Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XVIII

COMME CEUX QUI FONT UN RÊVE

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Genèse 45. 25 à 46. 27

1. Exaucé malgré tout.

 "Tu es le repos et la paix, tu es le désir et son apaisement." Ainsi commence un de nos plus beaux lieders. L’affection humaine la plus intense ne parvient pas à réaliser le rêve du poète. Aucun homme ne peut apaiser entièrement et d’une manière durable les désirs de son semblable. L’homme naturel ne possède jamais non plus la paix parfaite. Mais la parole du poète se vérifie lorsque Dieu fait luire sa face sur une âme saintement affligée. Il est le repos, il est la paix, il est aussi le Désiré, celui vers lequel toute âme aspire.

Notre texte en est une démonstration admirable. La vie du patriarche Jacob avait été pleine de déchirements ; il s'avançait au milieu des ruines. Les vingt-deux dernières années avaient été particulièrement sombres et désolées. Son plus grand souci sans contredit avait été de constater les dispositions charnelles de ses fils, dispositions qui les rendaient indignes d'être les dépositaires des révélations divines. Pendant des années il avait lutté avec Dieu pour obtenir le salut de leurs âmes, mais rien n’avait changé. Et pourtant, sans qu’il s’en doutât, les choses vieilles avaient passé, toutes choses avaient été faites nouvelles. Le jour qui venait de dorer les palmiers d’Hébron devait être pour lui une révélation. Il devait voir que les larmes versées sur ses fils avaient été recueillies et que les soupirs qu’il avait poussés vers le ciel avaient ému le coeur de son Père céleste.

Oh ! vous qui luttez peut-être depuis des années pour les âmes d’enfants égarés et qui n’avez pas encore vu briller un rayon d’espoir, relevez la tête, reprenez courage en contemplant le vieil Israël. "Quiconque croit est un Dieu", a dit Luther avec une sainte hardiesse. Il voulait dire par là que celui qui croit avec persévérance met en action la puissance céleste comme s’il était Dieu lui-même.

J'ai connu une pauvre femme dont le fils était égaré autant qu’il est possible de l'être. Elle intercédait sans relâche pour lui. Lorsqu’elle fut sur son lit de mort, le fils était encore à l'étranger ; depuis des années elle était restée sans nouvelles de lui ; toutes ses lettres étaient demeurées sans réponse. Néanmoins sa dernière parole fut : "Et pourtant il sera sauvé." Au moment où on déposait sa dépouille dans la terre, le fils parut. Saisi tout-à-coup d’un désir irrésistible de revoir sa mère, il était accouru. Son désespoir en ne retrouvant qu’un cercueil fut effrayant, mais la dernière parole de sa mère changea ce désespoir en repentir et ce repentir en foi. Pourtant il sera sauvé ; oh ! dites cela en parlant de votre fille, de votre fils perdus, vous le pouvez si vous persévérez dans votre office d’intercesseur. Dussiez-vous mourir avant l’aurore de ce jour nouveau, répétez avec foi à votre dernière heure : "Et pourtant mon enfant sera sauvé !"

Revenons au patriarche. Depuis bien des jours ses yeux s'étaient fatigués à épier le retour de la caravane. Elle tardait. Pour ceux qui attendent, le temps s'écoule lentement. Ses fils en effet avaient été retenus par diverses circonstances. "Si tout avait bien été", se disait le vieillard anxieux, "ils seraient déjà de retour. Il est donc arrivé un nouveau malheur. Qui sait si j’en retrouverai un seul vivant !" Se tordant les mains dans son désespoir, il erre à l’entour. Mais voici un messager qui lui annonce qu’on voit au loin s’avancer un convoi d’hommes et de bêtes. Il semble bien que ce sont ses fils et pourtant la caravane est plus nombreuse qu’au départ et au milieu d’elle on aperçoit des objets étranges. Nous savons qu’il entendait par là les chars égyptiens inconnus en Palestine. Les voici plus près. "Ce sont bien eux" disent les serviteurs de Jacob. "Voici Ruben, voici Benjamin qui se hâte vers son père. Voici Juda..." À cet instant, les yeux affaiblis du vieillard les reconnaissent ; il serre Benjamin contre son coeur, il compte ses bien-aimés et il n’en manque aucun, pas même Siméon qu’il n'espérait plus revoir. Il avait donc obtenu tout ce qu’il souhaitait, mais Dieu avait préparé pour lui une joie meilleure encore. Lorsque l’heure bienheureuse a sonné, dans laquelle Dieu nous bénit et essuie toute larme de nos yeux, notre attente est dépassée et nous éprouvons un bonheur que notre coeur n’avait pas même entrevu.

"Joseph vit encore, et même c’est lui qui gouverne tout le pays d'Égypte !" Cette parole est répétée par toutes les bouches. Est-ce la joie qu’elle apporte ? Non, pas tout de suite ; elle est trop belle pour que le vieillard puisse la saisir. Son coeur resta froid parce qu’il ne les croyait pas. Joseph, par l’envoi des chars et des présents avait pourvu à ce que son père finit par croire ce qu’il ne demandait pas mieux que d’accepter comme vrai. Ajoutez à cela les paroles de ses fils qui n’auraient pas pu être inventées et, chose plus étrange encore, les aveux des coupables et leurs larmes de repentir. L’instant où dans cette âme désolée brilla la certitude du bonheur est indescriptible. L'énigme obscure de sa vie est résolue. Le soleil pour lui s’abaisse glorieux à l’horizon. Celui-là seul qui est descendu dans les plus profonds abîmes peut être conduit par Dieu sur de telles hauteurs. Croyez-le, vous qui, en cet instant, vous sentez entourés de ténèbres. Croyez-le, saisissez la main de Dieu, et réjouissez-vous en pensant à l’heure où il fera pour vous comme il fit pour Jacob. L’instant approche. Dieu est fidèle.

"C'est alors que l’esprit de Jacob se ranima et Israël dit : C’est assez ! Joseph, mon fils, vit encore." Le père de l’enfant prodigue s'écria lui aussi :" Mon fils que voici était mort ; et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé." Jacob était mort pour le monde entier et cette bonne nouvelle le fit renaître à la vie. Nous en avons rencontré de ces infortunes qui, après de terribles maladies ou des pertes irréparables deviennent indifférents et n’ont plus pour ce qui les entoure ni intérêt, ni sympathie. Ces gens sont vraiment morts, tout en continuant à vivre et c’est ce qui était arrivé à Jacob. Maintenant il vit de nouveau ; la mort même qui s’approche est une vie, car elle sera douce près de celui qu’il a tant aimé.

Ici s’accomplit ce qui fut écrit plus tard. - "Quand l'Éternel ramena les captifs de Sion, nous étions comme ceux qui font un rêve. Alors notre bouche était remplie de cris de joie, et notre langue de chants d'allégresse. Ceux qui sèment avec larmes moissonneront avec chants de triomphe."

Lorsqu’un père peut serrer dans ses bras le fils qu’il avait cru mort, il éprouve un bonheur infini. Ici il y a plus ; il y a une révélation de Dieu concernant son alliance avec le patriarche. Il lui montre qu’il n’abandonnera jamais son peuple, qu’il veut être sa confiance, son salut, sa paix et le diriger comme une mère dirige son enfant. Lorsqu’il le fera passer par les plus dures épreuves, sa direction sera la plus admirable. Voilà l'expérience nouvelle que fait le patriarche qui retrouve à la fois tous ses enfants : Joseph ressuscité des morts, les autres réveillés de leur sommeil spirituel. Maintenant il peut croire de nouveau que ses descendants seront le peuple de Dieu, le salut du monde comme Jéhovah le lui a annoncé.
"Oh ! mon enfant", me dit jadis ma mère en me racontant cette histoire, "que de bienheureuses surprises nous attendent au ciel !" Le garçon de dix ans, assis à ses pieds, ne comprit pas alors comment sa mère avait passé si vite des tentes d’Hébron au ciel. Aujourd’hui la chose est claire pour moi et elle l’est sans doute aussi pour mes lecteurs.


2. Il faut que cela sorte.

 Qu’est-ce donc qui devait sortir ? L’aveu des fils de Jacob. Lorsqu’ils étaient revenus d'Égypte la première fois, ils se repentaient déjà, néanmoins ils ne purent pas prendre sur eux de confesser leur faute à leur père. Il eut été trop affreux de lui dire : "Les bêtes féroces qui ont déchiré ton fils n'étaient ni des lions, ni des léopards, mais elles se nommaient Ruben, Siméon, Levi, Juda, Dan, Nephtali, Gad, Asser, Issachar, Zabulon." Ils espéraient toujours que cette coupe amère leur serait épargnée, mais non ; il fallait que cela sortit. Et maintenant, lecteurs, ne pensez plus aux fils de Jacob, mais à tout le mal qui pèse depuis des années sur votre âme et l’oppresse. L’esprit de Dieu vous a souvent exhortés à briser cette chaîne et à recouvrer votre liberté, mais vous avez remis à plus tard, et ce délai a paralysé vos prières Décidez-vous enfin ! Mettez la main sur votre coeur et dites : "Maintenant je veux parler." Croyez-le, Dieu ne cédera pas, il faudra donc bien que ce soit vous. La sincérité seule vous affranchira du péché qui vous retient captif. Ce sera un beau jour que celui où vous rendrez à Dieu l’honneur, à vous la honte et ou, avec elle, vous retrouverez la liberté.

Les dix patriarches auraient été bien plus heureux s’ils s'étaient humiliés plus tôt, maintenant ils ne peuvent plus y échapper. Impossible de dire que Joseph vit et qu’il commande en Égypte sans expliquer ce qui l’a conduit à ce poste élevé. Joseph, prévoyant la chose, leur avait fait au départ une recommandation bien humiliante pour eux, mais qu’il ne pouvait pas leur épargner. "Ne vous querellez pas en chemin." Comme nous l’avons vu tous n'étaient pas également coupables ; il eut donc pu arriver qu’ils s’accusassent réciproquement et que devant leur père, l’un rejetât la faute sur l'autre.

Nous espérons qu’ils furent assez loyaux pour n’en rien faire. Quiconque est humilié a assez à faire avec soi-même pour ne pas accuser les autres.
Avec quelle ardeur ils se seront jetés devant leur père, implorant son pardon et trempant le sable de leurs larmes de repentir. Il ne nous est pas dit ce que le vieillard leur a répondu, mais sans doute il aura pardonné comme Joseph l’avait fait avant lui. Le sentiment qui poussa Joseph à l’indulgence y poussa aussi son père, Dieu en effet s'était servi du péché des dix patriarches pour élever Joseph, faire de lui le sauveur de l'Égypte et d'Israël, pour faire rentrer en eux-mêmes les coupables et pour les ramener à leur Père céleste ; pour fortifier la foi de Jacob et lui faire toucher du doigt la bonté de Dieu. Dans de telles circonstances le pardon n'était pas difficile.

Il ne le sera pas davantage pour nous lorsque nous aurons compris que la ou le péché avait abondé la grâce a surabondé. Je suis bien certain que ce jour-là Jacob serra ses fils contre son coeur avec une chaleur qu’il ne connaissait plus depuis des années. Après cela l'âme du vieillard fut saisie d’un désir intense de revoir son fils Joseph.


3. J’irai et je le verrai.

 "J’irai et je le verrai avant que je meure." Ces paroles s'échappent de l'âme du patriarche. Peu lui importe de quitter une terre à laquelle il s'était attaché, et où il avait toutes ses habitudes, peu lui importent les fatigues du voyage, un attrait magnétique le pousse vers son enfant. Il ne voit pas les difficultés ; l’amour ne connaît pas d’obstacles.

Et pourtant il existe des obstacles pour le croyant. Bien que tout son être tende vers un but unique, l’homme de foi doit se dire néanmoins : Est-ce que mon coeur ne se tromperait pas ? Le désir du vieillard était irrésistible ; la famine en Canaan le poussait vers le port du salut. En revanche, Canaan était la terre de la promesse, la terre de l’avenir, qui ne devait pas être abandonnée sans une nécessité inéluctable, ou sans une permission formelle de Dieu. Lorsqu’en un temps de famine, Abraham se rendit en Égypte, il en fut sévèrement puni. Lorsque Isaac avait voulu suivre le même chemin, Dieu lui avait barré la route. Aussi Jacob, bien que tout le poussât à émigrer vers la vallée du Nil, ne voulut-il pas faire ce pas décisif sans une indication directe de Dieu. Malgré tout son désir, il avait peur, sans cela Jéhovah ne lui eut pas dit : "Ne crains point." À Beer-Schéba, la frontière du désert, là où se trouvaient les tamarisques (Tamaris) d’Abraham et les autels d’Isaac, Jacob offrit un sacrifice. Cette offrande était une question : "Cette grande entreprise de l'établissement de toute ma famille en Égypte est-elle conforme a ta volonté ?" Et voici la réponse qu’il reçoit. Jéhovah, se désignant lui-même comme le Dieu fort, lui donne du courage. Il lui enlevé toute crainte, il lui révélé que Joseph lui fermera les yeux, qu'Israël deviendra en Égypte une grande nation et reviendra un jour dans le pays de la promesse.

Alors seulement Jacob monte avec les femmes et les enfants dans les chariots envoyés par son fils. Au bruit des chants de louange et d’actions de grâce, la longue caravane s’avance vers le sud, sur le sable brûlant du désert arabique.

Soixante-dix hommes descendent en Égypte, comptés et nommés par leur nom, car aucun d’eux ne doit s'égarer. L'écrivain sacre agit en cette occasion comme un capitaine de vaisseau sur le point d’entreprendre une traversée longue et périlleuse ; il tient un registre détaillé des passagers qui lui sont confiés pour pouvoir prouver au retour qu’aucun ne manque à l'appel.

Mais avant d’assister à la rencontre émouvante et poétique du père et du fils, faisons encore une remarque. Jacob, malgré l'élan impétueux de son coeur, cherche néanmoins la face de Dieu et s’enquiert de sa volonté. Le vieillard a fait l'expérience douloureuse que chaque fois qu’il a suivi sa propre volonté, il s’en est mal trouvé. Ses expériences néanmoins n’ont pas été plus tristes que les vôtres ou les miennes. Lorsque nous avons voulu prendre une décision sans l’assentiment divin, nos ailes ont été brisées, mais lorsque nous avons attendu paisibles, nous avons atteint sûrement le but. Si Jacob a appris à agir avec circonspection nous devons l’apprendre aussi. La parole de Salomon : "Celui qui a confiance dans son propre coeur est un insensé" n’est pas très flatteuse pour la nature humaine. Il est pourtant utile, indispensable même que nous n’oubliions pas cette vérité. Nos sentiments nous jouent souvent de mauvais tours, même nos sentiments pieux. L’attrait du coeur est loin d'être toujours la marque de notre destinée.

La volonté de Dieu est souvent en opposition complété avec nos impressions et nos désirs les plus ardents et les plus nobles. Même en ce qui concerne ce que nous nommons les indications de Dieu, nous nous trompons souvent grandement. St-Paul aurait pu croire par exemple que les portes merveilleusement ouvertes de la prison de Philippe, que ses liens brises l’invitaient à la fuite. Élisée aurait pu penser que Dieu avait livré les Syriens entre ses mains pour qu’il exterminât les ennemis de son peuple. Ces deux actes étaient bien faciles, bien naturels à accomplir, mais ce qui est naturel n’est pas toujours conforme à la volonté de Dieu. Dans les deux cas cités notre Père céleste voulait justement le contraire de ce qu’il semblait indiquer, et heureusement ses serviteurs ne s’y sont pas trompés.

Les enfants de Dieu ne sont pas toujours aussi sages et modérés, sans parler des enfants du monde. Une jeune fille chrétienne, par exemple, est demandée en mariage ; immédiatement l’on dit : "Cela vient clairement de Dieu." Quelques circonstances favorables deviennent des indications divines, les objections sérieuses et importantes en revanche sont passées sous silence. Ce qui n'était qu’une épreuve envoyée par Dieu semble indiquer sa sanction. Les conséquences s’en font promptement sentir ; elles se résument parfois en trois mots : Une vie brisée.

Nous devons examiner sérieusement quel est notre devoir, mais cet examen exige un coeur sincère, résolu à connaître la volonté de Dieu et à la pratiquer. La lumière à l’heure décisive ne manquera pas aux coeurs droits. Dieu, conformément à sa promesse, les dirigera sûrement.
"Seigneur, crée en nous un coeur droit et renouvelle au-dedans de nous un esprit bien disposé."

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