Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XX

DEUX AUDIENCES À LA COUR D’ÉGYPTE

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Genèse 46-31 à 47-12.

1. Pharaon fait accueil aux frères de Joseph.

 Transportons-nous par la pensée dans la vaste salle du palais de Memphis. Elle domine le fleuve et elle est décorée avec tout le luxe dont disposaient les anciens. Le soleil vient de se lever sur le désert et verse son éclat de pourpre sur la ville somptueuse. Malgré l’heure matinale, tout se prépare dans le palais pour une solennelle audience, car dans la brûlante Égypte le souverain reçoit dès l’aurore ceux qu’il a mandés en sa présence. Le cours du fleuve offre un coup d'oeil magique, des centaines de barques avec leurs voiles brunes et blanches glissent sur les flots dorés et des chants tristes ou gais montent jusqu'à nous. Des troupes de pélicans et de flamants aux ailes multicolores s'élèvent au-dessus du rivage et disparaissent bientôt après. De grands aigles traversent le ciel et volent vers la ville des morts. Elles parlent également de mort, ces gigantesques pyramides dont le brouillard matinal enveloppe le sommet, ce qui les fait paraître plus grandes encore. Sur la route poudreuse à nos pieds se meuvent de longues caravanes ; des hommes bruns et noirs conduisent en criant des chameaux, des éléphants, des chevaux et des ânes, leur laissant à peine le temps d'étancher leur soif au bord du fleuve.

Les fils de Jacob, que nous rencontrons dans la salle d’audiences, n’ont pour toutes ces splendeurs ni yeux, ni oreilles ; ils sont là tremblants, attendant l’instant où le roi, représentant du dieu soleil, leur apparaîtra. Joseph, qui a seul gardé son calme et sa sérénité, à grand-peine à les rassurer.
En cet instant, des esclaves aux somptueux vêtements, annoncent l’approche de l'être divin. Une draperie est tirée ; il est là devant eux. Eux sont prosternés en terre jusqu’au moment où Pharaon leur ordonne de se relever.

Ce fut un beau jour dans la vie de Joseph que celui ou il put présenter au roi sa famille. Jusqu’ici un voile mystérieux avait enveloppé son passé. Il était venu en Égypte comme esclave et n’avait pas sans doute raconté comment les choses s'étaient passées. À supposer qu’il l’eut fait, il ne manquait pas d’envieux et de calomniateurs pour répandre des doutes sur l’origine de l'étranger. Aujourd’hui il peut prouver qu’il est le libre enfant d’un prince nomade et cela est doux à son coeur. Quant à ses dix frères, ils durent supporter devant les Égyptiens la honte d’avoir réduit sans raison leur propre frère en esclavage.

Il semble que Pharaon les ait reçus assez froidement. Joseph leur a dit d’avance ce qu’ils devaient lui répondre ; il a lui-même préparé le terrain et appris au roi que ses frères sont bergers et ont amené leurs troupeaux. Les onze patriarches ne sont pas du reste conduits devant le maître, cinq d’entre eux seulement ont cet honneur. Cinq était pour les Égyptiens un nombre sacré qui revient plusieurs fois dans le cours du récit. La réception eut lieu conformément au programme. Les journaux nous racontent encore aujourd’hui les détails des audiences royales. L’heure de l'arrivée, la durée exacte de l’entrevue, les vêtements, les saluts, les paroles, tout est ordonné d’avance. Aussi ne se produit-il jamais d’incidents ; tout marche comme un mouvement d’horlogerie. Nulle place n’est laissée à l’esprit, à la gaieté, à l'originalité. Le premier rôle est joué, non par le plus intelligent, mais par le meilleur courtisan. La vie n’est nulle part aussi raide et ennuyeuse que dans les palais des rois.

Nous n’avons donc rien de plus à dire sur l’audience de Memphis. Les cinq fils de Jacob récitent leur leçon et demandent la permission de s'établir en Goscen (Gochen), la terre des pâturages. Remarquons que Pharaon accorde cette demande, non à eux, mais à Joseph. Il fait plus encore. Il charge son favori de donner à ses frères la surintendance sur ses propres bergers, ce qui leur assure beaucoup d’influence et de considération dans le pays, sans parler de la somme qu’ils recevront pour cela. Pharaon s'était si bien trouve de la confiance qu’il avait témoignée a Joseph, qu’il était tout disposé à remettre ses affaires à ses frères. Nous avons lieu de croire que les patriarches méritèrent la faveur qui leur fut accordée.

Une heure critique avait sonné pour la famille de Jacob et tout dépendait pour elle de la tournure qu’allaient prendre les événements. II y a dans les vies, même les plus calmes, des heures décisives où le cours de l’existence prend une direction nouvelle, où l’homme met le pied dans un domaine inconnu et entreprend une tache qui l’expose à des épreuves et à des tentations imprévues. Tel est par exemple l’instant ou l’enfant va pour la première fois à l'école et quitté la maison qui fut jusqu’alors pour lui le monde entier. Il ne sait pas à quel point ce changement est sérieux et gros de périls, mais les parents le savent bien. Ils doivent chercher à armer l’enfant qui acquiert une plus grande dose de liberté et entre en contact avec un monde corrompu. Une foule de dangers l’attendent, d’autant plus redoutables qu’il ne les soupçonne même pas. La prière des parents doit être alors plus fervente, car leurs yeux et leurs bras sont impuissants à écarter le mal des pas de leur bien-aimé. Un moment tout aussi critique est l’admission à la Sainte Cène L’enfant quitte alors l'école. Son indépendance peut dégénérer en esclavage s’il l’emploie à suivre la pente du mal et à obéir aux hommes plutôt qu’à Dieu.

D'autres moments critiques sont ceux où un homme entreprend une vocation, se marie, ou quitte sa patrie. Nous mentionnerons aussi le cas où les circonstances extérieures subissent un changement radical, lorsqu’un homme, par exemple, acquiert subitement de la fortune ou, de riche qu’il était, tombe dans l’indigence, lorsqu’il reçoit des honneurs ou se trouve en but à la réprobation de ses semblables, lorsqu’enfin la maladie fond sur lui à l’improviste, et qu’au lieu de travailler, il est condamné à souffrir.

Toutes ces différentes circonstances exposent le coeur à devenir mondain, soit par la séduction du plaisir et du gain, soit par l’aigreur qu'amène l'adversité. On voit souvent à partir de ces moments-là ceux qui les ont traversés tellement occupés d'eux-mêmes et du monde qu’ils n’ont plus de temps pour Dieu. Cette parole de la parabole : "Je viens de me marier et c’est pourquoi je ne puis aller" trouve son application dans nombre de cas. On se laisse entraîner par une foule d’amis, soi-disant indispensables a notre bonheur ; quant à Dieu il doit patienter et nous regarder agir, en attendant son tour, qui, le plus souvent, ne vient jamais.

Que faire dans ces heures décisives ? Avant tout ayons une idée claire de notre position et ouvrons les yeux sur les dangers auxquels elle nous expose. En second lieu, disons-nous bien que notre seule sagesse et notre seule force sont impuissantes à nous diriger et nous mèneront droit aux écueils. Il faut donc à ce moment-là nous attacher à Dieu avec une force toute nouvelle et lui dire : "Je ne te laisserai pas aller que tu ne m’aies béni." Il faut redoubler de vigilance dans la prière, demander de ne pas tomber dans la tentation et de ne pas perdre la perle de grand prix. Alors cette époque critique deviendra pour vous une source de développement, d’affermissement, de grâce nouvelle, au lieu d'être une cause de ruine morale.

Ce qui est vrai de la vie individuelle, l’est aussi de la vie de famille et tel fut le cas des enfants d'Israël. Joseph, le représentant de Jéhovah, dirigea alors ses frères à travers une foule d'écueils. S’il leur avait permis de s'établir au milieu des Égyptiens et d’abandonner leur vocation, s’il avait fait d’eux des fonctionnaires publics, Israël eut été perdu. Les descendants de Jacob se seraient unis par mariage aux Égyptiens, mêlés à eux et ils auraient été anéantis. Où sont aujourd’hui les Vandales dont les hordes envahirent l’Afrique ? Où sont les Goths dont les tribus innombrables s'établirent victorieuses en Italie ? Où sont leurs villes ? Qu’auraient donc pu faire une poignée d'israélites en face de milliers d'égyptiens ?

La vie en commun aurait également anéanti le culte du vrai Dieu, d’autant plus que la religion des Égyptiens était riche en conceptions profondes et poétiques, qu’elle possédait même des notions positives sur la vie éternelle.

Joseph montra donc une grande sagesse en cantonnant ses frères dans une province spéciale et en leur faisant continuer l'élevage des troupeaux qui était en abomination aux Égyptiens ; ainsi ils formèrent une caste séparée et purent conserver leurs usages et leur religion, se développer et multiplier en paix.
Tel fut le résultat capital obtenu dans cette première audience à la cour de Pharaon.


2. Jacob bénissant Pharaon.

 L’entrevue de Jacob avec le roi fut plus intéressante que l’audience accordée à ses fils. Joseph présenta à Pharaon son père après ses frères. Lorsqu’il conduisit son vieux père à son maître, son visage dut être brillant de joie et empreint de fierté. Ses frères étaient venus pour recevoir ; Jacob vient pour donner.

Jacob bénit Pharaon au début et a la fin de leur entrevue ; c’est lui qui est ici le personnage principal. Sans même le soupçonner, il viole les règles de l'étiquette. Il est venu dans la vallée du Nil comme un homme éprouvé, ayant besoin de protection, sa vie dépend, humainement parlant, de la faveur royale et pourtant par deux fois il bénit Pharaon. Ce fait est digne de remarque. Jamais pareille chose n'était arrivée au souverain. Pour la première fois il a devant lui un homme qui a lutté avec Dieu et a remporté la victoire, un homme qui, malgré ses péchés et sa faiblesse, est le dépositaire de la révélation et de la grâce divine, et cet homme-là peut offrir au roi un bien qu’il ne possède pas encore.

Cette bénédiction donnée par le vieillard dénote la conscience de sa valeur morale. On aurait pu supposer qu’il tiendrait à remercier le roi de ce qu’il avait élevé son fils en dignité, de ce qu’il daignait l’accueillir lui et toute sa famille ; qu’il demanderait pour l’avenir la continuation de ces faveurs et promettrait d'être lui-même un vassal fidèle et soumis. Pas un mot de tout cela ; il bénit, ce qui est le don suprême.

Que peut-il donc donner ce vieillard ? Des phrases pieuses, des gestes, des mains qui se lèvent sans rien tenir. Elles sont vides en effet pour ceux qui désirent de l’or, un sceptre ou une décoration ornée de brillants, mais elles ne sont pas vides pour ceux qui savent que les mains qui se joignent en prière sont les plus fortes et les plus riches, car elles sont en communication avec le Dieu tout-puissant, le dispensateur de toute grâce parfaite. Sans doute Jacob a rattaché sa bénédiction aux bienfaits accordés à Joseph et invoque la grâce divine sur le souverain et le pays qu’il gouvernait. C'était sa manière de témoigner sa reconnaissance.

Ce n’est pas toutefois en sa seule qualité de vieillard vénérable, mais comme souverain sacrificateur de Jéhovah, comme dépositaire de la révélation qu’il bénit.
Remarquons que Jacob nous apparaît parmi tous les hommes de la Bible comme celui par excellence qui bénit. Nous en verrons bientôt de nouveaux exemples. Le patriarche qui fut naturellement le plus faible, celui qui, par le fait de ses faiblesses, traversa les plus rudes épreuves, monta si haut en passant par le creuset divin, sa communion avec Dieu devint si intime qu’il semble disposer de l’avenir et des suprêmes bénédictions comme un représentant de la divinité. Aussi ayant pleine conscience de sa dignité, bénit-il ici Pharaon comme il bénit plus tard ses propres fils.

Les enfants de Dieu sont les plus humbles des créatures. Ils sont pénétrés du sentiment qu’ils n’ont rien à offrir à Dieu que ce qu’il leur a accorde par grâce et qu’ils ne peuvent rien faire sans lui qui ait une valeur quelconque. Mais ils savent aussi ce que signifie la parole : "Par la grâce de Dieu je suis ce que je suis", et ceci leur donne de leur valeur une conscience à la fois noble et enfantine. L'apôtre Paul comparut un jour devant le roi Agrippa et devant le gouverneur Félix qui avaient le pouvoir de le condamner à mort. Contemplant ces hommes aux brillants costumes, ces dames somptueusement parées il put dire cette parole : "Plaise à Dieu que non seulement toi, mais tous ceux qui m'écoutent aujourd’hui vous deveniez tel que je suis." Actes 26, 29. Luther écrivant à l'Électeur qui l’avait engagé à quitter la Wartbourg dans laquelle il ne pouvait plus le protéger s’exprime ainsi : "Mon Seigneur Jésus est puissant et s’il s’agit de protection, je puis en offrir à votre Grâce une plus efficace que celle qu’elle me refuse." Telle est la confiance humble et fière de l’enfant de Dieu.

Je vois encore un pauvre vieux tisserand bénissant son pasteur. Le vieillard était debout devant la porte de sa cabane, le soleil couchant dorait ses cheveux blancs, des larmes brillaient dans ses yeux. Il éleva ses mains presque transparentes et, d’un geste solennel, les posa sur la tête de mon grand-père en disant : "Que la bénédiction de Dieu soit sur vous et qu’il vous accorde la sainte simplicité, de telle sorte que votre prédication procure la paix aux âmes de vos auditeurs." Je me sentis, moi garçon de onze ans, remué jusqu'à la moelle. Mon grand-père continua sa route, ému et silencieux. Il ne méprisait pas la bénédiction de ce laïque, car il voyait en lui un prêtre du Dieu très haut.

Pharaon apprécia sans doute, lui aussi, la bénédiction du vieil Israël, elle dut lui causer une impression étrange. Il ne blâma pas la hardiesse du vieillard qui lui imposait les mains, à lui le prince aimé des dieux ; en tous cas il ne manifesta pas de courroux. Il s'était informé de la vocation des fils ; maintenant il interroge le père sur son âge, celui-ci répond : "Les jours des années de mon pèlerinage sont de cent trente ans. Les jours des années de ma vie ont été peu nombreux et mauvais, et ils n’ont point atteint les jours des années de la vie de mes pères durant leur pèlerinage". Il parle comme si sa vie était finie, maintenant que par l’action providentielle de Dieu toute sa souffrance était changée en joie. Il pensait donc que Jéhovah allait le rappeler près de lui mais, contrairement à son attente, il vécut encore dix-sept ans en Égypte et après les jours d’orage, il put jouir d’une paisible fin de vie. Malgré cela son existence fut sensiblement plus courte que celle d’Abraham et d’Isaac qui vécurent, l’un 175 et l’autre 180 ans, aussi ses jours furent-ils relativement courts et mauvais, c’est-à-dire riches en douleurs.

Peu de vies furent en effet aussi labourées que celle de Jacob.
Que de souffrances lui furent infligées par les membres de sa famille : Esaü, Laban, ses fils ! Puis, que de déplacements ! Le Jourdain, l’Euphrate, le Jabok et le Nil virent successivement couler des larmes que Dieu seul put compter. Et pourtant ce ne furent pas là les pleurs du désespoir car il était un pèlerin qui marchait vers un but place plus haut que la terre. Il cherchait une cité dont Dieu est l’architecte et le fondateur et il savait qu’il la trouverait un jour, c’est pourquoi il nomme sa vie un pèlerinage Et nous, nous chantons : "Heureux celui qui a pour secours le Dieu de Jacob." Le Dieu de Jacob en effet sera votre Dieu si vous êtes comme le patriarche un pèlerin, un homme dont la force, la lumière, la consolation, l'espérance, le but suprême sont Dieu lui-même. Un vieux commentaire s’exprime ainsi :" Avec une telle espérance, celui qui cherche Dieu peut être satisfait dans les plus mauvais jours, puisqu’une si grande gloire doit suivre une peine si légère. Que nul homme n’estime heureux le temps dans lequel il a vécu pour satisfaire ses désirs ou ses plaisirs, et pour s’abreuver d’honneurs et de biens superflus."

Que chacun souffre comme un bon soldat de Jésus-Christ et accepte les jours mauvais ; qu’il s’enveloppe de patience et croie qu’il est très salutaire d'être éprouvé comme Jacob. Ne contemplons pas les choses vaines, mais comme un pèlerin courageux et un bourgeois des cieux, élevons notre coeur vers Dieu, la source de notre être. Alors nous aurons une bonne conscience jusque dans notre vieillesse et une éternité bienheureuse remplacera nos courtes souffrances. Là nous goûterons la joie de la victoire ; un jour éternel sans obscurité ni changement luira pour nous.

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