Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

MARGUERITE D'ANGOULÈME

1492-1549

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 Elle a quelque chose du plus pur mysticisme médiéval. Rapprochez le morceau Celui qui est et celle qui n'est pas, d'une page de sainte Catherine de Sienne, que nous avons donnée, sous le même titre, au premier volume du Miroir des Dames Chrétiennes, p. 275-6.

Elle partageait les idées évangéliques de Lefèvre d'Etaples et protégèrent les Réformés. Grande humaniste, l'un des esprits les plus brillants de son siècle. Âme des plus charitables : le premier hôpital d'enfants fondé à Paris est son oeuvre. Une femme accomplie, « la Marguerite - la perle des princesses ».

Née le 11 avril 1492, mariée en 1509 au duc d'Alençon, veuve en 1525, remariée en 1527 à Henri d'Albret, roi de Navarre, elle mourut le 21 décembre 1549, en prononçant Le nom de Jésus.

Elle a beaucoup écrit. Elle composait le plus souvent dans sa litière « en allant par pays ». Il y a dans ses oeuvres, très diverses d'apparence, le souci constant de tirer une saine moralité. Oui, dans l'Heptaméron même - des contes à l'imitation de Boccace - où les aventures sont parfois si scabreuses. Une partie considérable de ses poésies est restée inconnue jusqu'en 1896. L'âme mystique de Marguerite s'y révèle tout entière. « Elle a fait entendre avant Ronsard, avant Racine, avant Lamartine, les premiers accents de la poésie religieuse... Parmi les femmes de lettres elle a peu d'égales. » (Pierre Jourda).

 ÉDITIONS : A.-L. Herminjard, Correspondance des Réformateurs, Genève, Paris, 1866, 1, Appendice, p. 475. Les dernières poésies de la reine de Navarre, éd. Abel Lefranc, Paris, 1896, p. 235, 203, 332, 340, 312

 À CONSULTER : M. J. Darmesteter (Mme Mary Duclaux), Marguerite d'Angoulême, Paris, 1900. A. Lefranc, Les idées religieuses de Marguerite de Navarre d'après son oeuvre poétique, Paris, 1897 ; Marguerite de Navarre et le Platonisme de la Renaissance, Paris, 1899. H. Strohl, De Marguerite de Navarre à Louise Scheppler, Strasbourg, 1926. Pierre Jourda, Marguerite d'Angoulème, Paris, 1930.



 DÉSIR D'UNE RÉFORME.


 À Guillaume Briçonnet,

 Au commencement de juillet 1521.

 Celui qui m'a faite participante de sa Parole par vos écritures me fasse la grâce de si bien les entendre et m'y conformer, que ce soit à sa louange et à la consolation que désirez du fruit de mon amendement, et Vous veuille rendre charité pour charité, selon sa libéralité... Je vous prie que par écrit veuillez visiter et exciter à l'amour de Dieu mon coeur, pour lui faire à la fin chanter : Benedictus Dominus !... Vous soit donnée Sa paix éternelle, après les longues guerres que portez pour la foi et l'amour de Dieu, En laquelle bataille désire mourir en votre bande.

 La toute votre fille, Marguerite.

 

LE LIVRE SAINT.
 

 O Livre écrit de la divine main,

Manne très douce et nécessaire pain,
Sans lequel est notre âme pis que morte,
Bien heureux est qui en la main te porte
Et en son sein comme un trésor te garde,
Et plus heureux qui te lit et regarde
Et par plaisir aveques toi confère ;
Mais très heureux celui qui te préfère
A tous les biens que le monde lui donne,
Lesquels pour toi sans regret abandonne.



CELUI QUI EST ET CELLE QUI N'EST PAS.

« Je suis qui suis qu'oeil vivant ne peut voir »
Cette voix-là, cette parole vive,
Où notre chair ne connaît fond ni rive,
Me prit, tua et changea si soudain
Que je perdis mon cuyder (1) faux et vain.
Car, en disant - « je suis qui suis, », tel Maître
M'apprit alors lequel était mon être,
S'il est qui Est, hors de lui je ne puis
Dire de moi sinon que je ne suis.
Si rien ne suis, las ! où est ma fiance,
Vertu, bonté et droite conscience ?
Or suis-je rien s'il est Celui qui Est ?
Voilà comment quelquefois j'étais prêt
De me vouloir aveques lui débattre.
Mais Vérité qui sait cuyder abattre,
Disant : « je suis » le mit à la renverse,
Comme avait fait la cohorte perverse.
Ce mot : « Je suis qui parle aveques toi »
Gagna le coeur par amour et par foi
De celle-là qui ne le voulut croire,
Ni aussi put donner de l'eau à boire
Mais quand ce mot en son coeur fit sentir
Lui engendra un ferme repentir.
Moi, travaillant à ce très profond puits
De trop savoir, oyant dire : « Je suis »,
Et ensuivant cette Samaritaine,
Laissai mon seau aveques la fontaine,
Où tous les jours ne faisais que puiser
Et ne pouvais ma soif amenuiser ;
Quand ce mot-là dans mon coeur fut venu,
Le Messias au vrai y fut connu,
Et d'autre part mon péché clairement,



« CHANSONS SPIRITUELLES »

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Seigneur, qui connais qui je suis,
Je n'ai voix pour à toi crier,
Ni parole trouver ne puis,
Qui soit digne de te prier.
Toi-même, Sire,
Te plaise dire
À toi ce que dire je doi,
Parle, prie et réponds pour moi.
 
Cette belle fleur de jeunesse
Devient flétrie en la vieillesse,
Malgré le fard et l'embaumer
Tout a passé, fors Dieu aimer.
 
La terre et les cieux si très beaux
Passeront pour être nouveaux
Quand Dieu voudra tout reformer
Tout se passe, fors Dieu aimer.
Puisque ça bas rien ferme n'est,
Courons à Celui seul qui Est,
Pour tous à lui nous conformer
Tout se passe, fors Dieu aimer.
 
Qui Dieu aime parfaitement,
L'aimera éternellement ; Viens,
Seigneur, ton feu allumer
Tout se passe, fors Dieu aimer.
 
Si Dieu m'a pour chef Christ donné,
Faut-il que je suive autre maître ?
S'il m'a le pain vif ordonné,
Faut-il du pain de mort repaître ?
S'il me veut sauver par sa dextre,
Faut-il en mon bras me fier ?
S'il est mon salut et mon être,
Point n'en faut d'autre édifier.
 
S'il est mon sûr et seul espoir,
Faut-il avoir autre espérance ?
S'il est ma force et mon pouvoir,
Faut-il prendre ailleurs assurance
Et s'il est ma persévérance,
Faut-il louer ma fermeté ?
Et pour une belle apparence
Faut-il laisser la sûreté ?
 
Si ma vie est en Jésus-Christ,
La faut-il croire en cette cendre ? (2)
S'il m'a donné son saint Ecrit,
Faut-il autre doctrine prendre ?
Si tel Maître me daigne apprendre,
Faut-il à autre école aller ?
S'il me fait son vouloir entendre,
Faut-il par crainte le celer ?
 
Si Dieu me donne son enfant,
Faut-il craindre à l'appeler Père ?
Si le monde me le défend,
Faut-il qu'à son mal je tempère ?
Si son Esprit en moi opère,
Faut-il son ouvrage estimer
Non, mais Dieu, qui partout impère,
Faut en tout voir, craindre et aimer.




RENÉE DE FRANCE

DUCHESSE DE FERRARE

1510-1575


 « Si quelqu'un veut voir dans une femme héroïque, a écrit le Tasse, non seulement la vertu de l'action, mais encore celle de la contemplation, qu'il se souvienne de Renée de Ferrare. »

Née à Blois, le 25 octobre 1510, elle était fille du roi Louis XII, « le Père du peuple », et d'Anne de Bretagne. Pas un laideron, mais mal faite ; agréable avec ses yeux bridés et son menton pointu, mais disgraciée de corps. Intelligente, un esprit tout de feu, entêtée de ses idées, indépendante. Elle reçut, dit-on, dès l'enfance, les enseignements de Lefèvre d'Etaples. La voilà devenue la plus savante fille du monde, capable de discourir fort hautement de théologie. Marguerite d'Angoulême exerça sur elle une influence religieuse profonde. Mariée en 1527 - mal mariée - par François 1er, son beau-frère, avec Hercule d'Este, fils du duc de Ferrare et de Lucrèce Borgia, elle fut, en Italie, l'ange tutélaire des écrivains français inquiétés pour leurs opinions religieuses, et se fit la catéchumène de Calvin réfugié à la cour de Ferrare.

Veuve en 1559, Renée se retira dans sa seigneurie de Montargis, où, décidément conquise aux idées nouvelles, elle révéla l'esprit de la résistance protestante, et prodigua la plus noble hospitalité, faisant de son château un « Hostel-Dieu », fondant un collège. La Saint-Barthélemy. L'assassinat de Coligny, qui était, depuis la mort de Calvin, son meilleur ami et conseiller - assassinat consommé par Henri de Guise, le propre petit-fils de Renée - fut pour la duchesse un coup fatal. Elle mourut le 15 juin 1575.

 ÉDITION : E. Rodocanachi, Une protectrice de la Réforme en Italie et en France : Renée de France, duchesse de Ferrare, Paris, 1896, p. 547.

 À CONSULTER : B. Fontana, Renata di Francia, Rome, 1889-1893. J. Bonnet, dans Bull. XV, XVIII, XXI, XXVII, XXXVIII, XXXIX, Jacques Pannier, dans Études théologiques et religieuses, mars-avril 1929.



LES QUATRE POINTS DE SON CREDO.

 ... Et parce que nous voyons, à notre grand regret la Parole de Dieu peu estimée entre plusieurs... nous avons bien voulu faire cette déclaration de notre foi et Religion en laquelle, moyennant l'aide de Dieu, voulons vivre et mourir, et que nous pouvons réduire en quatre points qui comprennent le sommaire de l'Écriture.

Premièrement, nous tenons que nous sommes sauvés par foi, non par nos oeuvres, ainsi qu'Abraham, qui a été le Père des croyants. Cette foi n'est point une qualité ou oeuvre humaine, ains (mais) est un instrument donné et inspiré de Dieu pour connaître, goûter et posséder les grâces et bonté de Dieu, qui nous est offerte en la personne du Christ et ratifiée en sa mort et passion, et qui nous assure que Dieu est en essence et considéré en trois personnes : non seulement est notre Créateur, mais aussi Rédempteur en la personne de son Fils, lequel étant mort, ressuscité et monté au ciel pour nous envoyer d'en haut, le consolateur, son Saint-Esprit, et de là-haut régit et gouverne son Église à laquelle il a donné promesse de la rémission des péchés, résurrection de la chair et de la vie éternelle. Voilà le sommaire de la foi, contenu au Symbole des apôtres.

Secondement, nous tenons que Jésus-Christ nous ayant délivrés de la malédiction de la loi et des cérémonies judaïques, ne nous a pas exemptés de l'observation de la loi morale qui consiste aux dix commandements, lesquels nous doivent être devant les yeux pour nous apprendre à obéir à Dieu, à faire pénitence de nos oeuvres mauvaises, à montrer que notre foi est vive et opérante par la charité. Car le Sommaire de la loi est que nous aimions notre Dieu de tout notre coeur et notre prochain comme nous-mêmes, et quiconque, dit saint Jean, dit qu'il aime Dieu et n'aime point son frère est menteur...

Mais pour ce que nos oeuvres sont toujours imparfaites, nous n'y mettons pas notre espérance ; au contraire, nous tenons pour le troisième point qu'il est besoin de prier Dieu souvent qu'il nous soit propice et nous pardonne nos défauts, car c'est lui, dit David et Esaïe, qui fait nos péchés blancs comme neige, quand ils sont tout sales et noirs. C'est lui bref seul duquel nous avons promesse ; voilà pourquoi nous l'invoquons tant, et puisque toutes choses que nous lui demandons au nom de Jésus-Christ nous sont promises, il s'en suit que rien ne nous est donné au nom des créatures qui tiennent toute leur béatitude de la grâce de Dieu comme nous : « Venez à moi, dit Jésus-Christ, vous qui êtes chargés, je donnerai repos à vos âmes. »

Finalement et pour le quatrième point, nous tenons que Dieu, considérant notre infirmité, et combien il nous est malaisé de comprendre les choses célestes et spirituelles, a institué des signes visibles pour nous ratifier et sceller ses promesses et plus familièrement représenter les choses spirituelles. Mais d'autant que Jésus nous a délivrés du grand nombre des cérémonies et nous a donné un joug plus aisé, nous reconnaissons en l'Église chrétienne, pour sacrements ordonnés du Christ, seulement le baptême par lequel nous sommes visiblement introduits en l'Église et admonestés de la rémission de nos péchés et de notre régénération, et aussi la sainte Cène qui est la nourriture de ceux qui ont déjà profité en l'Église...

Voilà les principaux points sous lesquels sont compris tous les enseignements que nous donne l'Écriture sainte, et ayant cette foi nous nous consolons contre toutes afflictions et contre la mort même...


(1) Penser.

(2) Ce corps.
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