Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Le paralytique de Capernaüm.

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 Jésus voyant leur foi, dit au paralytique : Aie confiance, mon enfant, tes péchés te sont pardonnés.... Or afin que vous sachiez que le Fils de l'homme a sur la terre le pouvoir de pardonner les péchés : Lève-toi, dit-il au paralytique, prends ton lit et va dans ta maison. Matth. IX, 2, 6.


Toute une période de son ministère, Jésus-Christ la passa à Capernaüm. C'est de ce petit centre galiléen qu'il rayonnait dans les environs et en particulier qu'il évangélisait les rives du lac de Génésareth. Capernaüm a bénéficié dans une mesure exceptionnelle des enseignements du Seigneur ; cette ville a vu une foule de miracles ; les occasions de se convertir lui ont été multipliées. Elle s'est amassé par son incrédulité une si grande responsabilité que Jésus a prononcé sur elle ce jugement solennel : « Capernaüm, qui as été élevée jusqu'au ciel, tu seras abaissée jusqu'au séjour des morts, car si les miracles qui ont été accomplis au milieu de toi avaient été faits dans Sodome, elle subsisterait encore aujourd'hui. C'est pourquoi je vous le dis, au jour du jugement le pays de Sodome sera traité moins rigoureusement que toi » (Matth. XIII, 23, 24).

M. le peintre Paul Robert racontait, dans une conférence sur la Palestine, combien il avait été frappé de la solitude des rives du lac de Génésareth. On n'aperçoit que quelques bourgades insignifiantes, que de rares huttes de pêcheurs, là où des villes populeuses avaient entendu autrefois la parole du Seigneur. Sur l'emplacement désert où l'on suppose - sans en être sûr - que fut Capernaüm, cette prophétie lui revenait en mémoire : « Tu seras abaissée jusqu'au séjour des morts ! » Il y a pour les peuples comme pour les individus des heures saintes qu'il ne faut pas laisser passer ! Combien triste ce qui est en comparaison de ce qui aurait pu être !

Au temps où le Seigneur enseignait à Capernaüm, des foules venaient l'entendre et formaient autour de lui, dans la cour de la maison où il enseignait, comme une infranchissable barrière vivante.

Tous les auditeurs n'étaient pas affamés des paroles de grâce et de vérité qui sortaient de sa bouche. En plus des pharisiens de Capernaüm se trouvait dans l'auditoire une délégation de scribes et de docteurs de la toi, venus de Jérusalem, pour épier Jésus. Désireux de remplir l'acte d'accusation que l'on commençait à dresser contre le Nazaréen, ces juristes, experts dans la loi, flairaient toutes les paroles de Jésus pour y découvrir quelque odeur d'hérésie. Le petit peuple ne s'en doutait pas, mais Jésus comprenait parfaitement ces agissements.

Arrive à la porte un petit cortège, quatre hommes portant un paralytique, couché sur un lit. Impossible de traverser les rangs serrés des auditeurs. Il n'y a qu'un parti à prendre, c'est de rebrousser chemin. Le malade ne l'entend pas ainsi, il veut être guéri ; les porteurs aussi ne sont pas gens à reculer devant la difficulté. Coûte que coûte il faut arriver à Jésus. Ils montent sur le toit de l'habitation voisine, de là ils gagnent celui de la maison où Jésus parle, ils soulèvent quelques tuiles, déclouent quelques lattes et, avec des cordes, ils descendent le lit du malade jusque devant le Seigneur. Celui-ci s'interrompt dans son discours, regarde en haut vers ceux qui tiennent les cordes, considère en bas ce malade. Que va-t-il dire ? Se plaindra-t-il du procédé insolite et même un peu sans gêne ? Non, il voit que, le coeur des porteurs, comme celui du malade, est mû par la foi. Il tient compte du mobile et non pas du procédé et le premier mot qu'il prononce c'est : « Aie confiance ! » ou « Prends courage ! » comme on peut traduire aussi. Le pauvre malade est sans doute quelque peu interloqué par cette foule dont les regards convergent sur lui ; il se rend compte tout à coup de l'indiscrétion qu'il y a à venir par de tels chemins interrompre l'enseignement de Jésus. Le second mot du Seigneur : « mon enfant » exprime d'une façon presque maternelle la compassion que lui inspire ce pauvre infirme. Aujourd'hui nos malades sont soignés dans de bons lits blancs par des diaconesses aux mains expertes ; autrefois c'était la misère, la saleté et l'abandon. Quel bien durent faire à cet homme ces simples paroles de Jésus : « Prends courage, mon enfant ! » Au milieu de nous encore il est des malades malheureux.

Un proverbe populaire en dit long sur le martyre secret de certains infirmes : « Longs plaignants, courte pitié ! » Puisons au coeur même du Christ et apportons à ces pauvres amis les trésors de la compassion : « Les meilleures charités ne sont pas de pain. »

Faisons provision de ces paroles brèves, précises, qui sont des forces et des bienfaits et quand nous rencontrons un estropié, un malade, distribuons-les avec de bonnes poignées de mains. Un vieillard misérable disait à quelqu'un qui lui avait apporté une de ces paroles-là : « Merci, vous m'avez fait chaud au coeur ! » Sachons faire chaud au coeur des souffreteux que nous rencontrons.

Immédiatement s'affirme à la conscience de Jésus l'obligation d'accomplir une tâche de guérison envers ce malheureux qui lui est envoyé par le Père. C'est ici qu'apparaît le discernement de Jésus. De quoi cet impotent avait-il besoin en premier lieu ? Mais de la guérison de sa moelle épinière, cela sautait aux yeux ! Non, le Seigneur voit quelque chose de plus urgent encore à accomplir. Il faut parfois parler de son âme à quelqu'un qui a faim avant de lui donner du pain.

Jésus a lu dans le passé de cet homme ; peut-être y a-t-il aperçu des excès dont l'ataxie locomotrice est la suite, en tous cas il a vu dans le coeur de cet homme un désir profond de pardon. Il ne faut pas croire que la souffrance du péché soit tellement rare et qu'elle existe seulement dans les produits raffinés de notre civilisation. Elle est de tout temps, parce que la conscience est de toujours. Si un David sentait si profondément le remords, pourquoi ce pauvre homme n'aurait-il pas été rongé du même tourment ? Peut-être même se rendait-il compte, non par études médicales mais par intuition de conscience, que son péché et sa maladie communiquaient par des liens mystérieux. Cet homme avait faim et soif de pardon, tout autant, si ce n'est plus, que de guérison. Et puis, il y a là au fond de la cour des docteurs de la loi qui ont faim et soif de scandale, eux aussi seront rassasiés !
- Tes péchés te sont pardonnés !
Cette parole descend comme un baume sur le coeur de l'impotent. Une joie profonde s'empare de lui, le fardeau est tombé. Il est libéré !

Qui de nous n'a souhaité entendre sortir de la bouche du Sauveur cette parole : « Tes péchés te sont pardonnés ! » Le besoin de pardon tourmente le coeur de l'homme digne de ce nom. Pourquoi Chundra-Lela, la prêtresse hindoue, passait-elle ses nuits plongée dans un étang d'eau froide et ses journées au soleil ardent, entourée de cinq feux ? Pour trouver le pardon. Pourquoi les monastères du moyen âge voyaient-ils entrer en religion les pires débauchés ? Parce que la conscience de ces hommes parlait encore. Pourquoi des foules vont-elles à Einsiedeln, à St-Jacques de Compostelle ? Pour obtenir des indulgences qui confèrent le pardon. Pourquoi Luther se macérait-il dans sa cellule ? À cause de son péché. Et dans notre protestantisme orgueilleux, intellectualiste, qui fait si peu de cas de la culpabilité du péché devant Dieu, il y a encore, Dieu en soit béni, des âmes qui soupirent après la parole libératrice : « Tes péchés te sont pardonnés ! »

Le moyen ?
Il est le même qu'autrefois : la grâce de Dieu. Celui qui vient au « sang de l'alliance » pour être purifié, entend un jour distinctement au fond de lui-même l'Esprit rendre témoignage à son esprit qu'il est enfant de Dieu. « Mon péché n'est plus » dit un cantique. « J'ai effacé ton péché comme un nuage, ton iniquité comme une nuée épaisse » (Esaïe XLIV, 22).

Mais quels chuchotements dans le clan des docteurs de la loi, quels éclairs de malice dans les regards qu'ils échangent ! Un blasphème ! Ils n'espéraient pas une telle aubaine. « Tu oses pardonner les péchés, usurper la place de Dieu ? » Saisis d'une horreur hypocrite, ils se couvrent le visage. Peut-être après tout s'en trouvaient-ils aussi parmi eux qui sincèrement ne comprenaient rien à l'autorité de Jésus.
Jésus sort de l'impasse avec la beauté du rayon de soleil qui éclaire et qui guérit.
Il cherche à instruire ceux d'entre les pharisiens qui peuvent être sincères. « De deux choses l'une : ou bien Dieu m'a donné le pouvoir souverain de guérir et aussi celui de pardonner, ou bien j'usurpe le pouvoir de pardonner et par conséquent je n'ai pas non plus celui de guérir ; la guérison de cet homme décidera. »

Comment ! Jésus va courir une pareille aventure ! Il n'a pas peur de recevoir du fait un éclatant démenti ? Il joue au commencement de son ministère toute son autorité, toute son oeuvre spirituelle sur la pointe d'aiguille d'une si chanceuse expérience ?
« Lève-toi, prends ton lit et va dans ta maison ! »
Voilà le soleil de justice qui porte la santé dans ses rayons. Avec un souverain éclat, il dissipe tous les conseils, toutes les petites intrigues. Avec la certitude absolue de faire l'oeuvre du Père, il joue à chaque instant le tout pour le tout, sans la moindre appréhension de rester en échec. Il vit dans la lumière de l'obéissance et de la foi.

Devant ce miraculé qui emporte son lit, les rangs des spectateurs s'ouvrent. Tous ceux qui gardent en eux un atome de droiture sont convaincus de la messianité de Jésus et la foule glorifie Dieu d'avoir donné un tel pouvoir aux hommes en la personne du Fils de l'homme. Il n'y a de mécontents que les experts de Jérusalem. Décidément l'affaire n'a pas tourné comme ils l'espéraient. On pourra toujours inscrire au dossier de Jésus : Blasphème ! à telle date, à Capernaüm, mais devant le peuple le coup a raté ; la popularité du Nazaréen n'a fait qu'augmenter. Malheur !

On comprend qu'à certains moments, Jésus n'ait plus pu contenir l'indignation que provoquait le parti pris de ces gens de nier l'évidence et de jouer avec la vérité. On comprend qu'il ait solennellement parlé de péché contre le Saint-Esprit à des hommes instruits par la loi et les prophètes et qui faussaient la clé de la connaissance pour empêcher les autres d'entrer dans le sanctuaire.

Ce récit nous place encore en face d'une question très actuelle.
N'avons-nous le droit de venir à Jésus que pour être guéris dans nos âmes ? La guérison du corps ne dépend-elle que des lois de la physiologie et des progrès de la médecine ?

Nous répondons sans hésiter : La puissance divine est la même qu'autrefois. Nous avons le droit de parler au Seigneur de nos corps comme nous lui parlons de tout ce qui nous préoccupe. Nos corps sont à lui comme nos âmes et nos biens. Il inspire à certains de ses enfants de lui demander directement leur guérison, afin de bien montrer qu'il reste le médecin par excellence, mais c'est, croyons-nous, l'exception. Le plus souvent, il donne à comprendre qu'il nous faut suivre l'instinct de conservation dont Il nous a dotés et prendre toutes les précautions intelligentes, compatibles avec la vie spirituelle, pour conserver notre vie terrestre.

Que chacun se meuve dans l'esprit des passages suivants qui se pénètrent sans se contredire : « Toutes choses sont à vous ! » (1 Cor. III, 21) : les remèdes, les médecins aussi bien que les fruits de la terre et les découvertes de la science. « Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre » (Matth. XXVIII, 18) donc aussi bien le pouvoir de guérir que celui de sauver. « Use d'un peu de vin pour ton estomac » (1 Tim. V, 23). « La prière de la foi sauvera le malade » (Jacques V, 15).

Que celui qui n'use pas de remèdes agisse « selon qu'il est pleinement persuadé en son esprit » mais qu'il ne condamne pas celui qui en prend. Que celui qui cherche conseil auprès de la science médicale le fasse avec prière en se rappelant qu'en définitive Dieu seul fait vivre et mourir et sans mépriser celui qui vit de seule confiance. L'un ne surpasse pas l'autre en foi ; il y a autant d'obéissance sur l'une que sur l'autre voie, mais que chacun se surpasse en humilité devant Dieu et en charité l'un pour l'autre.

L'essentiel c'est de ne pas quitter le tête-à-tête de la prière sans avoir entendu la parole du Christ : Tes péchés te sont pardonnés ! Après cela comment tu sortiras de ton lit, si tu dois en sortir, comment tu retourneras à la maison et y glorifieras ton Maître, c'est le secret de Dieu ; les moyens et les chemins sont différents.




Chez les Samaritains.

 Or un grand nombre d'entre les Samaritains de cette ville-là crurent en lui à cause de la parole de la femme.... et ils disaient - « Nous l'avons entendu nous-mêmes et nous savons que c'est lui qui est véritablement le Sauveur du monde » Jean IV, 39, 42.


Quand Jésus est sorti des frontières juives, il a clairement donné à entendre qu'il était venu avant tout pour les brebis perdues de la maison d'Israël.
De par la volonté du Père l'évangélisation des nations était réservée aux disciples. Cependant, par exception, quand une femme syro-phénicienne cria à lui avec humilité et foi, quand il eut l'intuition divine d'un réveil à produire chez les Samaritains, Jésus passa par-dessus la règle et sauva des étrangers qui osèrent anticiper sur leur époque.

Le peuple samaritain se composait de cinq nations qui avaient été amenées d'Orient par Assaradon, roi d'Assyrie, pour repeupler le royaume de Samarie et qui s'étaient unies aux restes des Israélites demeurés dans le pays. Ces nations avaient emporté avec elles leurs divinités auxquelles elles ajoutèrent par la suite le Jéhova des Juifs. Au retour de l'exil, les adorateurs du vrai Dieu refusèrent le concours de ces demi-païens, qui s'offraient à reconstruire le temple de l'Éternel et s'en firent ainsi d'irréconciliables ennemis. Les Juifs stricts les prirent en telle aversion que le terme même de « Samaritain » devint dans leur bouche une injure. Ils les méprisaient plus encore que les païens et refusaient même de les accueillir comme prosélytes.
Au temps de Jésus, les Samaritains avaient bâti leur sanctuaire sur le Garizim, ils s'étaient rapprochés du monothéisme et considéraient comme inspirés les cinq livres du Pentateuque. Ils connaissaient les idées régnantes des Juifs sur le Messie et espéraient eux aussi en ce libérateur. Quoiqu'ils eussent, un certain jour, refusé l'hospitalité à Jésus et à ses disciples parce que ceux-ci allaient à Jérusalem (Luc IX, 52 et sq.) les Samaritains marquaient cependant moins de mépris et de haine aux Juifs que ceux-ci ne leur en montraient. Jésus ne partageait pas ces préjugés nationaux ; il a toujours cherché à les détruire. Ce qui ne signifie pas qu'au retour de l'exil il n'ait pas été utile que ces préjugés prissent naissance pour maintenir les Juifs dans les frontières de leur race. En éducation, il faut parfois pratiquer des étroitesses transitoires. On ne peut pas à un certain âge laisser un enfant fréquenter n'importe qui. Plus tard, quand l'enfant aura affermi sa conscience, il pourra affronter d'autres courants et d'autres influences, mais il est un temps où il ne doit subir, si possible, que les seules influences acceptées par ses parents.

Jésus est obligé maintenant de détruire les résultats d'une obéissance nécessaire, mais qui s'est stérilisée en préjugés et il le fait admirablement. Dans la parabole de Luc X, 33, il donne le beau rôle au « Bon Samaritain ». Quand il guérit dix lépreux, il a soin de relever que le seul qui soit venu le remercier était Samaritain. Et quand le Père mettra sur son chemin une femme samaritaine, il s'empressera de saisir l'occasion de travailler en elle et par elle au salut de la nation méprisée.

Jésus fatigué, littéralement : exténué, par la marche et la chaleur, s'était assis au bord du puits de Jacob, près de la petite ville de Sichar, qu'on identifie aujourd'hui avec le hameau de El-Ascar, au pied du mont Ebal.
Une femme qui revient des champs s'arrête près du puits pour remplir sa cruche. Jésus lui demande un peu d'eau à boire. Faire confiance à quelqu'un, lui demander un service, en demeurer l'obligé c'est bien souvent la meilleure méthode encore aujourd'hui d'exercer utilement la cure d'âme. L'entrée en matière est simple, naturelle et pourtant empreinte d'une bienveillance extraordinaire. Comment, voilà un Juif - la Samaritaine l'a reconnu à son costume - qui me demande à boire, à moi, une femme samaritaine et qui ne s'envisagera pas comme souillé en appuyant ses lèvres sur ma cruche ?

L'eau, quel symbole magnifique de la grâce de Dieu ! « Si tu connaissais le don de Dieu et qui est celui qui te dit : Donne-moi à boire, tu lui en aurais demandé toi-même, (Jésus commence à lever le voile du don de Dieu fait au monde en sa personne) il t'aurait donné de l'eau vive », le salut, c'est-à-dire la pleine satisfaction de tous les besoins du coeur et la possession de celui-là même dans lequel le salut s'incarne, le Sauveur. Et voilà l'entretien avec un à propos admirable, engagé sur le vrai terrain. La bienveillance, l'absence de préjugés, l'à propos mis par nous au service de l'évangélisation ne feraient-ils pas sous la discipline de l'Esprit, des miracles ? Sont-ce là des qualités hors de notre portée ? Ne pouvons-nous pas les demander à Celui qui donne la sagesse « à tous simplement et sans reproche et elle lui sera donnée ? » (Jacques 1, 5).

Jésus continue son oeuvre de révélation. Il découvre à la conscience de cette femme la situation immorale dans laquelle elle se trouve ; après avoir eu cinq maris, l'homme avec qui elle vit maintenant n'est pas son mari ; il faut au plus vite mettre ordre à ce dérèglement. Puis il dévoile à cette âme ignorante mais sincère la grandeur du culte « en esprit et en vérité ». Jugez de l'étonnement de cette femme d'entendre un Juif déclarer qu'il existe un culte plus beau, plus vrai que celui de Jérusalem. Et quand il a ensemencé d'Évangile le coeur de la Samaritaine, il la laisse aller, la semence bénie portera ses fruits.

Nous sommes au commencement du ministère de Jésus, les disciples en sont encore à s'étonner que le Maître élève une femme à son niveau ; ils partagent le préjugé rabbinique qui ne voulait pas que l'on enseignât la loi aux femmes. Plus tard ils verront Marie de Béthanie assise aux pieds de Jésus, « les saintes femmes » suivre le Maître ; ils fléchiront les genoux avec elles dans la chambre haute et ils diront par la voix de Paul : « En Christ il n'y a plus ni homme ni femme, ni Juif, ni Grec, ni esclave ni libre » (Gal. III, 28). La simple pratique de l'amour enseigné par le Seigneur fera tomber tous les préjugés de race, de condition, de sexe, sans que jamais la juste mesure ne soit dépassée.
Leurs vivres achetés, les disciples les offrent au Seigneur.
- Maître, mange !

Mais il leur dit :
- J'ai à manger d'une nourriture que vous ne connaissez pas !

Quoi ? Que s'est-il passé ? Ils tournent le dos à la ville, ils ne voient pas les Samaritains, qui, enthousiasmés par le récit de la femme, commencent à sortir et à se rapprocher du puits. Jésus les voit et ce prompt résultat de sa prédication le remplit d'une telle joie qu'il en est comme restauré ; il savoure le festin spirituel que le Père lui procure. Quand l'oeuvre du Père s'accomplit et que la bonne volonté des hommes, - si rare - y répond, le Fils est nourri !

En considérant la campagne fertile de la Samarie, ce pays bien arrosé, bien cultivé, vrai grenier à blé, en constatant que le froment commençait à sortir de terre, les apôtres avaient probablement supputé - en gens qui s'y connaissent - une belle moisson pour l'été. Mais Jésus, en regardant ces Samaritains accourir à lui, pronostique une autre moisson beaucoup plus proche. Au point de vue spirituel « les campagnes sont déjà blanches » ; il y a des coeurs ouverts prêts à se donner au moissonneur qui viendra de la part de Dieu les recueillir. Et voilà que ce jour-là, il s'est produit quelque chose d'extraordinaire. D'habitude, il s'écoule du temps entre les semailles et la moisson, même il arrive que « l'un sème et que l'autre moissonne », cette fois « le semeur et le moissonneur se réjouissent ensemble ». Lui, le semeur, il aura la joie de moissonner tout aussitôt. Et les disciples auront l'insigne honneur de récolter avec le Maître, là où ils n'ont pas semé. Et quand, plus tard, ils viennent en Samarie, lors du réveil raconté au chapitre VIII des Actes, ils se souviendront que le Maître a semé avant eux et qu'eux « sont entrés dans son travail ».

Pendant que cette conversation s'achevait avec les disciples, les Samaritains surviennent. Ils ont été gagnés par le simple témoignage de la femme : « Il m'a dit tout ce que j'ai fait, ne serait-ce pas le Christ ? » À cette supposition ils accourent en foule ; ils veulent se rendre compte par eux-mêmes de ce qui leur est annoncé. Dès les premières approches, dès les premières paroles, ils demandent, eux des Samaritains, à Jésus, un Juif, de ne pas s'en aller, mais de rester avec eux. Et pendant deux jours, Jésus eut la joie intense de semer et de moissonner en même temps. La semence levait aussitôt que répandue, donnait du grain qui s'engrangeait instantanément dans les greniers éternels. Et, triomphants, les habitants de Sichar disaient à la femme : « Ce n'est plus à cause de ce que tu nous as dit que nous croyons, c'est parce que nous l'avons entendu nous-mêmes et nous savons que c'est lui le Sauveur du monde. » Ils ont fait l'expérience personnelle de Jésus. Ils sont parvenus à la majorité spirituelle, leur foi de traditionalistes est devenue expérimentale.

Assez de ces chrétiens, échos affaiblis, qui répètent les affirmations des autres ! Assez de pies religieuses, qui ressassent des formules incomprises ! Ce qu'il faut à nos Églises et à nos Oeuvres, ce sont des croyants qui parlent de Dieu dans leur langue maternelle, qui connaissent Christ et qui soient connus de lui. Assez de « reporters » mais des témoins de l'Évangile !

Et, chose merveilleuse, ces Samaritains ignorants ont fait d'emblée l'expérience capitale. Ils ont découvert en cet humble Juif, non seulement le Messie annoncé, mais le Sauveur du monde. Le Sauveur ! Ils ont trouvé le Sauveur, ils ont fait la trouvaille par excellence ! Et ce Sauveur, ils le déclarent d'emblée, il est pour le monde. Le monde entier y a droit, eux les Samaritains, comme les Juifs. D'un coup, d'une seule expérience sincère de Jésus-Christ, ils s'élèvent à la compréhension du salut mondial et complet !

Et en voyant ces Samaritains si bien disposés, si « francs du vouloir », quelle joie pour le Seigneur si souvent rebuté. Les beaux jours que Jésus a passés là, en Samarie ! Son coeur s'est épanoui à semer d'une main, à moissonner de l'autre ; et dire que cette oasis préparée par le Père dans le ministère de son Fils, était située en dehors des frontières du peuple élu. Ah ! comme Dieu voit autrement que nous et fait passer les frontières du peuple qu'il aime au-dessus et à côté de celles que nous posons nous-mêmes dans notre géographie à courte vue !

Et nous, ne ferons-nous pas au Seigneur Jésus la même joie que lui firent les Samaritains ? Ne jouira-t-il pas en nous de son travail d'âme ? Après nous avoir ensemencé de pardon et d'Esprit ; n'aura-t-il pas la satisfaction de nous moissonner et de faire de nous des semeurs et des moissonneurs qui entreront dans son travail ? N'est-ce pas la plus belle vocation, n'est-ce pas la plus pure joie, après avoir cru au Sauveur du monde non plus sur la foi d'autrui mais par contact personnel, que d'être autorisé à travailler avec lui et de nouer pour lui quelque gerbe de beaux épis ?

Quelle valeur ce récit de saint Jean donne an témoignage ! Ne serait-ce pas pour nous un bonheur inexprimable que d'entendre un jour un ami, là-haut, près du Seigneur nous dire : « Frère, après Dieu, je te dois le salut ! Ce n'est plus à cause de ce que tu m'as dit que je crois, car je l'ai vu moi-même, le Sauveur du monde, mais c'est ton témoignage qui m'a attiré à la Fontaine de Vie ! »




Le démoniaque de Gadara.

Marc V, 1-20.

 Oui, dit l'Éternel, la capture du puissant lui sera enlevée et le butin du tyran lui échappera. Esaïe XLIX, 25.

Lorsqu'un homme fort et bien armé garde sa maison, ce qu'il possède est en sûreté. Mais si un plus fort que lui survient et le dompte, il lui enlève toutes les armes dans lesquelles il se confiait et il distribue ses dépouilles.
Luc XI, 21-22.

Dieu a oint du Saint-Esprit et de force Jésus de Nazareth qui allait de lieu en lieu, faisant du bien et guérissant tous ceux qui étaient sous l'empire du diable....
Actes X, 38.


Satan est aussi le voleur d'hommes. Il s'attaque à ceux qui sont en bonne santé mentale et les prend par séduction. Il attise en eux « la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de la vie. » Ce sont des esclaves qu'il tient pour ainsi dire dans la cour de son château-fort. Ceux qui présentent une fêlure du système nerveux, une tendance à la dépression morale, un affaiblissement de la volonté, il les enchaîne par l'obsession. Ces malheureux, gardés en geôle, sont hantés d'alcoolisme, d'impureté, d'idées fixes ou de suicide. Enfin, dans les oubliettes du château, sont les possédés, ceux qu'une désorganisation mentale, qu'une fissure de la personnalité a livrés aux artifices du démon. Celui-ci s'est glissé jusqu'au centre même de la victime dont la dernière protection, la personnalité, a disparu, aliénée par l'effroyable intrus. Mais Jésus, l'homme plus fort, a vaincu l'homme fort et peut lui arracher ses dépouilles. C'est la délivrance d'un des plus misérables prisonniers de Satan que nous allons contempler en assistant à la guérison du démoniaque de Gadara.

Jésus venait d'en imposer aux forces déchaînées de la nature, il avait apaisé la tempête et les disciples s'étaient écriés : « Quel est celui-ci auquel les vents même et la mer obéissent ! » quand il se trouva en présence de forces autrement redoutables, celles du Malin, qui s'étaient emparées d'un malheureux Gadarénien. Cet homme faisait sa demeure dans les sépulcres, cavernes creusées aux flancs des montagnes ; l'odeur de la pourriture et les ossements des morts l'attiraient. Il poussait des cris sauvages, errait sans but, poussé par la force mauvaise qui ne lui laissait aucun repos. Il se meurtrissait avec des pierres et, dans des accès de frénésie, cherchait à frapper les passants ou à se tuer lui-même.

Le missionnaire Mayor de Kabylie raconte ce qui suit : « Un individu est connu dans le pays pour être « malade du démon » ou comme on dit aussi « acheté par le démon ». Quand il est dans son bon sens, il se fait héberger dans les mosquées, les monastères. Il vient souvent à la station, on lui donne à manger, on s'entretient avec lui ; ses allures sont celles d'un mendiant tranquille. Au contraire quand les crises le prennent, il se sauve dans les forêts, dans les cavernes, se meurtrit avec des pierres, des morceaux de bois. Il vint un jour à la station en état de crise, il ne me reconnaissait pas, dès qu'on l'approchait, il s'enfuyait avec des gestes désordonnés. Quand il revient à lui il déclare positivement qu'il se sent possédé d'un mauvais esprit. »

On avait cherché à tenir le Gadarénien lié, mais il avait brisé ses chaînes. En état de crise certains aliénés dépensent d'un coup la force de plusieurs semaines ; ils sont capables de violences surhumaines. On me montrait un jour à Bellelay un aliéné, couché tranquillement dans sa cellule, le médecin disait : « Quand les crises prennent cet homme, il bondit comme un chat, saute au plafond de la cellule ; il est doué d'une telle force qu'il étranglerait instantanément le gardien le plus robuste. »

Le possédé de Gadara accourt au-devant du Seigneur. Est-ce dans de mauvaises intentions ? Va-t-il attaquer Jésus ? Certains exégètes le pensent. Jésus, calmement, mais avec une suprême autorité, ordonne au démon de s'en aller. L'homme se prosterne : « Jésus, Fils du Dieu Très-Haut, ne me tourmente pas ! » Comment a-t-il reconnu Jésus ? Est-ce lui-même ou le mauvais esprit qui est en lui ? Jésus commence la cure en ramenant l'être humain à lui-même, en le séparant pour ainsi dire de la puissance mauvaise qui a usurpé la place ; il lui pose cette question calmante par excellence et propre à ramener cet homme à la réalité : « Quel est ton nom ? » Prenons exemple sur Jésus. Quelquefois une parole très simple, ramenant la pensée enfiévrée d'un malade sur la réalité toute proche, détruit le brouillard et l'obsession. La réponse est « Légion ». Marie-Madeleine n'avait-elle pas été délivrée de sept démons ?

Que toute cette question de la possession est redoutable et mystérieuse ! Il semble que pour ces mauvais esprits la faculté d'habiter un corps d'homme ou même d'envahir un troupeau d'animaux apporte un certain soulagement au vide et à la séparation de Dieu dont ils sont tourmentés. Jésus permet à ces démons de se jeter sur les pourceaux. Est-ce par pitié pour les démons ? Non, mais pour exercer un jugement d'appel sur cette population gadarénienne, qui, tout en étant à moitié juive, transgresse la loi en élevant le porc, défendu par la loi. Le troupeau se jette à la mer, l'homme est délivré. Il a retrouvé sa personnalité ; à l'ordre souverain du Seigneur, les mauvais esprits ont dû céder la place et ils ont obéi en tremblant. On revêt le gadarénien d'habits d'emprunts et il s'assied, tranquille, heureux aux pieds de Jésus.

Ces événements constituaient pour les Gadaréniens un double appel : Un appel par voix de jugement. Ils ont été remis brusquement en présence des obligations de la loi mosaïque qu'ils ne pratiquaient plus. Un appel par voix de grâce. La vue de cet homme, la terreur du pays, assis, habillé, dans son bon sens, ne va-t-elle pas les gagner à Jésus, l'auteur de ce miracle ? Ce double appel ne leur révèle-t-il pas que Jésus est le Messie, à la fois le Réformateur et le Libérateur ? En eût-il fallu davantage pour attirer les Samaritains ? Un réveil plus grand que celui de Sichar ne va-t-il pas éclater parmi les Gadaréniens ? Jésus aura-t-il la joie de semer et de moissonner en même temps, comme auprès du puits de Jacob ? Non, ces gens sont consternés de la perte de leur troupeau. Les biens leur tiennent infiniment plus à coeur que le salut ; et, même après avoir appris tous les détails de la guérison du démoniaque, ils prient Jésus de se retirer de leurs quartiers. Ils craignent que Jésus, continuant son oeuvre de réforme parmi eux, ne leur réclame de nouveaux sacrifices ; ils ne veulent pas de la conversion. Pour continuer à paître tranquillement leurs pourceaux, ils préfèrent que Jésus s'en aille.

Une semblable attitude est plus fréquente qu'on ne l'imagine.
Un instituteur suivait régulièrement les cultes d'un pasteur rempli de l'Esprit de Dieu. Il cessa brusquement d'aller au temple. Il répondit tout crûment à un collègue qui s'informait de ce changement : « Si j'avais continué à fréquenter ces cultes, j'aurais dû me convertir et je ne le voulais pas ! »

Deux jeunes gens s'opposèrent résolument aux visites que des croyants faisaient à, leur mère, en disant : « Notre mère est bonne telle qu'elle est, nous ne voulons pas qu'elle se convertisse. » Ils craignaient qu'une fois convertie, cette mère n'introduisît dans la maison des réformes morales dont ils ne se souciaient pas.

Sommes-nous de ceux qui prient poliment le Seigneur de s'en aller quand nous voyons poindre à l'horizon de notre conscience les réformes qu'il voudrait introduire dans notre vie ?

Le possédé guéri a changé de maître, il a passé du service du tyran à celui du maître doux et humble de coeur ; il a échappé au loup ravisseur et il est devenu la brebis du bon Berger qui respecte la personnalité humaine au point de rester à la porte quand on ne lui permet pas d'entrer, et qui, une fois entré, ne se substitue jamais brutalement à la personne qui s'est donnée à lui, mais en prend la direction bienveillante et bienfaisante, à la façon d'un père qui conseille et qui dirige la volonté de son enfant. Il fait épanouir la personnalité de son « possédé », il l'enrichit, il l'amène à donner toute sa mesure, il le guérit de ses blessures, il le purifie du contact souillé de l'adversaire, il le libère de la convoitise de la chair et du monde et il lui paie l'hospitalité en joie de vivre, en capacité d'aimer Dieu et ses frères, en réalisation de la sainte volonté du Père, ce qui est la seule bonne et vraie vie.

Et ce brave Gadarénien maintenant ne veut plus quitter son nouveau Maître. Son désir ardent est de suivre Jésus partout. Pour diverses raisons, l'affermissement de l'homme lui-même au contact des oppositions, le développement du règne de Dieu dans cette partie du pays, le Seigneur n'accède pas à ce désir et il l'envoie raconter aux siens les grandes choses qui lui ont été faites. Le nouveau disciple devra marcher seul, par la foi, par la prière - car il sera soutenu du Père - et il deviendra un courageux missionnaire dans cette contrée que Jésus reviendra évangéliser plus tard.

Ce n'est pas à nous de choisir le coin de la vigne où nous travaillerons le mieux pour le Maître ; c'est à lui de nous le montrer. Peut-être en Chine, peut-être à l'usine, à la réunion de prière, ou devant les moqueurs, que chacun sache dire, avec le courage d'un rescapé de la perdition, mais aussi avec la discipline de l'Esprit, les grandes choses que le Seigneur lui a faites !

Il manque un don à l'Église, celui de chasser les mauvais esprits, surtout quand on réfléchit que Jésus l'accorda à ses disciples, avant leur conversion, en les envoyant évangéliser deux à deux (Luc X, 17) ou bien quand on se souvient qu'au jour du jugement ceux mêmes dont la piété n'aura été que du verbiage pourront dire : « N'avons-nous pas chassé les démons en ton nom ? » (Matth. VII, 22).

M. Mayor avoue qu'il n'a jamais osé commander avec autorité aux démons de sortir quand il s'est trouvé en présence de cas de possession ; il s'est toujours contenté de prier instamment le Seigneur d'intervenir ; des crises ont été arrêtées de cette manière mais il ne peut pas parler de guérisons définitives.

Le pasteur Wysard, dans une réunion de la Société pastorale suisse, raconta le fait suivant : « Je fus appelé auprès d'une jeune femme, d'hérédité normale, dont les frères et soeurs ne donnent aucun signe de dérangement nerveux. La malade souffrait de terribles crises qu'elle attribuait à la présence en elle d'un mauvais esprit. Elle me confessa, qu'en pension, avec d'autres jeunes filles, elle s'était beaucoup préoccupée de la personnalité du diable et même l'avait évoqué. Depuis lors il s'était produit en elle des désordres nerveux qui allaient en augmentant. Un jour elle était dans une telle épouvante, suppliait avec tant de larmes qu'on la délivrât du malin esprit que je pris courage et dis en saisissant la main de la malade : « Esprit malin, au nom du Seigneur Jésus, sors de cette femme ! » Il se produisit une secousse terrible dans le corps de la patiente, moi-même je fus secoué et tout effrayé, mais à partir de ce moment les crises ne reparurent plus. La jeune femme continue à être malade physiquement, mais elle est apaisée, elle n'a plus ni effroi, ni terreur, elle se sent délivrée. »

Ces cas de possession directe sont heureusement rares dans nos pays. Par contre les cas morbides où une passion : alcoolisme, impureté, opium, tabagisme, est devenue une obsession par suite d'intrusion maligne et de débilitement de la volonté, sont de plus en plus fréquents. Un Zeller, un Blumhardt ont possédé le droit de dire : « Au nom du Seigneur Jésus, sors de cet homme ! »

Ne sentons-nous pas que pour posséder ce pouvoir, il faudrait que nous ne donnions plus aucune prise nous-mêmes au diable ?
Que le Seigneur nous purifie de toute souillure, qu'il nous remplisse de son Esprit et peut-être recouvrerons-nous ce don.
 

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