Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

La petite pierre.

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 Et la pierre qui avait frappé la statue devint une grande montagne et remplit toute la terre. Dan. Il, 35.

Et dans le temps de ces rois-là, le Dieu des cieux suscitera un royaume qui jamais ne sera détruit et dont la domination ne passera point à un autre peuple, qui brisera et anéantira tous ces royaumes-là, mais qui, lui-même, subsistera à jamais, selon que tu as vu qu'une pierre s'est détachée de la montagne sans main et a brisé fer, argile, airain, argent et or.
Dan. II, 44, 45.

Je contemplais dans les visions de la nuit, et voici arriva sur les nuées comme un fils d'homme ; il vint jusqu'au vieillard et on l'amena devant lui. Et il lui fut donné domination, gloire et règne ; et tous les peuples, nations et langues le servirent. Sa domination est une domination éternelle qui ne passera point, et son règne ne sera point détruit.
Dan. VII, 13, 14.


Sans nous arrêter aux discussions théologiques que soulève le livre de Daniel, nous nous bornons à affirmer que sa présence dans l'Ancien Testament comble une lacune de la prophétie. Non pas que nous voulions nous servir des visions que ce livre raconte, des chiffres qu'il mentionne pour essayer de fixer le temps du retour du Seigneur ; nous croyons qu'à ce point de vue il a été fait dans certains milieux chrétiens un usage abusif de ce livre.

Au lieu de reconnaître que certaines de ses pages et de ses visions restent mystérieuses, on a voulu tout expliquer, les uns par la science de l'histoire, les autres par l'imagination et ou a perdu la notion simple et vraie de ses magnifiques passages messianiques. Ce sont les éléments nouveaux et importants que ces passages apportent au portrait du Messie futur et les effets mondiaux de l'Évangile qu'ils révèlent que nous voudrions essayer de recueillir pour achever cette brève esquisse de la prophétie messianique dans l'Ancien Testament.

Résumons les deux visions des chapitres Il et VII qui ont une signification à peu près semblable.
Le roi Nebuchadnetsar avait eu un songe qui lui échappa au réveil. Il fait venir ses sages et, sous peine de mort, leur ordonne de lui rappeler et d'interpréter le songe oublié. C'est là un trait du despotisme oriental très plausible. Daniel seul est capable de satisfaire le roi. Nebuchadnetsar a vu une grande statue, dressée dans la campagne babylonienne ; la tête est d'or, les bras et la poitrine d'argent, les reins de cuivre, les jambes et les pieds d'argile mêlée de fer ; une petite pierre détachée sans main roule de la montagne, frappe la statue qui tombe et s'évanouit, balayée par le vent ; tandis que la petite pierre devient une grande montagne couvrant toute la terre. Daniel, auquel Dieu a révélé le songe, est rendu capable aussi de le comprendre, et son interprétation fait autorité.

Les quatre parties de la statue représentent quatre monarchies successives dont Daniel ne nomme que la première, Babylone, représentée par la tête d'or. Sous la quatrième monarchie, il se produira quelque chose de nouveau, une intervention directe de Dieu. L'ensemble des royaumes terrestres recevra un coup qui aura pour conséquence l'effritement, puis un jour la disparition de ces monarchies, tandis que la petite pierre, détachée sans main, ira en grandissant et finira par prendre toute la place. En d'autres termes, il s'élèvera un jour une monarchie universelle et divine sur les débris des royaumes humains.

À Ezéchiel, le prêtre, l'avenir apparaissait sous la forme d'un temple, à Nebuchadnetsar, le grand roi, il est révélé sous la forme qu'il peut le mieux comprendre, une succession de monarchies. Et ce qui est à retenir, c'est que le règne messianique apparaîtra sous la quatrième monarchie à partir de Nebuchadnetsar. Le voilà donc situé dans l'histoire ! Ce règne débutera très modestement et sera le résultat de la volonté souveraine de Dieu introduisant un commencement nouveau dans l'histoire humaine.

Daniel eut personnellement une vision analogue mais plus précise encore.
De la mer des peuples, il voit sortir quatre bêtes qui représentent aussi quatre monarchies successives : un lion, un ours, un léopard ailé et à quatre têtes, puis un animal monstrueux qui détruit et qui broie. Il a dix cornes, et parmi elles une petite corne apparaît qui parle avec arrogance et devant elle plusieurs grandes cornes sont arrachées. Après une apparition de Dieu, les animaux sont dépouillés de leur puissance, la quatrième bête est tuée, et dans les nuées, paraît « un fils d'homme » auquel la domination est accordée éternellement. C'est à lui que sont confiées la puissance et l'autorité qui, dans la vision de Nebuchadnetsar, appartenaient à la petite pierre.

Daniel ne peut pas mettre des noms à ces monarchies, la prophétie reste sobre et ne se fait pas devineresse. Si, d'une part, elle prédit les événements à venir assez clairement pour entretenir l'espérance et pour que ces faits soient reconnus vrais quand ils s'accomplissent, elle ne dispense pas l'homme de la foi et d'une sage interprétation des oracles divins. Aujourd'hui nous pouvons les nommer ces monarchies. La première c'était la Chaldée, la seconde l'empire des Perses et des Mèdes, la troisième se constituera sous Alexandre le Grand qui, comme un léopard bondissant, créa en peu de temps un empire immense partagé après sa mort entre ses quatre généraux. Enfin le quatrième animal, correspondant aux jambes et aux pieds d'argile mêlé de fer de la statue, c'est l'empire romain, le plus colossal de tous qui s'étendit de l'Espagne à la Perse, mais qui restait fragile dans son insuffisante cohésion.

Dans saint Luc nous lisons - « La quinzième année du règne de Tibère César, l'empereur de Rome, lors que Ponce Pilate était gouverneur de Judée.... la parole de Dieu fut adressée à Jean.... » (III, 1). Ainsi Dieu n'a pas oublié l'époque fixée par la prophétie pour l'apparition « d'un fils d'homme » qui arrive au milieu de ces bêtes féroces armé de sa seule qualité d'homme, envoyé, « sans main », directement du ciel. Et ce « fils d'homme », porteur de la puissance divine, fondera son royaume non par le fer et la tyrannie, mais par sagesse et par grâce ; il aura finalement raison de tous les autres royaumes et s'installera à leur place.

Quand Jésus est venu sur la terre, ce royaume n'existait encore qu'en germe, dans le propre coeur du Fils, c'était là seulement que Dieu était pleinement roi. Puis ce coeur en a attiré d'autres, dans lesquels la volonté du Père s'est accomplie ; d'autres encore se sont mis à battre à l'unisson du sien, et bientôt le Seigneur s'est constitué une Église ; c'est en elle que se concentre et se prépare le Royaume de Dieu.

On entrevoit déjà des éléments constitutifs de ce futur royaume. Des progrès moraux s'affirmant. L'Esprit de Jésus-Christ se projette dans les lois et dans les moeurs. La disparition de l'esclavage, le respect de la vie humaine, le souci de la justice impartiale, la guerre à la guerre, à la prostitution, au jeu, à l'alcoolisme, en sont les pierres d'attente les plus marquantes. Est-ce à dire que ce royaume se constituera sans reculs, par évolution progressive, comme le croient les chrétiens sociaux, jusqu'à amener le paradis sur la terre ? Nous ne le pensons pas. N'oublions pas la petite corne de Daniel, l'Antichrist, qui déchaînera une formidable réaction contre le royaume de Dieu. Ce n'est que quand cette corne aura été brisée que « le règne, la domination et la grandeur de tous les royaumes qui sont dans les cieux seront donnés au peuple des saints du Très-Haut » ; c'est alors aussi que la petite pierre deviendra « la grande montagne s'élargissant sur toute la terre ». Alors il y aura un seul royaume et un seul Roi, « un seul berger et un seul troupeau ». Alors ce qui n'est encore que de la civilisation chrétienne, reflétant toutes les lâchetés, tous les compromis de coeurs inconvertis, sera remplacé par l'observation fidèle de la loi du Royaume : « la volonté de Dieu accomplie sur la terre comme au ciel. »

Toute cette vision de Daniel offre de magnifiques espérances. En voyant comment la première partie de la vision, celle qui se rapporte à la venue historique de Jésus, s'est accomplie à la lettre, on peut être sûr que la seconde partie, l'établissement définitif du Royaume divin sur la terre, s'accomplira aussi au temps voulu.

Et pour travailler à la réalisation de cette prophétie qu'avons-nous à faire ? Dans la mesure où nous sommes « mis à part » - car c'est là le sens du mot « saint » - pour le service de Dieu, où la prière persévérante est notre respiration, où les victoires secrètes sur « la bête » qui est en chacun de nous se multiplient, nous devenons des propagateurs de ce royaume. Quand notre coeur est rendu à sa vraie destination et devient le sanctuaire de Dieu, il fait partie intégrante du Royaume ; nous contribuons alors par l'obéissance tout humble et toute simple qui est le caractère d'une vie normale à augmenter sur la terre la place qu'y tient déjà la « petite pierre ».



IL EST VENU !


L'Agneau de Dieu.

 Le voici l'Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde. Jean I, 29.


Au chapitre V de l'Apocalypse, au moment où le Ciel, la demeure du Très-Haut, s'ouvre devant les yeux de Jean et où celui-ci est initié aux mystères divins qui se déroulent en fresques extraordinaires à ses regards, personne ne peut lire le livre que Dieu tient à la main si ce n'est le « lion de la tribu de Juda », le rejeton de David. Mais ce lion, ce fils de roi, voici, c'est un Agneau « qui est là au milieu du trône comme immolé », et les myriades de myriades, les vieillards, les quatre êtres vivants lui offrent leur adoration et le célèbrent dans leurs cantiques. Ainsi, « le lion de Juda », « le rejeton de David », « l'Agneau immolé » sont les titres glorieux donnés au Fils éternel, à celui qui partage la divinité avec Dieu. Et c'est en définitive ce titre « d'Agneau immolé » qui fait vibrer dans tous les coeurs des êtres célestes la suprême adoration : « L'Agneau qui a été immolé est digne de recevoir la puissance, la richesse, la sagesse, la force, l'honneur, la gloire et la louange ! » Ces paroles vont se répercutant de cercle en cercle autour du trône jusqu'aux confins de l'univers moral, puis elles reviennent de ces extrémités transformées en triomphal écho : « À celui qui est assis sur le trône et à l'Agneau soient la louange, l'honneur, la gloire et la force aux siècles des siècles ! Et les quatre êtres vivants disent : Amen ! Et les vieillards se prosternent et adorent » (V, 12-14).

Et l'auteur de l'épître aux Hébreux parle ainsi :
« Tu n'as voulu ni sacrifice ni offrande, mais tu m'as formé un corps ; tu n'as agréé ni holocauste, ni sacrifices pour le péché. Alors j'ai dit : Voici je viens (dans le rouleau du livre il est question de moi) ô Dieu, pour faire ta volonté » (Héb. X, 5-7).

Quand Jésus parut au bord du Jourdain, à l'âge de trente ans, pour commencer son oeuvre, Jean-Baptiste, le premier homme qui ait connu la mission du fils de Marie, au nom de l'ancienne alliance, au nom de l'humanité tout entière, le salua du titre par excellence : « L'Agneau de Dieu ! »

Pourquoi ce nom donné à Jésus sur la terre et dans le ciel ?
En Egypte, au moment de la dixième plaie, Moïse annonce de la part de Dieu, qu'un événement solennel est sur le point de s'accomplir. L'ange de la mort frappera le premier-né de chaque famille. Seules les maisons dont le linteau aura été aspergé du sang d'un agneau seront épargnées. Au jour dit, les Israélites firent comme Moïse l'avait ordonné, le sang de l'Agneau pascal protégea leurs enfants, tandis que dans toutes les maisons égyptiennes il y avait un mort. Et cet agneau, après avoir garanti Israël de la mort servit à le nourrir au moment de son départ d'Égypte. Il fut mangé, par les Israélites, les reins ceints, un bâton de voyage à la main avec des pains sans levain et des herbes amères ; il fournit ainsi des forces aux émigrants qui fuyaient en hâte la terre d'oppression. L'agneau pascal fait de son sang un salut et de son corps une nourriture. Plus tard, quand parurent les diverses lois cérémonielles, l'agneau continua à jouer un rôle important dans les sacrifices. À la naissance de son premier-né, l'Israélite offrait un agneau. Après avoir recouvré la santé, le lépreux devait présenter au sacrificateur deux agneaux sans défaut (Lév. XIV, 10), l'un pour son péché dont la lèpre était le symbole et l'autre en signe de reconnaissance pour la guérison accordée. Dans les sacrifices sabbatiques où entraient plusieurs victimes, les agneaux apparaissaient au nombre de sept (Nomb. XXVIII, 19).

Au chapitre LIII d'Esaïe, nous avons vu que le Serviteur de l'Éternel, l'Homme de douleur, sera semblable à « un agneau que l'on mène à la boucherie » et « il mettra son âme en oblation pour le péché ». Les anciens interprètes juifs de l'Ancien Testament ne faisaient aucune difficulté d'appliquer ce caractère d'agneau au Messie futur. Ce n'est que depuis la venue de Jésus-Christ et l'application par les apôtres et les chrétiens des prophéties et des types messianiques à Jésus de Nazareth qu'ils ont cherché d'autres explications.

Ce personnage qui vint à Jean-Baptiste au bord du Jourdain ne différait en rien d'un Juif quelconque. Il portait les traits distinctifs de sa race, le vêtement habituel aux hommes de sa condition ; à le voir rien ne le distinguait des autres jeunes hommes de son âge sinon la pure expression de son visage et un grand sérieux.
Ses compatriotes de Nazareth n'avaient rien remarqué de spécial en lui, jusqu'au moment où il se met à leur prêcher à la synagogue. Il avait passé tellement inaperçu qu'ils s'écrient quand il déclare que la prophétie d'Esaïe est accomplie en lui : « N'est-ce pas ici le fils du charpentier Joseph ? Ne connaissons-nous pas sa famille ? » (Matth. XIII, 55.)

Il n'y avait en lui ni beauté, ni éclat pour attirer les regards ; il ne possédait ni la stature, ni le port altier, ni des dons exceptionnels qui imposent immédiatement un homme à l'attention publique. Mais quand il eut, dans un entretien particulier, exposé à Jean-Baptiste qui il était ; quand, dans le Jourdain, l'Esprit descendit sur lui, quand la voix même de Dieu lui eut rendu cet éclatant témoignage : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé en qui j'ai mis toute mon affection ; » quand l'Esprit parlant au coeur du Baptiste, lui ouvrit les yeux de la foi, celui-ci put dire avec une certitude absolue et dans une intuition divine qui résumait le caractère le plus admirable de Jésus : « Le voici, l'Agneau de Dieu qui ôte le péché, du monde ! »

Et nous, en contemplant ce jeune Juif qui s'avance humble et sérieux à l'entrée de sa carrière, nous nous écrions avec émotion : L'Agneau de Dieu, le Fils unique du Père, celui que les anges adorent, le vrai agneau pascal, dont celui d'Égypte n'était que le type, le voici qui est venu vivre au milieu de nous ! Le miracle des miracles s'est accompli, la parole a été faite chair, elle a vécu au milieu de nous pleine de grâce et de vérité. « Et nous avons vu sa gloire, dit Jean, semblable à celle du Fils unique du Père » (Jean I, 14).

À voir Jésus grandir, se développer, s'instruire, d'enfant devenir homme fait, puis aller, venir, manger, boire, dormir, pleurer, vivre de la vie des humains, nul ne pouvait soupçonner qu'il n'eût pas devant les yeux un « fils d'homme ». Mais à l'entendre parler, à contempler ses oeuvres d'amour, à plonger le regard dans le sien, c'était le Fils de Dieu, qui transparaissait. Imaginez un prince royal qui, par suite de quelque revers de fortune, soit tout à coup obligé de travailler dans l'une de nos fabriques d'horlogerie. Le voici, vêtu comme un ouvrier, taché d'huile, couvert de limaille, le visage mâchuré ; rien ne le distingue plus de ses collègues. Et pourtant quand il marche ou sent l'homme qui sait se tenir, quand il parle il est poli, il fait passer les femmes devant lui ; il est calme et ferme avec les supérieurs, simple et bon avec ses égaux, et tandis qu'un soupçon de supériorité émane de toute sa personne, telle ouvrière, plus fine que les autres, murmure à sa compagne : « Oui. oui, cet homme travaille avec nous, mais il a tout de même les allures d'un prince ! » En voyant Jésus, quelques-uns se sont écriés : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant »

C'est le miracle des miracles Comment le Fils éternel, l'image empreinte de la personne divine, celui qui était avec Dieu et qui était Dieu a-t-il pu devenir chair de notre chair, sang de notre sang ? Nous ne le comprendrons jamais, c'est le mystère de piété. Comment le Verbe divin a-t-il été déposé dans l'humble vase qu'était Marie de Nazareth ? Cela dépasse notre entendement. Pourquoi, par contre, Christ s'est-il vidé lui-même de la divinité en prenant une forme de serviteur.... pourquoi s'est-il humilié lui-même se rendant obéissant jusqu'à la mort, jusqu'à la mort de la croix ? (Phil. II, 7, 8) Paul et Jean nous l'ont dit, c'est pour mieux se solidariser avec nous, c'est pour être le second Adam, c'est pour ôter le péché du monde que l'Agneau de Dieu est devenu chair.

Sans doute Jésus sera celui qui révèle. Par lui l'homme connaît Dieu, il pénètre jusqu'à l'essence du Père qui est l'amour. Par lui l'homme se connaît lui-même et descend jusqu'au fond de lui-même qui est le moi, l'égoïsme. Par lui l'homme distingue le sens de la vie et découvre l'au delà derrière le voile de la mort. Mieux que tous les grands hommes de toutes les religions, il dira d'où nous venons et où nous allons.

Oui, Jésus sera le vrai modèle, l'homme parfait, la seule « conscience sans cicatrice », la cime immaculée de la sainteté absolue et quiconque voudra monter les degrés de l'échelle morale devra mettre le pied dans l'empreinte de ses pas. La beauté morale des plus grands hommes ne sera jamais qu'une pâle décalque de la sienne. Il sera l'auteur des plus profondes réformes dans l'humanité ; il inspirera les plus saintes décisions.

Il apprendra aux hommes à aimer comme il a aimé lui-même. Il introduira l'esprit de l'Agneau dans les relations humaines. Les royaumes sont des bêtes brutales, les hommes sont des loups les uns aux autres. De notre nature nous sommes tigres, serpents, rapaces, renards, et lui, il est venu créer une race d'agneaux capables d'aller le prêcher même au milieu des loups. L'agneau n'est ni habile à la course, ni muni de défenses naturelles, il n'est fort que de sa faiblesse, il n'est armé que de sa douceur. Et cette race d'agneaux elle n'aura que l'amour pour mobile, elle n'opposera que le support à toutes les persécutions et à toutes les haines.

Créer ces oeuvres nouvelles dans l'humanité c'est une merveille, mais l'oeuvre divine, l'oeuvre par excellence, l'oeuvre qui confond le ciel et la terre, c'est que l'Agneau s'est laissé immoler. Sur lui, sur son sang versé, l'amour et la justice se sont rencontrés. En Dieu la propitiation est faite et en l'homme l'affreux désordre du péché est réparé. Par-dessus la « mer Morte » du péché, l'océan de la Grâce a coulé, toutes les réparations sont possibles jusqu'à la fin des temps parce que le sang de la nouvelle alliance a été offert.

Est-ce que, au préalable, avant tout essai de nous instruire aux pieds de Jésus-Christ, de nous modeler sur lui, de respirer le parfum de ses déclarations révélatrices et de publier la grande nouvelle de l'Évangile, nous nous sommes placés sous l'aspersion du sang de l'Agneau qui nous garantit de la mort, qui ôte notre péché personnel, connu de Dieu et de nous ? Avons-nous été justifiés, rachetés par lui ? C'est là le premier commencement ; avant de faire, il faut être. « Primum vivere, deinde philosophari », disaient les rabbins ; « avant de raisonner, il faut vivre. »

Et voilà la faiblesse incalculable de l'Église, de sa science, de ses institutions : on étudie des textes, ou rédige des confessions de foi, on discute des révélations les plus sacrées, on entreprend des oeuvres et l'on n'a pas été personnellement lavé de son péché par le sang de l'Agneau !



La généalogie de Jésus.

 Juda eut de Tamar, Pharez.... Salomon eut Booz de Rahab, Booz eut Obed de Ruth. Matth. I, 3-5.


Autant les Orientaux, épris de généalogies, s'intéressent à ces kyrielles de noms - il paraît que les missionnaires captent souvent l'attention des lettrés kabyles ou malgaches en leur lisant la généalogie de Jésus - autant nous, Occidentaux, nous nous y arrêtons peu. Dans notre siècle de démocratie, l'héraldisme, la science du blason, est en baisse. C'est la valeur personnelle de l'individu que l'on considère et non plus l'ancienneté de la famille dont il sort ou le nom qui faisait la gloire de ses ancêtres. Il suffit même aujourd'hui dans certains milieux politiques d'avoir des ancêtres quelque peu connus pour être de ce fait mis à l'écart des fonctions publiques, tant les partis avancés boycottent tout ce qui sent l'ancien régime. Dans la généalogie de notre Sauveur il y a d'intéressantes constatations à faire et de magnifiques promesses à recueillir.

La généalogie de Matthieu cite les ascendants de Joseph, tandis que celle de Luc donne ceux de Marie. Joseph descendait de David par Salomon tandis que Marie en descendait par Nathan, un autre fils du roi-prophète.
Mais ce qui nous paraît hautement digne d'intérêt c'est qu'en remontant de David, l'ancêtre commun de Joseph et de Marie, jusqu'à Abraham, Matthieu cite dans sa généalogie trois femmes : Ruth, Rahab et Tamar, tandis que Luc ne parle que des hommes. Jamais les généalogies orientales ne mentionnent les femmes. Quelquefois, en citant le nom d'un roi, on y ajoutait le nom de sa mère, surtout quand celle-ci, une princesse de sang royal, pouvait apporter quelque gloire à son fils par l'éclat de sa propre naissance. Mais que des femmes païennes, et pour deux d'entre elles d'une moralité douteuse, aient été mentionnées dans les ascendants de Jésus, c'est un fait insolite, mais voulu et émouvant.

Le but principal poursuivi par Matthieu en écrivant son évangile a été de faciliter aux Juifs pieux et sincères la foi à Jésus-Christ et il s'efforce de montrer comment la personne de Jésus et son oeuvre remplissent magnifiquement le cadre des prophéties. À chaque instant on rencontre sous sa plume cette parole qui sonne comme un refrain : « Afin que fût accompli ce qui avait été dit par le prophète.... » Mais à côté de ce but principal, Matthieu en poursuit un autre c'est de manifester les droits des païens et des pécheurs méprisés sur Jésus-Christ, C'est pour marquer d'emblée ce but que l'ancien péager, qui a connu le mépris des hautes classes, introduit les trois femmes mentionnées plus haut dans la généalogie du Seigneur.

Que Ruth ait été accueillie dans le peuple Juif, que Dieu ait permis que cette noble femme entrât dans la lignée sainte et fournît du sang à la mère du Seigneur, c'était encore admissible pour les Juifs, Ruth n'était-elle pas en tout point digne d'un tel honneur ? Sans doute elle était Moabite, et Moab était le fruit de l'inceste de Lot ; sans doute les descendants de Moab étaient tombés dans l'idolâtrie et ne perdaient pas une occasion de jouer de méchants tours à leurs cousins israélites. Mais enfin ces Moabites étaient les descendants de Taré, le père d'Abraham ; le souvenir du vrai Dieu n'était pas entièrement éteint dans leur coeur, il pouvait reparaître plus facilement en eux que chez les Cananéens au contact des vrais adorateurs de Jéhova. Et puis Ruth était personnellement une femme d'élite ; elle avait honoré sa belle-mère ; elle s'était montrée bonne et dévouée ; et comme jamais Dieu ne laisse le bien sans récompense - c'est un côté de sa justice - on comprend qu'Il ait voulu récompenser par l'admission dans la race élue une telle femme, Israélite selon l'esprit encore plus que par son mariage. Ne s'écriait-elle pas devant Naomi : « Ton peuple sera mon peuple, ton Dieu sera mon Dieu ! » Que Ruth devînt une ancêtre du Christ, c'était donc un apport de sang nouveau et de foi à la lignée royale. Et Matthieu est heureux de montrer aux Juifs étroits, qui volontiers méprisaient tous ceux qui n'étaient pas fils d'Abraham selon la chair, que même parmi les « nations » il y avait des coeurs sans fraude, au fond desquels brûlait la flamme de la vraie piété.

Pourquoi Matthieu cite-t-il Rahab parmi les ancêtres de Jésus sans faire aucune remarque ? Que Dieu ait accueilli Ruth, c'était compréhensible, mais Rahab ?
Celle-ci avait rendu un grand service aux espions et, en leur sauvant la vie, elle avait été utile à Josué, au peuple d'Israël tout entier. C'est entendu, elle méritait une récompense. Qu'on épargnât sa propriété, qu'on lui laissât la vie sauve, à elle et à ses parents, c'était justice ; mais l'incorporer sans autres dans le peuple élu et permettre qu'elle entrât dans la lignée royale, sur laquelle certainement Dieu veillait, c'était autre chose.

Rahab était Cananéenne, elle appartenait à la race des peuples maudits, avec lesquels Israël ne devait entretenir aucun rapport ; de plus elle exerçait un métier infamant. Certaines versions traduisent « Rahab l'hôtelière » tandis que le terme littéral c'est « Rahab la prostituée ». Comment se fait-il alors que Dieu l'ait accueillie et que Matthieu l'ait citée dans ce livre d'or qui s'appelle une généalogie ? Dieu regarde au coeur et non à ce qui frappe les yeux. Une femme tombée n'est-elle pas parfois plus près du salut qu'un propre juste ? Jésus n'a-t-il pas dit : « Les péagers et les femmes de mauvaise vie vous devancent dans le royaume des cieux » (Matth. XXI, 31) ?

Et qu'est-ce que Dieu avait vu dans ce coeur ? Une foi extraordinaire, en tenant compte de l'hérédité de cette femme, de ses préjugés et de son ignorance. Quand une Rahab disait aux espions : « L'Éternel, je le sais, vous a donné ce pays.... car c'est l'Éternel votre Dieu qui est Dieu en haut dans les cieux et en bas sur la terre » (Josué II, 9-12), c'était parler avec autant de foi que quand Pierre dira à Jésus : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. »

Ce n'est ni la grandeur du personnage qui parle, ni la solennité, de l'occasion dans laquelle la parole est prononcée qui manifeste la vraie foi, c'est la difficulté à croire. Et ce qui réjouit le Seigneur aujourd'hui encore et ce qui prépare au croyant une magnifique récompense, ce n'est pas de jouer un rôle éclatant et de prononcer une parole historique, c'est, dans une position toute modeste, dans une occasion restée inconnue aux yeux des hommes, de remporter une victoire sur l'incrédulité fatale, de croire envers et contre tout, et d'honorer Dieu par une confiance qui paraît une folie. Voilà ce que fit Rahab, aussi l'auteur de l'épître aux Hébreux la met-il en bon rang parmi les héros de la foi. Et Matthieu est heureux de montrer aux Juifs raides et ergoteurs, une prostituée cananéenne que Dieu a trouvée digne de donner, à cause de sa foi, du sang au Messie.

Mais ce qui est encore beaucoup plus difficile à comprendre c'est que Tamar soit citée, elle aussi, dans la lignée des ancêtres de Jésus-Christ. Il ne faut pas confondre la Tamar dont nous nous occupons et qui est la belle-fille du patriarche Juda avec la fille de David qui devint la victime de la bestialité de son frère Ammon.

Juda, le fils de Jacob, avait épousé une Cananéenne dont nous ignorons le nom ; il en avait eu des fils Er, Onan et Schéla. Er épousa aussi une Cananéenne, Tamar, mais il était méchant et l'Éternel le fit mourir ; il disparut sans laisser de postérité ; il en fut de même du second fils. Tamar restait veuve. D'après la loi de retrait lignager Juda aurait dû lui donner son troisième fils, Schéla, qui aurait suscité postérité aux deux aînés ; il ne le fit pas et Tamar usa d'un stratagème immoral pour conserver ses droits dans la famille patriarcale.

Par elle Juda devint père de deux jumeaux dont l'un, Pharès, fut un ancêtre de David. On n'aperçoit guère ici la femme de foi ; on ne voit apparaître qu'une Cananéenne rusée et sans principes moraux et pourtant elle figure dans la généalogie de Jésus. Loin de la cacher, Matthieu la met en lumière ; du reste la généalogie de David, citée au chapitre IV de Ruth, la cite de la même manière. C'est comme si Dieu avait voulu que cette femme soit mentionnée elle aussi, comme les deux autres païennes, Lui, qui voit ce que nous n'apercevons pas, n'a-t-il pas entrevu dans l'âme obscure, adroite de cette femme, un peu de vraie foi, mêlée - diamant divin - à des scories nombreuses ?

Mais, objectera-t-on à propos de ces deux Cananéennes, Dieu défendait le mariage avec les peuples de race maudite. Il fait un devoir à Abraham de chercher dans sa famille une femme à Isaac, n'aurait-il pas dû écarter la postérité de ces femmes, surtout celle de Tamar qui, était née d'une sorte d'inceste avec Juda, son beau-père ? Il semble que Dieu, tout en défendant dans la règle l'union avec les païens pour maintenir l'intégrité de la race élue, ait en même temps accepté exceptionnellement l'entrée, jusque dans la lignée messianique, de représentants des païens pour affirmer que le Christ n'est pas venu seulement pour les Juifs.

Le sang païen qui coule dans ses veines ne préfigure-t-il pas l'universalité du don de Dieu, accordé au monde tout entier ? Jésus n'est pas seulement « un homme » né d'une race spéciale, il est « l'homme » qui ne peut pas être confisqué par les seuls Juifs. C'est dans ce sentiment que Matthieu, tout en montrant en Jésus le Messie des prophètes, découvre en lui aux yeux des Juifs dans l'antique généalogie du Sauveur la promesse d'un don universel.

Et puis, à voir deux femmes pécheresses parmi les ancêtres de Jésus, combien ce fait le rapproche de nous, pécheurs. Rejettera-t-il le malheureux dégradé, lui qui est entré dans une race dégradée ? Lui qui a reçu du sang de toutes sortes d'êtres humains ne nous accueillera-t-il pas tous pour nous transfuser un sang nouveau et purifié ? Jésus n'a pas de préjugés de race, de famille ; il est entré dans l'humanité et tous les humains ont droit à son sang. Il n'a de prévention contre qui que ce soit puisque Dieu n'a éloigné de sa lignée aucun peuple, aucun individu si taré fût-il aux yeux des hommes.

Et aussi quelle leçon d'humilité ! Nous nous valons tous devant la loi naturelle. Juda valait-il mieux moralement que Tamar ? Valons-nous mieux, vous et moi, que telle pécheresse dont le milieu familial et l'éducation furent au-dessous de toute description ? N'avons-nous pas les mêmes instincts, les mêmes penchants que les malheureux qu'on met au ban de la société ?

Et si nous sommes tombés moins bas, le devons-nous au sang de notre race, à notre propre valeur, oui bien à la grâce de Dieu qui nous a gardés, nous et nos pères. Tout est grâce, l'orgueil est exclu. De quel droit mépriserions-nous quelqu'un puisque le Christ ne nous a pas méprisés nous-mêmes ? De quel droit une honnête femme repousserait-elle du pied sa pauvre soeur tombée, quand Jésus s'est incarné dans une lignée où se rencontrent des meurtriers et des prostituées ?

Qui comprendra jamais l'abaissement de celui qui, étant en forme de Dieu, consentit non seulement à descendre en forme de Dieu, mais à naître en forme de petit enfant ! Sans doute le Saint-Esprit, l'agent créateur, a purifié le germe, il n'en reste pas moins que c'est le sang de Marie, elle-même le produit de ses ancêtres, le lait de Marie qui ont constitué la chair et le sang de Jésus.

Qui dira encore : « Je n'ose pas venir à Christ », quand celui-ci est venu à nous à travers une humanité souillée jusque dans les moelles ?

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