Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XXIII

JE CROIS À LA RÉMISSION DES PÉCHÉS

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Genèse 50, 14-23.

1. Il est difficile d’y croire.

 Notre histoire nous montre combien il est difficile de croire à la rémission des péchés. Celui qui ne connaît pas, ou ne veut pas connaître l'énormité du péché ne trouve naturellement pas de difficulté à croire au pardon de Dieu. Si le péché n’est autre chose que la manifestation de penchants irrésistibles il ne peut être question de faute, ni de pardon. Là où il n’y a pas eu de transgression, il n’y a rien à pardonner. Si de plus, le péché n’est qu’une faiblesse excusable on peut facilement admettre que notre bon Père céleste l’efface en disant : "Mes enfants, ce n’est rien, ne vous en tourmentez pas." Les hommes plus sérieux jugent les choses autrement. Parmi les païens ceux qui ont des sentiments nobles souffrent du poids du péché et ne disent jamais que le pardon divin est une chose naturelle. Ils ne peuvent concevoir que les dieux remettent le péché, car ils ne connaissent pas le Dieu saint et miséricordieux.

Aristote, le plus grand des philosophes grecs, a dit : "La divinité n’est pas là pour aimer, mais pour être aimée." Et l’un des poètes les plus profonds de l'antiquité écrit : "que la divinité n’oublie jamais le péché et qu’elle y pense éternellement." Il a fallu une révélation toute spéciale pour créer dans l'humanité la foi en un Dieu qui pardonne ; c’est pourquoi le prophète Michée s'écrie avec reconnaissance : "Quel Dieu est semblable à toi, qui pardonnes l'iniquité, qui oublies les péchés du reste de ton héritage ? Il ne garde pas sa colère à toujours, car il prend plaisir à la miséricorde. Il aura encore compassion de nous, il mettra sous ses pieds nos iniquités ; tu jetteras au fond de la mer tous leurs péchés." (Mich. 7, 18-19).

La rémission des péchés est pour lui un sujet d’adoration. Quoi d'étonnant ! La science nous apprend que dans tout l’univers, malgré des transformations puissantes et de terribles catastrophes, il ne se perd pas un atome. Quels que soient les événements qui peuvent se produire, les molécules ne font que changer de formes et de places, et nous trouvons naturel que le péché, qui est une violation manifeste de l’ordre divin dans le monde, nous soit remis et pardonne ? Naturellement il ne peut en être ainsi que pour celui qui se repent, sans cela le pardon serait quelque chose d’immoral. Nous ne devons croire que Dieu a pardonné que lorsqu’il le dit lui-même. Lui seul peut rendre possible l’impossible, effacer nos péchés sans nuire à sa sainteté et couvrir le coupable de sa grâce libératrice. La croix de Christ est la clef de ce mystère, et le sacrement de la cène place la vérité d’une manière tangible sous les yeux de ceux-là mêmes qui seraient tentés d’en douter.

Malgré cela l’intelligence de ce fait divin n’a été donnée jusqu'à aujourd’hui qu’à peu d'hommes. "Je crois à la rémission des péchés", disent tous ceux qui confessent leur foi, mais des milliers d'âmes honnêtes ajoutent : "Seigneur, aide-moi dans mon incrédulité" car elles trouvent que cet article de foi est le plus difficile de tous à accepter et qu’il n’est intelligible que pour ceux-là seuls à qui le St-Esprit a révélé le mystère de Golgotah. Je me souviens très bien du temps où j’aimais déjà mon Sauveur et où pourtant de grandes objections s'élevaient en moi lorsque ma mère chantait son cantique favori. "Combien est grand ton amour, oh ! toi mon souverain sacrificateur !" Les dernières strophes en particulier, me paraissaient difficiles à accepter. "Je ne pense pas plus à mon péché que si je ne l’avais jamais commis. Tu dis : Repose en paix, mon enfant, ne regarde qu'à moi. Je ne regarderai qu'à toi, mon Dieu, mon consolateur, mon partage. Je ne veux plus penser à moi, en toi est tout mon salut."

Je me souviens encore que je disais à ma mère : "Si le poète ne pensait plus à son péché il ne pouvait plus en parler." Ma mère me répondait alors qu’il se souvenait, non de son péché mais du pardon divin. Le péché pardonné n’est pas une barrière entre Dieu et nous, mais au contraire un lien d’amour et de vie. Il m’a fallu longtemps pour comprendre et saisir la chose, mais je sais maintenant que ma mère avait raison. Parmi les personnes animées de l’esprit chrétien on en trouve très peu qui se réjouissent vraiment du pardon de leurs péchés, elles ont toujours des objections à faire qui sont autant d’obstacles à la joie et à la paix du coeur.

La meilleure preuve que les hommes ne comprennent pas la grâce qui leur est offerte, c’est qu’ils ne croient pas eux-mêmes a un pardon humain. Cela ne vous est-il pas arrivé, cher lecteur ? Un homme vous a cruellement offensé et vous lui avez pardonné de tout votre coeur. S’il avait réellement cru à votre pardon cela aurait eu pour résultat de vous unir plus étroitement l’un à l’autre. Mais hélas ! tel n’a pas été le cas. L’homme auquel vous avez pardonné est devenu ombrageux, défiant, il vous évite et semble intimidé devant vous. Pourquoi ? Parce qu’il craint qu’il ne reste dans votre coeur de l’amertume, de la colère, un désir de vengeance et il se figure que vous n’attendez qu’une bonne occasion de lui rendre le mal qu’il vous a fait.


2. Comment le pardon est-il possible ?

 Il est un obstacle qui rend difficile pour les chrétiens la foi au pardon divin. Je voudrais non seulement placer cet obstacle devant vos yeux, mais l'écarter.
Lorsqu'il y a quelques années, l'espagnol Matamoros reçut dans la prison la nouvelle de sa grâce il ne manifesta d’abord aucune joie et demanda avec anxiété : "Et les autres ?" Il parlait de ses compagnons de captivité. Alors seulement qu’il fut assuré de leur libération, il fut vraiment heureux.
Le chrétien qui me raconta cette histoire bien connue, fit la réflexion que nous aussi, nous ne pourrions nous réjouir dans le ciel si une partie de nos semblables gémissaient dans les tourments. Il estimait que tous les hommes en fin de compte seraient sauvés.

Tout en étant en désaccord avec lui sur ce point, je dois avouer qu’il me semblerait profondément immoral d'être heureux dans le ciel quand je saurais que d’autres sont, par ma faute, condamnés aux peines éternelles. Ainsi, par exemple, Paul étant encore Saul, avait non seulement blasphémé le nom de Jésus, mais il avait par la force contraint d’autres à le faire. Si ces âmes avaient persévéré dans le mal, il les aurait eues pour ainsi dire sur la conscience. Comment pourrait-il donc être heureux dans le ciel, si elles avaient été condamnées par sa faute ? Des faits analogues sont nombreux. Un chrétien avant sa conversion a entraîné au mal une jeune fille honnête. Lorsque plus tard il veut réparer le tort qu’il lui a fait ; elle est morte. Supposons encore que parmi ceux qui assistèrent au reniement de Pierre, il s’en trouvât un sur le point de devenir un disciple de Jésus. Voyant tomber si misérablement le plus zélé des apôtres, il se prend à douter et reste dans son incrédulité.

Vous avez peut-être comme Pierre été pour d’autres une occasion de chute par une parole légère ou par une négligence à accomplir un acte de charité. Qui n’est pas coupable sur ce point et qui peut calculer les suites déplorables qu’entraînent souvent après elles une mauvaise action, une mauvaise parole ou l’oubli du devoir ?
Que faut-il dire pour calmer ceux qui sont angoissés de ces choses ? Le Dieu miséricordieux qui s’est manifesté à vous agira de même envers ceux à qui vous avez fait du mal et si cette grâce ne leur est pas accordée dans cette vie elle le sera dans l’autre.

Notre consolation serait encore plus grande si nous apprenions que notre péché lui-même a, par la grâce toute puissante et miséricordieuse de Dieu, pousse les incrédules à la foi. Revenons à Paul. Ceux qui avaient été entraînés à blasphémer comme lui le Christ n’ont-ils pas dû être profondément impressionnés en apprenant que ce blasphémateur proclamait le nom de Jésus et donnait pour lui son corps, son sang, son honneur et ses biens. Le contraste entre les deux dispositions de Paul a été si grand qu’il a dû pousser les incrédules à revenir à la foi et à y persévérer jusqu'à la fin.
N’avons-nous pas fait de semblables expériences ? Dieu ne manifeste-t-il pas tout particulièrement sa grâce envers ses enfants quand il leur montre qu’il a tiré le bien des péchés mêmes qu’ils ont commis ? Le mot de pardon brille alors de sa plus vive clarté. Cette promesse : "Dieu essuiera toutes larmes de leurs yeux" revêt dans de telles circonstances toute sa beauté. Cela arrivera certainement quand à travers tout l’univers retentira cette parole : "Le Seigneur a tout bien fait", même ce que nous avions fait de mal.

Là serait la plus merveilleuse des théodicées, c’est-à-dire la plus merveilleuse justification des voies de Dieu. Plusieurs de mes lecteurs savent que le célèbre Leibnitz s’est servi le premier du mot théodicée. Il écrivit, il y a cent quatre-vingts ans, un livre destine à justifier Dieu de toute participation aux maux et aux imperfections de la terre. Il a essayé de prouver que, malgré le mal et les imperfections apparentes, Dieu se révèle dans la création et gouverne le monde, qu’il est la plus haute expression de la sagesse et de la bonté. Il n’y a pas de doute qu’un jour Dieu ne justifie ses actes et cela ne lui sera pas difficile. Cette justification atteindra son plus grand éclat quand il nous montrera qu’il a changé en bénédiction les péchés que les hommes ont commis.

L'histoire de Joseph nous en donne un exemple, et c’est pourquoi j’ai traité ici ce sujet. Dans les versets 12 et 15 du chapitre 50 il nous est raconté qu'après les funérailles de leur père, les frères de Joseph furent de nouveau tourmentés par leurs remords. Ils pensaient que, par égard pour son vieux père seulement, Joseph avait jusqu’ici semblé leur pardonner. Cette raison n’existant plus, ils craignent qu’il ne donne libre carrière à son ressentiment. Ils ne croient pas à sa bonté, aussi envoient-ils auprès de lui un messager, peut-être son frère, le jeune et innocent Benjamin. "Ton père". dit-il, "a donné cet ordre avant de mourir : Vous parlerez ainsi à Joseph. Oh ! pardonne le crime de tes frères et leur péché, car ils t’ont fait du mal !" Ils ont là, semble-t-il, recours à un mensonge et veulent appuyer leur demande de l'autorité du défunt. Il est de toute invraisemblance en effet, que Jacob leur ait confié ce message. Il connaissait bien Joseph, et s’il avait douté de son pardon, il lui aurait adressé lui-même sa requête. Ses fils agissent en cela comme beaucoup de chrétiens et cherchent à atteindre leur but par des moyens qui ne sont pas droits.

Ensuite, quand ils espèrent que le message a ému Joseph, ils viennent eux-mêmes ; ils tombent à genoux devant lui et s’offrent à être ses esclaves, eux qui l’ont jadis réduit en servitude. Quelle est la réponse de Joseph ? Des larmes d’abord et ces larmes elles-mêmes nous révèlent la noblesse de cette âme purifiée dans laquelle il n’y a pas de place pour la répulsion ou la colère. La défiance de ses frères l’afflige profondément, lui qui n’a dans son coeur que des pensées de paix et d’amour. Il leur enlève toute crainte et les console. Dans le texte il est dit : "Il parla à leur coeur" en sorte que ses paroles tombèrent comme un baume sur leurs plaies. "Soyez donc sans crainte ; je vous entretiendrai vous et vos enfants."

Mais il y a plus encore dans ses pleurs. Ce sont des larmes de douleur, mais aussi de joie. Dans ce moment, la profondeur insondable de la miséricorde de Dieu, éclate à ses yeux et il donne essor à ce sentiment en disant : "Vous aviez médité de me faire du mal : Dieu l’a changé en bien, pour accomplir ce qui arrive aujourd’hui, pour sauver la vie à un peuple nombreux." Cette parole est la clef d’or de toute la vie de Joseph. Le Dieu miséricordieux et sage a changé, leur dit-il sans doute, le mal que vous avez fait en moyen de grâce Votre salut, le mien et celui d’un peuple innombrable en est résulté. Votre péché a eu des conséquences telles, que la maison d'Israël a été sauvée par lui de la famine et réservée à un grand avenir. Comment pourrais-je encore être irrité quand Dieu donne un tel éclat à sa grâce En lui seul, et par lui seul toutes choses, à lui soit gloire dans l'éternité.

Nous voyons ainsi que le coeur de Joseph est calme et réconcilié parce qu’il voit partout la main de Dieu. C’est Dieu qui transfigure tout à ses yeux, n’a-t-il pas fait concourir toutes choses au bien de ceux qui l’aiment, leur folie et leurs péchés même. Les hommes passent, leurs actions passent, rien ne reste que Dieu seul ; Dieu tout en tous.

Ah ! que nous aussi nous puissions croire cela et trouver dans cette conviction le secours dont nous avons besoin !
Nous ne devons pas nous étonner que Dieu accorde des bénédictions temporelles à un homme ainsi ennobli et sanctifie. Pendant quatre-vingts ans, Joseph remplira sa charge élevée ; pendant quatre-vingts ans il jouira de la reconnaissance de millions d’hommes. Le bonheur de sa maison est grand, il voit ses descendants jusqu'à la troisième génération. Comment a-t-il pu pressentir cela lorsqu’il fut amené comme esclave dans la vallée du Nil ? Comment aurait-il pu le pressentir lorsque, privé de son honneur, il fut enseveli vivant dans la prison. Joseph a fait l'expérience que "la piété a les promesses, non seulement de la vie à venir, mais aussi de la vie présente." La vie à venir était à ses yeux la chose principale et les cloches de la cité céleste résonnaient déjà à ses oreilles dans la vallée du Nil. Personne ne les entendait autour de lui, mais lui se préparait à suivre leur appel.

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