Notre histoire nous montre combien il est
difficile de croire à la rémission
des péchés. Celui qui ne
connaît pas, ou ne veut pas connaître
l'énormité du péché ne
trouve naturellement pas de difficulté
à croire au pardon de Dieu. Si le
péché n’est autre chose que la
manifestation de penchants irrésistibles il
ne peut être question de faute, ni de pardon.
Là où il n’y a pas eu de
transgression, il n’y a rien à
pardonner. Si de plus, le péché
n’est qu’une faiblesse excusable on peut
facilement admettre que notre bon Père
céleste l’efface en disant : "Mes
enfants, ce n’est rien, ne vous en tourmentez
pas." Les hommes plus sérieux jugent les
choses autrement. Parmi les païens ceux qui
ont des sentiments nobles souffrent du poids du
péché et ne disent jamais que le
pardon divin est une chose naturelle. Ils ne
peuvent concevoir que les dieux remettent le
péché, car ils ne connaissent pas le
Dieu saint et miséricordieux.
Aristote, le plus grand des philosophes grecs, a
dit : "La divinité n’est pas
là pour aimer, mais pour être
aimée." Et l’un des poètes les
plus profonds de l'antiquité
écrit : "que la divinité
n’oublie jamais le péché et
qu’elle y pense éternellement." Il a
fallu une révélation toute
spéciale pour créer dans
l'humanité la foi en un Dieu qui
pardonne ; c’est pourquoi le
prophète Michée s'écrie avec
reconnaissance : "Quel Dieu est semblable
à toi, qui pardonnes l'iniquité, qui
oublies les péchés du reste de ton
héritage ? Il ne garde pas sa
colère à toujours, car il prend
plaisir à la miséricorde. Il aura
encore compassion de nous, il mettra sous ses pieds
nos iniquités ; tu jetteras au fond de
la mer tous leurs péchés."
(Mich.
7, 18-19).
La rémission des péchés est
pour lui un sujet d’adoration. Quoi
d'étonnant ! La science nous apprend
que dans tout l’univers, malgré des
transformations puissantes et de terribles
catastrophes, il ne se perd pas un atome. Quels que
soient les événements qui peuvent se
produire, les molécules ne font que changer
de formes et de places, et nous trouvons naturel
que le péché, qui est une violation
manifeste de l’ordre divin dans le monde, nous
soit remis et pardonne ? Naturellement il ne
peut en être ainsi que pour celui qui se
repent, sans cela le pardon serait quelque chose
d’immoral. Nous ne devons croire que Dieu a
pardonné que lorsqu’il le dit
lui-même. Lui seul peut rendre possible
l’impossible, effacer nos péchés
sans nuire à sa sainteté et couvrir
le coupable de sa grâce libératrice.
La croix de Christ est la clef de ce
mystère, et le sacrement de la cène
place la vérité d’une
manière tangible sous les yeux de
ceux-là mêmes qui seraient
tentés d’en douter.
Malgré cela l’intelligence de ce fait
divin n’a été donnée
jusqu'à aujourd’hui qu’à
peu d'hommes. "Je crois à la
rémission des péchés", disent
tous ceux qui confessent leur foi, mais des
milliers d'âmes honnêtes
ajoutent : "Seigneur, aide-moi dans mon
incrédulité" car elles trouvent que
cet article de foi est le plus difficile de tous
à accepter et qu’il n’est
intelligible que pour ceux-là seuls à
qui le St-Esprit a révélé le
mystère de Golgotah. Je me souviens
très bien du temps où j’aimais
déjà mon Sauveur et où
pourtant de grandes objections s'élevaient
en moi lorsque ma mère chantait son cantique
favori. "Combien est grand ton amour, oh ! toi
mon souverain sacrificateur !" Les
dernières strophes en particulier, me
paraissaient difficiles à accepter. "Je ne
pense pas plus à mon péché que
si je ne l’avais jamais commis. Tu dis :
Repose en paix, mon enfant, ne regarde qu'à
moi. Je ne regarderai qu'à toi, mon Dieu,
mon consolateur, mon partage. Je ne veux plus
penser à moi, en toi est tout mon
salut."
Je me souviens encore que je disais à ma
mère : "Si le poète ne pensait
plus à son péché il ne pouvait
plus en parler." Ma mère me répondait
alors qu’il se souvenait, non de son
péché mais du pardon divin. Le
péché pardonné n’est pas
une barrière entre Dieu et nous, mais au
contraire un lien d’amour et de vie. Il
m’a fallu longtemps pour comprendre et saisir
la chose, mais je sais maintenant que ma
mère avait raison. Parmi les personnes
animées de l’esprit chrétien on
en trouve très peu qui se réjouissent
vraiment du pardon de leurs péchés,
elles ont toujours des objections à faire
qui sont autant d’obstacles à la joie
et à la paix du coeur.
La meilleure preuve que les hommes ne comprennent
pas la grâce qui leur est offerte, c’est
qu’ils ne croient pas eux-mêmes a un
pardon humain. Cela ne vous est-il pas
arrivé, cher lecteur ? Un homme vous a
cruellement offensé et vous lui avez
pardonné de tout votre coeur. S’il
avait réellement cru à votre pardon
cela aurait eu pour résultat de vous unir
plus étroitement l’un à
l’autre. Mais hélas ! tel n’a
pas été le cas. L’homme auquel
vous avez pardonné est devenu ombrageux,
défiant, il vous évite et semble
intimidé devant vous. Pourquoi ? Parce
qu’il craint qu’il ne reste dans votre
coeur de l’amertume, de la colère, un
désir de vengeance et il se figure que vous
n’attendez qu’une bonne occasion de lui
rendre le mal qu’il vous a fait.
Il est un obstacle qui rend difficile pour les
chrétiens la foi au pardon divin. Je
voudrais non seulement placer cet obstacle devant
vos yeux, mais l'écarter.
Lorsqu'il y a quelques années, l'espagnol
Matamoros reçut dans la prison la nouvelle
de sa grâce il ne manifesta d’abord
aucune joie et demanda avec
anxiété : "Et les autres ?"
Il parlait de ses compagnons de captivité.
Alors seulement qu’il fut assuré de
leur libération, il fut vraiment
heureux.
Le chrétien qui me raconta cette histoire
bien connue, fit la réflexion que nous
aussi, nous ne pourrions nous réjouir dans
le ciel si une partie de nos semblables
gémissaient dans les tourments. Il estimait
que tous les hommes en fin de compte seraient
sauvés.
Tout en étant en désaccord avec lui
sur ce point, je dois avouer qu’il me
semblerait profondément immoral d'être
heureux dans le ciel quand je saurais que
d’autres sont, par ma faute, condamnés
aux peines éternelles. Ainsi, par exemple,
Paul étant encore Saul, avait non seulement
blasphémé le nom de Jésus,
mais il avait par la force contraint d’autres
à le faire. Si ces âmes avaient
persévéré dans le mal, il les
aurait eues pour ainsi dire sur la conscience.
Comment pourrait-il donc être heureux dans le
ciel, si elles avaient été
condamnées par sa faute ? Des faits
analogues sont nombreux. Un chrétien avant
sa conversion a entraîné au mal une
jeune fille honnête. Lorsque plus tard il
veut réparer le tort qu’il lui a
fait ; elle est morte. Supposons encore que
parmi ceux qui assistèrent au reniement de
Pierre, il s’en trouvât un sur le point
de devenir un disciple de Jésus. Voyant
tomber si misérablement le plus
zélé des apôtres, il se prend
à douter et reste dans son
incrédulité.
Vous avez peut-être comme Pierre
été pour d’autres une occasion
de chute par une parole légère ou par
une négligence à accomplir un acte de
charité. Qui n’est pas coupable sur ce
point et qui peut calculer les suites
déplorables qu’entraînent souvent
après elles une mauvaise action, une
mauvaise parole ou l’oubli du
devoir ?
Que faut-il dire pour calmer ceux qui sont
angoissés de ces choses ? Le Dieu
miséricordieux qui s’est
manifesté à vous agira de même
envers ceux à qui vous avez fait du mal et
si cette grâce ne leur est pas
accordée dans cette vie elle le sera dans
l’autre.
Notre consolation serait encore plus grande si nous
apprenions que notre péché
lui-même a, par la grâce toute
puissante et miséricordieuse de Dieu, pousse
les incrédules à la foi. Revenons
à Paul. Ceux qui avaient été
entraînés à blasphémer
comme lui le Christ n’ont-ils pas dû
être profondément impressionnés
en apprenant que ce blasphémateur proclamait
le nom de Jésus et donnait pour lui son
corps, son sang, son honneur et ses biens. Le
contraste entre les deux dispositions de Paul a
été si grand qu’il a dû
pousser les incrédules à revenir
à la foi et à y
persévérer jusqu'à la fin.
N’avons-nous pas fait de semblables
expériences ? Dieu ne manifeste-t-il
pas tout particulièrement sa grâce
envers ses enfants quand il leur montre qu’il
a tiré le bien des péchés
mêmes qu’ils ont commis ? Le mot de
pardon brille alors de sa plus vive clarté.
Cette promesse : "Dieu essuiera toutes larmes
de leurs yeux" revêt dans de telles
circonstances toute sa beauté. Cela arrivera
certainement quand à travers tout
l’univers retentira cette parole : "Le
Seigneur a tout bien fait", même ce que nous
avions fait de mal.
Là serait la plus merveilleuse des
théodicées, c’est-à-dire
la plus merveilleuse justification des voies de
Dieu. Plusieurs de mes lecteurs savent que le
célèbre Leibnitz s’est servi le
premier du mot théodicée. Il
écrivit, il y a cent quatre-vingts ans, un
livre destine à justifier Dieu de toute
participation aux maux et aux imperfections de la
terre. Il a essayé de prouver que,
malgré le mal et les imperfections
apparentes, Dieu se révèle dans la
création et gouverne le monde, qu’il
est la plus haute expression de la sagesse et de la
bonté. Il n’y a pas de doute qu’un
jour Dieu ne justifie ses actes et cela ne lui sera
pas difficile. Cette justification atteindra son
plus grand éclat quand il nous montrera
qu’il a changé en
bénédiction les péchés
que les hommes ont commis.
L'histoire de Joseph nous en donne un exemple, et
c’est pourquoi j’ai traité ici ce
sujet. Dans les versets
12 et 15 du chapitre 50 il
nous est raconté qu'après les
funérailles de leur père, les
frères de Joseph furent de nouveau
tourmentés par leurs remords. Ils pensaient
que, par égard pour son vieux père
seulement, Joseph avait jusqu’ici
semblé leur pardonner. Cette raison
n’existant plus, ils craignent qu’il ne
donne libre carrière à son
ressentiment. Ils ne croient pas à sa
bonté, aussi envoient-ils auprès de
lui un messager, peut-être son frère,
le jeune et innocent Benjamin. "Ton père".
dit-il, "a donné cet ordre avant de
mourir : Vous parlerez ainsi à Joseph.
Oh ! pardonne le crime de tes frères et
leur péché, car ils t’ont fait
du mal !" Ils ont là, semble-t-il,
recours à un mensonge et veulent appuyer
leur demande de l'autorité du défunt.
Il est de toute invraisemblance en effet, que Jacob
leur ait confié ce message. Il connaissait
bien Joseph, et s’il avait douté de son
pardon, il lui aurait adressé lui-même
sa requête. Ses fils agissent en cela comme
beaucoup de chrétiens et cherchent à
atteindre leur but par des moyens qui ne sont pas
droits.
Ensuite, quand ils espèrent que le message a
ému Joseph, ils viennent
eux-mêmes ; ils tombent à genoux
devant lui et s’offrent à être
ses esclaves, eux qui l’ont jadis
réduit en servitude. Quelle est la
réponse de Joseph ? Des larmes
d’abord et ces larmes elles-mêmes nous
révèlent la noblesse de cette
âme purifiée dans laquelle il n’y
a pas de place pour la répulsion ou la
colère. La défiance de ses
frères l’afflige profondément,
lui qui n’a dans son coeur que des
pensées de paix et d’amour. Il leur
enlève toute crainte et les console. Dans le
texte il est dit : "Il parla à leur
coeur" en sorte que ses paroles tombèrent
comme un baume sur leurs plaies. "Soyez donc sans
crainte ; je vous entretiendrai vous et vos
enfants."
Mais il y a plus encore dans ses pleurs. Ce sont
des larmes de douleur, mais aussi de joie. Dans ce
moment, la profondeur insondable de la
miséricorde de Dieu, éclate à
ses yeux et il donne essor à ce sentiment en
disant : "Vous aviez médité de
me faire du mal : Dieu l’a changé
en bien, pour accomplir ce qui arrive
aujourd’hui, pour sauver la vie à un
peuple nombreux." Cette parole est la clef
d’or de toute la vie de Joseph. Le Dieu
miséricordieux et sage a changé, leur
dit-il sans doute, le mal que vous avez fait en
moyen de grâce Votre salut, le mien et celui
d’un peuple innombrable en est
résulté. Votre péché a
eu des conséquences telles, que la maison
d'Israël a été sauvée par
lui de la famine et réservée à
un grand avenir. Comment pourrais-je encore
être irrité quand Dieu donne un tel
éclat à sa grâce En lui seul,
et par lui seul toutes choses, à lui soit
gloire dans l'éternité.
Nous voyons ainsi que le coeur de Joseph est calme
et réconcilié parce qu’il voit
partout la main de Dieu. C’est Dieu qui
transfigure tout à ses yeux, n’a-t-il
pas fait concourir toutes choses au bien de ceux
qui l’aiment, leur folie et leurs
péchés même. Les hommes
passent, leurs actions passent, rien ne reste que
Dieu seul ; Dieu tout en tous.
Ah ! que nous aussi nous puissions croire cela
et trouver dans cette conviction le secours dont
nous avons besoin !
Nous ne devons pas nous étonner que Dieu
accorde des bénédictions temporelles
à un homme ainsi ennobli et sanctifie.
Pendant quatre-vingts ans, Joseph remplira sa
charge élevée ; pendant
quatre-vingts ans il jouira de la reconnaissance de
millions d’hommes. Le bonheur de sa maison est
grand, il voit ses descendants jusqu'à la
troisième génération. Comment
a-t-il pu pressentir cela lorsqu’il fut
amené comme esclave dans la vallée du
Nil ? Comment aurait-il pu le pressentir
lorsque, privé de son honneur, il fut
enseveli vivant dans la prison. Joseph a fait
l'expérience que "la piété a
les promesses, non seulement de la vie à
venir, mais aussi de la vie présente." La
vie à venir était à ses yeux
la chose principale et les cloches de la
cité céleste résonnaient
déjà à ses oreilles dans la
vallée du Nil. Personne ne les entendait
autour de lui, mais lui se préparait
à suivre leur appel.
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