« Les nobles filles de
Soubise », dont parle Marot,
étaient trois, et firent l'admiration de
leurs contemporains. L'aînée, Anne,
naquit vers 1510. Son père était
seigneur de Soubise, de cette noble maison de
Lusignan-Parthenay qui, au temps des croisades,
avait donné des rois à Chypre et
à Jérusalem ; sa mère,
Michelle de Saubone était dame d'atours de
la reine Anne de Bretagne et gouvernante de
Renée de France. Anne fut
élevée avec la future duchesse de
Ferrare, et c'est à la cour de Ferrare
qu'elle épousa, en 1533, Antoine de Pons,
comte de Marennes. Après son mariage, Anne,
qui, dès la plus tendre jeunesse, avait
reçu de sa mère secrète
connaissance de la foi évangélique,
prit résolument parti et abandonna
l'Église romaine.
Sa culture fut celle, exquise, d'un esprit
puisant à toutes les sources ouvertes par la
renaissance des lettres antiques. Humaniste
dévote, lisant couramment latin et grec,
théologienne rivalisant avec les plus
doctes, musicienne et amie de la poésie dont
elle savait apprécier tous les rythmes, elle
exerçait l'ascendant d'un
esprit supérieur et, notons-le, d'une
ravissante beauté blonde. Elle mourut d'un
cancer à trente-neuf ans. Il ne nous reste
d'elle qu'une charmante lettre à son mari,
alors en mission à la cour de France.
ÉDITION : Bulletin, XXVI, 1877, p. 9.
À CONSULTER : Haag, France protestante, VI, p. 340. Jules Bonnet, dans Bull. XV, XXI, XXIII, XXIX. J. Pannier, dans Études théologiques et religieuses, mars-avril 1929.
LETTRE D'AMOUR.
Mon amour, ainsi que nous étions sur la
fin de cette dépêche, nous avons
reçu deux paquets, où il y avait en
chacun deux lettres de toi, les plus fraîches
du premier de ce mois. Vraiment, mon ami, tu
montres bien que tu es diligent, et que tu as
souvenance de moi ; aussi est-ce toute la joie
que j'ai en ce monde. Ne t'en lasse pas, mon coeur,
car je n'ai autre confort et ne puis avoir
meilleure médecine à tous mes maux.
Je ne t'y ferai plus longue réponse, pour ce
que nous ne voulons plus retenir ce porteur,
combien qu'il a encore la fièvre ; mais
il dit qu'il ne lairra (laissera) pas d'aller. J'ai
grand peur qu'il mettra lui et tout ce qu'il porte
en danger... Le Seigneur veuille tout conduire
à son honneur, et fais-m'en le plus
tôt que tu pourras entendre comment tout aura
passé, car j'aurais toujours travail
d'esprit...
(1).
Mon coeur, mon ami, je ne puis trouver
fin à mes propos. Si (pourtant) finirai-je
la présente pour te dire que je suis, Dieu
merci, relevée, et pour achever de guérir mon
estomac, je délibère de m'en aller
tous les matins à l'ébat avec M. de
Logerie, puisque Monsieur (le duc) ne nous veut
laisser sortir de cage. Madame (la duchesse) dit
qu'elle sera de la partie. Dieu sait comment il en
ira.
N'oublie à me mander comment tu
veux qu'on appelle le petit dernier né.
Conseille-t'en par delà et m'en avertis. Tu
sais bien que c'est le petit prédicateur.
Dieu, par sa grâce, le fasse tel qu'il puisse
être appelé son serviteur, et à
nous la joie de le voir et de nous revoir
bientôt ! Cependant, je me recommande
toujours très humblement à votre
bonne grâce, et supplie à Notre
Seigneur vous ramener bientôt et en bonne
santé.
De Ferrare, ce XVIII de juillet (1539)
Votre humble et très obéissante
femme et amie,
ton coeur.
La plus grande. C'est incontestable,
elle
tient le premier rang des héroïnes de
la Réforme française. Reine, femme,
chrétienne, tout en elle commande
l'admiration.
La fille de Marguerite d'Angoulème et
de Henri d'Albret naquit à
Saint-Germain-en-Laye, le 16 novembre 1528, et
mourut à Paris, le 9 juin 1572. À
vingt ans, lorsqu'elle épousa le duc de
Vendôme, Antoine de Bourbon, on disait de
Jeanne qu'elle était une des plus belles
princesses de l'Europe, avec sa taille haute, ses
cheveux blonds tirant sur le roux, sa bouche fine,
ses yeux un peu en amande. Elle aimait les
divertissements, les danses, autant,
paraît-il, qu'un sermon. Elle joutait
à coups de sonnets avec Joachim du Bellay.
Elle succéda à son père comme
reine de Navarre en 1555 et fit
« publique profession de la pure
doctrine » en 1560.
« Sauf Sébastien
Castellion, nul penseur n'eut, au XVIe
siècle, la vision aussi nette des droits de
la conscience ; sauf l'amiral Coligny, nul
homme d'État n'eut la volonté aussi
ferme d'accorder aux sujets la liberté de
conscience et de culte... Sur ce
point, Jeanne d'Albret a dépassé ses
conseillers, si souvent écoutés en
d'autres occasions, Calvin et
Bèze » (Jacques Pannier).
Elle réussit à établir le protestantisme en Béarn sans verser le sang. Elle fut la première souveraine à proclamer dans ses États, avec la liberté de conscience et de culte, l'égalité de tous devant les lois, l'obligation de l'instruction primaire pour les garçons et pour les filles. Cette femme de génie devint l'âme même de « la Cause » et joua le rôle de « berger du grand troupeau », dont son mari s'était montré indigne. Une volontaire. Une intellectuelle. Artiste, poète, elle encouragea les lettres. Il y aurait une étude à faire sur Jeanne d'Albret considérée au point de vue littéraire. La plupart de ses poésies sont perdues, et nous n'avons pas une édition complète de sa correspondance. Son talent, moins connu que celui de sa mère, est cependant réel. Le lecteur attentif va pouvoir en juger.
ÉDITION : Rochambeau, Lettres d'Antoine de Bourbon et de Jeanne d'Albret, 1877, p. 242. Lettre d'un Cardinal envoyée à la Royne de Navarre... 1563, p. 18. A. de Ruble, Mémoires et Poésies de Jeanne d'Albret, Paris, 1893, p. 88. N. de Bordenave, Histoire de Béarn et Navarre, Paris, 1873, p. 162. Rochambeau, Lettres... p. 306, 343, 348.
À CONSULTER : Muret, Histoire de Jehanne d'Albret, 1862. A. de Ruble, Le mariage de Jeanne d'Albret, 1877 ; Antoine de Bourbon et Jeanne d'Albret, 1881-1886 ; Jeanne d'Albret et la guerre civile, 1897. H. Strohl, op. cit., 1926. A. B. Vienney, Jeanne d'Albret, Paris, 1928. Jacques Pannier, dans Bull. LXXVII, 1928.
À UNE MÈRE, Mme DE LANGEY, DONT LA FILLE REFUSAIT D'ALLER A LA MESSE.
Octobre 1561.
... Quant à l'offense que vous me mandez
que votre fille vous a faite d'avoir refusé
vous aller accompagner à
la messe, il me semble que vous devriez
plutôt louer cet acte que le blâmer, vu
que je crois que vous avez été si
bien instruite en la connaissance de la
vérité que vous savez bien que
l'obéissance des pères et des
mères ne s'étend point de faire pour
eux contre Dieu ce que la conscience juge ; ce
qui me fait ébahir que pour cela vous lui
ayez usé de si étrange façon
que porte même votre lettre. Et quant
à suivre en cela la volonté de feu
Monsieur de Langey, je sais qu'il connaissait trop
Dieu pour trouver bon de contraindre une conscience
... ; et de ma part, je crois que vous savez
que j'ai personne à qui obéir, mais,
si mon Dieu m'avait affligée jusques
à leur permettre de me vouloir contraindre
d'y assister (à la messe), j'endurerais
plutôt la mort que d'obéir
plutôt à la créature qu'au
Créateur.
Qui me fait vous prier, ma cousine,
vouloir ôter la haine que portez à
votre fille, et la tenir en l'honnête
liberté que je m'assure qu'elle
désire, et réponds pour elle qu'elle
vous obéira, servira comme fille
obéissante et craignant Dieu doit faire,
hormis ce qui sera contre Dieu même, et la
laissant vivre en la Religion, vivrez contente, et
elle aussi.
Novembre 1561.
Ma cousine, je suis fort aise que vous trouvez bon que votre fille soit avec moi. Je vous prie me l'envoyer bientôt et en équipage que sa maison mérite, avec robes et brodures (2) selon que savez qu'il faut, ayant été vous-même mariée chez nous...
« SUR
LA
RÉFORMATION QUE j'AI
COMMENCÉE. »
RÉPONSE
AU CARDINAL D'ARMAGNAC
Août 1563.
Mon cousin, ... Quant au premier point, sur la
Réformation que j'ai commencée
à Pau et Lescar (et que) j'ai
délibéré continuer, par la
grâce de Dieu, en toute ma
souveraineté de Béarn, je l'ai
apprise par la Bible que je lis, plus que les
docteurs, au livre des Rois d'Israël, formant
mon patron sur le roi Josias, afin qu'il ne me soit
reproché, comme aux autres rois
d'Israël, que j'ai servi à Dieu, mais
que j'ai laissé les hauts lieux.
Quant à la ruine forgée
par mes mauvais conseillers, et sous
prétexte de religion, je n'ai point
été tant délaissée de
Dieu, ni d'amis, que je n'aie élu personnes
dignes auprès de moi, qui non seulement ont
prétexte de religion, mais le vrai
effet ; car tel le chef, tels les membres, et
n'ai point entrepris de planter nouvelle religion
en mes pays, sinon y restaurer les ruines de
l'ancienne (celle de l'Église primitive).
Par quoi je m'assure de l'heureux
succès, et vois bien, mon cousin, que vous
êtes mal informé, tant de la
réponse de mes États que de la
condition de mes sujets. Lesdits États m'ont
prêté obéissance pour la
Religion... Mes sujets, tant ecclésiastiques
que nobles et rustiques, sans qu'entre tant j'en
aie trouvé de rebelles, m'ont offert, en
continuant tous les jours la même
obéissance, vrai opposite de
rébellion ; je ne fais rien par
force : il n'y a mort, emprisonnement ou
condamnation, qui sont les nerfs de la
force...
... Et me faites rougir de honte pour
vous, quand vous alléguez tant
d'exécrations, que dites avoir
été faites par ceux de notre
Religion. Ôtez la poutre de votre oeil, pour
voir le fétu de votre
prochain, nettoyez la terre du
sang juste, que les vôtres ont épandu,
témoin ce que vous savez que je sais. Et
d'où sont venues les premières
séditions ?...
Je connais bien par la description que
vous faites de nos ministres, que vous ne les avez
hantés, ouïs, ni connus ; car ils
ne prêchent rien plus que l'obéissance
des princes, la patience et l'humilité,
suivant l'exemple de leurs patrons les martyrs et
apôtres.
« COMBATS AU DEHORS, TOURMENTS AU DEDANS. »
Le départ pour la Rochelle en 1568 (3).
Je pris loisir d'entrer jusques au
plus profond
cabinet de ma conscience, et cuidant penser au
repos qui m'avait été
présenté me vinrent au devant les
ennuis et fâcheries que j'avais eus durant le
pénultième trouble. Car quel bon
somme pouvais-je faire, m'arrivant à mon
coucher la nouvelle des massacres de mes
frères ? je sais qu'ici les
frères d'iniquité se moqueront, comme
est leur coutume, de ce mot de frères, mais
Dieu sera leur juge et le mien. Je reviendrai donc
au réveil de ce triste somme. Toutes les
commodités et beautés de mes maisons,
de quoi me servaient-elles que de
représenter l'incommodité de tant de
pauvres bannis des leurs, qui, vagabonds par ci par
là, étaient à mendier ce dont
ils souloient (avaient coutume) départir aux
autres. J'avais le coeur transi mille fois le jour,
sachant les nôtres aux dangers infinis
qu'apporte une cruelle guerre, et même ayant
des parents si proches et des amis si chers. Et
parce que cette affliction de toute l'Église
a dégoutté sur moi,
comme membre d'icelle, par un échantillon de
guerre civile en mes pays souverains, il m'a
semblé, venant à la
considérer, que Dieu me montrait par
là que ceux qui se cuideraient exempter par
quelques prudents moyens de sa main, qu'elle est si
longue que tout homme peut dire avec le psalmiste -
« Où irai-je hors de devant ta
face ? Au ciel, en terre, aux
abîmes ? Tu y es. La nuit de ma prudence
ne me couvrira point. » Je jugeai donc
par là que c'était chose incompatible
que la patience de ces choses-là chez moi
avec la charité, qui nous appelle à
tout secours, même vers les domestiques de la
foi. Et me semblait bien que les plaindre par une
pitié seulement n'était assez, et
qu'il fallait mettre la main à la
pâte.
Ce qui incitait plus ma conscience
était mon fils, le voyant déjà
grand, et sinon pour porter les armes, au moins
pour devoir être à l'école
militaire. Je vous dirai que ce scrupule ne m'a
jamais laissée en repos, que je ne l'aie
rendu où il est par la grâce de Dieu,
Durant ces discours en mon esprit, je n'eus pas
seulement à combattre les ennemis
étrangers, j'eus la guerre en mes
entrailles. Ma volonté propre se bandait
contre moi-même. La chair m'assaillait et
l'esprit me défendait. Si une heure j'avais
du meilleur, à l'autre j'avais du pire.
Bref, parce que ce sont passions malaisées
à décrire et qui ne se peuvent juger
qu'au sentiment, je prierai ceux qui ont
passé par là et de qui le coeur a
été éprouvé comme l'or
en la fournaise, s'amuser plutôt à
imaginer mon tourment qu'à le lire, et
croire que Satan, ennemi ancien, qui a par sa
vieille expérience, appris les arts plus
parfaitement que nul homme, n'oublia la grave
rhétorique, la persuasive éloquence,
la douce flatterie ni la fardée menterie
pour venir à bout de ses desseins. Et avait
bien su choisir les instruments propres pour les
exécuter.
Et même, les sentant faibles
contre moi, était entré jusques aux
tentations de l'âme, et avait gagné la
moitié de mes volontés pour vaincre
l'autre. Toutefois, je suis demeurée enfin
victorieuse par la grâce de mon Dieu.
« MON DIEU, MON ROI ET MON SANG. »
À Catherine de Médicis.
De Bergerac, 16 septembre 1568.
Je vous supplie très humblement, Madame,
croire que du seul sujet qui nous mène, nous
tous de la Religion réformée, ne peut
sortir qu'une même façon de
plainte ; et d'une race si illustre que celle
de Bourbon, tige de la fleur de lys, rien n'en peut
venir que fidélité.
Voilà, Madame, les trois points
qui m'ont amenée : le service de mon
Dieu, voyant que le cardinal (de Lorraine) et ses
complices, comme la chose est trop claire, veulent
raser de la terre tous ceux qui font profession de
la vraie religion ; le second, le service de
mon roi, pour employer vie et biens à ce que
l'édit de pacification puisse être
observé selon sa volonté, et notre
patrie, cette France, mère et nourrice de
tant de gens de bien, ne puisse être tarie
pour laisser mourir ses enfants ; et le sang
qui, comme je vous ai dit, Madame, nous appelle
à aller offrir tout secours et aide à
Monsieur le Prince, mon frère, que nous
voyons évidemment chassé et poursuivi
contre la volonté du roi, qui lui en a tant
promis d'assurances, par la malignité de
ceux qui ont déjà trop
possédé la place qui ne leur
appartient auprès de notre roi et vous, et
qui ferment vos yeux pour ne voir leurs
méchancetés et bouchent vos oreilles
pour n'ouïr nos plaintes.
De La Rochelle, 17 décembre 1570.
... Je ne me pourrai jamais persuader, - vu que l'honneur que j'ai eu d'avoir été près de Votre Majesté m'a appris quelque chose de votre naturel, - que vous voulussiez que nous fussions réduits à n'avoir point de Religion... Nous y mourrons tous plutôt que quitter notre Dieu et notre Religion, laquelle nous ne pouvons tenir sans exercice, non plus qu'un corps ne saurait vivre sans boire et manger... Qu'il vous plaise faire la paix. Je vous en ai dit le seul moyen ; ayez pitié de tant de sang répandu, de tant d'impiétés commises... Vous cuidez, Madame, peut-être, que nous ayons usé de la ruse de ceux qui... demandent beaucoup pour en retrancher en négociant jusqu'à but qu'ils se sont proposé. Je vous supplie très humblement, Madame, croire que les affaires de l'âme ne se mènent pas comme celles du corps, car il n'y a qu'un salut qui n'a point de divers moyens ; par quoi ce que nous vous avons proposé est ce que nous pouvons et rien de plus ni moins. Je vous supplie très humblement y bien penser ; je m'assure que, s'il vous plaît, vous le pouvez...
À son fils.
1572.
Mon fils, étant en peine de votre
maladie, je vous ai dépêché ce
porteur en poste, pour vous prier incontinent m'en
redépécher un autre. Au reste, Madame
(4) me
fait tant
d'honneur et bonne chère (bon visage) que
cela me donne bonne espérance de votre
contentement. Je vous prie
regarder à trois choses
d'accommoder votre grâce, de parler
hardiment, et même en lieux où vous
serez appelé à part car notez que
vous imprimerez à votre arrivée
l'opinion que l'on aura de vous ci après.
Accoutumez vos cheveux à se relever... Votre
soeur a une bien fâcheuse toux et garde
encore le lit : elle boit du lait
d'ânesse et appelle le petit ânon son
frère de lait. Voilà ce que je vous
puis raconter.
De par votre bonne mère et
meilleure amie, Jehanne.
À M. de Beauvoir,
gouverneur de Henri de Navarre.
11 mars 1572.
... Je suis bien aise aussi de quoi vous vous
contentez de mon fils. Surtout, tenez la main qu'il
persiste en la piété, car on ne le
croit pas ici, et dit-on que l'on s'assure qu'il
ira à la messe, et que, pour lui, il n'en
fera pas la difficulté que je fais... La
reine m'a presque voulu confirmer ce que Brodeau
m'avait dit de vous, disant que vous lui avez
baillé des espérances de même,
pour faire épouser mon fils à la
messe, par procureur. Je lui dis -
« Madame, j'ai grand-peine (à
croire) que M. de Beauvoir vous ait dit cela, car
lui-même me dit qu'il vous avait
assuré que cela ne se pouvait
faire. » Elle me dit :
« Il m'a donc dit qu'il le vous
dirait. » - « je crois que non,
Madame », lui dis-je. À la fin se
voyant pressée, et que je ne la croyais
pas : « Il m'a donc dit quelque
chose, je crois bien qu'oui, Madame, mais c'est
quelque chose qui n'approche point de
cela. » Elle se prit à rire, car
notez qu'elle ne parle à moi qu'en
badinant... Quant à la beauté de
Madame, j'avoue qu'elle est de belle taille,
mais aussi elle se serre
extrêmement ; quant au visage, c'est
avec tant d'aide, que cela me fâche, car elle
s'en gâtera, mais, en cette cour, le fard est
presque commun comme en Espagne. Vous ne sauriez
croire comme ma fille est jolie parmi cette cour,
car chacun l'assaut en sa religion ; elle leur
fait tête et ne se rend nullement. Tout le
monde l'aime.
... Monsieur de Beauvoir, pour le fonds
de ma lettre, je vous prie, plaignez-moi pour
être la plus travaillée personne du
monde. Car, comme vous m'écrivez, je suis
assaillie étrangement d'ennemis et d'amis,
et ne suis assistée de guère de
gens... Je vous recommande mon fils...
Je vous dirai encore que je
m'ébahis comme je peux porter les traverses
que j'ai : car l'on me gratte, l'on me pique,
l'on me flatte, l'on me brave, l'on me veut tirer
les vers du nez, sans se laisser aller ; bref,
je n'ai que Martin seul qui marche droit, encore
qu'il ait la goutte.
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