Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHARLOTTE DE LAVAL

1529-1568

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 Calvin la louait pour sa force d'âme singulière, en septembre 1561 : « Au milieu de grandes difficultés, vous avez constamment persévéré en son service, voire pour être un exemple et patron à ceux qui étaient trop faibles et timides. »

Elle appartenait à l'une des premières familles du royaume. Son père, Guy de Laval, mourut en 1531, sa mère, Antoinette de Daillon, au début de 1540. De 1540 jusqu'à son mariage avec Coligny, elle vécut chez son oncle, le connétable Anne de Montmorency. Coligny la convertit à la foi nouvelle. C'est la figure féminine la plus haute de cette société calviniste d'élite, qui se groupa autour de l'amiral. Tout a été dit sur les habitudes religieuses introduites au château de Châtillon-sur-Loing, où se célébrait chaque jour le culte domestique.

Après les massacres de Vassy et de Sens, Coligny hésitait à prendre les armes. Charlotte l'y décida. Agrippa d'Aubigné a raconté pour la postérité ce fameux entretien. Sa charité était inépuisable. Elle prit le typhus en soignant les blessés, à Orléans, et mourut le 3 mars 1568.

Nous n'avons pas la lettre magnifique qu'elle écrivit à Coligny, de sa propre main, quand elle vit que sa fin approchait. Mais Hotman, le premier biographe de l'amiral, nous en a conservé le contenu dans un abrégé. On y retrouve, écrit Ch. Bost, « l'accent même des paroles décisives de 1562 », quand elle vainquit la résistance de Coligny. « Elle s'estimait bien malheureuse de mourir sans l'avoir revu, lui qu'elle avait toujours aimé plus qu'elle-même. Néanmoins elle se consolait, sachant ce qui le retenait loin d'elle. Elle le conjurait, pour elle-même, qu'il avait toujours aimée, et au nom de leurs enfants, de combattre jusqu'à la dernière extrémité pour le service de Dieu et l'avancement de la Religion.

Comme elle lui savait un grand fonds de tendresse pour le roi, qui le rendait fort retenu quand il s'agissait de prendre les armes, elle le priait de se souvenir que Dieu était le premier maître qu'il eût, qu'il était donc obligé de le servir, de préférence à tout autre. Après quoi, elle n'empêchait point qu'il ne fît tout ce que son coeur lui pourrait dicter. Elle le priait de ne s'exposer qu'autant que les circonstances l'exigeraient. Qu'il prît garde cependant à la maison de Guise. Elle ne savait pas si elle lui devait dire la même chose de la reine-mère, étant défendu de juger mal de son prochain ; mais enfin elle (celle-ci) avait donné tant de marques de son ambition, qu'un peu de défiance était pardonnable. »

 ÉDITION : Bulletin, II, p. 551.

 À CONSULTER : Hotman, Vie de l'amiral Coligny (en latin), traduction française de 1665. Agrippa d'Aubigné, Histoire Universelle, éd. de 1616, I, p. 132. Lettres françaises de Calvin, Paris, 1854, II, p. 481. Comte Jules Delaborde, Gaspard de Coligny, Paris, 1879. Charles Bost, Le ménage de Coligny, dans les Cahiers Protestants (Suisse), mars 1935.



 LES VISITATIONS DE DIEU.
 LETTRE CONSOLATOIRE À MADAME DE SOUBISE
(1)

 Madame, je crois que ne doutez point combien les nouvelles que nous avons eues de la visitation et affliction qu'il a plu à Dieu de vous envoyer, et à nous aussi, nous ont été ennuyeuses (2). Car, après vous, il n'y a personne qui l'ait avec occasion plus ressentie, pour être l'amitié entre nous non point seulement d'amis mais de frères, si elle ne peut être meilleure ni plus grande. Je vous prierai donc, Madame, croire que je voudrais que nous fussions un peu plus près voisines, car moi-même m'irais offrir et essayer à vous servir et assister de tout ce qui serait en ma puissance. Ce que je vous offre par cette lettre, j'aimerais beaucoup mieux vous pouvoir dire et montrer par effet que le vous écrire : disposez donc de tout ce qui y est, pour en faire comme du vôtre propre.

Je m'assure, Madame, que Dieu vous assiste de telle façon, et tant de gens de bien, que vous pratiquez la doctrine que Dieu nous donne, de telle sorte qu'en faites, votre profit en cette affliction, et qu'après avoir senti la force qu'a encore la chair sur nous, retournerez à connaître que Dieu vous est Père et qu'il visite ses enfants comme il lui plaît, et qu'il ne faut point murmurer contre lui, mais reconnaître que nous sommes ses créatures, et nous mettre entre ses mains, pour non seulement marchander à Dieu, mais afin qu'il dispose de nous entièrement. Et il est si bon et si sage qu'il saura mieux ordonner de nous que nous ne ferions nous-mêmes.

Je vous prierai, Madame, pour la fin de cette lettre, que l'amitié que nous nous sommes portées du vivant de Monsieur de Soubise ne diminue point ; car, de mon côté, je me délibère de vous faire paraître par tous moyens, et à Mademoiselle de Parthenay, que celle que j'avais à Monsieur de Soubise, je la veux augmenter et remettre en vous deux. Je vous présenterai en cet endroit mes bien humbles recommandations à votre bonne grâce, priant Dieu, Madame, vous donner son Saint-Esprit, qui vous allège en vos afflictions.

 De Châtillon, ce 12 de septembre (1566).
 Votre obéissante et bien affectionnée amie à jamais,
 Charlotte de Laval.




ÉLÉONORE DE ROYE

PRINCESSE DE CONDÉ

1535-1564


 « Dame d'un génie élevé et d'un grand courage », écrit de Thou, parlant de la soeur des Châtillon, Madeleine de Mailly, mariée à seize ans, en 1528, au comte Charles de Roye, qui mourut le 29 janvier 1552. Il ne faut pas craindre d'élever celle-ci au rang des personnalités historiques du XVIe siècle. Elle se signala notamment en 1559 par son intervention en faveur des Réformés. « Mme de Roye, une de tes compatriotes, est une véritable héroïne », écrivait François Morel à Calvin. On l'impliqua dans le procès de son gendre Condé. Arrêtée brutalement et enfermée dans le château de Saint-Germain-en-Laye, elle en sortit après la mort de François II et fut déclarée par le Parlement « pure et innocente des cas à elle imposés ». Elle mourut en 1567. Parlons maintenant de ses deux nobles filles, Éléonore et Charlotte de Roye.

La première naquit au château de Châtillon-sur-Loing, le 24 février 1535. Elle avait seize ans lorsqu'elle épousa, le 22 juin 1551, un prince du sang, Louis de Bourbon, le premier des Condé, « ce petit homme tant joli », dit un des bouts-rimés qu'on fit à sa louange, brave, étourdi, d'humeur galante, qui, toute sa vie, d'après Brantôme, « aima, autant la femme d'autrui que la sienne ». L'incorruptible sagesse, la pureté et la constance d'Éléonore ne contrastent pas peu avec la légèreté incurable de Condé. « Ses vertus privées et ses qualités héroïques étaient admirées de tous » (duc d'Aumale). La hache guette Condé emprisonné. Forte de sa tendresse, l'épouse surmonte tout : fatigues, humiliations, souffrances physiques, angoisses morales. Les Guise l'abreuvent d'outrages, la réduisent au désespoir, on la désigne au fer des assassins ; rien ne l'arrête, elle veut sauver celui qu'elle aime. « Sans la grâce que Dieu me fait de représenter devant mes yeux que telles visitations viennent de sa main et que c'est le signe dont il marque les siens, je ne sais que je ferais. »

Tant d'émotions la tuèrent. Elle s'éteignit le 23 juillet 1564, comme une sainte, âgée de 29 ans. Ses derniers entretiens avec sa mère eurent un caractère solennel. « C'étaient, atteste une de ses familières, de divins dialogues sur la grandeur de Dieu, sa sagesse, bonté et miséricorde, sur l'enfer des consciences de ceux qui n'ont point sa crainte, sur la différence du pur et faux service, sur l'assurance de l'âme fidèle, au point de la mort... Je me sentirais bien empêchée s'il fallait donner mon jugement laquelle disait mieux. » Peu avant sa fin, la princesse dit au pasteur Pérussel : « Or sus, mon père, c'est maintenant que Dieu me veut avoir, dont je suis très joyeuse. »

Ses écrits respirent la grâce. Elle était bien parlante. Lisez ces deux petits billets, et cette prière, fragment du testament qu'elle dicta à deux notaires, le 15 juillet 1564, huit jours avant sa mort.

 ÉDITION : Comte Jules Delaborde, Éléonore de Roye, princesse de Condé, Paris, 1876, p. 34, 253, 258.

 À CONSULTER : Jane Pannier, Éléonore de Roye, Paris, 1901. Duc d'Aumale, Histoire des Princes de Condé, Paris, 1885. I. Sur Madeleine de Mailly, cf. Jules Delaborde dans Bull. XXV.



 « JE VOUS ENVOIE MA PEINTURE ».

 À la duchesse de Nevers (3)
 2 janvier 1559.

 Madame ma soeur, je vous renvoie votre peintre, et, suivant la prière que m'avez faite, que j'estime commandement, je vous envoie ma peinture et toutes celles de mes enfants, que vous supplie accepter aussi agréable comme de grande, grande affection elles vous sont données, et que soyons si heures que d'être ramentus (4) souvent à votre grâce, et nous en faire la plus grande part, comme à ceux qui l'estiment et désirent plus, et qui n'ont volonté que de vous faire service ; m'assurant qu'au petit langage de mes enfants ils ne disent comme moi. Quant à votre neveu, il vous supplie lui bien garder sa femme (5), vous assurant que souvent il ramentoit sa beauté et l'affection qu'il lui porte. Voilà, excusez-moi si je parle de mes enfants ; ce qui m'en fait prendre la hardiesse, c'est que je crois que l'aurez agréable.

 « AUX ÉCOUTES ».

 Au maréchal de Montmorency,
 25 mai 1564.

 Depuis la dernière (lettre) que vous m'envoyâtes, je suis encore une fois tombée en telle extrémité, qu'elle n'a rien été moindre, mais beaucoup plus dangereuse que la première. Toutefois, depuis mon flux de sang s'est cessé, mais non pas que nous soyons bien assurés qu'il soit du tout arrêté et ne me reprenne plus. Ainsi me voilà toujours aux écoutes, attendant à ce qu'il plaira à Dieu m'envoyer et en déterminer.

 PRIÈRE.

 Je te supplie, mon bon Dieu, que, quand il te plaira me délivrer des misères et langueurs de cette vie et tirer mon âme de la prison de ce corps où elle est enfermée pour quelque temps, que par ta bonté et miséricorde tu la veuilles recevoir entre tes mains et la mettre en la possession et jouissance de la félicité que ton Fils nous a acquise par sa mort et passion, et par ce moyen assurer la ferme foi, que tu nous as donnée par tes promesses et scellée tant par le baptême que par ta sainte Cène, de la rémission générale de nos péchés, lesquels nous croyons être tellement effacés par le sang et obéissance de ton Fils, qu'ils ne viendront jamais en compte devant toi.

Je te recommande en après nos enfants, te requérant que, suivant ta promesse, tu leur sois Dieu, Père et protecteur, et que, étendant ta bénédiction sur eux, il te plaise les illuminer et dresser en la connaissance et en la crainte de ton saint nom, et te servir d'eux, comme tu as, fait du père, à exalter ta gloire, à procurer et conserver le repos de ton Église et en arracher tout ce que tu n'y as point planté. Fais-les, par ta bonté spéciale, instruments et vaisseaux de ta gloire, et les remplis de tes grâces, leur commandant, par l'autorité que tu m'as donnée sur eux, qu'ils vouent et dédient toute leur vie à ton service et celui de ton Église.


(1) C'est le chroniqueur Pierre de L'Estoile qui a appelé « consolatoires », les lettres écrites en 1566 à Antoinette Bouchard d'Aubeterre sur la mort du seigneur de Soubise, son mari.

(2) Le sens de ce mot s'est affaibli. On le disait à propos des douleurs, et même des plus grandes.

(3) Sa belle-soeur, Marguerite de Bourbon, soeur d'Antoine et de Louis de Bourbon.

(4) Remis en l'esprit.

(5) Henri de Bourbon, fils aîné d'Éléonore, alors âgé de six ans. Marie de Clèves, âgée de trois ans environ. Henri de Bourbon l'épousa en 1572.
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