Calvin la louait pour sa force d'âme
singulière, en septembre 1561 :
« Au milieu de grandes
difficultés, vous avez constamment
persévéré en son service,
voire pour être un exemple et patron à
ceux qui étaient trop faibles et
timides. »
Elle appartenait à l'une des
premières familles du royaume. Son
père, Guy de Laval, mourut en 1531, sa
mère, Antoinette de Daillon, au début
de 1540. De 1540 jusqu'à son mariage avec
Coligny, elle vécut chez son oncle, le
connétable Anne de Montmorency. Coligny la
convertit à la foi nouvelle. C'est la figure
féminine la plus haute de cette
société calviniste d'élite,
qui se groupa autour de l'amiral. Tout a
été dit sur les habitudes religieuses
introduites au château de
Châtillon-sur-Loing, où se
célébrait chaque jour le culte
domestique.
Après les massacres de Vassy et de
Sens, Coligny hésitait à prendre les
armes. Charlotte l'y décida. Agrippa
d'Aubigné a raconté pour la
postérité ce fameux entretien. Sa
charité était inépuisable.
Elle prit le typhus en soignant les blessés,
à Orléans, et mourut le 3 mars 1568.
Nous n'avons pas la lettre magnifique
qu'elle écrivit à Coligny, de sa
propre main, quand elle vit que sa fin approchait.
Mais Hotman, le premier biographe de l'amiral, nous
en a conservé le contenu dans un
abrégé. On y retrouve, écrit
Ch. Bost, « l'accent même des
paroles décisives de 1562 », quand
elle vainquit la résistance de Coligny.
« Elle s'estimait bien malheureuse de
mourir sans l'avoir revu, lui qu'elle avait
toujours aimé plus qu'elle-même.
Néanmoins elle se consolait, sachant ce qui
le retenait loin d'elle. Elle le conjurait, pour
elle-même, qu'il avait toujours aimée,
et au nom de leurs enfants, de combattre
jusqu'à la dernière
extrémité pour le service de Dieu et
l'avancement de la Religion.
Comme elle lui savait un grand fonds de
tendresse pour le roi, qui le rendait fort retenu
quand il s'agissait de prendre les armes, elle le
priait de se souvenir que Dieu était le
premier maître qu'il eût, qu'il
était donc obligé de le servir, de
préférence à tout autre.
Après quoi, elle n'empêchait point
qu'il ne fît tout ce que son coeur lui
pourrait dicter. Elle le priait de ne s'exposer
qu'autant que les circonstances l'exigeraient.
Qu'il prît garde cependant à la maison
de Guise. Elle ne savait pas si elle lui devait
dire la même chose de la reine-mère,
étant défendu de juger mal de son
prochain ; mais enfin elle (celle-ci) avait
donné tant de marques de son ambition, qu'un
peu de défiance était
pardonnable. »
LES
VISITATIONS DE
DIEU.
LETTRE
CONSOLATOIRE À MADAME DE SOUBISE (1)
Madame, je crois que ne doutez point combien
les
nouvelles que nous avons eues de la visitation et
affliction qu'il a plu à Dieu de vous
envoyer, et à nous aussi, nous ont
été ennuyeuses
(2).
Car,
après vous, il n'y a personne qui l'ait avec
occasion plus ressentie, pour être
l'amitié entre nous non point seulement
d'amis mais de frères, si elle ne peut
être meilleure ni plus grande. Je vous
prierai donc, Madame, croire que je voudrais que
nous fussions un peu plus près voisines, car
moi-même m'irais offrir et essayer à
vous servir et assister de tout ce qui serait en ma
puissance. Ce que je vous offre par cette lettre,
j'aimerais beaucoup mieux vous pouvoir dire et
montrer par effet que le vous écrire :
disposez donc de tout ce qui y est, pour en faire
comme du vôtre propre.
Je m'assure, Madame, que Dieu
vous
assiste de telle façon, et tant de gens de
bien, que vous pratiquez la doctrine que Dieu nous
donne, de telle sorte qu'en faites, votre profit en
cette affliction, et qu'après avoir senti la
force qu'a encore la chair sur nous, retournerez
à connaître que Dieu vous est
Père et qu'il visite ses enfants comme il
lui plaît, et qu'il ne faut point murmurer
contre lui, mais reconnaître que nous sommes
ses créatures, et nous mettre entre ses
mains, pour non seulement marchander à Dieu,
mais afin qu'il dispose de nous entièrement.
Et il est si bon et si sage qu'il
saura mieux ordonner de nous que
nous ne ferions nous-mêmes.
Je vous prierai, Madame, pour la
fin
de cette lettre, que l'amitié que nous nous
sommes portées du vivant de Monsieur de
Soubise ne diminue point ; car, de mon
côté, je me délibère de
vous faire paraître par tous moyens, et
à Mademoiselle de Parthenay, que celle que
j'avais à Monsieur de Soubise, je la veux
augmenter et remettre en vous deux. Je vous
présenterai en cet endroit mes bien humbles
recommandations à votre bonne grâce,
priant Dieu, Madame, vous donner son Saint-Esprit,
qui vous allège en vos afflictions.
De Châtillon, ce 12 de septembre (1566).
Votre obéissante et bien affectionnée amie à jamais,
Charlotte de Laval.
« Dame d'un génie
élevé et d'un grand
courage », écrit de Thou, parlant
de la soeur des Châtillon, Madeleine de
Mailly, mariée à seize ans, en 1528,
au comte Charles de Roye, qui mourut le 29 janvier
1552. Il ne faut pas craindre d'élever
celle-ci au rang des personnalités
historiques du XVIe siècle. Elle se signala
notamment en 1559 par son intervention en faveur
des Réformés. « Mme de
Roye, une de tes compatriotes, est une
véritable héroïne »,
écrivait François Morel à
Calvin. On l'impliqua dans le procès de son
gendre Condé. Arrêtée
brutalement et enfermée dans le
château de Saint-Germain-en-Laye, elle en
sortit après la mort de François II
et fut déclarée par le Parlement
« pure et innocente des cas à elle
imposés ». Elle mourut en 1567.
Parlons maintenant de ses deux nobles filles,
Éléonore et Charlotte de Roye.
La première naquit au château
de Châtillon-sur-Loing, le 24 février
1535. Elle avait seize ans
lorsqu'elle épousa, le 22 juin 1551, un
prince du sang, Louis de Bourbon, le premier des
Condé, « ce petit homme tant
joli », dit un des bouts-rimés
qu'on fit à sa louange, brave,
étourdi, d'humeur galante, qui, toute sa
vie, d'après Brantôme,
« aima, autant la femme d'autrui que la
sienne ». L'incorruptible sagesse, la
pureté et la constance
d'Éléonore ne contrastent pas peu
avec la légèreté incurable de
Condé. « Ses vertus privées
et ses qualités héroïques
étaient admirées de tous »
(duc d'Aumale). La hache guette Condé
emprisonné. Forte de sa tendresse,
l'épouse surmonte tout : fatigues,
humiliations, souffrances physiques, angoisses
morales. Les Guise l'abreuvent d'outrages, la
réduisent au désespoir, on la
désigne au fer des assassins ; rien ne
l'arrête, elle veut sauver celui qu'elle
aime. « Sans la grâce que Dieu me
fait de représenter devant mes yeux que
telles visitations viennent de sa main et que c'est
le signe dont il marque les siens, je ne sais que
je ferais. »
Tant d'émotions la tuèrent.
Elle s'éteignit le 23 juillet 1564, comme
une sainte, âgée de 29 ans. Ses
derniers entretiens avec sa mère eurent un
caractère solennel.
« C'étaient, atteste une de ses
familières, de divins dialogues sur la
grandeur de Dieu, sa sagesse, bonté et
miséricorde, sur l'enfer des consciences de
ceux qui n'ont point sa crainte, sur la
différence du pur et faux service, sur
l'assurance de l'âme fidèle, au point
de la mort... Je me sentirais bien
empêchée s'il fallait donner mon
jugement laquelle disait mieux. » Peu
avant sa fin, la princesse dit au pasteur
Pérussel : « Or sus, mon
père, c'est maintenant que Dieu me veut
avoir, dont je suis très
joyeuse. »
Ses écrits respirent la grâce.
Elle était bien parlante. Lisez ces deux
petits billets, et cette
prière, fragment du
testament qu'elle dicta à deux notaires, le
15 juillet 1564, huit jours avant sa mort.
ÉDITION : Comte Jules Delaborde, Éléonore de Roye, princesse de Condé, Paris, 1876, p. 34, 253, 258.
À CONSULTER : Jane Pannier, Éléonore de Roye, Paris, 1901. Duc d'Aumale, Histoire des Princes de Condé, Paris, 1885. I. Sur Madeleine de Mailly, cf. Jules Delaborde dans Bull. XXV.
« JE VOUS ENVOIE MA PEINTURE ».
À la duchesse de Nevers (3)
2 janvier 1559.
Madame ma soeur, je vous renvoie votre peintre, et, suivant la prière que m'avez faite, que j'estime commandement, je vous envoie ma peinture et toutes celles de mes enfants, que vous supplie accepter aussi agréable comme de grande, grande affection elles vous sont données, et que soyons si heures que d'être ramentus (4) souvent à votre grâce, et nous en faire la plus grande part, comme à ceux qui l'estiment et désirent plus, et qui n'ont volonté que de vous faire service ; m'assurant qu'au petit langage de mes enfants ils ne disent comme moi. Quant à votre neveu, il vous supplie lui bien garder sa femme (5), vous assurant que souvent il ramentoit sa beauté et l'affection qu'il lui porte. Voilà, excusez-moi si je parle de mes enfants ; ce qui m'en fait prendre la hardiesse, c'est que je crois que l'aurez agréable.
« AUX ÉCOUTES ».
Au maréchal de Montmorency,
25 mai 1564.
Depuis la dernière (lettre) que vous m'envoyâtes, je suis encore une fois tombée en telle extrémité, qu'elle n'a rien été moindre, mais beaucoup plus dangereuse que la première. Toutefois, depuis mon flux de sang s'est cessé, mais non pas que nous soyons bien assurés qu'il soit du tout arrêté et ne me reprenne plus. Ainsi me voilà toujours aux écoutes, attendant à ce qu'il plaira à Dieu m'envoyer et en déterminer.
PRIÈRE.
Je te supplie, mon bon Dieu, que, quand il te
plaira me délivrer des misères et
langueurs de cette vie et tirer mon âme de la
prison de ce corps où elle est
enfermée pour quelque temps, que par ta
bonté et miséricorde tu la veuilles
recevoir entre tes mains et la mettre en la
possession et jouissance de la
félicité que ton Fils nous a acquise
par sa mort et passion, et par ce moyen assurer la
ferme foi, que tu nous as donnée par tes
promesses et scellée tant par le
baptême que par ta sainte Cène, de la
rémission générale de nos
péchés, lesquels nous croyons
être tellement effacés par le sang et
obéissance de ton Fils, qu'ils ne viendront
jamais en compte devant toi.
Je te recommande en après nos
enfants, te requérant que,
suivant ta promesse, tu leur sois Dieu, Père
et protecteur, et que, étendant ta
bénédiction sur eux, il te plaise les
illuminer et dresser en la connaissance et en la
crainte de ton saint nom, et te servir d'eux, comme
tu as, fait du père, à exalter ta
gloire, à procurer et conserver le repos de
ton Église et en arracher tout ce que tu n'y
as point planté. Fais-les, par ta
bonté spéciale, instruments et
vaisseaux de ta gloire, et les remplis de tes
grâces, leur commandant, par
l'autorité que tu m'as donnée sur
eux, qu'ils vouent et dédient toute leur vie
à ton service et celui de ton Église.
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