Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XXII

DES FUNÉRAILLES GRANDIOSES

-------

Genèse 50,1-13.

1. Des fleurs sur le chemin.

 Il y a quelques semaines, en sortant d’un cimetière où je venais d’assister à un enterrement, j’y vis entrer un brillant cortège funèbre Le chemin de la chapelle à la tombe était, malgré la saison avancée, parsemé de fleurs et de rameaux verts. Des ornements d’argent garnissaient le cercueil, auquel pendaient de longs noeuds de soie. Sur l’un de ces noeuds je lus en passant ces belles paroles de l'apôtre : "La charité ne périt jamais", et sur un autre : "Tu nous as quittés trop tôt." Le cercueil était suivi d’un grand char rempli de couronnes et de palmes. Quelle somme d’argent représentaient toutes ces fleurs ! Puis venait une longue file de voitures. Dans la première étaient assis les fils du défunt. À leur vue un sourire moqueur passa sur les traits de mon compagnon et il dit : "Ils auraient mieux fait de semer des fleurs sur le chemin de leur père pendant sa vie ; maintenant qu’il est mort, ils veulent réparer le mal qu’ils lui ont fait." Le défunt m'était inconnu, mais d'après ce que j’appris, il avait beaucoup souffert par ses enfants.

"Ils auraient mieux fait de semer des fleurs sur son chemin pendant sa vie". Cette parole me poursuivit longtemps et me poursuit encore. Hélas ! on trouve souvent qu’un enterrement grandiose doit couvrir la multitude des péchés commis à l'égard de celui qui ne peut plus jouir de l’amour des siens. Plus souvent encore on veut, par de somptueuses funérailles, tromper son prochain et lui faire croire qu’on a aimé ses parents, ou bien encore on veut faire parade de sa fortune. Que d’orgueil s'étale au bord de la tombe ! Quelles inutiles prodigalités ! Puis viennent les remerciements officiels aux amis "pour leurs nombreux témoignages de sympathie" et au pasteur pour ses "consolantes paroles", c’est-à-dire pour les louanges qu’il a prodiguées aux survivants. "Oh ! vanité des vanités !" J’estime qu’il faut enterrer ses morts avec décence et qu’il convient de donner à l'Évangile et au chant des cantiques la première place dans le service funèbre ; cela ne suppose pas la béatification du défunt Il est bien aussi de déposer une couronne sur la tombe, mais on a tort d'exagérer les dons de fleurs. La parole de Judas Ischariot : "On aurait pu vendre ce parfum très cher et en donner le prix aux pauvres", est ici à sa place.

Quand les héritiers découvrent que le défunt a oublié les pauvres et les oeuvres religieuses, ils doivent eux s’en souvenir. C’est là un beau monument à élever sur sa tombe, un monument plus durable qu’une statue de marbre et d’airain, un monument qui est une cause de joie dans le ciel, un monument comme le souhaiterait le défunt qui, dans les demeures célestes, juge sa vie autrement qu’il ne le faisait sur la terre. Ah ! que n’aurait pas donné l’homme riche, dans les tourments de l’enfer, pour pouvoir réparer ses négligences envers Lazare. Agissons donc dès maintenant comme nous voudrions avoir agi à l’heure de notre mort. Mes lecteurs sont vivants et j’aime à croire que l’avarice et l'égoïsme n’ont pas encore tué leur coeur ; je les prie donc de faire dès maintenant ce qu’ils voudraient avoir fait plus tard.

Le vieux Jacob a mis soigneusement ordre à ses affaires avant de mourir ; il n'était pas aussi lâche que beaucoup de chrétiens qui chassent la pensée de la mort comme une mouche importune et qui se mentent à eux-mêmes en se disant qu’ils ont encore beaucoup de temps devant eux. Ah ! que de maux, de disputes, d’amertume, de procès viennent de ce qu’on a négligé de mettre ordre à ses affaires.

Là où cela n’a pas été oublié, il y aura une amertume pire encore dans l’autre monde pour celui qui n’aura pensé qu’à ses proches, riches eux aussi. Le Juge éternel nous demandera alors à tous : "Qu’avez-vous fait pour les plus petits d’entre vos compagnons de route et pour l’avancement de mon règne sur la terre ?" Gardez vos fleurs pour les vivants. Durant votre pèlerinage ici-bas semez-les sur le chemin de vos frères. Si l’un d’entre eux vous fait souffrir et que la colère remplisse votre coeur, si une parole dure ou une plaisanterie arriérée, mordante, contre un collègue ou un concurrent monte à vos lèvres, pensez que dans peu de temps peut-être vous serez à côté de son cercueil. Quand l’avarice, vos convenances, votre égoïsme, vous empêchent de témoigner à votre prochain de l’amour ou de la bienveillance, songez que vous n’avez peut-être plus que peu d’instants à vivre ensemble. Semez des fleurs, aimez pendant qu’il en est temps encore, pendant que le coeur est chaud et que vos amis sont là à vos côtés, car l’heure approche ou vous gémirez près de leurs tombeaux.

Les dix fils aines de Jacob purent remercier Dieu de ce que leur père n'était pas mort vingt ans plus tôt. À ce moment-là ils l’eussent accompagné avec désespoir à sa dernière demeure en se disant : "Nos mauvaises actions l’ont conduit à la tombe." Maintenant le cadavre du vénérable patriarche était éclairé de la lumière du pardon. Et cependant leurs coeurs étaient encore, à ce moment-là, traversés par un remords amer.
La douleur de Joseph fut seule pure et sainte et c'est pourquoi elle est seule mentionnée (50, 1).


2. Le retour dans la patrie.

 Joseph rendit après sa mort les plus grands honneurs à son père. Il fit d’abord embaumer le cadavre afin de pouvoir le transporter à Hébron et par égard pour les coutumes des Égyptiens. Ces païens auraient doute de son amour et de son respect filial s’il eut agi autrement. Pour eux la conservation du corps dans un sépulcre inviolable, était de la plus grande importance. Les médecins de Joseph employèrent quarante jours pour préparer le cadavre du patriarche. Les hommes chargés de cet office se nommaient taricheutes et formaient une classe particulièrement respectée qui tenait de près à celle des prêtres.

Voici d'après Hérodote comment se pratiquait l’embaumement le plus dispendieux introduit de la Palestine en Égypte. On sortait la cervelle par le nez, on remplissait la tête d’aromates. On enlevait ensuite les intestins qu’on remplaçait par des épices. Puis on oignait le corps avec du natron. On le laissait ainsi pendant soixante-dix jours, alors on l’enduisait de gomme, on l’enveloppait dans du byssus, et on le déposait dans la chambre mortuaire. Les intestins enfermés dans une caisse étaient jetés au Nil, car ils étaient censés être le siège des péchés, particulièrement de ceux de la table. Toutes ces préparations sont sans importance pour nous, de même que le deuil officiel de soixante-dix jours que prirent les Égyptiens, et qui probablement fût général comme nos deuils de cour, soit que Pharaon voulut honorer de cette manière le père de son grand chancelier, soit que la bénédiction du patriarche lui eut fait une impression profonde. Le roi qui se montre en toute occasion a nous comme un homme sensible, ne fit pas de difficultés d’accorder à Joseph la permission d’enterrer son père en Canaan.

Joseph ne présenta pas personnellement cette demande à son souverain, mais il la fit présenter par d’autres et invoqua à cette occasion le serment qu’il avait fait au patriarche mourant. On prétend qu’il eut agi contrairement à l'étiquette en se montrant au roi en vêtements de deuil ; car seuls des hommes gais étaient censés s’approcher de lui. Il se peut aussi qu’il n’eut pas voulu importuner son maître pour une affaire de famille.

Quelque peine que Pharaon dut avoir à se passer, de son ministre il lui donna néanmoins un congé illimité, il savait que Joseph et les siens reviendraient et ne se laisseraient pas séduire par la vue de leur terre natale.

Soixante-dix jours après la mort d'Israël un imposant cortège se met en route, il se compose non seulement des membres adultes de la maison de Jacob, mais des personnages les plus distingués d'Égypte. On voit accourir des cavaliers et des hérauts d’armes. Ces derniers étaient destinés à servir d'escorter dans le cas ou des hordes pillardes et sauvages se trouveraient sur la route. La brillante caravane se développe en long ruban. Au milieu on aperçoit le char mortuaire et le cercueil d'Israël. C’est au fond le cortège triomphal de Joseph, car ce n’est que par égard pour lui que les nobles Égyptiens bravent les fatigues du voyage et prennent part à cette cérémonie. Ce cortège, unique en son genre, passe d’un continent à l’autre, d’Afrique en Asie, de la maison de Champ dans le pays des Sémites. Au temps ou Moïse écrivit ce récit on montrait encore en deçà du Jourdain un endroit qui se nommait le deuil des Égyptiens parce que là Joseph pleura son père pendant sept jours avant de l’emporter à Mamré (50, 11).

Je sais que l'interprétation du récit présente ici certaines difficultés, mais elles sont sans intérêt pour mes lecteurs. Cependant je les rends attentifs au fait que cet important cortège passant d'Égypte en Canaan est une prophétie muette et puissante du retour des Hébreux dans leur ancienne patrie. Jacob, après sa mort, précède ses descendants, leur montre le chemin qu’ils auront à parcourir et le but qu’ils doivent atteindre. Pourtant quatre cents ans se passèrent encore avant que le peuple élu, conduit par Dieu, put quitter la vallée du Nil. Pendant ce long espace de temps, la tombe du patriarche a Mamré était un aimant puissant, un appel énergique qui lui disait : "Israël, n’oublie pas qui tu es, n’oublie pas tes origines, n’oublie pas les révélations divines. Tes ancêtres ont voulu être enterrés en Canaan, ne l’oublie pas ; l'Égypte n’est qu’un lieu de pèlerinage, Canaan est ta patrie. Entends l’appel des patriarches, entends la voix qui s'élève de leurs tombeaux et te dit : Israël, n’oublie pas ton Dieu !"

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant