Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Tenté par le diable.

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 Alors Jésus fut emmené par l'Esprit dans le désert pour être tenté par le diable. Matth. IV, 1-11.

En conséquence il a du être rendu semblable en toutes choses à ses frères.... Ayant été tenté lui-même dans ce qu'il a souffert, il peut secourir ceux qui sont tentés.
Héb. II, 17, 18.


Après avoir franchi le portail grandiose de la Création dans le livre de la Genèse, nous sommes immédiatement placés au chapitre suivant en présence d'une chute qui a fait crier victoire au démon. Et autant il naîtra d'êtres humains dans notre pauvre monde, autant ils seront marqués de la tare originelle. On peut se révolter contre cette déclaration de l'Écriture, s'agiter, se battre les flancs pour découvrir d'autres théories, toujours la réalité s'impose : il n'y a pas d'homme saint. Le plus beau, le plus pur, le plus noble, celui qui décidément paraissait être l'exception cherchée, vu de près, porte lui aussi l'empreinte de la souillure. Il n'y en a qu'un seul dont tout l'être, dont toute la vie soient immaculés.

Au seuil du Nouveau Testament nous retrouvons le récit d'une tentation. Il a fallu - c'est l'Esprit lui-même qui envoie Jésus au désert - que le fils de l'homme ait lui aussi sa rencontre en champ clos, seul, au désert, avec le tentateur, n'ayant pour témoin que son Père et pour arme que la Parole de Dieu. Mais, cette fois, le champion de l'humanité et de Dieu, le second Adam, est sorti vainqueur de la lutte, il a inauguré la série des victoires que le Fidèle, le Véritable remportera dès lors sur l'adversaire au cours de sa vie terrestre, puis au travers des siècles jusqu'à la victoire définitive.

Jésus vient de passer quarante jours dans la prière et dans le jeûne. C'est à peu près la limite extrême du jeûne qu'un homme puisse supporter. Il a faim ; tout son être physique est affaibli. Jésus n'offre plus aux entreprises du méchant une capacité normale de résistance. Satan profite aussitôt d'une circonstance aussi favorable. Du reste, vous l'avez remarqué sur vous-même, c'est quand un concours de circonstances propices à la chute se produit au dehors, qu'au dedans le désir de tomber se fait le plus fascinant. Voilà pourquoi Jésus nous apprend à prier et à dire : « Ne nous induis point en tentation », c'est-à-dire : « Ne permets pas qu'un besoin intérieur impérieux, attisé par le souffle du démon, rencontre en même temps une occasion extérieure favorable à la chute. » En Jésus rien ne souhaite tomber, son coeur est tranquille, mais le diable cherche à insuffler du poison dans ce coeur pur en profitant de l'affaiblissement physique qui se répercute parfois jusque sur la volonté.

- Tu as faim ! dis que ces pierres deviennent des pains ! En quoi ce simple conseil constitue-t-il une tentation ? En quoi serait-ce un mal que d'augmenter miraculeusement la somme de nourriture dont l'humanité dispose ? Jésus ne l'a-t-il pas fait ce miracle et dans une mesure considérable, quand il a nourri de pain et de poisson des milliers d'affamés ?

Multiplier des pains, changer de l'eau en vin, ou transformer des pierres en pain, n'est-ce pas identique ? Sous ce conseil anodin, Satan cache une ruse abominable, il incite le Seigneur à se servir de sa puissance miraculeuse en sa propre faveur, tandis que Jésus ne doit employer le pouvoir qu'il détient du Père que pour les autres. Riche, il lui faut rester pauvre ; lui qui a quitté le ciel, la maison paternelle, il ne doit même point avoir un lieu pour reposer sa tête, et Satan veut l'aiguiller vers une fausse vie qui ne vivra plus de foi mais de prodiges. À quoi bon demander au Père instant après instant ce dont il a besoin s'il peut se le procurer tout seul, dès l'abord.

Jésus a promptement découvert le piège. Le sens spirituel du Christ demeure aiguisé. Jésus veille et prie ; il flaire pour ainsi dire l'odeur vénéneuse des paroles qui lui sont insufflées, il ne sait d'où. Il est très probable que ce n'est qu'à la troisième tentation que Jésus s'est rendu clairement compte qu'il était soumis à une tentation du diable. Mais dès l'apparition de cette voix insolite :
- Dis que ces pierres deviennent des pains ! Jésus répond :
- Il est écrit « l'homme ne vivra pas de pain seulement mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu ! » (Deut. VIII, 3.)

C'est une parole non de dénigrement pour le pain, mais d'absolue confiance en son Père. Celui qui a dit : « Ramassez les morceaux qui restent afin que rien ne se perde » ne peut faire fi de ce qui nourrit le corps mais il faut que chaque chose soit mise à son rang sur l'échelle des vraies valeurs. Le pain a son importance, mais « ce qui sort de la bouche de Dieu » a plus de valeur encore. Dieu appelle son Fils à vivre de sa seule parole, quand le moment sera venu pour le Fils de manger du pain, le Père y pourvoira avec munificence.

Donnons à la question du pain l'importance à laquelle elle a droit, travaillons à faire disparaître la misère, luttons contre la vie chère, les logements insalubres ; veillons à ce que le pauvre soit nourri, vêtu, soigné ; donnons au « mieux-être » la place qui lui revient dans les préoccupations du chrétien, mais plaçons toujours au-dessus de tout la vie spirituelle, la pensée, la parole, la volonté, l'amour de Dieu. Frank Duperrut (1) disait dans ses « Résolutions » : « Chaque jour une heure Bible ; et si je n'en puis faire qu'une : Bible ». Que de gens qui disent : « D'abord le pain ! » Comme si en cherchant la parole de Dieu en premier on risquait de manquer de pain !

Repoussé une première fois, Satan revient à la charge. Il transporte Jésus en esprit sur une corniche du temple et lui dit :
- Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi en bas ; n'est-il pas écrit :

Il donnera des ordres à ses anges à ton sujet....
Et ils te porteront sur leurs mains,
De peur que ton pied ne heurte contre une pierre.
Ps. XCI, 11, 12.

Satan n'ignore pas les prophéties messianiques et il en fait ici une application abusive en incitant Jésus à faire de son pouvoir un emploi indiscipliné. Au lieu d'attendre les ordres du Père, le Fils usera des promesses à sa convenance et il attirera les foules par des miracles de parade. Jésus souffle sur ces interprétations malsaines de l'Écriture et il répond :

- Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu ! c'était dire : tu ne mettras pas « le Seigneur ton Dieu » - qui est ton Maître - en demeure d'intervenir à tort et à travers au nom de ses promesses, ce serait le tenter. Sortir de la foi humble, soumise, qui fait marcher derrière Dieu et prétendre précéder le Seigneur, lui dicter des ordres, réclamer le pouvoir de faire des miracles, le don des langues, sans ajouter : « Ta volonté et non la mienne » ; viser à l'effet, imposer l'Évangile à l'admiration des peuples plutôt qu'à la conscience, tout cela c'est inspiré du démon. Demandons-lui plutôt qu'il nous garde patients, dans la position modeste où il nous a mis, et nous apprenne à perfectionner nos moyens d'action spirituels, en laissant de côté les armes charnelles. Tous les moyens qui ne contribuent pas à établir le Royaume de Dieu sur les bases de la conversion, de la mort à soi-même et de la vie conforme à celle de Christ font l'affaire de Satan et ne donnent que peu de résultats. Laissons tomber de notre activité chrétienne tout ce qui est de parade et ne conservons que ce qui est vérité et confiance en Dieu.

Battu deux fois, Satan forge rapidement son dard le plus acéré. Transportant de nouveau Jésus en esprit, il le place sur une montagne idéale d'où l'on aperçoit successivement tous les royaumes du monde : « Je n'ignore pas pourquoi tu es venu sur la terre, affirme celui qui s'est déguisé en ange de lumière, c'est pour sauver les hommes ; tu vas chercher à les convaincre, mais tu n'y parviendras pas. Il te faudra souffrir, tu seras bafoué et crucifié et ton oeuvre restera en échec. En définitive, je ne leur veux pas tant de mal que tu te l'imagines, aux hommes ! Tiens, les voilà tous ! Prends possession de ces royaumes d'un seul coup. Tu feras le bonheur du genre humain et tu t'éviteras des souffrances inutiles. Seulement il me faut un petit salaire. Fais acte de soumission un instant, devant moi ! » Cette fois Satan cherche à prendre Jésus par le coeur. Pourquoi le Seigneur ne s'humilierait-il pas un instant devant Satan pour lui arracher ses victimes ? Les hommes sauvés, l'oeuvre achevée d'un coup, l'amour triomphant dans l'abaissement, tout cela ne vaut-il pas une génuflexion libératrice ? « Paris ne vaut-il pas une messe ? » dira plus tard Henri IV. Ne faut-il pas s'accommoder aux circonstances et profiter des occasions ? Satan, pris au mot, ne sera-t-il pas joué ? C'est un si petit mal qui produira un si grand bien !

Jésus a distingué l'effroyable embûche. Désobéir à Dieu, même pour sauver le monde, jamais ! Il est écrit, et cela est au-dessus de tous les concours de circonstances, de tous les sophismes et cela est la seule vérité et la seule réalité : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu et tu le serviras lui seul » (Deut. VI, 13). C'est le seul bien, qui soit le bien. Vouloir sauver le monde par un péché ce serait se perdre soi-même en perdant le monde.

Que jamais nous ne nous laissions prendre à cet hameçon dangereux : faire du mal pour qu'il en arrive du bien, de quelques lumineux rayons que soit paré ce bien. Le seul vrai bien, c'est d'obéir à Dieu alors même que ce bien tout modeste en ses apparences, semble dépourvu de résultats visibles. La ligne droite, toujours ! Pas de compromis avec le mensonge et l'idolâtrie ! Que notre amour pour le prochain soit assez vrai, assez fort pour qu'il ne nous inspire jamais dans sa réalisation que l'emploi de moyens dignes de Dieu et conformes à sa Parole, dussions-nous souffrir et mourir même sans rien voir et même sans comprendre la cause de notre échec : nous serons des vaincus devant les hommes.... des vainqueurs devant Dieu !

Deux remarques encore.
S'il est tout un parti qui conteste la divinité du Seigneur, qui ne voit en lui qu'un homme meilleur que les autres, qu'un prophète, qu'un modèle, il en est un autre, qui méconnaît et compromet l'humanité de Jésus. À ces derniers nous disons : Jésus, tout en étant engendré du Saint-Esprit, a été tellement homme, tellement semblable à nous en toutes choses qu'il a passé par la tentation. Or qui dit tentation, dit possibilité de chute. S'il eût été impossible de par sa nature à Jésus de tomber, la tentation n'eût pas été sérieuse et Satan n'eût pas perdu son temps à se faire battre. Si l'adversaire a essayé son pouvoir sur Jésus c'est qu'il a espéré vaincre, c'est que Jésus s'était mis dans la situation de pouvoir être vaincu. « Ah ! tu veux être vraiment homme, c'est qu'alors tu te mets à la portée de mes coups ! » Eh bien, c'est en homme, à qui la chute n'est pas impossible, que Jésus a accepté la lutte et c'est en qualité d'homme qu'il a vaincu avec le moyen de vaincre qui est à la portée de tous les hommes : la Parole de Dieu.

Notre seconde remarque découle en somme de la première.
« Ayant été tenté lui-même dans ce qu'il a souffert, il peut secourir ceux qui sont tentés ». Jésus sait ce que c'est que la tentation ; il a jaugé les forces de l'adversaire ; il n'ignore pas, les ayant expérimentées lui-même, qu'elles sont redoutables. Il connaît d'autre part la faiblesse de notre nature et sait bien « de quoi nous sommes faits » ; il comprend que nous ne pouvons pas vaincre seuls, du reste il ne le réclame pas non plus, il ne demande pas l'impossible. Il s'offre à secourir ceux qui sont tentés, il a vaincu pour nous en même temps que pour lui. D'où vient alors que nous soyons si souvent vaincus ?

Parce que nous courons au-devant de la tentation, parce que nous aimons le péché, parce que nous sommes déjà vaincus d'avance. Ou bien, si nous désirons sincèrement vaincre, parce que nous cherchons à vaincre tout seuls, par nos petits moyens, en rusant avec l'adversaire, parce que nous n'usons pas du vrai, du grand, du seul moyen de salut : le cri d'angoisse adressé à « l'homme plus fort » vainqueur de l'homme fort. Qui ose dire qu'ayant tremblé devant la tentation et haï le péché, qu'ayant réclamé à genoux le secours divin et saisi la victoire par la foi, il a été vaincu quand même ? Personne. Le Seigneur est fidèle, il ne permet pas que nous soyons tentés au delà de nos forces ; en laissant agir la tentation il en prépare aussi l'issue et cette issue, si nous réclamons son secours, sera une victoire.




Le don de Dieu.

 Dieu a tant aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en Lui ne périsse point mais qu'il ait la vie éternelle. Jean III, 16.


Ce passage est une Bible en miniature ; il nous met dans l'adoration par tout son poids de promesse et de beauté. C'est une parole que l'on cite, que l'on proclame, mais ose-t-on s'essayer à la développer ? Y ajouter quelque chose n'est-ce pas l'affaiblir ? Et pourtant « elle fait bouillonner dans mon coeur des paroles excellentes. Je dis : Mon oeuvre est pour le roi ! Que ma langue soit comme la plume d'un habile écrivain ! » (Ps. XLV, 1).

Dieu voilé dans l'Ancien Testament par l'obligation pédagogique de ne découvrir à son peuple qu'une partie de lui-même, se révèle dans ce passage par la bouche de son Fils. C'est le spectacle saisissant pour l'âme, de l'amour de Dieu qui jaillit de son coeur comme une fontaine de vie et qui se répand dans le monde entier. Jésus, l'Envoyé du Père, n'aurait-il prononcé que cette seule parole qu'il devrait être béni à jamais ; elle suffit à notre salut : c'est le sommaire de l'Évangile. Ces quelques mots nous mettent en présence de Celui qui donne, de Celui qui est donné ; de ceux qui reçoivent.


CELUI QUI DONNE

 Celui qui donne, c'est l'Être inaccessible que les cieux des cieux ne peuvent contenir, Celui que nous ne pouvons concevoir que comme une Vie sans limites dans le passé et dans l'avenir, qui se meut dans l'éternité, devant lequel seules l'adoration et l'humiliation sont un culte raisonnable. S'il ne se démontre pas à la raison, nous le sentons partout, nous enveloppant, nous contrôlant et parlant à notre conscience. Le donateur, c'est le Tout-Puissant, Créateur du ciel et de la terre, par lequel tout subsiste, qui parle à Job en disant :

Où étais-tu quand j'ai fondé la terre ?
Parle, si tu possèdes l'intelligence.
Qui en a fixé les mesures, si tu le sais,
Ou qui a étendu sur elle le cordeau ?
Sur quoi ses piliers ont-ils été fondés,
Ou qui en a posé la pierre angulaire,
Alors que les étoiles du matin chantaient en choeur,
Que tous les fils de Dieu poussaient des cris de joie !
Qui a fermé la mer avec des portes,
Quand elle sortit avec force du sein maternel ;
Quand je lui donnai les nuages pour vêtements,
Les sombres vapeurs pour langes.
Quand je lui donnai pour limites des berges abruptes,
Que je lui mis des barres et des portes ;
Et que je dis : Jusqu'ici tu viendras, et pas plus loin ;
Ici s'arrêtera l'orgueil de tes flots!
Job XXXVIII, 4-11.

C'est celui devant lequel les myriades de myriades qui habitent les infinis du ciel se prosternent et chantent de joie. Celui à qui rien ne résiste, qui sait et qui peut tout : ce Dieu-là, il a aimé, il est amour, il a créé des êtres conscients, à son image, pour multiplier les occasions de témoigner son amour et pour recevoir en retour de ces êtres nouveaux un amour spontané.

Or qu'est-il arrivé ? Ces êtres créés pour aimer, se sont révoltés ; le monde sorti du néant, pour devenir une province du Paradis, s'est rebellé ; le péché humain, né du mal diabolique, a souillé les êtres de beauté et de bonté que Dieu avait créés pour sa gloire et la création elle-même a été asservie à la vanité. Le Créateur, le Dieu saint « dont les yeux sont trop purs pour voir le mal », au lieu de s'en détourner avec horreur a aimé le monde tel qu'il est, flétri, souillé, dans lequel le blasphème est perpétuel, le monde à la surface duquel ses plus saintes lois sont foulées aux pieds, le monde où les plus beaux dons sont vilipendés, où l'intelligence s'attache à composer des philosophies qui le nient, à créer des moyens de destruction, où l'art, dévié de son but, augmente la somme des voluptés ; le monde qui cache un amas d'iniquités, d'ordures, de malheurs, de boue et de sang, dans lequel des petits sont écrasés, des pauvres filles sont vendues pour servir à un honteux trafic, où l'on défie la justice, où le démon semble avoir pour toujours marqué de sa griffe la créature de Dieu ; ce monde, Dieu l'a aimé. Dieu nous a aimés, nous les rebelles, les impies. Dieu m'a aimé moi qui ai méconnu ses lois, abusé de ses bienfaits, étouffé la voix de ma conscience et qui ne méritais que le rejet de devant sa face, voilà le miracle des miracles ; voilà ce que la raison ni la conscience ne peuvent concevoir ; l'amour de Dieu pour le monde déchu c'est un acte de liberté souveraine que rien n'explique, que l'essence même de Dieu « qui est amour ».


CELUI QUI EST DONNÉ

 Et quel don pouvait suffisamment manifester l'amour d'un tel donateur ? Il n'a pas donné seulement un grand prophète, un messager humain possédant à la fois le génie et l'Esprit de Dieu dans une mesure extraordinaire. L'humanité s'est fait des dons auxquels Dieu n'est pas resté étranger, elle s'est donné un Bouddha, un Zoroastre, un Socrate, un Platon, mais Dieu n'a pas donné un homme à l'homme ; c'était trop peu. Il n'a pas donné non plus une créature céleste, le premier des anges qu'il aurait revêtu de puissance et investi du titre de Messie. Non, c'est ici que le sommet étincelant de l'amour de Dieu, se découvre dans toute sa beauté : il a donné son Fils, un ange n'aurait pas pu nous aimer assez. Il a donné ce qu'il avait de plus cher, celui qui faisait partie de lui-même, cet être qui est Lui et pourtant qui est distinct de Lui, auquel l'attachaient des liens que notre faible compréhension humaine est impuissante à déterminer, celui dont Dieu lui-même dira au jour du baptême comme à celui de la Transfiguration : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toute mon affection ! » Voilà le seul être qui, étant Dieu, pourra nous aimer comme Dieu entend que nous soyons aimés pour que la mesure soit comblée. Et cet être si cher, Dieu l'a donné. Il ne l'a pas prêté un instant seulement, l'envoyant dans une sainte magnificence accomplir une oeuvre abrégée de triage, comme ce sera le cas quand il reviendra par la seconde fois. Il l'a donné en le faisant entrer par la porte de la naissance dans une chair semblable à la nôtre, pour être bien réellement des nôtres. Il est devenu chair de notre chair, sang de notre sang, race de notre race, solidaire de notre péché sans être pécheur lui-même, acceptant la responsabilité de notre passif, sans être débiteur lui-même, et mettant sa vie sans tache pour combler notre déficit.


CEUX QUI REÇOIVENT

 À qui Dieu donne-t-il le Fils de son amour ? À quiconque croit en lui et l'accepte. Quiconque, voilà le mot de la Bible, le mot de Dieu. Il n'y a pas de privilégiés. Dans ce monde les parchemins et les titres de noblesse sont pour quelques-uns. La fortune et les honneurs n'ont de valeur que parce que tout le monde ne peut y prétendre. Les dons de la pensée, de l'art, du sentiment qui créent de la beauté, de la bonté, dons bien supérieurs à la fortune et à la richesse, ne sont l'apanage que d'une élite. Et on aura beau passer le rouleau compresseur de l'égalité, on n'arrivera jamais à faire les hommes parfaitement égaux. Le don de Dieu est pour tous. C'est le plus petit parfois, le plus humble croyant, ce buveur relevé qui porte encore les stigmates de son ancien vice, cette femme de mauvaise vie devenue une « sainte femme » qui possède le coeur le plus grand pour recevoir le don de Dieu dans la mesure la plus complète. Quelle joie d'ouvrir à deux battants les portes du banquet : il n'y a ni premières, ni secondes places ; tous respirent le parfum du même amour, mangent du même pain de vie, boivent à la même coupe, se rassasient de la même bonté : Jésus-Sauveur, Dieu fait homme.

Dieu ainsi a aimé le monde, le monde tout entier, il a donné son fils unique au monde et non pas seulement à une petite élite, non pas seulement à ceux qui, selon l'expression de saint Augustin, ont l'âme « naturellement chrétienne », qui possèdent la dotation royale, le plus beau capital qu'il soit possible d'imaginer, la foi facile, mais dont Dieu aussi demandera un intérêt proportionné. Dieu a aimé les âmes sèches, froides, indifférentes, orgueilleuses, sur lesquelles le bien glisse sans les pénétrer ; Dieu a donné son Fils à ceux-là et il fait pour eux tous les efforts compatibles avec leur liberté pour les attirer à Lui. Une telle parole : « Dieu a tant aimé le monde » ouvre devant nos yeux des perspectives à perte de vue. Il n'est presque pas possible de penser qu'un monde « aimé de Dieu » soit en immense majorité perdu : devant tout coeur humain où il y a une étincelle d'amour, un soupir, Dieu fera un jour resplendir l'éclat de son salut. Puisse la multitude de ceux que le Prince de ce monde a aveuglés, ouvrir le coeur et les yeux aux rayons de cet amour qui subjugue ! Mais le salut n'est pas automatique, fatal ; l'amour de Dieu donnant son Fils implique une condition pour se réaliser : la foi.

Si le mot « quiconque » est de Dieu, le mot « croit » l'est au même titre. C'est entre les mots « quiconque » et « croit » que passe la frontière qui sépare les deux humanités. La moindre condition qu'un donateur puisse exiger c'est que le don qu'il fait soit accepté. Dieu est trop respectueux de nous, le don de Jésus est trop ineffable, pour que nous soyons sauvés par contrainte.

Mépriser un don et en jouir quand même implique une contradiction et une dissolution. Or le moyen magnifique employé par Dieu pour faire appel à la volonté de l'homme, moyen facile jusqu'à être enfantin, moyen si gros de conséquences qu'il exige toute la volonté et toute la liberté de l'homme, c'est de croire au Fils unique.

Croire en lui ce n'est pas seulement mettre en jeu toutes les forces de l'intelligence, tous les moyens d'investigation, étudier tous les documents qui le concernent pour ensuite conclure en sa faveur et admettre la réalité de son existence et de son oeuvre. Ce n'est pas non plus, dans le sens inverse, abdiquer sa personnalité, se faire crédule, accepter d'autorité la croyance comme le catholique, qui est décidé à croire, fût-ce à l'absurde.

Non, croire c'est franchir la ligne de démarcation qui sépare les deux humanités, c'est sortir de celle qui est solidaire du premier Adam et entrer par un seul pas, par un seul acte de volonté dans les rangs de la nouvelle humanité, solidaire du second Adam. C'est non pas seulement croire à Christ comme au Sauveur, mais c'est le posséder comme tel, c'est être lié à lui par un fil tendu sur lequel court le saint dialogue de la prière, le « je me donne à toi » de l'homme et la réponse le « tu es à moi » de Jésus. Croire semble peu de chose, mais c'est tout ; si croire n'est pas tout, croire n'est rien ; c'est le don de soi qui répond au don de Dieu ; Dieu ne donne en fait son Fils qu'à ceux qui se donnent en vérité à lui.

Et la conséquence de l'obéissance de la foi c'est de ne pas périr, rien de moins. Une balle a sifflé à mon oreille, si l'instant d'avant par une sorte d'intuition de l'instinct de conservation, je n'avais pas imperceptiblement penché la tête à droite, j'étais tué net. Ce mouvement a été très faible, pourtant il a une portée incalculable, - au moins pour moi - il m'a conservé la vie. Quand Christ, le don de Dieu, m'a été révélé un certain jour, peut-être à une certaine heure, avec une force telle que j'en ai compris la grandeur, que ma conscience a été ébranlée jusqu'en ses profondeurs et que j'ai pressenti une faute irréparable à le refuser ; quand, face à face avec le tréfonds de moi-même, j'ai été bouleversé par mon péché, obligé de dire : « Christ seul est le salut et la vie », si j'avais « résisté à la vision céleste » sous n'importe quel prétexte, c'en était peut-être fait de moi, j'aurais méprisé la grâce de Dieu et qui sait ? si cet acte de mépris ne m'aurait pas mené à un état d'endurcissement définitif. J'ai cru, je suis sauvé. Il ne s'agit donc pas en l'espèce de petits intérêts en présence desquels on puisse dire : « Cela m'arrange ou cela ne me convient pas de croire ». Ce n'est pas d'un peu plus ou d'un peu moins d'agrément dans ce monde ou dans l'autre qu'il est question.

Il s'agit de périr loin de Dieu dans l'endurcissement ou bien de posséder la vie éternelle, la joie sans bornes auprès de Dieu.... Et puis il ne s'agit pas que de soi ; il s'agit de Dieu, de sa gloire. La gloire de Dieu d'abord ! Et puisqu'il se trouve que dans l'existence des mondes et dans la suite des siècles, mon acceptation à moi, atome pensant, poussière animée, a une valeur pour Dieu, j'accepte de tout mon coeur ; j'entre comme champion de Dieu dans la lutte - ce qui est en même temps de mon suprême intérêt ; je ne consulte plus « la chair et le sang », je ne regrette pas mes petits renoncements ; je réponds à l'amour qui m'est témoigné par le don de moi tout entier et ma plus pure joie c'est d'apporter humblement aussi quelque joie à Celui qui m'a tout donné.

Je lui permets de cueillir en moi, dans mon amour libre et joyeux le fruit de son travail à Lui. Non, je n'hésite plus. Je demande pardon à mon Sauveur d'avoir hésité si longtemps. Je reconnais avec confusion que je me suis privé de ma seule raison de vivre : son amour, et que je l'ai privé trop longtemps, Lui, du seul parfum que le ciel ne lui donne pas : l'amour qui librement répond au sien.



Matthieu, le péager.

 Après cela Jésus sortit et il vit un publicain nommé Lévi, assis au lieu des péages. Il lui dit : Suis-moi ! Et, laissant tout, il se leva et le suivit. Luc V, 27-28.


Les caravanes qui faisaient le service des marchandises de l'intérieur de l'Asie jusque dans les ports de la Méditerranée passaient par Capernaüm. Les Romains, qui prélevaient un droit de transit, avaient établi dans cette ville un important bureau de péages dont Lévi était ou le directeur ou un des principaux employés.

Au moment où Jésus passe, Lévi est assis devant le bureau ; leurs regards se croisent, une étincelle jaillit ; un courant de sympathie s'établit. Qu'a donc lu Jésus dans ce coeur de douanier ? Quels trésors d'obéissance et de foi à mettre un jour en valeur y a-t-il découvert ? Quelles qualités d'évangéliste et de témoin se sont-elles affirmées dans un éclair aux yeux du Maître ? Quelles merveilles d'écriture tracera un jour cette plume de teneur de livres ? Sans autre enquête que la vision aiguë du fond d'un coeur, Jésus lui dit : Suis-moi.

D'autre part quelles profondeurs d'attirance le péager a-t-il entrevu dans ce regard posé sur lui ? Oh ! ces yeux ! Jamais il n'en a vu de pareils ! Ils vont jusqu'à l'âme. Quelle bonté, quelle sainteté ils révèlent ! Et cette voix ? Elle fait vibrer des fibres secrètes jusqu'alors insoupçonnées. Elle soulève un monde de pensées ! Elle bouleverse la vie et en un instant, Lévi se lève et le suit. En une seconde il s'était lié quelque chose entre ces deux hommes pour l'éternité. Il ne faut pas longtemps pour être sauvé, Dieu soit loué, un regard, un geste, un soupir suffit. Mais il ne faut pas grand'chose non plus parfois pour être perdu, un haussement d'épaules, un sourire d'ironie, un pas en arrière.

Sans qu'il y paraisse beaucoup dans le récit évangélique, cet appel à l'apostolat du publicain Lévi marque une date importante dans l'histoire du règne de Dieu.

Au temps de Jésus, les Juifs stricts méprisaient les péagers à un point que nous ne pouvons imaginer aujourd'hui. On les regardait comme des renégats ; ne s'étaient-ils pas mis au service des Romains païens, les envahisseurs du pays ? À part d'honorables exceptions, ils avaient la réputation - peut-être méritée - de confondre aisément le tien et le mien. Le serment des péagers n'était pas admis en justice ; ils étaient censés n'avoir pas de parole. Leur seul contact était considéré comme une souillure égale à celle que l'on contractait auprès d'un païen ou d'un mort et dont il fallait se purifier selon les rites.

Quelle ne dut pas être la stupéfaction des six premiers apôtres : Pierre, André, Jacques, Jean, Philippe, Barthélemy, en entendant Jésus dire à ce douanier : « Toi suis-moi ! » Sans être de race sacerdotale, sans faire partie des hautes classes juives, les compagnons de Jésus n'en jouissaient pas moins de l'estime publique et des prérogatives religieuses réservées aux Juifs pieux et pratiquants. Pour le dire en passant, il n'y avait pas de castes chez les Juifs ou d'aristocratie ; le plus humble Juif qui gardait la loi avait rang de juste et d'homme de Dieu. Il n'y avait qu'une déchéance, mais elle était irrémédiable, c'était de cesser de pratiquer la loi de Moïse et de se mêler aux païens. Et voilà que Jésus donne à ses disciples - ces Israélites sans fraude - pour égal et pour compagnon un péager ! Et Jésus lui-même va coudoyer journellement cet homme, manger avec lui, lui parler comme aux autres ; quelle leçon pour eux !

Par ce simple appel de Lévi, quelque chose est bouleversé dans leur mentalité et en acceptant gentiment ce nouveau compagnon, ils donnent à Jésus une preuve d'attachement et à Lévi une marque de fraternité bien plus grande que nous ne pouvons l'imaginer avec notre mentalité moderne. Comme Jésus fait admirablement l'éducation de ses disciples ! Il leur apprend à ne faire aucune acception de personne, il prépare des temps nouveaux.

Quelques années plus tard Pierre, en vision sur la terrasse de Simon le corroyeur, verra un linge plié par les quatre coins et rempli d'animaux impurs et il entendra une voix du ciel lui dire : « Tue et mange, ne regarde pas comme souillé ce que Dieu a purifié ! »

Plus tard encore, Paul et Barnabas raconteront à l'Église de Jérusalem les merveilles accomplies par le Saint-Esprit parmi les païens et ils s'en retourneront au front d'attaque avec cette bonne parole de Pierre, contresignée par Jacques et par Jean : « Le Saint-Esprit n'a fait aucune différence entre les païens et nous, ayant purifié leurs coeurs par la foi » (Actes XV, 9).

Ainsi Jésus introduit sous les vieux préjugés, par la simple pratique de l'amour, des charges d'explosif qui les feront voler eu éclats. Il ouvre des portes qu'après lui personne ne pourra plus fermer et par lesquelles entreront dans le Royaume de Dieu tous les petits, les méprisés, ceux que la société tient en marge, les invités des carrefours et des haies, les buveurs relevés, les femmes tombées, les misérables, les « pots cassés » de la vie, les épaves des prisons et des bouges. Tous ceux-là trouveront en Jésus des bras pour les serrer, un coeur qui palpite pour eux, une table dressée pour le banquet et des frères pour les aimer au nom du Seigneur Jésus ! Comme Jésus est vraiment social ! Sans faconde égalitaire, sans propagande de mauvais aloi, un mot lui suffit pour remettre toute une partie de l'humanité à sa vraie place : « Toi suis-moi ! » Mais ce mot il a fallu que le Christ le dise, pour que les droits de l'homme fussent inscrits plus tard en caractères indélébiles dans les constitutions et les législations.

À ce nouvel apôtre, il donne un nom nouveau, Matthieu, et ce nom qui signifie « don de Dieu » est une action de grâce. Jésus, par ce nom, bénit son Père de ce qu'il s'est trouvé parmi les péagers méprisés un homme capable d'entrer dans la famille des douze. Point de condescendance humiliante pour Lévi ou de ton doucement protecteur ; il est pour le Maître, un « don de Dieu », une joie, une fleur rare ajoutée à sa couronne.

Membres d'organisations ecclésiastiques bien cotées, de sociétés pieuses aux banquets desquelles les autorités du pays font des discours gracieux, possesseurs d'hérédités honorables, d'ancêtres huguenots aux noms aimés dans les annales religieuses du pays, écrivains, journalistes, prédicateurs, membres de comités actifs, partisans convaincus de l'Alliance évangélique et des mouvements revivalistes, chrétiens normaux et agenouillés, tous tant que nous sommes, prenons garde à l'esprit clérical, à l'orgueil spirituel qui se glisse peu à peu dans les milieux les plus chauds, qui dessèche, qui refroidit et qui fait dire : « Je te rends grâce, ô Dieu, de ce que je ne suis pas comme un tel ! »

Et si quelque ami, libre penseur fourvoyé dans de fausses théories, épave sans tradition religieuse, ou simplement mentalité que nous ne comprenons pas, se rencontre sur notre chemin ou pénètre dans une de nos assemblées de culte, que notre plus grande joie soit de l'accueillir non en inférieur, mais en égal, en « don de Dieu ».

Si quelque frère en Christ sorti d'autre milieu que nous-mêmes, encore un peu hérissé de préjugés, au langage fruste, à la parole trop familière, s'approche de nous la main tendue, s'imaginant dans la naïveté de son coeur que tous les chrétiens sont frères, ne soyons pas la cause de sa désillusion, ne pinçons pas les lèvres, ne nous montrons pas hautains ou condescendants, soyons simples et fraternels. Sous cette gangue il y a un diamant que l'amour polira bien mieux que toutes les controverses.

Et nous-mêmes, brebis ou drachmes retrouvées, prodigues revenus à la vie, sortis des ténèbres et rentrés dans la merveilleuse lumière de l'Évangile, qu'avons-nous que nous n'ayons reçu ? Que trouvons-nous en nous-mêmes qui ait pu exciter l'amour de Dieu ? Rien. Tout n'était que plaies, contusions, banale vanité, et pourtant nous avons été aimés et pourtant le Seigneur nous tient pour des « dons de Dieu ». Il nous a mis dans son trésor, il a rapproché ceux qui étaient loin, il nous a réconciliés par le sang de sa croix, un tel honneur jour après jour réalisé est le plus sûr moyen de nous tenir dans la plus fraternelle humilité. Tout est grâce !

Sans doute en appelant Matthieu, en mangeant avec les péagers, en faisant litière des préjugés juifs, Jésus ajoute des pierres, et non des moindres, à l'édifice qu'il est venu fonder sur la terre, mais en même temps il rompt en visière avec les ennemis de l'Évangile, avec cette caste des Pharisiens qui a juré sa perte et qui est à l'affût de tout bois pour y tailler une flèche contre lui. L'appel de Lévi va soulever des haines implacables, on ne le lui pardonnera pas, c'est un premier pas vers la crucifixion. Si jusqu'alors le clan pharisien s'était un peu tenu sur l'expectative, si on faisait tout de même crédit à celui que le bruit public appelait « le Messie », maintenant c'est fini, et tout nouvel acte libérateur qu'accomplira Jésus creusera le fossé entre ceux qui ont rêvé un Messie national, vainqueur des Romains, conquérant des nations, et l'homme doux et humble de coeur entrevu par Esaïe. L'appel de Lévi vaudra à Jésus des clous et des épines !

Lévi se leva, laissant tout, il suivit Jésus. Plus tard il reviendra sans doute mettre de l'ordre dans son bureau de péages et passer à son successeur une comptabilité à jour. Dieu n'est pas un Dieu de désordre. Mais à l'instant critique de sa vie, il accepte de passer du service de l'empereur de Rome à celui du royaume de Christ. Il obéit sans hésitation et voyez où cette obéissance le porta. Il eut part à cette vision que Jésus annonçait à Nathanaël : « Tu verras les anges de Dieu monter et descendre sur la tête du Fils de l'homme » (Jean I, 51). Il entendit les enseignements merveilleux qui sortaient de la bouche de Jésus, les Paraboles, la Prière sacerdotale, il vit les miracles du Seigneur, reçut la Sainte-Cène, contempla Jésus ressuscité, le vit monter au ciel, reçut l'effusion du Saint-Esprit ; simple douanier mais habile à tenir la plume, il fut conduit à écrire l'évangile qui porte son nom.

Nous ignorons quelle fut son activité comme évangéliste, mais nous savons qu'à lui fut dévolu l'honneur de recueillir par écrit ces bouquets de paroles du Christ qui s'appellent : le Sermon sur la montagne, les Paraboles du Royaume, les Révélations sur la fin du monde. C'est lui qui, dans son évangile, a dressé en pied la figure royale du Messie et montré en Jésus l'accomplissement des prophéties. C'est lui qui parle du jugement avec un sérieux qui fait trembler, mais aussi qui relève les petits avec une douceur qui émeut. De cet évangile de Matthieu on a pu dire qu'il serait le livre le plus magnifique qui ait été écrit si l'évangile de Jean n'existait pas. Matthieu est encore pour nous par son écrit le « don de Dieu ».

Lévi fut si rempli de joie de l'honneur que Jésus lui faisait et aussi de l'approbation de sa conscience - d'avoir obéi, c'est une joie sans pareille - qu'il fit un grand festin à ses amis auquel il invite Jésus et les apôtres.

Quel bonheur pour Lévi et ses collègues de ne plus se sentir méprisés, d'être traités en égaux, en amis par des Juifs pieux ! Quelle magnifique occasion d'évangéliser ses collègues et comme les coeurs sont ouverts ! Que de coeurs non seulement touchés mais guéris, parmi ces invités ! Aux chants des anges qui célébraient des conversions parmi les hommes, répondaient sur la rue les murmures des Pharisiens. « Votre Maître mange et boit avec des péagers et des gens de mauvaise vie », disent-ils aux apôtres. Que répond Jésus ? Rien de dur, point de rhétorique tapageuse. Pourtant quel thème à ronflants discours ! Que de bonnes causes - pour le dire en passant - sont gâtées par les rhéteurs qui les défendent ! Jésus répond magnifiquement - comme toujours. « Ce ne sont pas ceux qui sont en santé qui ont besoin de médecins, mais les malades. Je ne suis pas venu appeler à la repentance des justes, mais des pécheurs » (Luc V, 31-32). « Vous vous croyez justes et en santé, n'ayant pas besoin de moi, laissez-moi aller vers les malades et les pécheurs. »

Si ces paroles fermaient avec une logique impeccable la bouche des Pharisiens, elles ouvraient aux blessés les trésors du coeur de Jésus. Il est le divin médecin, qui ampute, c'est vrai ; qui perce l'abcès, qui arrache l'oeil encore, mais qui bande la plaie, non pas à la légère, qui met sur la blessure le baume de Galaad et qui fait la transfusion du sang. Il réconforte et sauve ceux qui désespèrent d'eux-mêmes.

Je bénis Dieu de ce que Jésus-Christ est venu pour des malades et pour des pécheurs et non pour des justes et des bien portants, car ainsi j'ai part, moi, malade et pécheur, à la guérison et au salut.

Cesse, mon frère, de te jouer à toi-même et aux autres la comédie de la santé, viens à celui qui guérit les blessures.

En vérité le jour où Jésus appela Lévi le péager, fut un grand jour ; à tout prendre ce fut même un des tournants de l'histoire.


1) Le regretté professeur à l'Oratoire de Genève, né le 3 juillet 1862, repris le 30 août 1910.
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