Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

RENÉE BURLAMACHI

1568-1641

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 La seconde femme d'Agrippa d'Aubigné. Elle l'épousa à Genève, le 24 avril 1623 (il était plus que septuagénaire). La veille du contrat, d'Aubigné apprit qu'il avait été condamné, en France, « à avoir la tête tranchée ». C'était sa quatrième condamnation à mort. On pensait le rendre ainsi odieux à Genève et faire rompre son mariage. Il alla porter lui-même la nouvelle à Renée, pour « éprouver, dit-il dans ses Mémoires, l'esprit et le courage de ma future épouse. Cette héroïne me répondit sans changer de visage : « Je suis bien heureuse d'avoir part avec vous à la querelle de Dieu. Ce que Dieu a conjoint, l'homme ne le séparera point. » Elle était née en 1568, à Montargis, à la cour de Renée de France. De la maison des Burlamachi de Lucques, elle appartenait à ce « Refuge italien » qui enrichit Genève de tant de familles de distinction. « Elle survivait à toute sa maison. Veuve de César Balbani depuis deux ans, elle avait successivement enterré les dix enfants qu'elle avait eus de lui en trente-cinq ans de mariage. Son expérience du malheur ne le cédait en rien à celle d'Agrippa d'Aubigné. Par la force de l'âme, la lucidité de l'esprit elle était son égale. Par l'égalité, par l'aménité de son caractère, elle lui était supérieure. » (S. Rocheblave). Elle mourut le 6 septembre 1641.

C'est elle qui nous a dit en détails la fin du Bayard des armées protestantes. Précieuse relation, si émouvante dans sa simplicité. La voici :

 ÉDITION : Mémoires d'Agrippa d'Aubigné, éd. Lalanne, Paris, 1854, p. 452. Garnier, Agrippa d'Aubigné et le parti protestant, Ill, p. 177.

 À CONSULTER : Charles Eynard, Lucques et les Burlamachi, Paris et Genève, 1848. France protestante, 21 éd., I, art. d'Aubigné. Bulletin, XLII, LXXVII Samuel Rocheblave, Agrippa d'Aubigné, Paris, 1930.



  LE CANTIQUE DE COUTRAS.

 À Monsieur de Villette (1).

 Il faut que je vous dise, avec une main tremblante et le coeur plein d'angoisses et d'amertume, que Dieu a retiré à soi notre bon seigneur, et votre bon et affectionné père, et à moi aussi père et mari si cher et bien-aimé, que je m'estime bien heureuse de l'avoir servi et malheureuse de ne le servir plus. Hélas ! tout d'un coup il m'a été ravi, et il me semble impossible de croire que ce coup me soit arrivé, je ne le verrai donc plus I...

Monsieur d'Aubigné, de très heureuse mémoire, devint malade le dimanche à 4 heures du matin, le onzième jour du mois d'avril, style vieux 1630. Il s'était fort bien porté, depuis le commencement de l'année, jusques à l'heure même que le mal le prit, après avoir dormi fort doucement toute la nuit...

Le jeudi quinze du mois, il soupa encore bien d'un restaurant qu'il trouva bon, et prit la nuit son lait d'amandes comme il avait accoutumé ; mais le vendredi, le voilà en humeur de ne rien prendre tout à fait. Il demeura vingt-quatre heures sans rien mettre dans son corps ; ni pour prières, ni supplications de ses amis, ni pour mes larmes, on ne put jamais rien obtenir de lui, tellement que nous ne lui en osions plus parler, car il se mettait en colère. Il fut en inquiétude tout ce jour, qui lui donna le coup, car n'ayant pris nourriture, il perdit ses forces et commença à s'abaisser. La nuit du samedi, il prit son lait d'amandes, qui nous donna de la joie, mais aussi ce fut le dernier, car il n'en voulut plus prendre. Mais il se laissait persuader de prendre, de fois à autre, quelques cuillerées de restaurant de perdrix, de jus de mouton et du sirop de Capandu, ç'a été sur la fin sa plus agréable nourriture.

Cependant ses forces étaient encore bonnes, qui ne nous ôtaient pas du tout l'espérance... Il eut très bonne connaissance jusques quelques heures avant qu'il mourût. Le mercredi, tout le jour, il sommeillait et s'éveillait en riant, et élevant les mains et les yeux au ciel, il nous a rendu grand témoignage de la joie qu'il sentait, et quand il faisait ses difficultés de pouvoir prendre nourriture, il disait : « M'amie, laisse-moi aller en paix, je veux aller manger du pain céleste. »

Il a été servi en tout ce qui m'a été possible de m'imaginer, ma peine n'a été rien, car si eusse pu donner mon sang et ma vie pour lui, je l'eusse fait et de bon coeur. En ses deux dernières nuits, il fut consolé par deux excellents ministres, ses amis ; enfin, et jour et nuit, il ne lui a été manqué ni d'assistance ni de consolation, jusques à son dernier soupir, par tous ses bons amis... Il est regretté de tous les gens de bien.
Il a achevé ses jours en paix, et deux jours devant sa fin, il me dit d'une face joyeuse et un esprit paisible et constant :

 La voici, l'heureuse journée,
Que Dieu a faite à plein désir.
Par nous soit joye démenée
Et prenons en elle plaisir (2)




ELISABETH DE NASSAU

1577-1642


 Une fille de Guillaume le Taciturne. La mère du grand Turenne.
Constatons, une fois de plus, et à son sujet, la supériorité épistolaire des femmes. Le fait est que les lettres d'Elisabeth de Nassau sont charmantes : on y trouve la grâce, le naturel, une verve pleine d'abandon, c'est-à-dire les plus brillantes qualités.

Née du mariage de Guillaume de Nassau, prince d'Orange, et de Charlotte de Bourbon, elle était toute petite mais jolie, spirituelle et très modeste. « Ne me parlez plus de mon bon esprit, disait-elle, je ne suis propre qu'à bercer un enfant et à faire la folle mère. » Lorsqu'elles étaient éloignées l'une de l'autre, Elisabeth de Nassau et sa soeur Charlotte Brabantine - « la belle Brabant », - duchesse de La Trémoïlle, s'écrivaient exactement chaque semaine. Leur intimité était la plus vive et cordiale qu'on pût voir. Nous n'avons, jusqu'à présent, qu'une importante correspondance d'Elisabeth, découverte dans le Chartrier de Thouars. Ces pages, comme le dit très bien leur éditeur, Paul Marchegay, « font surtout aimer les modestes et solides vertus qui, chez les deux soeurs, étaient le fruit d'une éducation pure et éclairée (celle que leur donna Louise de Coligny), d'une piété sincère, et de la vie de famille qu'elles ne voulurent jamais abandonner pour suivre la cour et adopter ses errements. »

Elisabeth avait épousé, en 1595, Henri de La Tour, duc de Bouillon, maréchal de France, dont elle eut deux fils et cinq filles.

 ÉDITION : Bull. XV, 1866, p. 45 ; Bull. VI, 1857-1858, p. 196 ; Bull. XXIII, 1874, p. 411.

 À CONSULTER : Ramsay, Histoire du Vicomte de Turenne, t. 1. Paul Marchegay, Les deux duchesses, dans Bull. VI. Paul Gounelle, Une grande dame huguenote, Elisabeth de Nassau, princesse de Sedan, dans le Christianisme des 3 et 10 septembre 1931. Cf. les ouvrages hollandais sur la Maison d'Orange-Nassau (voir plus haut Charlotte de Bourbon).



 « CE CHER MARI ».

 Sedan, 1er septembre 1595.

 ... Et moi je vous dirai qu'il m'ennuie (que je m'ennuie) tant et tant. Il y aura demain trois mois que je ne l'ai vu, et suis sans espérance de le voir de longtemps, ce cher mari ! Non, vous ne sauriez croire que cela est fâcheux !

Je ne sais comment je te puis dire à quoi je passe le temps, puisque c'est à tant de diverses choses. Je ne perds pas un prêche, je ne dis pas non plus au matin qu'après dîner ; et toujours à la ville, n'ayant point de ministre pour le faire au château, Monsieur Tenant étant fort malade. Monsieur de Bours ne bouge d'ici, pour n'être point bien guéri.
Je joue fort souvent à piquet-capot avec lui, et je continue toujours aux martres, mais j'ai bien oublié étant malade. Ce maudit ménage n'est point revenu de Paris, et j'ai toutes les envies du monde d'apprendre à jouer du luth.

Mon coeur, réjouis-toi, je suis bien aimée de tout le peuple de cette ville. Veux-tu savoir à quoi je le connais ? C'est qu'ils confessent, non pas à moi, mais à ceux qu'ils savent bien qui me le diront, qu'au commencement que je vins, ils ne m'aimaient point. L'on leur avait fait des plus beaux contes de moi qu'il est possible, mais la façon de quoi je me gouverne avec eux leur a ôté ces opinions. Encore faut-il que je vous dise comme l'on m'avait dépeinte. J'étais du tout (tout à fait) courtisane, et avec cela bien mauvaise, qui ne faisais cas de personne, que l'on ne verrait jamais au prêche, qu'il me fallait six heures pour m'habiller, mille autres fadaises qui empliraient trop de papier. Ils me trouvent tout autre, et plus trop négligente pour m'habiller que trop mondaine. Non, ma soeur, si Monsieur mon mari était souvent ici, je serais heureuse selon mon souhait...

 « NOTRE CHER PETIT-FILS ».

 Ma chère Madame, le saint nom de Dieu soit béni, qui m'a fait la grâce d'embrasser notre cher petit-fils (3), et de l'avoir conduit heureusement et avec plus de santé que je ne l'eusse osé espérer. Ce fut jeudi, sur les trois heures après dîner, que nous eûmes le contentement de le tenir entre nos bras...

Puisqu'il est donc fort gaillard, ma chère Madame, je m'en vais vous dire la peur qu'il nous donna à son arrivée. Nous l'attendions, Monsieur son grand-papa, Monsieur son papa et moi, et force bonne compagnie, sur le bas du degré. La Sortay (la nourrice) le tenait au milieu du carrosse, appuyée contre la portière. Je ne fis qu'entrevoir ce bel enfant, blanc comme neige, et soudain je la vis renverser par terre, tenant cet enfant entre ses bras... La Sortay fut si surprise et étonnée qu'elle cria : « je suis morte ! » Cependant elle se releva fort soudain, tenant toujours l'enfant, et n'a point eu de mal, Dieu merci ; mais l'accident était bien grand. L'on le prend tous à bon présage, et même Monsieur Du Moulin (Pierre Du Moulin). Mais je ne vous dis pas, mon coeur, que ce qui fit tomber la Sortay, ce fut que l'on vint ouvrir la portière contre quoi elle s'appuyait sans qu'elle en sût rien. Certes, cela m'émut bien, mais Dieu soit loué qui a tout conduit si heureusement qu'il n'y a eu aucun mal.

Je fais tout ce que je puis pour apprivoiser le cher enfant, qui n'a fait bien bonne chère qu'à son papa et à son grand-papa aussi, mais bien plus au premier, qui aussi était brave (vêtu avec élégance), et on remarque qu'il aime cela. Je l'ai trouvé tout tel que je me le représentais, hormis plus blanc. Je trouve qu'il a de l'air de Monsieur son père, mais pas les traits du visage si beaux. Pour les mains, il les a en perfection, et endure le mieux du monde ses gants. Il en est fort honnête aussi, car il les baise à tout ce qu'il prend. Mais il est bien volontaire, et à la moindre chose que l'on lui résiste, il crie. Il n'y a personne qu'il craigne aussi, et n'y avait que vous, mon coeur qui en avez eu des soins admirables. On trouvera bien à dire aux miens auprès des vôtres. Mais il faut que je vous die le scandale qu'il vous donne : c'est que l'on lui dit qu'il danse comme vous faisiez, et soudain ses petits bras vont. Il est gai pourvu que l'on le veille, mais autrement il rêve fort. Il a trouvé ici des tantes qui lui font beau bruit. Elisabeth l'a déjà si bien su gagner, qu'il a bien voulu aller à elle. Il a été aussi un petit à sa mère. Pour moi, je n'ai pas encore gagné ses bonnes grâces jusque là...

Ma chère Madame, je vous fait un vrai coq-à-l'âne, tant je vous écris à la hâte, Monsieur votre fils m'ayant envoyé dire qu'il vous, allait écrire, et que l'on partirait dans une heure...

Je ne vous ai pas dit encore qu'il mange bien sa panade, et que l'on croit qu'il lui perce encore des dents...

Adieu, mon cher coeur ; rien n'est à ma pensée comme vous, qui pouvez tout sur moi, qui suis votre servante très humble et obéissante soeur toute à vous.

 À Sedan, ce 14 mai (1622), samedi, à neuf heures du matin.

 Pour vous parler de tout, il faut vous dire que les deux oncles (4) furent au-devant de notre cher enfant, et que l'on a tiré deux couleuvrines.

 L'ABJURATION DE HENRI DE LA TRÉMOÏLLE.

 Ma chère Madame, il y a déjà quelques jours que j'ai su l'horrible affliction dans laquelle vous a mis Monsieur votre fils, mais j'en suis si vivement touchée que je puis dire avec vérité n'en avoir jamais senti une plus grande. Comment donc vous consoler, puisque j'ai tant de besoin de l'être, mon coeur ? Certes, je ne le puis autrement qu'en versant mes larmes avec les vôtres, et vous disant que votre juste douleur me transperce le coeur de telle façon que je suis toute hors de moi ; aussi m'êtes-vous chère comme un second moi-même. Je souffre donc doublement, puisqu'avec votre intérêt j'ai aussi le mien ; je suis donc si abattue, ma chère Madame, que je ne me puis relever.

Cette affliction est de toute autre nature que les autres, mais si nous doit-elle mener à Dieu plus que pas une, et nous humilier sous sa main puissante... Les sources des compassions du Seigneur ne se tarissent point ; il y a pardon par devers lui, afin qu'il soit craint. Son oreille n'est point étoupée qu'il ne puisse ouïr, ni son bras raccourci qu'il ne puisse délivrer ; les richesses incomparables de son infinie miséricorde viendront à notre secours. Si nous retournons à lui comme il faut, il retirera du naufrage celui qui nous fait jeter tant de larmes ; il ne faut qu'un mot de lui pour rendre la tempête calme, et un regard seulement qui guérira notre tourment...

Ma très chère Madame, je suis dans un grand trouble, et tel que je ne le puis dire, quand je me représente ce que vous souffrez et l'épreuve où Dieu met notre chère fille, que je m'assure que vous n'aurez pas abandonnée si Dieu l'a bien affermie, comme vous m'avez mandé. Toute mon espérance est en vous, qui n'oublierez rien, je le sais bien, pour aider à la fortifier contre de si puissantes tentations. Mon coeur, Dieu vous appelle à montrer votre zèle et pitié si grande et la rendre en édification à toutes ces églises au triste sujet qui nous met dans les pleurs.

Je crois que ce vous serait une grande consolation d'avoir un de nos chers petits-enfants auprès de vous. Quand je pense à eux, le coeur me fend aussi... Mon coeur, je suis toute hors de moi ! Le Seigneur veuille venir à notre aide.

 À Sedan, ce 12 août 1628.


(1) Mari de la fille cadette de d'Aubigné, Louise.

(2) Strophe du psaume 118, traduction de Clément Marot, musique de Loïs Bourgeois, que d'Aubigné entonna, à la tête de ses soldats, à la bataille de Coutras, au matin de la victoire, le 20 octobre 1587.

(3) Henri Charles de La Trémoïlle, prince de Tarente, fils de Henri de La Trémoïlle, duc de Thouars, et de Marie de La Tour, et donc petit-fils d'Elisabeth de Nassau, duchesse de Bouillon, et de Charlotte-Brabantine de Nassau, duchesse de La Trémoïlle.

(4) Frédéric-Maurice, l'aîné des fils de la duchesse, et Henri, le futur Turenne, alors enfant.
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