Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Emmanuel.

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 Et toi Béthléem, Ephrata, petite pour être entre les milliers de Juda, c'est de toi que me sortira celui qui doit être dominateur en Israël et dont l'origine est dès les temps anciens, dès les jours éternels. C'est pourquoi il les livrera jusqu'au temps où la mère aura enfanté et le reste de ses frères viendra se joindre aux fils d'Israël. Et il se tiendra là et paîtra les brebis, dans la force de l'Éternel, dans la majesté du nom de l'Éternel son Dieu, et elles se reposeront, car il sera grand jusqu'aux bouts de la terre. C'est lui qui sera la paix. Michée V, 1-3.

Voici la jeune fille a conçu et elle enfante un fils et elle appelle son nom Emmanuel.
Esaïe VII, 14.

Car un enfant nous est né, un fils nous a été donné, l'empire a été posé sur son épaule et on le nomme Conseiller admirable, Dieu fort, Père d'éternité, Prince de paix. Esaïe IX, 5.


Le croyant qui lit l'Ancien Testament reste émerveillé de la précision de certaines prophéties. Et qu'on ne vienne pas dire que ces prophéties ont été imaginées après coup puisque les rouleaux, conservés jalousement dans les synagogues et qui ne sont jamais sortis des mains des Juifs hostiles à l'Évangile, les possèdent sur leur antique parchemin aussi bien que nos bibles modernes sur leur fin papier. Sans doute, les prophéties gardent toujours quelque chose de mystérieux. Elles ne s'imposent pas comme une photographie anticipée de l'événement qu'elles annoncent ; elles permettent à l'esprit hostile de leur faire un procès de tendance avec certaines apparences de raison. Elles participent de la révélation tout entière qui, évidente à la conscience humble et droite, se propose plus qu'elle ne s'impose. « Il y a, je cite Pascal de mémoire, assez de lumière pour ceux qui veulent croire - et pour ceux-là la lumière est aveuglante - mais aussi assez d'obscurité pour étayer son refus de croire. »

Qu'on ne veuille voir dans les prophéties que des coïncidences, c'est étrange en vérité, quand le lieu, le mode de naissance, la nature à la fois humaine et divine du Messie sont expressément annoncés des siècles à l'avance, sans que rien dans les circonstances du temps où ces prophéties ont été prononcées ait pu faire prévoir la forme de l'événement sous laquelle il s'est accompli. Pourquoi donc toujours « travailler pour ce qui ne nourrit pas » et se torturer l'esprit afin d'échapper au miracle ? C'est si scientifique de penser que Dieu, qui a envoyé son Fils, en préparait la venue longtemps d'avance et inspirait par son Esprit les hommes qui devaient en parler. Ne nous privons d'aucune parcelle de la grandeur de Dieu !

Nul en Israël n'ignorait que David étant de Béthléem, la petite ville davidique deviendrait le lieu d'origine du Messie. Mais la dynastie royale habitait à Jérusalem, c'était apparemment de Jérusalem que devait sortir le Messie. Pour Michée, le contemporain d'Esaïe, et pour toute sa génération, il n'y avait aucune espèce d'apparence que la famille royale cessât de séjourner à la capitale et retournât vivre dans sa bourgade natale, si petite que Josué ne la mentionne même pas dans le catalogue des villes de Juda . Les circonstances pourtant se sont chargées de montrer l'exactitude de la prophétie. S'il y a simple coïncidence on avouera qu'elle est inexplicable.

Michée continue sa description en disant que le peuple demeurera dans l'humiliation « jusqu'à ce que celle qui doit enfanter ait enfanté. » Cet enfantement mettra fin à une période de malheur. Il y aura un rapprochement avec les autres frères israélites et peut-être païens ; le Messie qui agira dans la majesté du nom de l'Éternel paîtra ses brebis ; elles se confieront en lui et lui-même sera sur la terre la source de la paix.

Michée et Esaïe étaient contemporains. Voyons comment Esaïe a repris et éclairé ces notions prophétiques ébauchées par Michée. Dans Michée il n'est pas question d'un père du Messie, seule la mère est mentionnée sous cette expression vague : « celle qui doit enfanter ». Esaïe précise : « Voici la jeune fille a conçu et elle enfante un fils. »

Pour le dire en passant, quelques chrétiens s'affligent que nos versions très évangéliques, Segond revisé, la Bible annotée, ne traduisent pas « la Vierge a conçu », c'est par fidélité au texte hébreu. La langue hébraïque possède un mot technique pour dire « une vierge » c'est bethoula. Tandis qu'elle a un autre mot, alema, qui signifie jeune personne, vierge ou non, mais en tous cas non mariée et en âge d'avoir des enfants ; c'est ce dernier terme qui est employé par Esaïe.

Ainsi le Messie naîtra d'une jeune personne non mariée. Dieu préparait ainsi par ses prophètes les futurs instruments de sa volonté, une Marie, un Joseph, à accepter une situation qui, au point de vue humain, paraîtra étrange ; en même temps, il donnait à entendre que l'Envoyé céleste naîtrait de l'union du Divin avec l'humain. C'est ainsi la nature à la fois divine et humaine du Seigneur Jésus qui est admirablement annoncée dans ces deux prophètes.

L'humanité du Messie, la réalité de l'incarnation est-elle assez mise en relief précisément par ces termes physiologiques de conception et d'enfantement ! Aucun mot ne pouvait mieux faire comprendre à l'avance que le Messie ne descendrait pas tout incarné du ciel mais qu'il entrerait dans l'humanité par la voie naturelle. Ce n'est pas non plus un « esprit » qui prend possession d'un être humain, la seconde personne divine qui, au baptême, descendrait sur l'homme Jésus, comme certains hérétiques l'ont enseigné. C'est un petit enfant qui naît d'une femme, qui se développe et grandit comme les autres humains : « Un enfant nous est né.... »

Mais en même temps l'origine de cet enfant remonte aux « temps anciens ». Ses racines plongent jusque « dans les jours d'éternité », ainsi s'exprime Michée. N'est-ce pas la préexistence du Messie déjà mise en lumière ? Le nom de cet enfant, dit Esaïe, c'est « Emmanuel, Dieu avec nous ». Non pas un être céleste demeurant pour un temps avec nous, non pas Dieu nous protégeant de son ciel par sa présence invisible, mais c'est Dieu « avec nous » devenu l'un des nôtres, un humain.

Sur la tête de ce Messie, né d'une femme, se trouvent réunies toutes les qualités divines comme les perles d'une couronne royale. Il sera le « Conseiller admirable », le révélateur par excellence ; il parlera au nom de Dieu, il apportera la pensée de Dieu aux hommes ; et, à suivre les conseils de sa parole, il y aura un bénéfice infini. Cette qualité de révélateur ne la trouvons-nous pas dans tout l'enseignement de Jésus ? Il parlait avec autorité, non pas comme les scribes et les pharisiens. « Jamais homme n'a parlé comme cet homme », disaient les huissiers envoyés pour le saisir. Ils étaient subjugués par tout ce qu'ils entendaient ; leur coeur n'était pas retors, la parole du Christ sonnait franc à leur conscience.

On pourra lui attribuer le titre de « Dieu fort » qu'il partage avec son Père. En lui résidera l'Esprit de puissance. Rien ne lui résistera, ni les éléments déchaînés de la nature, ni les puissances démoniaques, ni les liens des maladies et des infirmités les plus invétérées, ni même la rigidité de la mort. À sa voix la mer s'apaisera, Lazare sortira du tombeau ; il dira à ses disciples en les quittant : « Toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre ».

« Père à toujours ! » on pourra le nommer ainsi. Un roi est le père de son peuple. En qualité de roi Jésus aura pour les siens les sentiments d'amour invariables d'un père. « Comme il avait aimé les siens, ainsi il les aima jusqu'à la fin » (Jean XIII, 1). Les sentiments paternels d'un frère aîné qui a adopté ses cadets avec toute l'ardeur d'un coeur aimant, tels sont ceux que Jésus éprouva pour cette race humaine qui était devenue la sienne.

Enfin on l'appellera « Prince de paix ». Il sera le vainqueur, celui sur l'épaule duquel repose la royauté universelle et qui, après avoir délivré les siens de toute oppression, les fera vivre dans la paix. Quand « toute justice aura été accomplie », il n'y aura plus d'obstacle à la paix. C'est Lui qui est notre paix (Ephés. II, 14).

Ne sont-elles pas extraordinaires de richesses, de grandeur et de précision les prophéties de Michée et d'Esaïe ? Et dire que les rabbins juifs se sont donnés mille peines pour les rapetisser, pour les détourner de leur sens afin d'échapper à l'obligation de les appliquer à Jésus-Christ ! Et dire que des savants chrétiens s'écartèlent le cerveau pour éliminer de l'Écriture la prophétie de la naissance miraculeuse du Seigneur ! Quelle aberration que de vouloir à tout prix diminuer le don de Dieu !
Et quand nous lisons, nous croyants, de semblables prophéties et les titres donnés à Emmanuel, nous sommes souvent plus coupables encore que ceux qui les contestent. Nous y croyons, à ces affirmations, et nous demeurons des indigents en présence de tant de richesse !

Nous prétendons vivre sous la direction du Révélateur, du Conseiller admirable et nous ne lui demandons pas conseil dans nos indécisions ! Nous nous jetons à droite, nous revenons à gauche, nous hésitons, obligés enfin de reconnaître que nous nous sommes trompés. Pourquoi n'avoir pas simplement obéi à la voix de Celui qui s'offre à nous conduire.

Pourquoi se réclamer du « Dieu fort » quand c'est pour vivre dans la faiblesse, vaincus par les épreuves, par le tentateur, battus, pleurant sur notre perpétuelle misère, oubliant que le « Dieu fort » est dans notre race et que greffés sur ce nouveau cep, nous sommes destinés à tirer de lui sève et force.

Pourquoi craindrai-je le présent, appréhenderai-je l'avenir si j'ai pour moi « le Père à toujours », celui dont les sentiments ne changent pas, dont l'amour n'est point capricieux, mais qui est « le même hier, aujourd'hui, éternellement » ?

Enfin ma paix n'est-elle pas faite avec Dieu par le prince de Paix ? Ne dois-je pas me reposer en paix sous la houlette de celui qui tient l'adversaire à distance ? Et ne dois-je pas avoir la nature paisible, le goût de la paix, l'amour et l'humilité de Celui « qui a été doux et humble de coeur » ?
Et quand je pense à ce que je suis au lieu de ce que je devrais être « ayant de telles promesses », je suis confus et humilié.

Que nous défendions l'Écriture contre ceux qui nous en ravissent la révélation, rien de plus juste ! Mais en même temps, réalisons mieux la pensée de Dieu à notre égard, révélée dans l'Écriture ! Ce sera en faire la vraie, la vivante, l'incontestable apologie.



L'homme de douleur.

 Voici mon serviteur prospérera ; il grandira, il sera exalté, il sera haut élevé. De même que beaucoup ont été interdits en le voyant, - tant il était défait de visage plus qu'aucun homme et défiguré plus qu'aucun fils d'homme, - ainsi il fera tressaillir des peuples nombreux ; les rois fermeront la bouche devant lui ; car ils verront ce qui ne leur avait point été raconté, et ils apprendront ce qu'ils n'avaient point entendu.

Qui a cru à ce qui nous avait été annoncé et à qui le bras de l'Éternel a-t-il été révélé ? Il a poussé devant lui comme un rejeton, comme une racine sortant d'une terre desséchée ; il n'avait ni forme ni beauté pour fixer nos regards, ni apparence pour fixer nos désirs. Il était méprisé et abandonné des hommes, homme de douleurs et connaissant la maladie, méprisé comme un objet devant lequel on se cache le visage ; et nous n'avons fait de lui aucun cas.

Véritablement, c'étaient nos maladies qu'il portait, et nos douleurs dont il s'était chargé ; et nous, nous le croyions puni, frappé de Dieu et humilié ! Mais lui, il a été percé à cause de nos péchés, brisé à cause de nos iniquités ; le châtiment qui nous donne la paix a été sur lui, et c'est par ses meurtrissures que nous sommes guéris.... il a été enlevé par l'oppression et le jugement ; et parmi ses contemporains, qui eût jamais pensé qu'il était retranché de la terre des vivants et que la plaie le frappait à cause du péché de mon peuple ?... quand son âme aura offert le sacrifice expiatoire, il aura une postérité, il verra de longs jours et l'oeuvre de l'Éternel prospérera entre ses mains.
Esaïe LII, 13 - LIII, 12.


Toutes les fois que nous reprenons la plume pour commencer une nouvelle étude prophétique, nous voudrions nous écrier : La prophétie en Israël est un vrai miracle ! Comment tous ceux qui pensent et qui sentent n'en sont-ils pas impressionnés ? Est-ce l'accoutumance... ? mais ici, devant cette description à la fois si exacte et si émouvante de « l'homme de douleur », toute formule admirative tombe et c'est un cri de reconnaissance qui s'élance du coeur : « Mon Dieu ! merci pour ton don ineffable ! »

On a bien malheureusement coupé les chapitres LII et LIII d'Esaïe. Il aurait fallu arrêter le LII au verset 12 et faire des versets 13-15 le commencement du LIII.
Ce fragment d'Esaïe LII, 13 à LIII, 12 forme un tout qui dépeint le double aspect du Messie, glorieux et souffrant.

En effet, comme tant de passages des psaumes et des prophètes le laissent entendre, le Messie sera glorieux ! « Le Serviteur de l'Éternel prospérera, grandira, sera exalté, sera haut élevé », ce sont là les divers échelons qu'il gravira de la terre au ciel. Et tout en montant, il grandira toujours. Mais en même temps le prophète cherche à prévenir les ambitions charnelles de ceux qui rêvent un Messie conquérant ; il montre que la vraie grandeur de l'Envoyé de Dieu se manifestera dans l'abaissement et dans l'obéissance douloureuse. Le rachat du pécheur, l'expiation du péché d'abord, ensuite seulement viendra le triomphe.

Ce Messie glorieux, le voici « tout défait, plus défiguré qu'aucun homme. » Celui qui dépassait tous les humains, il est tombé au-dessous d'eux. Et à cette vue beaucoup restent « interdits » ; ils ne le reconnaissent plus, ils ne comprennent pas. Mais d'autres, des peuples nombreux, les peuples païens tressaillent à ce spectacle. Une fibre profonde dans le coeur de l'homme est touchée à cette vue. Les rois et beaucoup d'autres avec eux restent muets, soupçonnant bien dans ce soudain abaissement un miracle nouveau, incompréhensible encore. Et voilà comment les versets 1-12 du LIII forment le développement de ce que les versets 13-20 du LII viennent de dire.

Nous touchons du doigt le miracle dans ces versets, car il se trouve, par un chef-d'oeuvre de justice et d'amour, que l'abaissement et la souffrance du Messie sont expiatoires. C'est ici le mot nouveau qui est la clé d'or de la Bible tout entière. Mot si plein de salut que nous en bénissons l'apparition.

L'Ancien Testament affirme à chaque instant la souffrance-punition : « Si vous abandonnez l'Éternel votre Dieu et que vous serviez des dieux étrangers, il viendra vous faire du mal et il vous consumera » (Josué XXIV, 20). Il met aussi en lumière d'une façon très remarquable la souffrance-éducation, celle qui est un moyen pédagogique de progrès : « Avant d'avoir été humilié je m'égarais, maintenant j'observe ta parole » (Ps. CXIX, 67) dit le Psalmiste. C'est de cette souffrance que parle l'épître aux Hébreux quand elle dit : « Dieu châtie celui qu'il aime.... mon fils ne méprise pas le châtiment du Seigneur » (Héb. XII, 4-11). Le livre de Job marque à la souffrance-épreuve sa place dans le plan de Dieu. Le fidèle reste attaché à son Dieu quand même il ne comprend plus, quand même la souffrance lui paraît sans but. Il devient à son insu le champion de la gloire de Dieu devant les puissances de l'au-delà.

Le chapitre LIII d'Esaïe nous révèle la souffrance-expiation. L'instinct d'expiation s'était perverti dans les sacrifices humains des païens. Le sang des victimes offertes par le prêtre juif n'était qu'une substitution du sang innocent à celui du coupable ; c'était ainsi une sorte d'expiation préparatoire, mais bien pâle en comparaison de ce qu'exige la sainteté de Dieu et de ce qu'implique la gravité du péché. Qui fera l'expiation vraie, complète dont l'âme humaine a besoin et qu'elle cherche dans la contrefaçon des cultes sacrilèges ? Pourquoi toujours un autel, une victime, du sang, de la souffrance, sinon parce qu'il y a en l'homme une soif de souffrance expiatoire ? Mais où est-elle la victime sans tache ? Il n'y a pas de juste capable de sauver ses frères coupables : « Quand même Noé, Daniel et Job seraient au milieu de toi, je suis vivant, dit l'Éternel, ils ne sauveraient ni fils, ni filles, eux seuls seraient sauvés » (Ez. XIV, 18). Esaïe LIII révèle celui qui sauvera « fils et filles », c'est le Messie, le Messie « défiguré » dont il a plu à Dieu de faire servir la souffrance à l'expiation des péchés du monde.

Mais cet abaissement n'est que temporaire et un nouvel horizon de résurrection et de gloire apparaît au delà de la souffrance. L'exaltation du Serviteur de l'Éternel reprend après son abaissement plus féconde et plus lumineuse.

Il vaut la peine de méditer plus en détail ce chapitre LIII qui est le point culminant de la prophétie de l'Ancien Testament.
Le peuple d'Israël attendait un « rejeton d'Isaï », magnifique, verdoyant, attirant tous les regards et voilà c'est une « faible racine sortant d'une terre sèche », un simple homme né dans une humble famille. Il n'a rien d'un conquérant. Un tel Messie ne répond pas aux besoins d'un peuple orgueilleux dont le passé de gloire demande une continuation d'histoire qui soit une épopée. « Alors, dit le prophète qui se solidarise d'avance avec ce peuple aveuglé, nous l'avons méprisé, ce Messie souffrant, nous lui avons tourné le dos », sans nous douter qu'en subissant nos mauvais traitements, qu'en acceptant les meurtrissures et même la mort, c'était devant Dieu par un miracle de solidarité et de transposition, nos propres maladies qu'il portait, nos propres péchés qu'il expiait. Nous avions cru que sa souffrance était le juste châtiment de Dieu pour sa présomption à se dire « Fils de Dieu », et voilà c'était tout autre chose, c'était sur lui que tombait d'une main plus haute « le châtiment qui nous apporte la paix ».

Mais, descendu au fond de l'abîme, il a commencé à en remonter. On le destinait à la voirie et il a été mis dans un sépulcre honorable. Et puis la récompense magnifique d'une telle obéissance viendra. D'abord il se verra une « postérité », celle de tous ceux qu'une telle mort fera vivre. Et ici revient immédiatement à l'esprit la parole du Christ : « Si le grain de froment ne meurt, il demeure seul ; mais s'il meurt il porte beaucoup de fruit » (Jean XII, 24). C'est la grande loi de la germination. C'est aussi la grande loi de reproduction dans la nouvelle alliance : mourir pour vivre et pour faire vivre ; se donner pour se retrouver. « Si quelqu'un veut la retrouvera , il la perdra, mais celui qui perd sa vie pour l'amour de moi et de l'Évangile, la retrouvera » (Marc VIII, 35). Et puis il se réjouira de son travail d'âme, il sera heureux de faire des heureux et, lui juste, d'en justifier plusieurs. Il devient la puissance spirituelle par excellence avec laquelle il faut compter. Il est l'homme plus fort qui a vaincu l'homme fort et lui prend ses dépouilles et c'est parce qu'il s'est mis lui-même « au rang des malfaiteurs » qu'il peut sauver des malfaiteurs.

Enfin de longs jours lui sont promis. Après que son âme aura offert le sacrifice expiatoire, elle retrouvera une nouvelle et longue vie. « Personne ne me l'ôte, dira Jésus en parlant de sa vie, j'ai le pouvoir de la donner et j'ai le pouvoir de la reprendre : tel est l'ordre que j'ai reçu de mon Père » (Jean X, 18).

C'est en effet l'ordre de son Père. « Il a plu à l'Éternel de le briser par la souffrance. » C'est l'Éternel qui a voulu cette souffrance expiatoire et c'est en une certaine manière lui-même qui l'a subie : « Dieu était en Christ réconciliant le monde avec soi », dit Paul (2 Cor. V, 19). Et l'oeuvre de Dieu « prospérera » entre ses mains. L'oeuvre de Dieu dans le monde est placée par l'oeuvre expiatoire de Christ sur le seul terrain où elle puisse prospérer, celui de l'amour absolu, inexplicable. À l'homme qui se scandalise du mal et de la souffrance, Dieu répond en plaçant devant lui un fait d'amour tout aussi inexplicable : « l'Homme de douleur ». Et par cette réponse toutes les conversions sont possibles, jusqu'à faire du plus misérable pécheur un « semblable » du Fils de Dieu, un représentant de sa postérité. Ce que le Messie glorieux ne pouvait accomplir, l'Homme de douleur le réalisera : présenter à l'humanité des mains percées et la serrer sur un coeur frappé d'une lance.

Un jour viendra où ce peuple qui attendait un Roi glorieux et qui a été déçu par l'apparition de l'Homme de douleur tournera les regards vers lui. Les Juifs reconnaîtront leur Messie dans le Jésus de Gethsémané, calomnié, couronné d'épines, battu de verges, cloué à la croix et « ils pleureront sur lui comme on pleure sur un fils unique ». Ah ! quelles larmes ! Quelle révolution, quand le peuple, dépositaire des oracles, le peuple religieux par excellence, celui qui a du sang d'Abraham, de Moïse, d'Élie, de Jésus-Christ dans les veines, reconnaîtra enfin son erreur ! Quel deuil, quelle commotion intérieure ! Mais aussi quelle résurrection d'entre les morts ! Et comme l'Homme de douleurs « glorifié auprès de son Père » rassasiera ses regards d'un tel spectacle et jouira de son travail d'âme !

Et maintenant, a-t-il trouvé en nous sa postérité, ce serviteur de l'Éternel « obéissant jusqu'à la mort, jusqu'à la mort même de la croix » ? Sommes-nous de ceux qui l'avons accueilli sous son voile d'ignominie ? Derrière cet être défiguré que le monde bafoue en parlant de sa « folie » ou que la chrétienté méprise en refusant d'accepter l'essentiel de son oeuvre, le fait rédempteur, avons-nous reconnu le Sauveur mort pour nos péchés, et salué le Messie dans son abaissement ? Ton péché, à toi, l'as-tu enfin confessé sur cette victime qui est la seule par laquelle tu aies accès auprès du Père ?

Sa gloire est encore voilée,
Ah ! d'un voile ensanglanté !...
Bientôt sera révélée
Son ineffable beauté.
Oh ! quels transports d'allégresse
Quand ses yeux baissés sur moi,
Me diront avec tendresse :
« Je mourus aussi pour toi !



Le torrent d'Ezéchiel.

 Puis il me ramena à l'entrée de la Maison, et voici des eaux sortaient de dessous le seuil de la Maison du côté de l'Orient, et les eaux s'écoulaient du côté droit de la Maison, au midi de l'autel.... Quand l'homme fut sorti vers l'Orient - il avait un cordeau à la main - il mesura mille coudées et me fit passer par cette eau : de l'eau jusqu'à la plante des pieds. Il en mesura encore mille et me fit passer dans l'eau : de l'eau jusqu'aux genoux, Il en mesura encore mille - de l'eau jusqu'aux reins. Il en mesura encore mille : c'était un torrent que je ne pouvais traverser.... En me retournant, j'aperçus sur le bord du torrent des arbres en très grand nombre des deux côtés. Et il me dit : Ces eaux s'en vont vers le district oriental ; elles traverseront la plaine et entreront dans la mer (Morte) c'est pour aller à la mer qu'elles coulent, afin que l'eau en redevienne saine.... il y aura de la vie partout où arrivera le torrent et le poisson sera selon son espèce, comme celui de la grande mer et excessivement nombreux ... De chaque côté croîtront toute espèce d'arbres fruitiers .... et leur fruit sera bon à manger et leurs feuilles pour guérir. Ezéch. XLVII, 1-12.


Après la ruine de Jérusalem, il se fit parmi les Juifs déportés en Babylonie une sorte de triage. Les uns prirent rapidement leur parti de l'exil et s'arrangèrent à vivre en Chaldée le plus confortablement possible. Les autres, gardant au coeur le dépôt sacré de l'amour du pays et de la foi au vrai Dieu, perdaient le courage de vivre et suspendaient leurs harpes aux saules du rivage. Quand les habitants du pays leur demandaient de jouer quelqu'une de leurs mélodies nationales, ils ne pouvaient s'y résoudre ; le souvenir des cortèges solennels qui montaient à la maison de l'Éternel au bruit de toutes sortes d'instruments restait trop vivant à leur mémoire « Si je t'oublie, Jérusalem, que ma droite s'oublie ! Que ma langue s'attache à mon palais, si je ne me souviens de toi » (Ps. CXXXVII, 5, 6).

Dans aucune littérature le patriotisme n'a fait jaillir des accents aussi vibrants ; c'est que pour le Juif le sol natal est le seul lieu où Dieu puisse véritablement être adoré. L'Israélite ne concevant de culte possible qu'au temple de Sion, la destruction de Jérusalem et du temple marquait la disparition de l'alliance de grâce, l'effondrement des espérances en même temps que la dispersion de la race.

Ezéchiel, le fils du sacrificateur Buzi, prêtre lui-même, reçoit aussi la vision prophétique du rétablissement d'Israël dans son pays mais sous un symbole sacerdotal. Il est transporté auprès d'un temple gigantesque, situé au centre même de la Palestine sur une montagne idéale dominant tout le pays. Et là, dans une Jérusalem restaurée, se célèbre à l'Éternel un nouveau culte plus grandiose, plus spirituel que l'ancien. Mais ce n'est pas seulement le rétablissement du passé qu'Ezéchiel entrevoit. Au chapitre XLVII en particulier, il contemple symboliquement des bénédictions spirituelles qui passent par-dessus les temps prochains et qui n'auront leur plein accomplissement qu'à l'époque messianique.

Dans ce temple, le prophète voit entrer l'Éternel (chap. XLIII). C'est maintenant un véritable sanctuaire. De dessous le seuil, l'eau pure jaillit, comme dans la vision de l'Apocalypse « un fleuve d'eau vive sortait de dessous le trône de Dieu et de l'Agneau » (Apoc. XXII, 1). Cette eau va grossissant jusqu'à devenir un torrent qu'il faut traverser à la nage. Et ce torrent se dirige vers la mer Morte à travers la plaine. Tout le long de ses bords, des arbres fruitiers croissent en grand nombre. Les fruits de ces arbres sont savoureux, les feuilles salutaires. Partout où passe l'eau c'est la fécondité et la santé. Le torrent se jette dans la mer Morte, la purifie et la rend poissonneuse en sorte que ses bords déserts se couvrent de pêcheurs et qu'on voit sécher des filets là où régnaient la stérilité et la solitude.

La mer Morte est un lac de 73 km. de long sur 17, 8 km. de large. Sa surface se trouve à 394 m. au-dessous du niveau de la Méditerranée. L'eau en est saturée de sel et bitumineuse ; même les poissons de mer y meurent. Le souvenir qu'elle rappelle sent mauvais. Le nom de Sodome, dont les ruines gisent dans ses profondeurs, exprime en notre langue l'infamie dans la débauche. S'il est un lieu maudit au monde c'est celui-là. Si l'enfer avait une issue sur la terre, il semble que c'est là qu'elle s'ouvrirait. Quand le fleuve miraculeux l'atteint, cette mer s'assainit et devient féconde au point que la vie y pullule.
Sous ce symbole se cache une prophétie admirable.

Quand le culte israélite aura recommencé au vieux pays de la promesse, après le retour de la captivité, la présence de l'Éternel se manifestera dans une direction toute nouvelle et donnera naissance à un torrent de vie, qui sera l'oeuvre du Messie. Mais cette oeuvre aura un tout petit commencement. Le Royaume de Dieu, dira Jésus, est semblable à un homme qui met en terre un grain de moutarde, qui est la plus petite des semences. Quand celle-ci a crû, elle donne naissance au plus grand des légumes ; les oiseaux du ciel viennent faire leur nid dans ses branches. Jésus, ses douze apôtres, ses soixante et dix disciples, les milliers de la Pentecôte, les dix milliers de la Gentilité, puis les millions des extrémités de la terre, voilà le torrent de la vie qui va grandissant.

Nous venons d'écrire le mot de Gentilité. Pour les Juifs la masse des peuples idolâtres n'était qu'une « mer Morte », des gens vivant sous la malédiction, « marchant dans les ténèbres et habitant au pays de l'ombre de la mort. » Et voilà que le prophète contemple et annonce la prédication universelle de l'Évangile que d'autres voyants proclameront sous des formes différentes. « Je changerai les lèvres des peuples en des lèvres pures, afin qu'ils invoquent tous le nom de l'Éternel pour le servir (littéralement) d'un même dos » (Soph. III, 9). Même les représentants de toutes les nations païennes qui se sont le plus mal montrées à l'égard d'Israël, auront part à la bénédiction des derniers temps :
« Tous ceux qui seront demeurés de reste de toutes les nations qui se seront élevées contre Jérusalem, monteront chaque année pour se prosterner devant le roi, l'Éternel des armées, et pour célébrer la fête des tabernacles » (Zach. XIV, 16).
« Dans les derniers temps, je mettrai en repos les captifs de Moab » (Jér. XLVIII, 42, 47). Le même prophète parle identiquement des Hammonites (XLIX, 6) et Zacharie des Philistins : « Le Philistin lui aussi sera réservé pour l'Éternel notre Dieu » (IX, 7).

Dans le temps du salut, l'humanité tout entière soutiendra avec l'Éternel des relations analogues à celles que par privilège exclusif Israël seul avait connues. C'est en s'en rapportant à cette grande révélation des prophètes que Jacques cite ces paroles d'Amos au concile de Jérusalem - « Après cela je reviendrai et je relèverai de sa chute la tente de David, j'en réparerai les ruines et je la redresserai, afin que le reste des hommes cherche le Seigneur, ainsi que toutes les nations sur lesquelles mon nom est invoqué, dit le Seigneur qui fait ces choses » (IX, 11, 12). Au nom de ces prophéties il tend la main d'association à Paul et consent à recevoir dans l'Église ceux des païens qui se convertissent au Seigneur « sans leur créer de difficultés ». Si la mer Morte peut redevenir pure et féconde, la Gentilité aussi remplira les filets des pêcheurs d'hommes.

Mais cette action merveilleuse du torrent d'Ezéchiel, c'est aussi le symbole de la purification et du renouvellement du coeur de l'homme et du coeur de ceux qui paraissent être les membres les plus déchus de l'humanité. Tel cloaque de grande ville se transforme par la puissance du Christ en « un jardin de l'Éternel ». Tel corps d'homme, réceptacle de tous les vices, devient un temple du Saint-Esprit. L'histoire connaît des histrions, ces prostitués masculins, produits infâmes de la débauche raffinée, qui sont devenus de vrais chrétiens. Et aujourd'hui ces « mer Morte » assainies nous les connaissons dans l'Église de Christ. J'emprunte les lignes suivantes au récit intitulé : L'Ivrogne-né dans les « Pots cassés » (1).

L'Ivrogne-né distribuait ses journaux. L'ouvrier commanda un verre.
- Allons, bois, vieux ! dit-il en tendant le verre au converti :

L' « Ivrogne-né » secoua la tête.
- Allons bois comme un homme ! Qu'est-ce qu'un verre pour toi ? C'est par litres que tu comptes
- Non.
- Écoute, mon vieux, tu es pauvre, n'est-ce pas ? Oui.
- Tu as ta vieille et ton môme à nourrir ?
- Oui.
- Un schilling, c'est quelque chose pour toi, pas ? Eh bien ! je te donnerai un schilling, tout net - parole d'honneur, tu l'auras - si tu bois le verre. Sens-le. Sens-le donc, vieille bête. Ça sent-il bon ! Allons, bois-le, et gagne ton schilling.
- Jamais.
- Tu ne veux pas ?
- Non.
- Pas pour un schilling ?
- Pas pour mille.
- Sûr ?
- Oui.
- Eh bien, tu l'auras quand même.

Et, en disant cela, l'ouvrier moqueur lança tout le contenu du verre à la figure du vieillard.
Il y eut des rires, qui saluèrent la bonne blague et la pitoyable figure du vieil homme ruisselant, qui clignait des yeux, secouait les gouttes, essuyait le liquide sur sa bouche et son menton.
- Eh bien ! ça sent bon, mon vieux ? railla son bourreau. Quel bon parfum ça a la bière, pas vrai ? Espèce d'idiot ! Pourquoi ne l'as-tu pas prise au dedans, et pas au dehors ? Allons ! je t'en paierai un autre verre. Tu l'auras. Tu n'auras pas le schilling, mais tu auras la bière.
- Je n'en veux pas, dit le vieillard.

Et puis le torrent rend fécond. L'Évangile fait des vies utiles. « Sauvé pour servir », telle était la devise de Torrey. Les arbres qui ont grandi au bord du torrent donnent des fruits nourrissants. Que l'on songe aux Georges Muller, aux Dr Barnardo, aux Bodelschwingh, aux Commandi, qui ont nourri, élevé, relevé des milliers d'orphelins et de sans-travail, à l'Armée du Salut et à ses oeuvres sociales !

Leurs feuilles guérissent. Partout, en Chine, en Inde, en Afrique, chez les lépreux s'installent des missions médicales. Chez nous des diaconesses aux frais bonnets blancs se répartissent les hôpitaux et les asiles d'incurables. Tandis que les Dunant, les Florence Nightingale ont mis tout leur coeur à atténuer les maux de la guerre par l'organisation du secours aux blessés.

Le torrent de la grâce passe chez nous ! Quelques gouttes de son onde salutaire ont-elles pénétré dans notre coeur ? Avons-nous bu l'eau qui jaillit en vie éternelle ? Aspirons-nous à ressembler à l'arbre « planté au bord des eaux courantes et qui rend son fruit en sa saison » ? « Autrefois » morts dans nos fautes, païens dans la chair.... maintenant rapprochés par le sang de Christ... ? (Ephés. II). Autrefois « mer Morte », aujourd'hui petit ruisseau d'eau vive ?


1) Harold Begbie. Fischbacher, Paris 1912.
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