Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHARLOTTE ARBALESTE

1548-1606

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 Née le 1er février 1548, elle était fille de Guy Arbaleste, vicomte de Melun, seigneur de la Borde, Président en la Chambre des Comptes de Paris. Veuve de Jean de Paz de Feuquières, elle se remaria, le 3 janvier 1576, avec l'admirable du Plessis-Mornay, dont elle a écrit la vie jusqu'à l'année 1606. C'est à Sedan que du Plessis-Mornay apprit à connaître Charlotte, qui, « pour passer plus doucement sa solitude, y prenait plaisir en l'arithmétique, en la peinture et en autres études. » Elle avait un esprit net, un jugement solide, une sévérité envers le vice telle que les plus grands la redoutaient, une extrême charité envers les pauvres. N'oublions pas le talent d'écrire. Elle se peint tout entière dans ses Mémoires. « Pas la moindre complaisance vaniteuse quand elle parle, soit d'elle-même, soit de ce qui la touche ; loin de rien étaler, de rien amplifier, elle montre moins qu'elle ne pourrait, elle dit moins qu'elle ne sent. » (Guizot.) Le noble et beau caractère ! C'est la femme forte.

Elle avait écrit ses Mémoires pour son fils, auquel elle eut la douleur de survivre ; il fut tué à l'attaque de Gueldres, en octobre 1605 ; elle le suivit au tombeau, le 15 mai 1606.

On trouvera ci-après, avec un récit des dangers qu'elle courut à la Saint-Barthélemy, la protestation qu'elle adressa au consistoire de Montauban, qui avait censuré ses longues boucles de cheveux ajoutées, et le fil d'archal qui les tenait. Gardons-nous de négliger ce trait des anciennes moeurs protestantes. La toilette des femmes donnait, paraît-il, pas mal de tablature au consistoire de Montauban, vers la fin de 1584, où du Plessis-Mornay installa les siens dans cette ville. Charlotte Arbaleste maintint fermement son indépendance, et, le consistoire, ayant persisté dans sa résolution, elle alla demander la Cène au ministre de la petite ville voisine de Villemur.

 ÉDITION : Mémoires de Mme de Mornay, éd. par Mme de Witt née Guizot, Société de l'Histoire de France, Paris, 1868-69, I, p. 59, II, p. 297.

 À CONSULTER : Notice de Guizot, tome Il des Mémoires de Mme de Mornay. Ad. Schaeffer dans Bull. II, 1854. M.-J. Gaufrès, Philippe Mornay de Bauves dans Bull. XVII. France Protestante, 2e éd., art. Arbaleste. Raoul Patry, Philippe du Plessis-Mornay, Paris, 1933. Cf. Lettre de la Duchesse de la Trémoïlle (Charlotte Brabantine de Nassau), sur la mort de Mme du Plessis-Mornay, publiée par M. A. de Boislisle, Paris, 1884.



 LA SAINT-BARTHÉLÉMY.

 Comme j'étais encore au lit, une mienne servante de cuisine, qui était de la Religion et venait de la ville, me vint trouver fort effrayée, me disant que l'on tuait tout. Je ne m'étonnai pas soudainement; mais, ayant pris ma cotte et regardé par mes fenêtres, j'aperçus, à la grande rue Saint-Antoine où j'étais logée, tout le monde fort ému, plusieurs corps de garde, et chacun à leur chapeau des croix blanches...

Je ne fus pas sitôt partie de mon logis, que des domestiques du duc de Guise y entrèrent, appelèrent mon hôte pour me trouver, et me cherchèrent partout ; enfin, ne me pouvant trouver, envoyèrent chez ma mère lui offrir que, si je leur voulais apporter cent écus, ils me conserveraient et la vie et tous mes meubles. Ma mère m'en envoya donner avis chez M. de Perreuze. Mais, après y avoir un peu pensé, je ne trouvai point bon qu'ils sussent où j'étais, ni que je les allasse trouver, mais bien suppliai ma mère de leur faire entendre qu'elle ne savait que j'étais devenue, et leur faire offre toutefois de la somme qu'ils demandaient. N'ayant pu avoir de mes nouvelles, mon logis fut pillé.

... Nous fûmes là jusqu'au mardi, et ne put M. de Perreuze faire si bonne mine qu'il ne fût soupçonné, de sorte qu'il fut ordonné que sa maison serait visitée le mardi après-dîner. La plupart de ceux qui s'y étaient sauvés s'étaient retirés ailleurs, et n'y était demeuré que feue Mlle de Chaufreau et moi. Il fut contraint de nous cacher, elle avec sa damoiselle dans un bûcher dehors, moi avec une de mes femmes dans une voûte creuse ; le reste de nos gens déguisés et cachés comme il avait pu. Étant en cette voûte, au haut du grenier, j'oyais de si étranges cris d'hommes, femmes et enfants que l'on massacrait par les rues, et ayant laissé ma fille en bas, j'entrai en telle perplexité et quasi désespoir, que, sans la crainte que j'avais d'offenser Dieu, j'eusse aimé plutôt me précipiter que de tomber vive entre les mains de cette populace, et de voir ma fille massacrée, que je craignais plus que ma mort...

Cette furie étant passée plus légèrement qu'il ne s'attendait, il fut question de nous déguiser et nous faire déloger. D'aller chez ma mère, je ne pouvais, car on lui avait mis garde en sa maison. Je m'en allai chez un maréchal qui avait épousé une sienne femme de chambre, homme séditieux, et qui était capitaine de son quartier. Je me promis qu'ayant reçu du bienfait d'elle, il ne me ferait déplaisir. Ma mère me vint voir, le soir, là dedans, qui était plus morte que vive, et plus transie que moi. Je passai cette nuit chez ce capitaine maréchal. Ce ne fut qu'à médire des huguenots, et voir apporter le butin que l'on pillait dans des maisons de la Religion ; il me parla fort qu'il fallait aller à la messe.

... Ma mère ayant un peu repris haleine, et trouvé moyen, pour sauver mes frères de ce naufrage, de les faire aller à la messe, pensa me sauver par ce même chemin, et m'en fit parler par M. de Paray, notre cousin, lequel, après plusieurs propos que nous eûmes ensemble, m'en trouva, par la grâce de Dieu, très éloignée. Le mercredi matin, après que ma mère eut usé de quelques moyens pour m'y faire condescendre, n'ayant de moi telle réponse qu'elle voulait, mais seulement une supplication pour me faire sortir de Paris, m'envoya dire qu'elle serait contrainte de me renvoyer ma fille. Je ne pus que répondre, sinon que je la prendrais entre mes bras et qu'en ce cas nous nous lairrions (laisserions) massacrer toutes deux ensemble, mais à la même heure, je me résolus de partir de Paris quoi qu'il m'en dût advenir, et priai celui qui m'avait fait ce message d'aller arrêter une place pour moi au (bateau du) Corbillard, ou en quelque bateau montant sur la rivière de Seine...

Comme j'entrais dans ce bateau qui allait à Sens, j'y trouvai deux moines et un prêtre, deux marchands avec leurs femmes. Comme nous fûmes aux Tournelles, où il y avait garde, le bateau fut arrêté, et le passeport demandé ; chacun montra le sien, fors moi qui n'en avais point. Ils commencèrent lors à me dire que j'étais huguenote et qu'il me fallait noyer, et me font descendre du bateau.

Je les priai de me mener chez M. de Voysenon, auditeur des Comptes, qui était de mes amis, et qui faisait les affaires de feue Mlle d'Esprunes, ma grand'mère, lequel était fort catholique romain, leur assurant qu'il répondrait de moi. Deux soldats de la compagnie me prirent et me menèrent à ladite maison. Dieu voulut qu'ils demeurèrent à la porte et me laissèrent monter. Je trouvai le pauvre M. de Voysenon fort étonné, et encore que je fusse déguisée, m'appelait « Madamoiselle » et me contait de quelques-unes qui s'étaient sauvées là-dedans. Je lui dis que je n'avais loisir de l'ouïr (car je pensais que les soldats me suivissent), qu'il y avait apparence que Dieu se voulait servir de lui pour me sauver la vie, autrement que je pensais être morte. Il descend en bas, et trouve ces soldats, auxquels il assura de m'avoir vue chez Mlle d'Esprunes, qui avait un fils évêque de Senlis, qu'ils étaient bons catholiques et connus de tous pour tels. Les soldats lui répliquèrent fort bien qu'ils ne demandaient pas de ceux-là, mais de moi. Il leur dit qu'il m'avait vue autrefois bonne catholique, mais qu'il ne pouvait répondre si je l'étais lors.
À l'heure même, arriva une honnête femme, qui leur demanda que c'est qu'ils me voulaient faire. Ils lui dirent : « Pardieu ! c'est une huguenote qu'il faut noyer, car nous voyons comme elle est effrayée. » Et à la vérité, je pensais qu'ils m'allassent jeter dans la rivière. Elle leur dit : « Vous me connaissez, je ne suis point huguenote, je vas tous les jours à la messe, mais je suis si effrayée que, depuis huit jours, j'en ai la fièvre. » L'un des soldats répond : « Pardieu ! et moi itou, j'en ai le bec tout galeux ! » Ainsi me remettent dans le bateau, me disant que, si j'étais un homme, je n'en réchapperais pas à si bon marché...

Toute l'après-dîner, ces moines et ces marchands ne faisaient que parler en réjouissance de ce qu'ils avaient vu à Paris, et comme je disais un mot, ils me disaient que je parlais en huguenote. Je ne pus faire autre chose que faire la dormeuse, pour n'avoir sujet de leur répondre.

Comme je fus descendue, j'aperçus Minier, qui était envoyé de par Mme la Présidente Tambonneau, pour savoir que je deviendrais... Il prit résolution de me mener au Bouschet, à une lieue, près de la maison de M. le Chancelier de l'Hospital, maison appartenant à M. le Président Tambonneau, et me mit chez son vigneron.

... J'avais envie de gagner la Brie et aviser à ce que je pourrais devenir. J'empruntai du vigneron un âne et le priai de me venir conduire : ce qu'il fit, et passâmes la rivière de Seine entre Corbeil et Melun, en un lieu qui s'appelle Saint-Port, et m'en vins à Esprunes, maison appartenant à feue ma grand'mère. Arrivée que je fus là, les servantes du logis me sautaient au cou d'aise, me disant - « Madamoiselle, nous pensions que vous fussiez morte ! » Ce pauvre vigneron demeura fort étonné, me demandant si j'étais damoiselle, et enfin, partant d'avec moi, m'offrit sa maison, et qu'il me cacherait et empêcherait que je n'allasse à la messe, s'excusant à moi de ce qu'il ne m'avait fait coucher au grand lit.

 LA COIFFURE DE Mme DE MORNAY ET LE CONSISTOIRE DE MONTAUBAN.

 Sur ce qui me fut déclaré mercredi dernier par vous, Messieurs du Consistoire, que je ne serais reçue à la Cène sans ôter mes cheveux, ou plutôt le fil d'archal qui est dedans, il vous fut requis par moi de me faire apparoir d'article exprès résolu et écrit au Synode national, où ce fait soit particularisé et déclaré pour le désir que j'avais d'y obéir...

Et faute de m'avoir montré ledit article, je vous alléguai l'absence de Monsieur du Plessis, employé présentement pour le service des Églises, sans le commandement duquel il ne m'était loisible de faire aucun changement...

 Je prie donc toute la compagnie du Consistoire de se souvenir du devoir que les femmes doivent à leurs maris, auxquels, par exprès commandement de Dieu, leur volonté est assujettie, et comme saint Pierre, entre autres, l'explique au chapitre troisième de sa première épître, quel est ce devoir ; lequel chapitre vous nous alléguez maintenant pour les tortillements de cheveux. Et toutefois, Messieurs, vous ne pouvez ignorer, comme il appert en la lecture d'icelui, que le but principal de l'apôtre est d'admonester les femmes de se rendre sujettes à leurs maris, même infidèles ; et, d'autant plus suis-je obligée à ce devoir que Monsieur du Plessis fait pareille profession de foi que nous tous et, qui plus est que Dieu l'a doué de beaucoup de ses dons et grâces, qu'il emploie journellement pour le service des Églises.

Et pour ce que, nonobstant ma requête de m'exhiber ledit article du Synode national, ni ma remontrance d'attendre le commandement de Monsieur du Plessis, vous avez persisté de me retrancher de la Cène, je vous fis déclarer que je m'en portais pour appelante au Synode national, et vous aussi me reçûtes en mon appel.

Maintenant, je vous requiers, qu'ayant égard à mon appel, me déclariez si n'entendez pas que toute cette procédure soit et demeure suspendue jusques à ce qu'un Synode national en ait ordonné, ne laissant cependant de me recevoir, et notre famille, à la communion de la sainte Cène, et pour ce faire nous catéchiser et bailler des méreaux...




CATHERINE DE PARTHENAY

1554-1631


 Elle était la fille unique de Jean de Parthenay-Larchevêque, seigneur de Soubise, et par conséquent la nièce d'Anne de Parthenay, dont nous avons parlé plus haut. Sa mère, Antoinette d'Aubeterre, fut, nous le savons, une héroïque protestante.

Catherine de Parthenay naquit au Parc-Soubise en 1554. Elle y mourut le 26 octobre 1631. Mariée au baron de Pont, tué à la Saint-Barthélemy, puis à René II de Rohan, l'un des principaux chefs du protestantisme poitevin, dont elle eut six enfants, Catherine devint veuve pour la seconde fois, en 1586. Dès lors, elle se consacra tout entière à l'éducation de ses enfants. Enfermée à La Rochelle en 1627, elle donna l'exemple du plus beau courage civique.

Merveilleusement douée, elle excellait à la fois dans les mathématiques et la poésie. Le célèbre mathématicien François Viète lui dédia son Art analytique ou Algèbre nouvelle, en la proclamant son inspiratrice : « C'est à vous, auguste fille de Mélusine », etc... À peu près tous ses écrits sont perdus ; entre autres une tragédie, Holopherne, composée dès 1573, et une traduction des Préceptes d'Isocrate. L'ironique Apologie pour le roi Henri IV, sorte de pamphlet qu'elle publia en 1595, porte témoignage de la causticité de son esprit. M. Raymond Ritter lui attribue sans hésiter trois Ballets bien curieux. En 1577, il y avait à ouïr les comédiens italiens, dit le chroniqueur Pierre de L'Estoile, « tel concours et affluence du peuple, que les quatre meilleurs prédicateurs de Paris n'en avaient pas trestous ensemble quand ils prêchaient. » Nos fières huguenotes cédèrent sans arrière-pensée qui les troublât à la mode des ballets, divertissement d'origine italienne qui consistait en une comédie entrecoupée de danses exécutées au son du luth et des violons. Ces ballets étaient toujours allégoriques et entachés de galimatias mythologique et galant. M. Ritter a loué avec grande raison les vers de Catherine de Parthenay : « Ils sont écrits dans une langue excellente, très classique déjà, - nouvelle preuve que, n'en déplaise à Boileau et à sa postérité, le classicisme n'est pas sorti tout armé du cerveau de Malherbe, - et qui ne manque ni de vigueur ni de charme... De jolies trouvailles, souvent un rythme aisé, nombreux et ample. »

 ÉDITION : Catherine de Parthenay, Ballets allégoriques en vers publiés par R. Ritter, Paris, 1927, p. 32.

 À CONSULTER : Haag, France protestante, VI, p. 342-6. Jules Bonnet, Derniers récits du seizième siècle.



 STANCES DE MÉDÉE (1).

Qui de Médée a ignoré le nom ?
Qui n'a tremblé au bruit de son renom ?
Qui ne me craint au ciel et en la terre ?
J'ai de Phoebus le visage obscurci
Quand il m'a plu, et de sa soeur aussi,
Et à Jupin arraché son tonnerre.
 
Je sais, comment, par un vers rechanté
Ou le venin d'un herbage enchanté,
L'on peut ôter ou redonner la vie.
Témoin en est du renaissant Aeson
Le poil doré, qui jadis fut grison,
Trompant le temps, et la mort, et l'envie.
 
Par mon secours, le parjure Jason
Fut possesseur de la riche Toison,
Dont je me suis derechef emparée ;
Puis d'une gent je l'ai mise au pouvoir,
Qui a dressé école à mon savoir,
Et dont je suis à peu près adorée,
 
Les miens vassaux, sur un fragile bois
J'ai fait voler jusqu'au rivage indois,
Sous autre ciel et nouvelles étoiles,
Je les ai faits, par art autre qu'humain,
Fiers des trésors cachés de longue main,
À leur retour voguer à pleines voiles (2).
 
Je veux encor, sous mes pieds honorés,
Joncher la fleur des lys d'or azurés,
Tant respectés en cette terre basse
Car ma Toison, je prétends désormais
Rendre plus belle et noble que jamais,
Malgré les Dieux et des hommes l'audace...



(1) L'Espagne, personnifiée par Médée, menace la France et la Navarre.

(2) On peut trouver, avec M. Ritter, que cette strophe est « réellement surprenante ». « Eh ! mon Dieu, oui, voilà qui fut écrit trois siècles avant José-Maria de Hérédia. » (R. Ritter, op. cit., p. XX.)
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