Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XIX

SAINTES LARMES

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Genèse 46. 28-30.

1. Que je meure maintenant.

 Lentement, très lentement la caravane partie d'Hébron s'avançait à travers le désert. Il est toujours malaisé de voyager avec de grands troupeaux. Ajoutez à cela le désordre, l’absence de discipline qui caractérisent les caravanes en Orient.
La chaleur est accablante, le sable brûle comme du feu dans ces solitudes arides. Une soif ardente dévore hommes et bêtes, car si, grâce à Joseph, les vivres ne manquent pas, il est impossible d’emporter de l’eau en suffisance pour tant de gens. La troupe se compose d’une centaine de personnes et d’un millier de bêtes ; c’est toute une tribu qui se met en route. Partout des larmes, des cris, des lamentations. Une vache tombe morte, plus loin une brebis ; on les abandonne aux chacals. On abat un chameau pour profiter de sa réserve d’eau. Une bête de trait s'étend sur le sable ; les coups de fouet sont impuissants à la remettre sur pied. Un jeune esclave est frappé d’insolation. Que de misères ! Pas de voyages sans fatigue. Mais un voyage sous le soleil brûlant de l’Orient, à travers les sables du désert, est tout particulièrement difficile.

Enfin, enfin, voici de la verdure ! Les plus découragés reprennent espoir. Encore un effort et ils atteindront le sol fertile de l'Égypte Le patriarche offre une prière d’actions de grâce, et envoie en avant Juda comme un héraut charge d’annoncer son arrivée. Et Joseph, auquel ces jours de route ont paru plus longs qu’aux voyageurs eux-mêmes, fait atteler un char et vole au-devant de son père.

"Dès qu’il le vit, il se jeta à son cou et pleura longtemps sur son cou." Ainsi parle la Bible. Joseph vit Israël. Le mot hébreu traduit dans nos versions par voir n’est presque jamais employé dans l'écriture que lorsqu’il s’agit d’une révélation de Dieu. Il y a ici quelque chose d’analogue. Non que l'éclat princier de Joseph ait ébloui les regards du vieux pèlerin, mais il voit derrière son fils le Dieu qui le sauve, le Dieu de l’alliance. Il voit de ses yeux dans la personne de Joseph les morts ressusciter par la puissance de Jéhovah. Et c’est pour cela qu’il prononce ces paroles : "Que je meure maintenant !" La Bible ne nous dit pas qu’il ait pleuré ; à son âge les larmes sont taries. Mais sa joie en pensant à la mort en dit plus que beaucoup de larmes. Le Dieu qui éclaire les sombres jours de l’existence terrestre, peut aussi faire de la vallée de l’ombre de la mort la radieuse entrée dans la vie éternelle. Une espérance infinie élève le patriarche au-dessus de toutes les obscurités de l’ancienne alliance.

Quel éclatant démenti les événements ne donnent-ils pas à nos prévisions ! Vingt-deux ans auparavant Jacob avait envoyé Joseph auprès de ses frères. Il lui avait alors adresse des paroles telles que celles-ci. "Va en paix, dans peu de jours nous nous reverrons." Mais peu de jours après il tenait dans ses mains tremblantes la robe bigarrée de son enfant bien-aimé et il s'écria le coeur brisé : "Je ne le reverrai jamais." Maintenant non seulement il le voit, mais il voit dans sa personne la manifestation visible de l’action de la Providence. L’angoisse des années écoulées n’est pas un prix trop élevé pour cette heure bénie. Ce revoir était pour lui la garantie de la réunion éternelle. Il peut mourir maintenant. Jadis, quand on lui rapporta la robe ensanglantée il voulait aussi mourir parce que la vie n’avait plus de charmes pour lui ; maintenant s’il veut déloger, c’est qu’il comprend la vie et l'éternité. Heureux Jacob ! — Oui, "ceux qui se confient en l'Éternel renouvellent leur force. Ils prennent le vol comme des aigles." Esaïe 40, 31. "Plantés dans la maison de l'Éternel, ils prospèrent dans les parvis de notre Dieu, ils portent encore des fruits dans la vieillesse." Ps. 92,14. Nous aurons bientôt à reconnaître que dans le coeur du vieil Israël une vie nouvelle commence. Pour le moment, occupons-nous de Joseph.


2. Joseph pleura longtemps.

 De tous les hommes de Dieu Joseph est celui qui a le plus pleuré. Il ne nous est pas dit qu’il ait versé des larmes lorsqu’il a été vendu aux Ismaélites, lorsqu’il a paru sur le marché des esclaves, lorsqu’il a été mis en prison ; la Bible ne juge pas qu’il vaille la peine d’enregistrer de telles larmes. Elles sont naturelles à tous les hommes sensibles. Mais Moïse nous répète sept fois que Joseph a pleuré. La première fois quand il apprend que ses frères se repentent, puis lorsqu’il les voit avec Benjamin, ensuite après le beau discours de Juda. Une quatrième fois en présence de ses frères alors qu’il les embrasse, une cinquième devant le cadavre de son père, une septième quand ses frères ne croient pas à son pardon. Il pleure longtemps "suspendu au cou de son vieux père." Nous n’estimons pas devoir laisser de cote ce moment de la vie de Joseph. Quelle était la cause et quel était le caractère de ces larmes ?

Sauf celles qu’il a répandues auprès du cadavre de son père, il n’a verse de larmes que sous l’empire d’une sainte émotion, elles étaient inspirées par le sentiment de l'éternité.
Notre terre est une vallée de larmes, nous le savons. L’enfant pleure à son entrée dans le monde témoignant par là que la vie dans laquelle il pénètre est une vie de douleurs. Et que de larmes le pauvre enfant ne devra-t-il pas verser pendant le cours de son existence. Les larmes, quelle que soit leur nature, viennent toujours d’un coeur ému et trouble, mais comme nos émotions sont multiples et variées, nos larmes peuvent avoir des caractères différents. Il y a des larmes de déception et des larmes de colère, des larmes de souffrances physiques ou morales et des larmes de compassion sur les maux des autres. Il y a des larmes versées devant Dieu seul et des larmes répandues sur le sein d’un être aimé ; des larmes de reconnaissance envers Dieu et envers les hommes et des larmes de joie ; il y a aussi des larmes de repentance. Ce qui distingue la plupart des larmes, c’est qu’elles dénotent la souffrance, une souffrance dont la cause est parfois insensée, mais qui n’en est pas moins réelle.

Tant qu’il en sera ainsi, une des plus belles promesses des Saintes Écritures sera celle-ci. "Il essuiera toutes larmes de nos yeux." Le prophète Esaïe avait déjà ouvert cette magnifique perspective devant le peuple de Dieu et le dernier livre de la Bible nous la montre encore. Apocalypse 21, 14.

Les larmes les plus saintes sont sans contredit celles de la repentance, parce que sans elles le Dieu compatissant ne pourrait jamais "essuyer toutes larmes de nos yeux." Et encore n'acquièrent-elles toute leur valeur que parce que celles de Jésus se mêlent à elles. Notre Sauveur a pleuré trois fois. La première au tombeau de Lazare, alors qu’il fut ému de compassion à la vue des souffrances que le péché avait amenées sur les hommes. La seconde fois il a pleuré sur Jérusalem. L’auteur de l'épître aux Hébreux nous dit encore que Jésus a "présenté avec de grands cris et avec larmes, des prières et des supplications" Héb. 5, 7. Nous avons ici des larmes arrachées au Sauveur par la coupe qu’il devait boire, et qui renfermait son martyre et notre salut. Et c’est à cause de ces larmes qui se sont mêlées aux gouttes de son sang que Dieu peut essuyer les nôtres. Sans elles nos larmes de repentance, fussent-elles assez abondantes pour remplir la mer, ne pourraient être changées en pleurs de joie.

Les larmes de Joseph qui ne sont pas dues à la repentance, sont cependant de saintes larmes parce qu’elles sont en même temps des cantiques d’actions de grâce Elles portent au plus haut degré le cachet de l'émotion. Je ne songe pas ici à cette émotion sentimentale qui fait couler des larmes sans valeur. Il y a des hommes qui pleurent quand ils entendent une mélodie mélancolique. Ils s’en veulent du bien et croient par là faire preuve de sentiments élevés. D’autres pleurent quand on leur raconte qu’ici et là il se trouve des hommes qui ont faim, mais ils ne font rien pour apaiser cette souffrance. Les larmes de Joseph sont de saintes larmes ; toutes ses souffrances, ses angoisses, son abandon, ses combats, ses humiliations sont renfermés en elles. Il pleure au moment où le sentiment de la présence du Dieu tout puissant le saisit, ou il voit son action dans toutes les circonstances de sa vie.

Un poète l’a dit :
"Celui qui n’a jamais trempe son pain de larmes, qui n’a jamais passe de nuit d’angoisse à pleurer sur sa couche, celui-là ne connaît pas les puissances divines."

Si les larmes nous donnent une connaissance plus complète de Dieu, elles ont accompli leur oeuvre. La Bible n’a pas été écrite sans larmes et elle ne peut être comprise sans larmes, dit Bengel. Jésus n’a pu nous sauver sans larmes et nous ne pouvons, sans larmes, saisir le salut. Chez Joseph la souffrance a accompli son oeuvre, elle l’a conduit à Dieu. Il peut maintenant pleurer sur le cou de son père. "O Dieu tu as pris soin de mon âme, tu as changé pour moi et pour les miens l’enfer en paradis." Tel est le langage de ses larmes. Dieu a atteint son but à son égard. Ce sont des larmes de joie, celles que nous versons quand nous sentons la présence de Dieu.

Pourquoi pleure-t-il, cet homme fort qui pendant des années a méprisé Dieu et la religion ? Sa petite fille lui a dit ces simples paroles : Père, ne veux-tu pas prier avec moi ? La mère était morte depuis peu, elle avait toujours prié avec l’enfant en la mettant au lit. Le père tressaille jusque dans les profondeurs de son âme. C’est Dieu lui-même, semble-t-il, qui lui dit : "Que t’ai-je fait, o homme, pour que tu t'éloignes ainsi de moi." Dès cette heure la réponse fut : - "O Dieu, tu as eu le dessus sur moi ; tu m’as vaincu."

Quand,ô disciples de Christ, vos larmes ont-elles été comme un avant-goût des félicités éternelles ? N’est-ce pas dans ce jour, dans cette heure bénie, où le Sauveur vous a rencontrés dans la sombre vallée de l’humiliation et vous a dit : "Je vous ai aimés et je vous ai attirés à moi dans ma miséricorde ?" Alors pour la première fois vous avez pu dire du fond du coeur : II m’a été fait miséricorde à moi qui n’en étais pas digne. Les larmes que vous avez répandues ont été les dernières, elles étaient un avant-goût de l’heure ou elles seront toutes essuyées. Pendant que vous les versiez vous entendiez déjà le lointain écho du cantique nouveau chante autour du trône de Dieu. Telles étaient les larmes de Joseph. Si vous ne les connaissez pas encore, o alors, ne vous donnez aucun repos avant d’en avoir versé de pareilles.

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