Jésus leur répondit : L'heure est venue où le fils de l'homme doit être glorifié. En vérité, en vérité je vous le dis, si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt, il reste seul ; mais s'il meurt, il porte beaucoup de fruit. Celui qui aime sa vie la perdra et celui qui hait sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle. Si quelqu'un me sert qu'il me suive ; et là où je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu'un me sert, le Père l'honorera. Maintenant mon âme est troublée. Et que dirai-je ?... Père, délivre-moi de cette heure !... Mais c'est pour cela que je suis venu jusqu'à cette heure. Père, glorifie ton nom ! Jean XII, 23-28.
Au berceau de Jésus, des mages d'Orient
étaient venus apporter l'adoration
anticipée du monde païen. Au moment
où le Seigneur approche de sa fin, des Grecs
viennent à lui comme si, par leur main, ce
même monde païen frappait à la
porte du royaume de Dieu. Les Grecs étaient
des prosélytes, accourus à
Jérusalem pour adorer. Il y avait un peu
partout, à ce moment-là de
l'histoire, des païens que leurs mythologies
dégoûtaient, que les fables faisaient
sourire et que le culte juif attirait parce qu'il
répondait à des besoins de conscience
inassouvis. Plusieurs d'entre eux accompagnaient
les Juifs pour célébrer les grandes
fêtes à Jérusalem. Dans le
temple un parvis leur était
réservé, précisément
celui que Jésus avait rendu à son
usage en en chassant les vendeurs et les changeurs
qui l'avaient envahi.
Ces Grecs ont entendu parler de
Jésus; peut-être ont-ils
assisté à l'entrée à
Jérusalem. Ils brûlent
du désir de s'entretenir
avec lui. Nous ne connaissons de cet entretien que
le discours de Jésus qui est la
réponse à la demande des Grecs. On
peut supposer que ceux-ci ont offert au Seigneur de
passer en Grèce. À Jérusalem,
Jésus est exposé à la haine
des principaux ; chacun savait que le
Sanhédrin préparait sa mort ;
au-delà de la frontière dans le pays
de la civilisation raffinée, Jésus
sera parfaitement tranquille, il pourra enseigner
sans empêchement. Ce qui laisse croire qu'une
proposition semblable a pu être faite, c'est
qu'Eusèbe, l'historien, a conservé le
souvenir d'une ambassade envoyée à
Jésus par le roi Actorus V d'Edesse, en
Syrie, pour l'inviter à venir enseigner chez
lui.
Jésus est profondément
ému de la démarche des Grecs, il sent
qu'il approche du moment décisif de sa vie
terrestre. « L'heure est venue,
s'écrie-t-il, où le Fils de l'homme
doit être glorifié. » Une
heure spéciale est venue, prévue
depuis toujours par Dieu pour le monde et pour
Jésus lui-même. C'est l'heure
où pour se multiplier le grain de blé
doit tomber en terre et mourir.
Supposons un instant que toutes les
céréales aient disparu par une
brusque maladie : cryptogamique et qu'il ne
restât plus au monde qu'un seul grain de
blé. On décide de le conserver
précieusement dans un musée. À
l'égal d'une perle de prix on l'enferme dans
un écrin. On accourt de loin pour contempler
ce dernier vestige des moissons passées.
Mais voilà que survient un laboureur ;
il reproche aux savants leur folie ; il
réclame ce grain de blé et le jette
au sillon. Le grain germe, donne
un épi qui est récolté et
semé à son tour ; en peu
d'années l'humanité mange de nouveau
du pain. La germination, voilà la gloire du
grain de blé !
Jésus est ce grain de
froment ; il ne fuira pas avec les Grecs, il
ne sauvera pas sa vie, il descendra au sillon pour
s'y multiplier. Il obéira le premier
à cette loi fondamentale du monde spirituel
qu'il a proposée si souvent à ses
disciples : « Celui qui aime sa vie
la perdra, mais celui qui hait sa vie dans ce monde
la conservera pour la vie
éternelle. » Jésus, en
sauvant sa vie, pouvait devenir à son choix
ou tout ensemble le Socrate des Grecs, le
César des Romains, le Salomon des Juifs,
mais il cessait d'être le Christ de
Dieu.
En vertu de la fixité de
l'espèce, le grain de blé, donne des
semblables et le Christ, selon la même loi
« se verra une
postérité »
c'est-à-dire engendrera des semblables. Et
ceux-ci, consentant à descendre au sillon
comme leur Maître, renonçant à
eux-mêmes, se multiplient à leur tour,
car tout ce qui est livré à Dieu par
un acte libre d'immolation renferme un germe de vie
éternelle. N'est-ce pas là le secret
de la fécondité, le moyen d'engendrer
des âmes ? Ne rien refuser à Dieu
de ce qu'il nous demande, nos
préjugés, nos préventions, nos
méthodes, notre volonté ? Tout
ce qui est « terrestre, sensuel,
diabolique » dans notre sagesse restera
au tombeau, par contre tout ce qui est de l'homme
« primitif »
c'est-à-dire fait à l'image de Dieu
subsistera, se développera et donnera toute
sa mesure. Nous ne sommes débarrassés
que de ce que le péché a
gâté en nous, tout
ce qui est utilisable pour le règne de Dieu,
vivra. Au grain de blé jeté en terre
rien n'est épargné des
intempéries. Le soleil, la pluie, le chaud,
le froid, l'orage lui sont nécessaires. Sous
leur action, le travail intérieur
s'accélère et un beau jour le germe
de vie, brisant ses enveloppes, met au dehors sa
pointe verte et s'enracine à la motte
nourricière. Les épreuves, brisures
ou coups d'épingles, les tentations de
l'extérieur comme de l'intérieur ne
sont pas épargnées au croyant, elles
le poussent à la prière, à la
lutte, à l'exercice de la foi, et la vie
spirituelle se développe, certaines
étapes se franchissent, certaines
expériences se font et le déploiement
de la force de Christ dans le coeur de ceux qui se
convertissent constitue l'appel au salut le plus
attirant pour les autres ; le grain se
multiplie.
Et la récompense d'une telle
obéissance ? Elle est multiple.
- Si quelqu'un me sert, mon Père
l'honorera !
Quelle parole extraordinaire !
N'est-ce pas à l'homme d'honorer Dieu ?
Et pourtant par une sorte de
réciprocité, celui qui honore Dieu
par le sacrifice dans sa vie cachée est
honoré à son tour. Il arrive
même au croyant fidèle qui ne brigue
en aucune manière la popularité de la
trouver, de recueillir l'affection et même
l'hommage de ses concitoyens. Voyez le
général Booth, d'humble
naissance ; sa fidélité à
la cause de Dieu qui est en définitive celle
de l'humanité, lui a valu des
témoignages de la plus haute distinction et
des obsèques de souverain. Dieu a
honoré son vieux serviteur. Mais le
Père honore les siens
d'autre manière encore. Il me semble que
l'on peut rapprocher de cette parole :
« mon Père l'honorera »
cette autre de Jésus à ses
disciples : « Je ne vous appelle
plus serviteurs.... mais je vous ai appelés
mes amis, parce que je vous ai fait connaître
tout ce que j'ai appris de mon
Père »
(Jean
XV, 15). Quelle
précieuse promesse !
Ce serviteur renouvelé dans les
sources profondes de son être, qui est
maintenant harmonisé et retrouvé, le
Père l'honore en ce sens que le Fils en fait
son ami. Il n'est pas pour son Seigneur une chose,
un être passif, un cadavre ; il ose
faire acte de liberté, de
spontanéité ; il reste un
être profondément conscient de sa
dépendance, mais il le devient aussi de ses
prérogatives. Il apporte un amour filial
à son Dieu et Dieu l'associe à son
conseil et lui révèle ses desseins.
Comme Abraham ou Moïse, il ose intervenir et,
par son intercession, peut-être changera-t-il
dans tel cas donné le décret de Dieu.
Il est associé à la pensée du
Seigneur et il travaille à la
réaliser. Le Maître apprécie
l'ouvrier qui a « de
l'idée », qui fournit un travail
dont la pensée s'emboîte dans celle de
son grand Ami.
Et s'il se constituait une
collectivité d'êtres semblables qui,
avec leurs personnalités différentes,
représenteraient dans l'unité
d'esprit et dans l'amour mutuel les diverses faces
de la vérité, est-ce que cette
collectivité, disons cette Église, ne
pourrait pas prendre une position de
majorité, de foi compréhensive des
pensées de Dieu qui hâterait
l'évangélisation du monde, qui la
garderait dans l'équilibre et lui ferait
trouver au milieu des divers courants qui
se font jour, la solution vraie,
religieuse, actuelle aux problèmes
bibliques, moraux et sociaux qui se posent si
gravement à notre époque ?
Tout en se rendant clairement compte de la
tâche à accomplir, tout en voyant que
« l'heure est venue »
Jésus est saisi d'une émotion
soudaine, c'est comme un trouble avant-coureur de
celui de Gethsémané.
- Père, délivre-moi de
cette heure ! s'écrie-t-il.
Mais tout de suite il se
reprend :
- C'est justement pour cette heure que
je suis venu dans le monde !
Quelle merveilleuse clarté
jetée sur le plan de la
rédemption ! Tout était
prévu, tous les événements se
succèdent dans les lignes divines.
- Père, glorifie ton
nom !
Voilà l'intime prière du
Fils ; voilà la réalité
désirable par-dessus tout, c'est que le nom
du Père soit glorifié devant les
anges, devant les hommes qui adoreront un jour le
sens profond de toute cette scène, devant le
diable lui-même dont nous surprenons
peut-être ici une tentative de
tentation.
À ce moment, Jésus s'est
pleinement ressaisi. Mais en ce moment aussi une
voix vint du ciel qui dit :
- Et je l'ai glorifié.... et je
le glorifierai encore...
C'est la voix de Dieu qui ponctue de son
assentiment, comme au baptême et à la
transfiguration, l'obéissance du
Fils.
L'heure est venue pour le monde aussi.
Une double action va s'engager : attraction de
Jésus sur les consciences, répulsion
chez ceux qui ne veulent pas être
sauvés par le moyen et sous la forme que
Dieu a choisis. Le vieux
Siméon l'avait prédit, en tenant le
petit Jésus dans ses bras :
« Cet enfant est destiné à
amener le relèvement et la chute de
plusieurs en Israël et à devenir un
signe qui provoquera la contradiction, afin que les
pensées de beaucoup de coeurs soient
dévoilées »
(Luc
II, 34-35). Et l'Évangile
s'avance dans le monde, fait le tour de la
planète an milieu des formidables
oppositions des uns et des glorieuses
adhésions des autres. Et maintenant tout
particulièrement, il semble que l'heure soit
venue pour le monde ; un mouvement de
séparation s'accomplit ;
« celui qui se souille se souille
davantage et celui qui se purifie se purifie
complètement »
(Apoc.
XXII, 11).
Mais l'heure est décisive aussi
pour les auditeurs de Jésus. Ils ne peuvent
pas rester passifs, entendre parler
d'événements qui ne les engageraient
pas eux-mêmes ; il y a un devoir pour
eux, présent et pressant, la lumière
est encore pour un peu de temps avec eux, c'est de
« marcher pendant qu'ils ont la
lumière », c'est de
« croire à la
lumière » et de devenir
« enfants de lumière ».
Si l'heure est proche pour le Maître de
descendre au sillon, puis d'être
élevé de la terre, l'heure est
là pour ses auditeurs de suivre le
Maître. Le temps est court ! Encore
quelques jours ! Croyez maintenant.
Ne pensez-vous pas lecteurs que le
moment est venu pour nous aussi de croire
maintenant, tout à fait, de suivre le
Maître partout où il veut nous
conduire ? Ne pensez-vous pas que pour faire
oeuvre d'évangéliste, il faille
évangéliser à la
manière du Maître
et non pas selon quelque autre méthode
humaine, si bien choisie soit-elle ? Et cette
manière divine d'évangéliser,
n'est-ce pas de descendre au sillon ? Il n'y a
qu'un temps pour semer si l'on veut moissonner au
moment convenable. Ne pensez-vous pas que
« l'heure est venue » pour toi,
pour moi, pour nous chrétiens de nous
laisser « semer » par le
Maître si nous voulons que le monde ait du
pain à manger ?
Le Fils de l'homme est venu non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie comme la rançon de plusieurs. Marc X, 45.
Le jour de manger la Pâque était
arrivé. Jésus charge Pierre et Jean
de préparer le repas. Ils entreront en
ville, verront un homme portant une cruche d'eau.
Ce fait les frappera parce que d'habitude
c'étaient les femmes qui faisaient ce
travail. Ils le suivront et, dans la maison
où il entrera, ils trouveront une salle
disponible. Pourquoi toutes ces indications qui
ressemblent à des précautions ?
À ce moment de l'année il y avait
foule à Jérusalem, les maisons
regorgeaient d'habitants et les salles tranquilles
étaient rares. Et puis Judas avait
déjà conclu son odieux marché
avec les principaux, il ne connaîtra que le
soir même, quand il sera trop tard pour
avertir ses partenaires, le lieu de rendez-vous
où le Maître va
passer cette dernière soirée dans
l'intimité avec ses disciples.
Ce n'étaient que rites
symboliques au cours du repas pascal qui
commémorait la sortie d'Égypte. Les
herbes amères représentaient la
dureté de l'esclavage. On trempait le pain
sans levain dans une sauce rougeâtre qui
avait la couleur de la brique cuite. L'agneau
était mangé en costume de voyage et
comme à la hâte. Entre les plats, le
père de famille faisait circuler quatre fois
la coupe de vin, il l'accompagnait d'une
prière, d'une bénédiction et
expliquait le sens du repas en racontant aux siens
les merveilles de la sortie d'Égypte. Quel
moyen simple et profond d'en perpétuer le
souvenir chez les Juifs !
Au cours du repas de Jésus avec
ses disciples, on verra aussi se succéder
des instructions claires ou symboliques, des
avertissements. Jésus facilite à ses
bien-aimés la confiance en lui ; il les
prépare en vue de l'avenir ; et plus
tard, en pensant à ce dernier souper, les
disciples comprendront le sens de la parole de
Jean-Baptiste : « Voici l'Agneau de
Dieu qui ôte le péché du
monde ! »
Remarquons en passant la bonté du
Seigneur. Au lieu de se retirer à
l'écart, de passer cette dernière
soirée seul dans le
tête-à-tête avec son
Père, Jésus reste avec les siens pour
leur faire du bien. Et dire que nous ne sommes pas
moins privilégiés que les
apôtres qui ont pris leur repas avec le
Maître : « Voici, dit
Jésus, je me tiens à la porte et je
frappe, si quelqu'un entend ma voix et m'ouvre la
porte, j'entrerai chez lui, je
souperai avec lui et lui avec moi »
(Apoc.
III, 20).
Luc raconte qu'au commencement du souper
il survint une dispute entre les disciples pour
savoir lequel avait droit à la
première place, celle probablement qui
était la plus rapprochée du Seigneur.
Ce n'était pas la première fois que
cette question de suprématie se
débattait dans le cercle des apôtres.
Alors qu'ils revenaient ensemble de la montagne de
la Transfiguration, en chemin ils discutaient pour
savoir lequel était le plus grand. Une autre
fois, c'est la mère de Jacques et de Jean
qui réclame que ses fils soient assis l'un
à la droite, l'autre à la gauche du
Seigneur dans son Règne. Que cette question
revienne sur le tapis au moment de cette
dernière et solennelle rencontre, c'est
comme si le diable jetait par avance de l'ivraie
dans ces coeurs qui vont être
ensemencés d'Évangile.
Jésus aurait pu rappeler
sévèrement ses disciples à
l'humilité, imposer à l'un d'eux,
à celui qui réclamait le plus fort la
première place, l'obligation de laver les
pieds aux autres. Lui, qui est « au
milieu d'eux comme celui qui sert », lui
« qui venait du Père, qui
retournait au Père et qui aima les siens
jusqu'à l'extrême », il se
lève de table, se ceint d'un linge, prend le
bassin de cuivre qui faisait partie du mobilier de
la chambre, y verse de l'eau, lave les pieds de ses
disciples, puis reprend ses vêtements et se
remet à table, De quelle nouvelle et sainte
autorité il est maintenant revêtu
à leurs yeux ! Quel poids
acquièrent ses paroles devant leur
conscience !
« Vous m'appelez Maître
et Seigneur, je le suis en effet. Si moi je vous ai
lavé les pieds, ne devez-vous pas aussi vous
les laver les uns aux autres ? Je vous ai
laissé un exemple afin que vous sachiez que
« le serviteur n'est pas plus grand que
le Maître ». Jésus à
genoux, faisant office d'esclave, voilà la
leçon d'humilité qui fera le plus
d'effet ! Elle nous prosterne dans la
poussière. Ah ! que nos vanités
sont mesquines ! Grâce à Dieu il
y a des croyants, qui suivent l'exemple du
Maître - non pas le pape, quand une fois
l'an, dans un bassin d'or, il fait le simulacre de
laver les pieds de ses cardinaux. Tenez !
voici une diaconesse qui sort d'un milieu
distingué, elle est personnellement riche,
elle pourrait avoir elle-même des
domestiques ; elle soigne les maladies les
plus répugnantes ; elle s'oublie
elle-même et ébahit sans scrupules sa
galerie d'ancêtres.
Dans les actes, comme dans les paroles
du Seigneur, il se cache des richesses de
pensées et de
bénédiction ! La scène du
lavage des pieds montre autre chose encore qu'un
enseignement d'humilité. Quand Jésus
s'approche de Pierre, celui-ci se
relève :
- Jamais tu ne me laveras les
pieds !
À quoi Jésus
répond :
- Si je ne te lave, tu n'auras point de
part avec moi ! L'acte que le Seigneur
accomplit est le symbole de l'oeuvre de
purification dont les disciples ont besoin. Et nous
non plus, si nous ne nous laissons laver par le
Seigneur, nous n'aurons point de part avec
lui ; le coeur du plus juste n'est qu'un linge
souillé. Refuser ce ministère de
purification c'est refuser
l'esprit même de l'oeuvre de Christ sur la
terre. Jésus ne peut plus, pendant ce
dernier souper, garder pour lui seul le secret de
la trahison de Judas, du reste il ne faut pas que
plus tard les apôtres s'imaginent que
Jésus ait ignoré ce qui se
préparait. En outre, par de suprêmes
appels, Jésus va essayer de retenir Judas au
bord de l'abîme vers lequel il roule.
Déjà pendant le lavage des pieds, au
cours de l'entretien avec Pierre, Jésus
avait dit : « Vous êtes purs
mais non pas tous. » Cette parole dut
frapper la conscience du traître en lui
montrant que Jésus savait. Puis quand
Jésus lui lava les pieds, il le
transperça sans doute de son regard ;
mais le malheureux resta de pierre. Revenu à
table, Jésus prononça cette parole
tirée du Psaume
XLI, 10 :
« Celui qui mange le pain avec moi a
levé le talon contre moi. » Nouvel
avertissement, plus précis ! En
même temps Jésus s'ouvre à ses
disciples :
- Je vous dis la chose avant qu'elle
arrive, afin que quand elle sera arrivée
vous croyiez que le Père m'avait
envoyé.
Judas demeure impassible. Les
apôtres sont incapables de réaliser le
drame qui se joue en cet instant. Jésus est
obligé de parler de plus en plus clairement
et pour faire impression sur Judas et pour ouvrir
l'entendement de ses disciples. Du reste, à
parler de cette trahison, le trouble s'empare de
lui :
- En vérité, je vous le
dis, l'un de vous me trahira ! Cette fois
Judas doit être convaincu que Jésus
sait tout et les disciples commencent à
percevoir la vérité :
- Seigneur, est-ce moi ?
demandent-ils avec candeur.
D'après Matthieu, Judas aurait eu l'audace
de demander lui aussi : « Est-ce
moi ? » Et Jésus lui aurait
répondu, pense-t-on, par un signe qui aurait
échappé aux autres. Pierre engage
Jean à demander le nom du traître.
À ce moment, d'après les trois
évangiles synoptiques, avant de
répondre à la question posée,
Jésus aurait dit :
- Le Fils de l'homme s'en va
d'après ce qui est déterminé
mais malheur à cet homme par qui il est
trahi, il eût été bon à
cet homme de n'être jamais
né !
Puis Jésus ne voulant pas nommer
Judas par son nom, ce qui lui ôterait la
dernière possibilité de salut,
répond :
- C'est celui à qui je donnerai
le morceau trempé, et il offre le morceau
à l'Iscariote.
Celui-ci peut encore refuser le morceau
et crier grâce. Non, Judas ne profite pas du
dernier avertissement, il Prend le morceau et mange
sa propre condamnation. Il n'a plus rien à
faire maintenant dans le cercle des
disciples ; Jésus le renvoie sans cri,
sans colère :
- Va au plus vite faire ce que tu as
à faire !
Judas sortit, il faisait nuit. Les onze
qui restent sont de pauvres hommes, aux nombreuses
infirmités morales, mais ils aiment leur
Maître, ils ont au coeur la flamme divine,
ils sont droits ; Jésus pourra leur
communiquer ses intimes et ultimes recommandations.
On trouve encore une allusion à Judas dans
la bouche de Jésus, c'est au cours de la
prière sacerdotale :
- Je n'ai perdu aucun de ceux que tu
m'as donnés, sinon le
fils de perdition qui s'est perdu lui-même.
Ainsi Judas, qui vécut trois ans
auprès du Seigneur, qui assista à
tous ses miracles, qui entendit tous ses discours,
qui parvint au seuil du Royaume de Dieu, dont le
nom signifie « louange de
l'Éternel » qui aurait pu
être un vainqueur est devenu « le
fils de perdition », et son nom
même est une insulte. Quel appel à la
sanctification !
Jésus, tout impressionné
par ce drame, cherche à ouvrir les yeux de
ses disciples sur les dangers qui les menacent.
« Le berger sera frappé et les
brebis dispersées »
(Zach.
XIII, 7). Il
ajoute :
- Vous serez tous scandalisés
cette nuit à cause de moi. Les
apôtres, et Pierre en particulier, n'ont pas
compris. Ils affirment à l'envi qu'ils ne
succomberont pas ; ils se sentent capables
d'aller à la mort avec leur Maître.
Tous les onze sont sincères, mais ils ne
prêtent pas une attention suffisante aux
avertissements. Pierre a spécialement besoin
d'être mis en garde. Jésus
connaît ce caractère fidèle,
sincère, enthousiaste, courageux, mais
téméraire, sable ou roc à bref
intervalle :
- Simon, Simon, lui dit Jésus, en
l'appelant par son nom juif, Satan vous a
réclamés pour vous cribler comme on
crible le blé !
Satan a déjà pris Judas,
il voudrait mettre la main sur les autres,
réduire à néant l'oeuvre de
trois années de Jésus ; et il se
trouve que les résultats de cette oeuvre
sont aux mains de ces faibles hommes :
- J'ai prié pour toi,
déclare Jésus à Pierre, afin
que ta foi ne défaille
point !
Voilà le contrepoids au dessein
du diable, le seul moyen de salut ! Et l'on
fait bon marché de la puissance satanique,
quand il ne fallait rien moins que la prière
du Maître pour sauver les disciples de
l'apostasie !
Le reniement de Pierre pourrait laisser
supposer que la prière de Jésus n'a
pas été exaucée. Et pourtant,
oui, Jésus a été entendu. La
foi de Pierre subsiste sous l'éclipse, elle
s'affirme dans les larmes de repentance. La
conversion de l'apôtre est tellement certaine
que, dès avant la chute, le Seigneur lui
donne la tâche d'affermir ses
frères.
Pierre est aveuglé sur
lui-même, il se vante d'aller à la
mort pour son Maître et celui-ci est
obligé de lui déclarer tout
net :
- Avant que le coq chante, tu me
renieras trois fois. Quelles humiliations on
s'épargne quand on écoute les
avertissements !
C'est après cet entretien que
Jésus institua la Sainte-Cène, cette
magnifique profession de foi, ce moyen
merveilleusement simple, de maintenir entre les
croyants par une forme visible - selon la
même méthode que la Pâque juive
- le souvenir et la signification de l'Agneau
pascal de la Nouvelle Alliance, tout en
introduisant dans l'assemblée des
fidèles la pratique de
l'égalité et de la fraternité
chrétiennes. Tout l'Évangile est
résumé dans la manière dont je
mange un peu de pain et bois un peu de vin. Les
plus simples comprennent ce symbole et les plus
profonds penseurs ne l'ont pas encore
épuisé.
Par malheur le sens de cette institution
a divisé l'Église.
Les Réformateurs ont refusé de se
donner la main d'association.
Pour Zwingli, la Cène se
réduit à la célébration
d'un anniversaire, d'un grand anniversaire il est
vrai, celui de la mort de Jésus. Le coeur
est béni en se remémorant l'oeuvre du
Christ, plutôt qu'en s'unissant au Sauveur
vivant.
Pour Luther le corps et le sang de
Jésus sont miraculeusement cachés
dans le pain et le vin de la communion ; la
pensée de Luther se rapproche de celle des
catholiques qui veulent que le pain et le vin
changent de substance et deviennent vrai corps et
vrai sang de Jésus.
Calvin a essayé de concilier
Luther et Zwingli en disant : Le pain reste
pain, le vin reste vin, mais en prenant ces
aliments avec foi, il se fait en même temps
une alimentation spirituelle de l'âme par le
corps et le sang de Jésus-Christ.
Et dire qu'on se bat entre
chrétiens parce que l'on ne comprend et ne
pratique pas identiquement la
Sainte-Cène ! On refuse de se tendre
une main d'association ! On s'abstient de la
prendre en commun parce qu'elle deviendrait une
cause de discorde ! Elle ne serait qu'un rite
ecclésiastique que chacun devrait pratiquer
en des formes spéciales et
intangibles ? Ce n'est donc plus le simple
mais fortifiant repas, où, sans essayer de
comprendre, de formuler de théorie, je
souperais avec Christ et lui avec
moi ?
Nous, croyants, n'ayons pas peur de la
Sainte-Cène, elle est un moyen de
grâce, elle a été donnée
à des hommes et non à des anges.
Jésus l'a offerte à Pierre qui allait
le renier, à Thomas le douteur. Il regarde
à la sincérité du coeur. Tout
indigne que je sois - en
regardant à moi-même - je la prends
avec joie, c'est une occasion de me nourrir de mon
Sauveur devant mes frères, en me sentant un
de coeur avec eux. Mais que celui qui n'a pas le
vrai désir d'être enfant de Dieu s'en
retire ! Il n'a rien à voir à
cette affaire ; on ne nourrit pas un
cadavre.
« Elle est, dit M. F. Godet,
l'intermédiaire entre la Pâque juive
et le banquet des cieux. »
Ce n'est pas pour eux seulement que je prie mais pour ceux qui croiront en moi par leur parole.... Jean XVII, 20.
La prière que le Seigneur prononça
après les instructions qui suivirent le
dernier souper est appelée
« sacerdotale » parce qu'elle
est l'acte du souverain sacrificateur de
l'humanité qui commence son sacrifice en
s'offrant lui-même à Dieu en faveur de
tout son peuple présent et futur.
Jésus demande que son oeuvre sur
la terre se continue et, pour qu'il puisse faire
pénétrer mieux la vie
éternelle dans l'humanité, il
désire que sa place et sa puissance lui
soient rendues auprès du Père
(v.
1-5). Puis Jésus prie
spécialement pour ses apôtres qui sont
là, réunis autour de lui :
Qu'ils soient préservés du monde, du
mal et conservés dans l'unité !
(v.
6-19). Enfin le Seigneur - et
c'est là ce qui nous
touche le plus profondément - a prié
pour tous ceux qui croiraient par le moyen des
apôtres ; il a prié pour nous, il
a prié pour moi, il a demandé
à son Père que je sois rendu
participant des mêmes grâces que ses
disciples immédiats
(v.
20-26).
Plusieurs fois au cours de sa
carrière terrestre, Jésus a
dit : « Mon heure n'est pas encore
venue » quand on cherchait à le
faire anticiper sur les événements.
Au commencement de sa prière, comme au jour
où les Grecs vinrent lui parler,
Jésus s'écrie :
« L'heure est venue ! »
Trente-trois ans auparavant, au temps
marqué, Jésus parut à l'heure
de Dieu, pour accomplir une oeuvre qui ne pouvait
pas se faire par quelqu'un d'autre, ni à un
autre moment. Et maintenant une autre heure est
arrivée, celle où l'oeuvre de Dieu ne
peut pas s'accomplir autrement que par un Christ
glorifié. Et cette oeuvre divine c'est qu'un
petit groupe d'hommes apprenne à
connaître, non par l'intelligence ou par
ouï-dire, mais par la perception
immédiate « le seul vrai
Dieu » en opposition aux faux-dieux des
nations, et « Jésus-Christ,
l'envoyé du Père ».
Cette greffe de la vie éternelle
sur la vie humaine, Jésus l'a posée
et maintenant elle ne prendra toute sa vigueur,
elle ne deviendra un grand arbre, en vertu de lois
à nous cachées, qu'à la
condition que le Jésus visible se retire et
que toute la gloire du ciel lui soit rendue.
L'heure est venue de laisser les disciples se
développer spirituellement en veillant sur
eux d'une manière invisible, par le
Saint-Esprit. Rien n'est livré au hasard
dans le plan de Dieu, tout s'accomplit à son
heure sans que, pour autant, la
liberté de l'homme soit compromise.
Voilà le chef-d'oeuvre de la sagesse
divine !
« J'ai fait connaître
ton nom à ceux que tu m'as
donnés ! » continue le
Seigneur. Matthieu, l'ancien péager, comme
aussi tous les autres apôtres sont pour
Jésus des « dons de
Dieu », et puis ces saintes femmes qui
l'avaient accompagné de Galilée, ces
cinq cents frères qui l'entourent
après sa résurrection ; tous
ceux-là Jésus les considère
comme des dons magnifiques que lui a fait le
Père du milieu du monde. Si nous regardions
davantage ceux qui viennent à
l'Évangile comme des dons de Dieu, si nous
les envisagions moins comme des dons que nous
faisons, nous, à Dieu que comme des dons que
Dieu nous fait, nous les demanderions avec plus de
ferveur. Nous tressaillerions de joie pour un seul
catéchumène qui se convertirait -
réponse directe de Dieu à nos
prières !
« Et maintenant, c'est pour
eux que je prie, je ne te prie pas pour le
monde. » On est parfois resté
perplexe devant cette parole. Ces disciples, que le
Père a donnés au Fils, qui ont
découvert sa vraie nature, qui l'ont
accepté comme le Messie, ils forment
dès maintenant une humanité à
part qui a besoin d'être spécialement
protégée. Jésus prie le
Père de prendre soin de ses disciples
pendant que lui, le Berger qui les gardait, sera
livré entre les mains des hommes. Entre la
crucifixion et son élévation dans la
gloire, il les remet entre les mains du
Père.
Jésus ne peut pas prier de la
même manière pour le monde que pour
les siens. Il ne voue pas le
monde à la perdition
puisque Dieu l'a aimé et lui a donné
son Fils, mais nécessairement la
prière pour le monde doit revêtir une
forme différente.
Luther dit avec raison :
« Ce qu'il faut demander pour le monde
c'est qu'il se convertisse, non qu'il soit
gardé et sanctifié. »
Et le vrai don de Jésus au monde
c'est lui-même, c'est son sang
répandu, comme l'exprimera saint Jean :
« Il (Jésus) est lui-même
une victime expiatoire pour nos
péchés, non seulement pour les
nôtres mais aussi pour ceux du monde
entier »
(1
Jean II, 2). Puis le don de
Jésus au monde, c'est aussi ses
apôtres, pour lesquels il prie, et qui iront
« faire connaître son nom au
monde ».
Peut-être le christianisme social
a-t-il trop oublié la parole de
Jésus. « Je ne te prie point pour
le monde ». Dieu ne peut pas bénir
le monde qui reste « monde ».
Celui-ci peut être
évangélisé, changé,
converti, voilà la bénédiction
qu'il faut demander pour lui et lui apporter. On
n'arrose pas un poteau de
télégraphe ; on ne met pas un
emplâtre sur une jambe de bois. Le seul
organisme qui puisse être béni au sens
profond du mot, c'est l'Église universelle,
le Corps de Christ. Il vient même un moment,
quand le caractère d'opposition du monde
contre Dieu est irrévocablement fixé,
quand il est devenu la société de
ceux qui non seulement sont ennemis de Dieu mais
qui veulent le rester, qu'il devient
« inimitié contre
Dieu ».
Dieu aime le monde avec une compassion
infinie, tant qu'il y a espoir de changement, mais
Dieu aime les siens d'un amour d'élection
parce qu'il y a
réciprocité.
Ce que Jésus demande à
Dieu pour les siens, ce n'est pas de les
« ôter du monde mais de les
préserver du mal. » Le
chrétien est appelé à vivre
dans le monde tel qu'il est, à voir ce qui
s'y pratique, à entendre ce qui s'y dit,
à respirer les souffles qui passent et
pourtant à se préserver du mal.
Jésus n'a pas parlé de couvents
où se retireraient les siens loin des
humains. Il les a envoyés à Rome,
à Corinthe, à Athènes,
à Eph et c'est là, dans les
« Babylone » d'alors, qu'il les
a préservés du mal.
Le chrétien doit vivre à
l'atelier, se livrer au commerce, faire son service
militaire, donner le jour à des enfants et
rester pur, voilà comment Dieu sait et veut
garder les siens. Quel barde chrétien saura
chanter la gloire de Dieu préservant ce
buveur converti, devenu caviste, et qui a
passé des années à
conditionner du vin sans même éprouver
le désir d'en goûter ? D'autre
part, il ne faudrait pas, en vertu de cette
promesse, courir au-devant de la tentation, jouer
avec le feu ; le scandale que donnent les
chrétiens qui tombent, reste un
sérieux appel à la prudence. Mais si
Dieu lui-même nous appelle à une
tâche dangereuse au point de vue moral, il
saura nous donner en même temps la
capacité de rester fermes. C'est là,
frère, dans ce milieu
délétère que le Maître
peut faire de toi le champion de sa gloire en te
préservant du mal !
Mais tout en étant dans le monde,
ils ne seront pas du monde.
« Sanctifie-les par ta Parole, ta Parole
est la vérité.... Et je me sanctifie
moi-même pour eux. » Sanctifier a
ici un sens différent de celui qu'il
revêt dans la demande de l'Oraison
dominicale :
« Que ton nom soit
sanctifié ! » Ici ce sont les
hommes qui doivent sanctifier le nom de Dieu en le
mettant à part, en le respectant, en le
bénissant comme il mérite de
l'être. Jésus demande à son
Père pour les siens qu'ils soient les objets
d'une oeuvre puissante de sanctification, de
purification, qu'ils deviennent des êtres
à part, marqués du sceau divin. Comme
Aaron et ses fils avaient reçu l'onction
sainte pour devenir les sacrificateurs de l'ancien
culte, les apôtres deviendront, par une
transformation intérieure et non par un
signe extérieur, « une
sacrificature royale et une nation
sainte ». Leurs forces, leur
intelligence, eux-mêmes tout entiers seront
consacrés à la cause de Dieu, ils
seront « ses membres » agissant
dans le monde. Et qu'est-ce qui opérera en
eux ce merveilleux changement ? La
vérité qui est la Parole de
Dieu.
Quelle action sainte a la Bible sur la
préparation des propagateurs de
l'Évangile ! Laissons-nous sanctifier
par la Parole de Dieu, juger par elle,
révéler à nous-mêmes par
elle. Et si cette Parole de Dieu, toujours mieux
comprise, toujours plus obéie, nous met
insensiblement à part, opère des
brisures dans notre vie publique et intime, nous
amène à plus de
fidélité, à plus de sainte
largeur fraternelle, mais aussi à plus de
sainte discipline personnelle, c'est que Dieu nous
sanctifie par elle.
Tout en ayant pour moyen la Parole de
Dieu, la sanctification a pour cause
première et vivante Jésus-Christ qui,
en sa personne, s'est sanctifié pour nous.
Notre sanctification n'est en définitive que
la communication que Jésus nous fait de sa
propre personne
sanctifiée. Comme le sarment vit du cep,
nous vivons du Christ et de sa Parole. C'est aussi
ce que Paul a exprimé en disant :
« La loi de l'Esprit de vie qui est en
Jésus-Christ m'a affranchi du
péché et de la mort. »
L'Esprit prend de ce qui est à Jésus,
puise dans cette vie d'homme parfaitement sainte et
nous le communique.
Et cette prière, Jésus
l'adresse au Père, non seulement en faveur
de ses disciples mais de tous ceux qui croiront par
leur moyen, afin que tous soient un. Jésus
veut se constituer un organisme d'une
extraordinaire unité qui s'étendra de
lui à travers les âges, jusqu'à
la fin des temps, uni au Père et au Fils,
comme le Père lui-même est uni au
Fils. Paul mettra en lumière cet organisme
nouveau, sous le nom d'Édifice, de Corps ou
d'Épouse de Christ.
Que sera cette unité, dont parle
le Seigneur ? L'uniformité ? La
messe latine que l'on chante au Chili exactement
comme à Paris exprime-t-elle cette
unité ? Non pas. Diversité dans
les caractères, dans les formes de la
piété, dans les manières de
voir sur des points secondaires, mais respect
mutuel, mais amour les uns pour les autres, mais
unité profonde sur ce qui fait le centre de
l'Évangile : mort expiatoire et
résurrection de Jésus-Christ.
Unité en Christ, unité spirituelle et
vivante qui harmonise toutes les diversités.
Unité de sève, différence de
branches, de rameaux, de feuilles et de
fruits ! Différence dans la lettre,
unité dans l'esprit ! rapprochement
volontaire de tous ceux qui sentent que c'est
aujourd'hui le moment d'exaucer la prière de
Jésus.
Jésus ne demande rien moins au
Père pour les siens que l'amour dont lui, le
Fils, est l'objet. Il veut que ses frères
soient aimés du Père dans la
même mesure où il l'est
lui-même. Et Jésus ajoute :
« Je veux » - la seule fois
à notre connaissance qu'il ait
employé ce terme - que là où
je suis, ceux que tu m'as donnés y soient
avec moi et qu'ils voient ma gloire, la gloire que
tu m'as donnée. » Jésus ne
reprendra pas sa place auprès du Père
sans eux. Ils font corps avec lui, et lui ne veut
ni ne peut plus s'en séparer et cette
volonté que le Fils exprime au Père -
il le sait bien - c'est au fond la volonté
du Père lui-même.
Les apôtres s'en doutent-ils
à ce moment ? Ils constituent, petit
noyau fidèle dans ce grand monde perdu, le
don du Père au Fils et le don du Fils au
Père. Autant le Fils a de joie à les
recevoir de la main du Père, autant le
Père voit avec amour s'exécuter son
plan dans ce « corps de
Christ » qui se forme là, en
Judée, pour être un jour le
complément nécessaire des habitants
du Ciel. Et la suprême joie pour les
« siens » ce sera de contempler
leur Sauveur dans la gloire qu'il avait au
commencement. Ils l'ont vu simple homme, dans son
abaissement, ils le verront bientôt pendu au
bois de la croix, ils le contempleront un jour dans
sa vraie position de Fils éternel et ils
partageront sa gloire ; ne sont-ils pas
dès maintenant un avec lui ?
« Afin que l'amour dont tu
m'as aimé soit en eux et que moi je sois en
eux. » Ces mots ne constituent-ils pas
une promesse d'une telle grandeur
« Christ en nous l'espérance de la
gloire » que nous en
soin mes confus, jetés
dans la poussière, en adoration, mais aussi
puissamment stimulés à chercher et
à trouver toute notre part
d'héritage ?
Dans son tableau de la
« Prière sacerdotale »,
Burnand a peint Jean, cachant sa figure dans ses
mains. C'est trop beau ! Le disciple que
Jésus aimait est remué jusqu'aux
entrailles. Est-ce possible qu'un pauvre être
humain puisse aspirer à une semblable
destinée ? Oui, c'est possible,
grâce en soit rendue à Dieu !
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |