p. 30. Tombeau de Catherine de Rohan, Paris, 1609, p. 72.
À CONSULTER : Bull. XXIV. J. Bonnet, Derniers récits du XVI, siècle, Paris, 1876.
À SON FRÈRE, APRÈS LA LECTURE DU « VOYAGE DE MONSIEUR DE ROHAN ».
- Si l'astre qui guida ton heureuse naissance
- Eût fait à ta vertu égale ta puissance,
- Tu verrais mille rois à tes pieds abattus.
- Le ciel t'a honoré de valeur non commune,
- Mais de ses biens se montre avare la fortune,
- Autant que le ciel est libéral de vertus.
- Il vaut mieux mériter que posséder l'empire,
- Mieux être désiré que de se faire élire,
- Puisque le monde entier doit quelque jour périr.
- Le ciel diversement ses grâces nous divise ;
- Et c'est pourquoi l'on voit, livre, en votre devise
- « J'aime mieux mériter que non pas acquérir. »
SONNET SUR LA MORT DE SA SOEUR.
- Tout m'attriste, chétive, et rien ne me peut plaire.
- Ni la beauté des jours, ni la beauté des lieux,
- Ni le temps, médecin des maux plus ennuyeux,
- Ne saurait soulager ni finir ma misère.
- Rien ne sert à mon mal, le parler ni le taire,
- Le mal est dans le coeur, qui se lit dans les yeux
- Et changeant de séjour, mon ennui soucieux
- Ne saurait se changer, quoique je puisse faire.
- Je suis comme le cerf, qui, en fuyant, blessé,
- Porte partout le trait du chasseur élancé,
- Qui cherche le dictame, et en vain se voit suivre,
- Lui, plus heureux que moi, peut son mal secourir
- Moi je ne puis, hélas ! ni guérir ni mourir,
- Mais je vis pour pleurer, et pleure pour trop vivre.
« Elle a la taille fort
belle, une
grande blancheur et la grâce fort bonne...
C'est un bel esprit. » Ainsi parlait de
sa future belle-fille le maréchal de La
Force. Héritière d'une illustre et
opulente maison de Saintonge, Jeanne de La
Rochefaton, demoiselle de Saveille, fille de Jean
de La Rochefaton, seigneur de Saveille, et d'Anne
d'Albin, épousa, au début de 1609,
après une longue résistance de sa
famille, résistance qui fut brisée
par l'autorité royale, Armand-Nompar de
Caumont, marquis de La Force. Ce mariage fit grand
bruit. Deux enfants naquirent : Jacques, et
Charlotte qui fut Mme de Turenne.
Quelle femme cultivée ! Une
grande liseuse. Et si assidue au prêche, en
hiver, quand on gelait dans le temple. Rien de plus
instructif que ses lettres, évocatrices de
toute une époque. Je n'en puis transcrire
que quelques pages. On y remarquera, - à
côté de bien savoureux fragments, - un
fort éloquent morceau
où revit l'esprit de l'Ancien Testament,
beau spécimen du style biblique de Jeanne de
La Rochefaton. Le zèle de la maison de
l'Éternel la dévorait. En 1621,
l'Assemblée protestante de Clairac cherchait
à retenir dans la Religion, comme on disait,
le seigneur de Pardaillan qui était
décidé à passer au
catholicisme, moyennant un bâton de
maréchal de France. On va voir de quelle
encre, à propos de Pardaillan, et pour
éviter la ruine du parti huguenot, la
marquise écrivit au marquis. Elle
était assez clairvoyante ; on sait que
le catholicisme excitait alors, et dans toute
l'Europe, des mouvements contre la
Réforme.
Nous donnons une lettre au pasteur Ferry, de
Metz, qui est inédite. B. S. H. P. F.
(Biblioth. de la Société de l'Hist.
(du Prot. Français), Ms. 7609.
ÉDITION : Mémoires du duc de La Force, éd. La Grange, Paris, 1843, 11, p. 456, 449, 458, 551.
À CONSULTER : Duc de La Force, Le maréchal de La Force, 2 vol., Paris, 1924, 1928 ; Femmes Fortes, Paris, 1936. France Protestante, 2e éd., III, art. Caumont.
LES COMMISSIONS D'UNE JEUNE MARQUISE HUGUENOTE.
Je vous supplie de m'apporter un Nouveau Testament en belle lettre ; je ne me soucie qu'il soit bien relié. Madame (de La Force) m'a aussi commandé de vous mander que, si, la troisième partie de l'Astrée est imprimée, comme on lui a assuré, vous l'apportiez avec les deux autres parties précédentes, afin de les faire lire aux petits et à la petite Diane (1) ; n'oubliez, s'il vous plaît, cela, car elle croirait que je ne vous l'aurais mandé ; et, si la troisième partie est imprimée, ne laissez de porter la première et la seconde. Je vous supplie aussi de me faire acheter tous les petits livres qu'a faits nouvellement M. Du Moulin, tant contre le jésuite Arnoux, que de la (juste) Providence de Dieu, car tous ceux qu'on avait envoyés ici se sont perdus. Je vous supplie de me porter des gants gras comme ceux que vous me portâtes dernièrement, et du même maître, car je n'en trouve point de meilleurs, et si ils ne puent point. Ceux que mon frère d'Eymet vous donna à Paris, lesquels vous trouviez si bons, étaient faits aux Trois Roses, en la rue Saint-Denis... Madame vous mande que vous lui portiez trois ou quatre livres de dragées d'anis musqué pour Monsieur et pour elle. Je vous envoie la juste mesure de mon tapis de cabinet : la plus courte est la largeur et la plus longue la longueur ; ce sont les filets que vous trouverez ci-enclos.
19 décembre 1617.
LES PATINS D'ANNE D'AUTRICHE.
Le lendemain de l'arrivée de mon frère de Montpouillan (2), le roi le mena voir la reine sa femme, et lui demanda s'il la trouvait belle et s'il ne la trouvait pas bien petite. Mon frère lui ayant dit qu'elle était très belle et plus haute qu'il ne pensait, il lui dit que c'était ses patins qui la haussaient, et lui ayant un peu levé sa robe, les y fit voir. Mais, mon frère ayant répondu qu'ils n'étaient pas fort hauts, le roi dit : « Voyez Pouillan qui trouve ma femme fort belle, » et disait à tous ceux qu'il voyait, que mon frère trouvait sa femme belle.
Juillet 1616.
CHUTE DE CHEVAL.
je vous dirai que vous faillites hier à être en recherche de femme, car je me faillis à rompre le col de dessus la grande haquenée de Monsieur. Cela m'arriva à la chasse des alouettes, où il me prit fantaisie d'aller volontairement sans m'en faire prier... Il fit si grand froid que je fus contrainte de mettre les deux mains dans mon manchon, cependant qu'on tendait le filet, et dis à un laquais qu'il tint la haquenée, de peur qu'elle ne partît au bruit qu'on ferait. Cependant je tenais la bride dessous mon manchon, et voulus tourner mon cheval vers les tendeurs ; le laquais fut si sot qu'au lieu de tourner la haquenée du côté que je voulais, il la tira si fort par le mors pour la faire tourner de l'autre, qu'elle broncha, et au lieu de la retenir, comme j'eusse fait, si j'eusse tenu la bride, il la tira en bas si rudement qu'elle donna du nez à terre, et je tombai par-dessus elle, non pas à la renverse, mais de côté, sur la tête, qui supporta le faix du corps, léger, comme vous savez ; de sorte que je m'étonne que, tombant comme je fis, par delà le cheval, la tête en bas, qui soutint la pesanteur de tout mon corps, je ne me rompis le col ou la tête. Mais, grâces à Dieu... le mal est si petit que je n'ai laissé d'aller aujourd'hui deux fois au prêche, d'où je ne fais que revenir présentement, avec si grand froid que j'ai pense geler. Je crois que, le jour de la Cène, qui sera dans huit jours, Dieu aidant, je glacerai entièrement au temple.
LA CAUSE DE DIEU ET LE PARTI PROTESTANT.
Monsieur, j'ai su avec beaucoup de
déplaisir, par M. du Bourg et par Gast,
votre belle convocation d'Assemblée, je ne
sais à quel propos. Si c'est pour ramener
Pardaillan, vous voulez bien perdre le temps qui
nous est bien cher, à travailler à
chose impossible et ruineuse pour le parti, dans
les entrailles duquel vous remettriez la
gangrène et la peste.
Mon Dieu, ne savez-vous pas que, pour
être enfant d'Abraham, on n'est pas
Israélite pourtant ? et que, comme par
le commandement de Dieu, Ismaël, fils de la
servante et enfant d'Abraham selon la chair, non de
la franche épouse, ni selon la promesse
comme Isaac, fut chassé de la maison de son
père, parce qu'il n'était pas
héritier de sa foi, ni fils selon icelle,
ainsi Dieu veut que les faux frères et ceux
qui se qualifient du nom de membres de l'Eglise,
n'étant pas de l'Eglise pourtant, en
sortent, et par sa volonté en soient
jetés hors ? Néanmoins, il
semble que, ingrats de ses grâces, nous nous,
voulions opposer à son bon plaisir et
à ses saintes ordonnances.
Il n'y a nul qui croie que cet homme faille
par timidité, ni par mégarde, ni
ignorance de son devoir ou des opprobres faits au
saint nom de Dieu, et du péril de
l'Eglise ; mais chacun avoue que cette
âme vénale, asservie sous la
convoitise des richesses, abandonne les choses
célestes pour acquérir les
charnelles, et comme Judas veut encore vendre
Christ pour de l'argent. Or est-il que quiconque en
vient jusques à marchander de la vente du
Sauveur est parvenu au dernier point du
« fiel très amer et du lien
d'iniquité ». Néanmoins,
comme si nous n'étions pas assez salis de
nos péchés, on nous veut encore
attirer cette souillure...
Comment donc, lorsque nous voyons la Parole
de Dieu, son saint nom et notre Religion en
opprobre et moquerie, les fidèles
persécutés à mort et
tourmentés au supplice de se révolter
de la profession de son saint Évangile,
chercherions-nous parmi cela des moyens de paix
sans nous moquer de Dieu et des hommes ?... Ne
devons-nous pas être assurés que,
puisqu'il s'agit de la Cause de Dieu, il la
maintiendra et nous bénira au soutien
d'icelle, pourvu qu'en bonne conscience et sans
nous flatter, nous y procédions par les
moyens estimés des gens de bien ?...
Mais souvenons-nous que maudit est qui fait
l'oeuvre du Seigneur lâchement, et que les os
de nos pères, massacrés pour son
saint nom, se lèveront au jugement contre
nous et nous condamneront, si nous sommes
tièdes ; et que nos délivrances
si miraculeuses des massacres seront autant de
témoins et d'accusateurs contre nous, si
nous, doutant de la Providence,
bénédiction, puissance de Dieu, nous
n'osons mettre la main à son oeuvre, de peur
d'y succomber ; car, si nous sommes
résolus et certains de la justice de la
Cause, la crainte du succès nous la
fera-t-elle abandonner ?
Désespérerons-nous de la vertu de
Dieu qui fait paraître sa force en nos
faiblesses, et ne nous souviendrons-nous pas que
notre Seigneur dit que « qui voudra
sauver sa vie la perdra, et qui la voudra perdre la
sauvera ? » Ne craignons donc point
le hasard en ces choses, puisqu'un poil de notre
tête ne tombe point sans sa Providence.
... Et gardez-vous qu'on ne die de vous ce
que Brutus reprochait aux conjurés avec lui
en sa ligue contre César :
« Vos propos sont longs, vos effets sont
lents, jugez quelle en sera l'issue. »
J'eusse bien voulu ne vous faire pas si long
discours sur ce sujet ; mais ma conscience
m'en presse, le service et l'amour que je vous dois
et que je vous porte m'y
contraignent, et la part que j'ai à votre
honneur et au ressentiment de votre blâme...
À Bergerac, ce vendredi matin, 4e juin (1621.)
Au nom de Dieu, qu'on ne perde plus le temps après ce M. de Pardaillan pour l'attirer dans le parti, car c'est remettre l'écume dans la chaudière, comme Jérémie (Ezéchiel) le reprochait au peuple d'Israël, et un peu de levain fait lever et enaigrir toute la pâte.
« CE SIÈCLE EST TROP MAUVAIS. »
À Paris, le 51, août 1655.
Monsieur, le roi s'est avancé avec son
armée, comme pour entrer dans le Hainaut, et
aller vers Valenciennes qui a demandé la
neutralité. Je voudrais que cela pût
produire quelque liberté de conscience
à force pauvres gens de la Religion qui sont
là, lesquels n'en osent faire profession
ouverte. Mais ce siècle est trop mauvais,
nos ennemis trop méchants et puissants, et
nous trop tièdes et lâches. Ils en ont
encore fait mourir fort cruellement quelques-uns,
de ceux qu'ils avaient emmenés prisonniers
à Turin, de quoi la cour de France ne se
soucie guère.
On ne sait point encore ce que le roi voudra
entreprendre, mais on s'imagine que c'est quelque
important dessein. On dit qu'il est toujours fort
amoureux de Mademoiselle Mancini, ce qui est tout
public ; néanmoins, je serais bien aise
de n'y être point alléguée,
quoique, par bruit commun, il s'en doive faire un
mariage...
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