Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XXIV

MAL DU PAYS ET DÉPART

-------

Genèse 50, 22-26.

1. La dernière requête de Joseph.

 Lorsque j'étais étudiant, le professeur Tholuck, que j’avais le privilège de connaître, me raconta, l’anecdote suivante : "Dans un voyage en Italie", dit-il, "je fus conduit par un cocher dont la physionomie ouverte gagna ma sympathie. En le quittant, je lui demandai quel était le plus grand désir de son coeur. Sans hésiter il me répondit d’une voix vibrante : Morire in pace con Dio (Mourir en paix avec Dieu)." Là était le voeu suprême de cet homme simple, le voeu qui dominait et déterminait tous les autres. Le vieux Tholuck ajoutait que parmi toutes les choses belles et grandes qu’il avait vues et entendues en Italie, aucune ne l’avait autant ému et réjoui que la simple parole du cocher des Abruzzes. Ils sont tous frères ceux qui désirent par-dessus tout mourir en paix avec Dieu. Ils ont tous la nostalgie du ciel et par des voies différentes, ils marchent tous vers la patrie.

"Heureux ceux qui ont le mal du pays car ils rentreront dans la patrie." Ainsi s’exprime Jung Stilling et cette pensée serait digne d'être dans la Bible, car elle est inspirée par l’esprit qui régné dans le saint livre. Cet esprit animait Joseph mourant comme il avait animé Jacob. Une aspiration ardente vers la Canaan terrestre et vers la Canaan céleste, pénétré les derniers chapitres de la Genèse. "J'espère en ton secours, o Éternel !" C’est le sentiment qui traverse toute la vie tourmentée de Jacob et qui trouve sa véritable expression sur les lèvres du mourant. Il pouvait à peine attendre le moment où Jéhovah ferait tomber le voile qui lui dérobait la vue du monde à venir. La dernière requête adressée à son fils fut de déposer son corps en Canaan, le pays de la promesse. Il voulut reposer à côté des hommes qui, comme lui, "cherchaient la cité dont Dieu est l’architecte et le fondateur." Son désir fut accompli et dès lors cette dépouille sacrée devint un aimant qui attira les Israélites de la vallée du Nil vers celle du Jourdain, de Goscen vers Hébron, de Memphis et d'Héliopolis vers Jérusalem et Sichem.

À cet aimant, qui se trouvait en Canaan, s’en ajouta un autre en Égypte : les os de Joseph. Pendant quatre-vingts ans cet homme doux et fort avait exercé l’office de chancelier (probablement sous plusieurs rois) et son administration avait été bénie. Il ne nous est rien dit des cinquante-quatre ans qui suivirent la mort de son père, nous savons seulement qu’il consola ses frères et loua la sagesse et la profondeur des lois divines. Nous devons conclure du silence de la parole de Dieu que le même esprit de foi et d’amour l’anima jusqu'à la fin ; le texte que nous méditons confirme cette opinion. On aurait pu craindre que pendant une aussi longue période de gloire et d’honneurs, cet homme, chéri par ses subordonnés, fût fasciné par l’esprit du monde. Il arriva le contraire. Fidèle jusqu'à la mort, il s’attacha aux choses invisibles, comme si elles eussent été des réalités palpables. Son âme croyante avait saisi fortement la révélation faite à Abraham.

Sentant approcher sa mort il appela auprès de lui ses frères encore vivants ; d’une voix ferme, avec un grand calme il leur dit : "Je vais mourir, mais Dieu vous visitera et il vous fera remonter de ce pays-ci dans le pays qu’il a juré de donner à Abraham, à Isaac et à Jacob." Cet événement cache dans un lointain avenir lui parait aussi certain que les faits présents. Il ignore s’il se produira dans quarante ou dans quatre cents ans, mais il n’en doute pas, car il sait que Dieu tient ses promesses. Oh ! bienheureux Joseph qui croit du fond du coeur à la parole de Dieu, et bienheureux ceux qui, jusqu'à leur mort, ont une semblable foi. Pour eux plus de questions angoissantes, plus de doutes, de scrupules ; une chose demeure ferme : "Tu es mon Dieu."

L’exode des Israélites rencontra des difficultés insurmontables au point de vue humain. Mais le Dieu tout-puissant en triompha. Joseph sur son lit de mort ne pressentait pas ces difficultés, mais les eut-il prévues, il n’en eut nullement été effrayé, car il savait que pour Dieu il n’existe pas d’obstacles.

Le patriarche, parlant du retour des Israélites, formula une requête : "Dieu vous visitera et vous ferez remonter mes os loin d'ici." Il veut être de ceux qui rentreront en Canaan et ce désir lui tient tellement à coeur qu’il exige de ses frères un serment. Le voeu de Joseph mourant se grava si profondément dans le souvenir des membres de sa famille, que trois ou quatre cents ans plus tard, leurs descendants acquittèrent fidèlement cette dette d’honneur. Quelle que fut la hâte du départ, ils n'oublièrent pas le cercueil qui contenait le corps de Joseph (Exode 13, 19) et, la conquête terminée, les os de Joseph furent enterrés à Sichem dans un champ que Jacob avait jadis acheté (Josué 24, 32). (Peut-être la place manquait-elle dans la caverne d’Hébron). Ce lieu que Jacob avait particulièrement aime, qui lui appartenait par droit d’acquisition et non pas seulement de conquête, était bien choisi pour y déposer son fils.

Joseph mourut en paix, certain de se trouver parmi ceux qui, joyeux et reconnaissants, entreraient dans le pays de la promesse. Par son tombeau provisoire au bord du Nil, il parla quoique mort. Il lui était indifférent de savoir de quelle manière les Égyptiens honoreraient sa dépouille. Sans doute la vallée du Nil tout entière retentit de gémissements après sa mort, on n'épargna rien pour l’embaumer de la manière la plus parfaite, on le déposa dans le plus splendide des cercueils et l’on éleva pour lui le plus somptueux des tombeaux, mais ces choses étaient passagères. Ce qui nous importe, c’est que sa dernière parole ait été une parole de foi, destinée à entretenir en Israël la nostalgie de Canaan, un signe, une étoile pour diriger les yeux des Hébreux vers l’Orient.


2. Dieu est le Dieu des vivants.

 On s’est parfois étonné que dans le chapitre 11 des Hébreux qui met devant nos yeux tant d’exemples de la foi qui supporte, qui lutte et qui persévère, Joseph soit si brièvement mentionné : "C’est par la foi que Joseph mourant fit mention de la sortie des fils d'Israël, et qu’il donna des ordres touchants ses os." (Héb. 11, 22). C’est peu, et l'écrivain sacré aurait eu, semble-t-il, bien d’autres choses à dire. Celles-ci par exemple : Par la foi Joseph honora son Dieu en étant fidèle au service de Potiphar, par la foi il triompha de la tentation, par la foi il resta joyeux dans l'épreuve et consola les affligés. Par la foi il devint le sauveur de l'Égypte et resta humble dans une position élevée. Par la foi il attendit patiemment que la main divine eut amené sa famille en Égypte. Par la foi il jura à son père de transporter son corps en Canaan. L’auteur de l'épître aux Hébreux garde le silence sur tous ces faits. Il n’en mentionne qu’un qui est comme le sceau mis sur toute la vie de Joseph, l’accord final de cette existence remplie de souffrances, de luttes et de nobles actions. C’est la note harmonieuse dans laquelle se résolvent toutes les dissonances apparentes.

De même que Jacob mourant s'écriait : "J'espère en ton secours, o Éternel", Joseph expire avec une parole de foi. Il semble que nous l’entendions dire : "C’est avec toi, o mon Dieu, que j’ai marche, en toi que mon âme s’est confiée. Tu as été mon secours dans les tentations, mon refuge dans mes heures de solitude, mon soleil dans la sombre vallée de l'épreuve. Tu es resté la lumière de ma vie, alors que j'étais apprécié par tous mes semblables, comme tu l’as été dans les jours de mon abjection. Tu as résolu tous les mystères de ma vie. Je me repose entre tes bras, maintenant que mon coeur va cesser de battre. Les ténèbres de la mort seront lumière tant que je serai avec toi et la nuit resplendira comme le jour. Tu ne m’abandonneras pas, je remets mon esprit entre tes mains." Le patriarche mourant est resté uni au Dieu auquel il croyait, la mort ne faisait que l’affranchir plus encore qu’il ne l'était. Tout cela est évident, bien que la Bible ne le dise pas. Pourrions-nous supposer en effet que Dieu abandonnât au moment de la mort celui qui l’avait servi avec tant de persévérance. Si cela était, la mort serait plus puissante que Dieu lui-même, ou bien Dieu ne serait plus fidèle et miséricordieux.

Il est vrai que la résurrection de Christ a elle seule lève le voile qui recouvrait la vie à venir, de même que sa mort expiatoire nous a seule donne la pleine intelligence du pardon divin. Mais de même qu’Abraham, Joseph, son véritable héritier spirituel, a entrevu le jour de Christ avec des tressaillements de joie. Même s’il ne l’a pas entrevu, son âme qui était si fortement enracinée en Dieu a dû, malgré les obscurités qui enveloppaient sa foi, être pénétrée de la certitude que Dieu ne l’abandonnait pas et que la mort ne pouvait pas l’enchaîner à toujours. Nous trouvons cette conviction même chez Socrate mourant, ainsi que chez les nobles esprits dans toutes les nations et à toutes les époques. Cette croyance est inébranlable chez ceux à qui le Dieu saint s’est révélé comme "le Dieu qui était, qui est et qui sera." Comment ces hommes de foi auraient-ils pu considérer la mort comme la fin de l’existence ? Ils disaient bien plutôt avec le poète : "La mort ne saurait m’effrayer, elle n’est que le moyen de m’amener au lieu ou mon âme a déjà sa demeure."

C’est, animé de cet esprit, que le Sauveur cherche à convaincre les Sadducéens incrédules de l'immortalité de l'âme (Matt. 22, 31-32). Il ne leur dit pas qu’elle soit immortelle par nature. Je ne trouve pas cette doctrine dans l'écriture et je ne crois pas qu’elle y soit. Mais Jésus cite cette parole du Père : "Je suis le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. Dieu n’est pas le Dieu des morts, mais des vivants." Des siècles après la mort des patriarches, Dieu s’est encore nommé. "Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob." Il serait indigne de lui de se donner un tel nom, si ces hommes n’existaient plus, cela serait absurde, impossible. Dieu se nomme leur Dieu, parce qu’ils ont placé son nom au-dessus de tout autre, qu’ils n’ont pas eu honte de lui, mais l’ont glorifié par leur vie.

Du fait que Dieu se nomme le Dieu des croyants, Jésus conclut à la résurrection des morts, à la transfiguration de tout l'être sans en excepter le corps. Il ne contredit pas cette assertion lorsqu’il déclare être "la résurrection et la vie" lorsqu’il dit : "Celui qui croit en moi vivra, quand même il serait mort ; quiconque vit et croit en moi ne mourra jamais". De même que toutes les révélations de Dieu ont leur plein accomplissement en Jésus-Christ, de même la foi n’atteint son plein épanouissement que lorsque l'âme a saisi le salut par Christ. Il n’y a pas la différence de fait mais de degré.

Toute la vie du croyant tend vers Jésus, de même que les fleuves coulent vers l'océan. Joseph terminant son pèlerinage avec une confiance pleine et entière au Dieu de l’alliance, saisit le Sauveur sans s’en douter, car toute la révélation est oui et amen en lui.

Lorsque Moïse et Élie furent réunis sur le mont de la transfiguration avec le Sauveur et s’entretinrent avec lui de son oeuvre rédemptrice, ils n'étaient que les représentants de toutes les âmes qui, depuis la création du monde, ont cherche Dieu. Leurs désirs, leurs pensées, leur amour, leurs souffrances sont, à leur insu, pénétrés de l’attente de celui que Dieu devait envoyer pour calmer toutes les souffrances terrestres.

Nous prendrons congé du grand héros de la foi, en répétant les vers de Christian Barth : "Le pèlerin quittant la terre lointaine, s’avance vers la patrie. Comme une étoile, elle lui fait signe, elle l’appelle au suprême repos. De même les fleuves vont à la mer, leurs flots s’y plongent, loin des regards humains. Le son de la harpe se perd dans le bruissement du vent. Le pèlerin qui a trempé ses lèvres à la coupe de l'éternité ne trouve sa patrie qu’au delà du tombeau. Aussi, pendant la vie, la nostalgie ne lui laisse aucun repos ; là-haut il cherche la paix ; là-haut vont ses désirs."


 

Chapitre précédent Table des matières -