Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Anne DE ROHAN

1584-1646

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 Dans la « Lettre à ses filles sur les femmes doctes du siècle », Agrippa d'Aubigné déclare : « Nous avons vu depuis reluire en France cet excellent miroir de vertu, la duchesse de Rohan, de la maison de Soubise, et dans son sein Anne de Rohan, sa fille. Les écrits des deux nous ont fait cacher la plume plusieurs fois. En elles deux les vertus intellectuelles ont eu un doux combat à qui surmonterait. »

Anne de Rohan fit des vers toute sa vie, et il en est d'elle qui sont d'une pénétrante beauté et même d'un accent tout cornélien, où revit l'âme des Rohan, en son altière indépendance (« Roi ne puis, prince ne daigne, Rohan je suis. ») Anne avait une enthousiaste admiration pour sa mère, à l'esprit si souple et si viril, et pour son frère, Henri de Rohan, dont le génie de capitaine, de politique et d'écrivain porta si haut la gloire de la famille. Elle puisa ses meilleures inspirations dans la piété filiale et fraternelle, glorifiant en particulier le souvenir de l'une de ses soeurs, la belle duchesse de Deux-Ponts, et celui de Catherine de Parthenay, présentée comme l'émule des saintes femmes de l'Ancienne et de la Nouvelle Alliance. Quand Henri IV fut assassiné, elle sut exprimer le deuil de la France.

 ÉDITION : P. Marchegay, Recherches sur les poésies de Mesdemoiselles de Rohan-Soubise, 1874, p. 30. Tombeau de Catherine de Rohan, Paris, 1609, p. 72.

 À CONSULTER : Bull. XXIV. J. Bonnet, Derniers récits du XVI, siècle, Paris, 1876.



 À SON FRÈRE, APRÈS LA LECTURE DU « VOYAGE DE MONSIEUR DE ROHAN ».

 Si l'astre qui guida ton heureuse naissance
Eût fait à ta vertu égale ta puissance,
Tu verrais mille rois à tes pieds abattus.
Le ciel t'a honoré de valeur non commune,
Mais de ses biens se montre avare la fortune,
Autant que le ciel est libéral de vertus.
 
Il vaut mieux mériter que posséder l'empire,
Mieux être désiré que de se faire élire,
Puisque le monde entier doit quelque jour périr.
Le ciel diversement ses grâces nous divise ;
Et c'est pourquoi l'on voit, livre, en votre devise
« J'aime mieux mériter que non pas acquérir. »

 SONNET SUR LA MORT DE SA SOEUR.

 Tout m'attriste, chétive, et rien ne me peut plaire.
Ni la beauté des jours, ni la beauté des lieux,
Ni le temps, médecin des maux plus ennuyeux,
Ne saurait soulager ni finir ma misère.
 
Rien ne sert à mon mal, le parler ni le taire,
Le mal est dans le coeur, qui se lit dans les yeux
Et changeant de séjour, mon ennui soucieux
Ne saurait se changer, quoique je puisse faire.
 
Je suis comme le cerf, qui, en fuyant, blessé,
Porte partout le trait du chasseur élancé,
Qui cherche le dictame, et en vain se voit suivre,
 
Lui, plus heureux que moi, peut son mal secourir
Moi je ne puis, hélas ! ni guérir ni mourir,
Mais je vis pour pleurer, et pleure pour trop vivre.




JEANNE DE LA ROCHEFATON MARQUISE,

PUIS DUCHESSE DE LA FORCE

mariée en 1609 1667


 « Elle a la taille fort belle, une grande blancheur et la grâce fort bonne... C'est un bel esprit. » Ainsi parlait de sa future belle-fille le maréchal de La Force. Héritière d'une illustre et opulente maison de Saintonge, Jeanne de La Rochefaton, demoiselle de Saveille, fille de Jean de La Rochefaton, seigneur de Saveille, et d'Anne d'Albin, épousa, au début de 1609, après une longue résistance de sa famille, résistance qui fut brisée par l'autorité royale, Armand-Nompar de Caumont, marquis de La Force. Ce mariage fit grand bruit. Deux enfants naquirent : Jacques, et Charlotte qui fut Mme de Turenne.

Quelle femme cultivée ! Une grande liseuse. Et si assidue au prêche, en hiver, quand on gelait dans le temple. Rien de plus instructif que ses lettres, évocatrices de toute une époque. Je n'en puis transcrire que quelques pages. On y remarquera, - à côté de bien savoureux fragments, - un fort éloquent morceau où revit l'esprit de l'Ancien Testament, beau spécimen du style biblique de Jeanne de La Rochefaton. Le zèle de la maison de l'Éternel la dévorait. En 1621, l'Assemblée protestante de Clairac cherchait à retenir dans la Religion, comme on disait, le seigneur de Pardaillan qui était décidé à passer au catholicisme, moyennant un bâton de maréchal de France. On va voir de quelle encre, à propos de Pardaillan, et pour éviter la ruine du parti huguenot, la marquise écrivit au marquis. Elle était assez clairvoyante ; on sait que le catholicisme excitait alors, et dans toute l'Europe, des mouvements contre la Réforme.

Nous donnons une lettre au pasteur Ferry, de Metz, qui est inédite. B. S. H. P. F. (Biblioth. de la Société de l'Hist. (du Prot. Français), Ms. 7609.

 ÉDITION : Mémoires du duc de La Force, éd. La Grange, Paris, 1843, 11, p. 456, 449, 458, 551.

 À CONSULTER : Duc de La Force, Le maréchal de La Force, 2 vol., Paris, 1924, 1928 ; Femmes Fortes, Paris, 1936. France Protestante, 2e éd., III, art. Caumont.



 LES COMMISSIONS D'UNE JEUNE MARQUISE HUGUENOTE.

 Je vous supplie de m'apporter un Nouveau Testament en belle lettre ; je ne me soucie qu'il soit bien relié. Madame (de La Force) m'a aussi commandé de vous mander que, si, la troisième partie de l'Astrée est imprimée, comme on lui a assuré, vous l'apportiez avec les deux autres parties précédentes, afin de les faire lire aux petits et à la petite Diane (1) ; n'oubliez, s'il vous plaît, cela, car elle croirait que je ne vous l'aurais mandé ; et, si la troisième partie est imprimée, ne laissez de porter la première et la seconde. Je vous supplie aussi de me faire acheter tous les petits livres qu'a faits nouvellement M. Du Moulin, tant contre le jésuite Arnoux, que de la (juste) Providence de Dieu, car tous ceux qu'on avait envoyés ici se sont perdus. Je vous supplie de me porter des gants gras comme ceux que vous me portâtes dernièrement, et du même maître, car je n'en trouve point de meilleurs, et si ils ne puent point. Ceux que mon frère d'Eymet vous donna à Paris, lesquels vous trouviez si bons, étaient faits aux Trois Roses, en la rue Saint-Denis... Madame vous mande que vous lui portiez trois ou quatre livres de dragées d'anis musqué pour Monsieur et pour elle. Je vous envoie la juste mesure de mon tapis de cabinet : la plus courte est la largeur et la plus longue la longueur ; ce sont les filets que vous trouverez ci-enclos.

 19 décembre 1617.

 LES PATINS D'ANNE D'AUTRICHE.

 Le lendemain de l'arrivée de mon frère de Montpouillan (2), le roi le mena voir la reine sa femme, et lui demanda s'il la trouvait belle et s'il ne la trouvait pas bien petite. Mon frère lui ayant dit qu'elle était très belle et plus haute qu'il ne pensait, il lui dit que c'était ses patins qui la haussaient, et lui ayant un peu levé sa robe, les y fit voir. Mais, mon frère ayant répondu qu'ils n'étaient pas fort hauts, le roi dit : « Voyez Pouillan qui trouve ma femme fort belle, » et disait à tous ceux qu'il voyait, que mon frère trouvait sa femme belle.

 Juillet 1616.

 CHUTE DE CHEVAL.

 je vous dirai que vous faillites hier à être en recherche de femme, car je me faillis à rompre le col de dessus la grande haquenée de Monsieur. Cela m'arriva à la chasse des alouettes, où il me prit fantaisie d'aller volontairement sans m'en faire prier... Il fit si grand froid que je fus contrainte de mettre les deux mains dans mon manchon, cependant qu'on tendait le filet, et dis à un laquais qu'il tint la haquenée, de peur qu'elle ne partît au bruit qu'on ferait. Cependant je tenais la bride dessous mon manchon, et voulus tourner mon cheval vers les tendeurs ; le laquais fut si sot qu'au lieu de tourner la haquenée du côté que je voulais, il la tira si fort par le mors pour la faire tourner de l'autre, qu'elle broncha, et au lieu de la retenir, comme j'eusse fait, si j'eusse tenu la bride, il la tira en bas si rudement qu'elle donna du nez à terre, et je tombai par-dessus elle, non pas à la renverse, mais de côté, sur la tête, qui supporta le faix du corps, léger, comme vous savez ; de sorte que je m'étonne que, tombant comme je fis, par delà le cheval, la tête en bas, qui soutint la pesanteur de tout mon corps, je ne me rompis le col ou la tête. Mais, grâces à Dieu... le mal est si petit que je n'ai laissé d'aller aujourd'hui deux fois au prêche, d'où je ne fais que revenir présentement, avec si grand froid que j'ai pense geler. Je crois que, le jour de la Cène, qui sera dans huit jours, Dieu aidant, je glacerai entièrement au temple.

 À Pau, ce 1er janvier (1618).

 LA CAUSE DE DIEU ET LE PARTI PROTESTANT.

 Monsieur, j'ai su avec beaucoup de déplaisir, par M. du Bourg et par Gast, votre belle convocation d'Assemblée, je ne sais à quel propos. Si c'est pour ramener Pardaillan, vous voulez bien perdre le temps qui nous est bien cher, à travailler à chose impossible et ruineuse pour le parti, dans les entrailles duquel vous remettriez la gangrène et la peste.

Mon Dieu, ne savez-vous pas que, pour être enfant d'Abraham, on n'est pas Israélite pourtant ? et que, comme par le commandement de Dieu, Ismaël, fils de la servante et enfant d'Abraham selon la chair, non de la franche épouse, ni selon la promesse comme Isaac, fut chassé de la maison de son père, parce qu'il n'était pas héritier de sa foi, ni fils selon icelle, ainsi Dieu veut que les faux frères et ceux qui se qualifient du nom de membres de l'Eglise, n'étant pas de l'Eglise pourtant, en sortent, et par sa volonté en soient jetés hors ? Néanmoins, il semble que, ingrats de ses grâces, nous nous, voulions opposer à son bon plaisir et à ses saintes ordonnances.

Il n'y a nul qui croie que cet homme faille par timidité, ni par mégarde, ni ignorance de son devoir ou des opprobres faits au saint nom de Dieu, et du péril de l'Eglise ; mais chacun avoue que cette âme vénale, asservie sous la convoitise des richesses, abandonne les choses célestes pour acquérir les charnelles, et comme Judas veut encore vendre Christ pour de l'argent. Or est-il que quiconque en vient jusques à marchander de la vente du Sauveur est parvenu au dernier point du « fiel très amer et du lien d'iniquité ». Néanmoins, comme si nous n'étions pas assez salis de nos péchés, on nous veut encore attirer cette souillure...

Comment donc, lorsque nous voyons la Parole de Dieu, son saint nom et notre Religion en opprobre et moquerie, les fidèles persécutés à mort et tourmentés au supplice de se révolter de la profession de son saint Évangile, chercherions-nous parmi cela des moyens de paix sans nous moquer de Dieu et des hommes ?... Ne devons-nous pas être assurés que, puisqu'il s'agit de la Cause de Dieu, il la maintiendra et nous bénira au soutien d'icelle, pourvu qu'en bonne conscience et sans nous flatter, nous y procédions par les moyens estimés des gens de bien ?...

Mais souvenons-nous que maudit est qui fait l'oeuvre du Seigneur lâchement, et que les os de nos pères, massacrés pour son saint nom, se lèveront au jugement contre nous et nous condamneront, si nous sommes tièdes ; et que nos délivrances si miraculeuses des massacres seront autant de témoins et d'accusateurs contre nous, si nous, doutant de la Providence, bénédiction, puissance de Dieu, nous n'osons mettre la main à son oeuvre, de peur d'y succomber ; car, si nous sommes résolus et certains de la justice de la Cause, la crainte du succès nous la fera-t-elle abandonner ? Désespérerons-nous de la vertu de Dieu qui fait paraître sa force en nos faiblesses, et ne nous souviendrons-nous pas que notre Seigneur dit que « qui voudra sauver sa vie la perdra, et qui la voudra perdre la sauvera ? » Ne craignons donc point le hasard en ces choses, puisqu'un poil de notre tête ne tombe point sans sa Providence.

... Et gardez-vous qu'on ne die de vous ce que Brutus reprochait aux conjurés avec lui en sa ligue contre César : « Vos propos sont longs, vos effets sont lents, jugez quelle en sera l'issue. » J'eusse bien voulu ne vous faire pas si long discours sur ce sujet ; mais ma conscience m'en presse, le service et l'amour que je vous dois et que je vous porte m'y contraignent, et la part que j'ai à votre honneur et au ressentiment de votre blâme...

 À Bergerac, ce vendredi matin, 4e juin (1621.)

 Au nom de Dieu, qu'on ne perde plus le temps après ce M. de Pardaillan pour l'attirer dans le parti, car c'est remettre l'écume dans la chaudière, comme Jérémie (Ezéchiel) le reprochait au peuple d'Israël, et un peu de levain fait lever et enaigrir toute la pâte.

 « CE SIÈCLE EST TROP MAUVAIS. »

 À Paris, le 51, août 1655.

 Monsieur, le roi s'est avancé avec son armée, comme pour entrer dans le Hainaut, et aller vers Valenciennes qui a demandé la neutralité. Je voudrais que cela pût produire quelque liberté de conscience à force pauvres gens de la Religion qui sont là, lesquels n'en osent faire profession ouverte. Mais ce siècle est trop mauvais, nos ennemis trop méchants et puissants, et nous trop tièdes et lâches. Ils en ont encore fait mourir fort cruellement quelques-uns, de ceux qu'ils avaient emmenés prisonniers à Turin, de quoi la cour de France ne se soucie guère.

On ne sait point encore ce que le roi voudra entreprendre, mais on s'imagine que c'est quelque important dessein. On dit qu'il est toujours fort amoureux de Mademoiselle Mancini, ce qui est tout public ; néanmoins, je serais bien aise de n'y être point alléguée, quoique, par bruit commun, il s'en doive faire un mariage...


(1) Septième enfant du marquis de Castelnau, un autre fils de La Force.

(2) Le marquis de Montpouillan, l'un des fils de La Force.
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