"Tu es le repos et la paix, tu es le
désir et son apaisement." Ainsi commence un
de nos plus beaux lieders. L’affection
humaine la plus intense ne parvient pas à
réaliser le rêve du poète.
Aucun homme ne peut apaiser entièrement et
d’une manière durable les désirs
de son semblable. L’homme naturel ne
possède jamais non plus la paix parfaite.
Mais la parole du poète se vérifie
lorsque Dieu fait luire sa face sur une âme
saintement affligée. Il est le repos, il est
la paix, il est aussi le Désiré,
celui vers lequel toute âme aspire.
Notre texte en est une démonstration
admirable. La vie du patriarche Jacob avait
été pleine de
déchirements ; il s'avançait au
milieu des ruines. Les vingt-deux dernières
années avaient été
particulièrement sombres et
désolées. Son plus grand souci sans
contredit avait été de constater les
dispositions charnelles de ses fils, dispositions
qui les rendaient indignes d'être les
dépositaires des révélations
divines. Pendant des années il avait
lutté avec Dieu pour obtenir le salut de
leurs âmes, mais rien n’avait
changé. Et pourtant, sans qu’il
s’en doutât, les choses vieilles avaient
passé, toutes choses avaient
été faites nouvelles. Le jour qui
venait de dorer les palmiers d’Hébron
devait être pour lui une
révélation. Il devait voir que les
larmes versées sur ses fils avaient
été recueillies et que les soupirs
qu’il avait poussés vers le ciel
avaient ému le coeur de son Père
céleste.
Oh ! vous qui luttez peut-être depuis
des années pour les âmes
d’enfants égarés et qui
n’avez pas encore vu briller un rayon
d’espoir, relevez la tête, reprenez
courage en contemplant le vieil Israël.
"Quiconque croit est un Dieu", a dit Luther avec
une sainte hardiesse. Il voulait dire par là
que celui qui croit avec persévérance
met en action la puissance céleste comme
s’il était Dieu lui-même.
J'ai connu une pauvre femme dont le fils
était égaré autant qu’il
est possible de l'être. Elle
intercédait sans relâche pour lui.
Lorsqu’elle fut sur son lit de mort, le fils
était encore à
l'étranger ; depuis des années
elle était restée sans nouvelles de
lui ; toutes ses lettres étaient
demeurées sans réponse.
Néanmoins sa dernière parole
fut : "Et pourtant il sera sauvé." Au
moment où on déposait sa
dépouille dans la terre, le fils parut.
Saisi tout-à-coup d’un désir
irrésistible de revoir sa mère, il
était accouru. Son désespoir en ne
retrouvant qu’un cercueil fut effrayant, mais
la dernière parole de sa mère changea
ce désespoir en repentir et ce repentir en
foi. Pourtant il sera sauvé ; oh !
dites cela en parlant de votre fille, de votre fils
perdus, vous le pouvez si vous
persévérez dans votre office
d’intercesseur. Dussiez-vous mourir avant
l’aurore de ce jour nouveau,
répétez avec foi à votre
dernière heure : "Et pourtant mon
enfant sera sauvé !"
Revenons au patriarche. Depuis bien des jours ses
yeux s'étaient fatigués à
épier le retour de la caravane. Elle
tardait. Pour ceux qui attendent, le temps
s'écoule lentement. Ses fils en effet
avaient été retenus par diverses
circonstances. "Si tout avait bien
été", se disait le vieillard anxieux,
"ils seraient déjà de retour. Il est
donc arrivé un nouveau malheur. Qui sait si
j’en retrouverai un seul vivant !" Se
tordant les mains dans son désespoir, il
erre à l’entour. Mais voici un messager
qui lui annonce qu’on voit au loin
s’avancer un convoi d’hommes et de
bêtes. Il semble bien que ce sont ses fils et
pourtant la caravane est plus nombreuse qu’au
départ et au milieu d’elle on
aperçoit des objets étranges. Nous
savons qu’il entendait par là les chars
égyptiens inconnus en Palestine. Les voici
plus près. "Ce sont bien eux" disent les
serviteurs de Jacob. "Voici Ruben, voici Benjamin
qui se hâte vers son père. Voici
Juda..." À cet instant, les yeux affaiblis
du vieillard les reconnaissent ; il serre
Benjamin contre son coeur, il compte ses
bien-aimés et il n’en manque aucun, pas
même Siméon qu’il
n'espérait plus revoir. Il avait donc obtenu
tout ce qu’il souhaitait, mais Dieu avait
préparé pour lui une joie meilleure
encore. Lorsque l’heure bienheureuse a
sonné, dans laquelle Dieu nous bénit
et essuie toute larme de nos yeux, notre attente
est dépassée et nous éprouvons
un bonheur que notre coeur n’avait pas
même entrevu.
"Joseph vit encore, et même c’est lui
qui gouverne tout le pays d'Égypte !"
Cette parole est répétée par
toutes les bouches. Est-ce la joie qu’elle
apporte ? Non, pas tout de suite ; elle
est trop belle pour que le vieillard puisse la
saisir. Son coeur resta froid parce qu’il ne
les croyait pas. Joseph, par l’envoi des chars
et des présents avait pourvu à ce que
son père finit par croire ce qu’il ne
demandait pas mieux que d’accepter comme vrai.
Ajoutez à cela les paroles de ses fils qui
n’auraient pas pu être inventées
et, chose plus étrange encore, les aveux des
coupables et leurs larmes de repentir.
L’instant où dans cette âme
désolée brilla la certitude du
bonheur est indescriptible. L'énigme obscure
de sa vie est résolue. Le soleil pour lui
s’abaisse glorieux à l’horizon.
Celui-là seul qui est descendu dans les plus
profonds abîmes peut être conduit par
Dieu sur de telles hauteurs. Croyez-le, vous qui,
en cet instant, vous sentez entourés de
ténèbres. Croyez-le, saisissez la
main de Dieu, et réjouissez-vous en pensant
à l’heure où il fera pour vous
comme il fit pour Jacob. L’instant approche.
Dieu est fidèle.
"C'est alors que l’esprit de Jacob se ranima
et Israël dit : C’est assez !
Joseph, mon fils, vit encore." Le père de
l’enfant prodigue s'écria lui
aussi :" Mon fils que voici était
mort ; et il est revenu à la vie ;
il était perdu et il est retrouvé."
Jacob était mort pour le monde entier et
cette bonne nouvelle le fit renaître à
la vie. Nous en avons rencontré de ces
infortunes qui, après de terribles maladies
ou des pertes irréparables deviennent
indifférents et n’ont plus pour ce qui
les entoure ni intérêt, ni sympathie.
Ces gens sont vraiment morts, tout en continuant
à vivre et c’est ce qui était
arrivé à Jacob. Maintenant il vit de
nouveau ; la mort même qui
s’approche est une vie, car elle sera douce
près de celui qu’il a tant
aimé.
Ici s’accomplit ce qui fut écrit plus
tard. - "Quand l'Éternel ramena les captifs
de Sion, nous étions comme ceux qui font un
rêve. Alors notre bouche était remplie
de cris de joie, et notre langue de chants
d'allégresse. Ceux qui sèment avec
larmes moissonneront avec chants de triomphe."
Lorsqu’un père peut serrer dans ses
bras le fils qu’il avait cru mort, il
éprouve un bonheur infini. Ici il y a
plus ; il y a une révélation de
Dieu concernant son alliance avec le patriarche. Il
lui montre qu’il n’abandonnera jamais son
peuple, qu’il veut être sa confiance,
son salut, sa paix et le diriger comme une
mère dirige son enfant. Lorsqu’il le
fera passer par les plus dures épreuves, sa
direction sera la plus admirable. Voilà
l'expérience nouvelle que fait le patriarche
qui retrouve à la fois tous ses
enfants : Joseph ressuscité des morts,
les autres réveillés de leur sommeil
spirituel. Maintenant il peut croire de nouveau que
ses descendants seront le peuple de Dieu, le salut
du monde comme Jéhovah le lui a
annoncé.
"Oh ! mon enfant", me dit jadis ma mère
en me racontant cette histoire, "que de
bienheureuses surprises nous attendent au
ciel !" Le garçon de dix ans, assis
à ses pieds, ne comprit pas alors comment sa
mère avait passé si vite des tentes
d’Hébron au ciel. Aujourd’hui la
chose est claire pour moi et elle l’est sans
doute aussi pour mes lecteurs.
Qu’est-ce donc qui devait sortir ?
L’aveu des fils de Jacob. Lorsqu’ils
étaient revenus d'Égypte la
première fois, ils se repentaient
déjà, néanmoins ils ne purent
pas prendre sur eux de confesser leur faute
à leur père. Il eut été
trop affreux de lui dire : "Les bêtes
féroces qui ont déchiré ton
fils n'étaient ni des lions, ni des
léopards, mais elles se nommaient Ruben,
Siméon, Levi, Juda, Dan, Nephtali, Gad,
Asser, Issachar, Zabulon." Ils espéraient
toujours que cette coupe amère leur serait
épargnée, mais non ; il fallait
que cela sortit. Et maintenant, lecteurs, ne pensez
plus aux fils de Jacob, mais à tout le mal
qui pèse depuis des années sur votre
âme et l’oppresse. L’esprit de Dieu
vous a souvent exhortés à briser
cette chaîne et à recouvrer votre
liberté, mais vous avez remis à plus
tard, et ce délai a paralysé vos
prières Décidez-vous enfin !
Mettez la main sur votre coeur et dites :
"Maintenant je veux parler." Croyez-le, Dieu ne
cédera pas, il faudra donc bien que ce soit
vous. La sincérité seule vous
affranchira du péché qui vous retient
captif. Ce sera un beau jour que celui où
vous rendrez à Dieu l’honneur, à
vous la honte et ou, avec elle, vous retrouverez la
liberté.
Les dix patriarches auraient été bien
plus heureux s’ils s'étaient
humiliés plus tôt, maintenant ils ne
peuvent plus y échapper. Impossible de dire
que Joseph vit et qu’il commande en
Égypte sans expliquer ce qui l’a
conduit à ce poste élevé.
Joseph, prévoyant la chose, leur avait fait
au départ une recommandation bien humiliante
pour eux, mais qu’il ne pouvait pas leur
épargner. "Ne vous querellez pas en chemin."
Comme nous l’avons vu tous n'étaient
pas également coupables ; il eut donc
pu arriver qu’ils s’accusassent
réciproquement et que devant leur
père, l’un rejetât la faute sur
l'autre.
Nous espérons qu’ils furent assez
loyaux pour n’en rien faire. Quiconque est
humilié a assez à faire avec
soi-même pour ne pas accuser les autres.
Avec quelle ardeur ils se seront jetés
devant leur père, implorant son pardon et
trempant le sable de leurs larmes de repentir. Il
ne nous est pas dit ce que le vieillard leur a
répondu, mais sans doute il aura
pardonné comme Joseph l’avait fait
avant lui. Le sentiment qui poussa Joseph à
l’indulgence y poussa aussi son père,
Dieu en effet s'était servi du
péché des dix patriarches pour
élever Joseph, faire de lui le sauveur de
l'Égypte et d'Israël, pour faire
rentrer en eux-mêmes les coupables et pour
les ramener à leur Père
céleste ; pour fortifier la foi de
Jacob et lui faire toucher du doigt la bonté
de Dieu. Dans de telles circonstances le pardon
n'était pas difficile.
Il ne le sera pas davantage pour nous lorsque nous
aurons compris que la ou le péché
avait abondé la grâce a
surabondé. Je suis bien certain que ce
jour-là Jacob serra ses fils contre son
coeur avec une chaleur qu’il ne connaissait
plus depuis des années. Après cela
l'âme du vieillard fut saisie d’un
désir intense de revoir son fils Joseph.
"J’irai et je le verrai avant que je
meure." Ces paroles s'échappent de
l'âme du patriarche. Peu lui importe de
quitter une terre à laquelle il
s'était attaché, et où il
avait toutes ses habitudes, peu lui importent les
fatigues du voyage, un attrait magnétique le
pousse vers son enfant. Il ne voit pas les
difficultés ; l’amour ne
connaît pas d’obstacles.
Et pourtant il existe des obstacles pour le
croyant. Bien que tout son être tende vers un
but unique, l’homme de foi doit se dire
néanmoins : Est-ce que mon coeur ne se
tromperait pas ? Le désir du vieillard
était irrésistible ; la famine
en Canaan le poussait vers le port du salut. En
revanche, Canaan était la terre de la
promesse, la terre de l’avenir, qui ne devait
pas être abandonnée sans une
nécessité inéluctable, ou sans
une permission formelle de Dieu. Lorsqu’en un
temps de famine, Abraham se rendit en
Égypte, il en fut sévèrement
puni. Lorsque Isaac avait voulu suivre le
même chemin, Dieu lui avait barré la
route. Aussi Jacob, bien que tout le poussât
à émigrer vers la vallée du
Nil, ne voulut-il pas faire ce pas décisif
sans une indication directe de Dieu. Malgré
tout son désir, il avait peur, sans cela
Jéhovah ne lui eut pas dit : "Ne crains
point." À Beer-Schéba, la
frontière du désert, là
où se trouvaient les tamarisques (Tamaris)
d’Abraham et les autels d’Isaac, Jacob
offrit un sacrifice. Cette offrande était
une question : "Cette grande entreprise de
l'établissement de toute ma famille en
Égypte est-elle conforme a ta
volonté ?" Et voici la réponse
qu’il reçoit. Jéhovah, se
désignant lui-même comme le Dieu fort,
lui donne du courage. Il lui enlevé toute
crainte, il lui révélé que
Joseph lui fermera les yeux, qu'Israël
deviendra en Égypte une grande nation et
reviendra un jour dans le pays de la promesse.
Alors seulement Jacob monte avec les femmes et les
enfants dans les chariots envoyés par son
fils. Au bruit des chants de louange et
d’actions de grâce, la longue caravane
s’avance vers le sud, sur le sable
brûlant du désert arabique.
Soixante-dix hommes descendent en Égypte,
comptés et nommés par leur nom, car
aucun d’eux ne doit s'égarer.
L'écrivain sacre agit en cette occasion
comme un capitaine de vaisseau sur le point
d’entreprendre une traversée longue et
périlleuse ; il tient un registre
détaillé des passagers qui lui sont
confiés pour pouvoir prouver au retour
qu’aucun ne manque à l'appel.
Mais avant d’assister à la rencontre
émouvante et poétique du père
et du fils, faisons encore une remarque. Jacob,
malgré l'élan impétueux de son
coeur, cherche néanmoins la face de Dieu et
s’enquiert de sa volonté. Le vieillard
a fait l'expérience douloureuse que chaque
fois qu’il a suivi sa propre volonté,
il s’en est mal trouvé. Ses
expériences néanmoins n’ont pas
été plus tristes que les vôtres
ou les miennes. Lorsque nous avons voulu prendre
une décision sans l’assentiment divin,
nos ailes ont été brisées,
mais lorsque nous avons attendu paisibles, nous
avons atteint sûrement le but. Si Jacob a
appris à agir avec circonspection nous
devons l’apprendre aussi. La parole de
Salomon : "Celui qui a confiance dans son
propre coeur est un insensé" n’est pas
très flatteuse pour la nature humaine. Il
est pourtant utile, indispensable même que
nous n’oubliions pas cette
vérité. Nos sentiments nous jouent
souvent de mauvais tours, même nos sentiments
pieux. L’attrait du coeur est loin
d'être toujours la marque de notre
destinée.
La volonté de Dieu est souvent en opposition
complété avec nos impressions et nos
désirs les plus ardents et les plus nobles.
Même en ce qui concerne ce que nous nommons
les indications de Dieu, nous nous trompons souvent
grandement. St-Paul aurait pu croire par exemple
que les portes merveilleusement ouvertes de la
prison de Philippe, que ses liens brises
l’invitaient à la fuite.
Élisée aurait pu penser que Dieu
avait livré les Syriens entre ses mains pour
qu’il exterminât les ennemis de son
peuple. Ces deux actes étaient bien faciles,
bien naturels à accomplir, mais ce qui est
naturel n’est pas toujours conforme à
la volonté de Dieu. Dans les deux cas
cités notre Père céleste
voulait justement le contraire de ce qu’il
semblait indiquer, et heureusement ses serviteurs
ne s’y sont pas trompés.
Les enfants de Dieu ne sont pas toujours aussi
sages et modérés, sans parler des
enfants du monde. Une jeune fille
chrétienne, par exemple, est demandée
en mariage ; immédiatement l’on
dit : "Cela vient clairement de Dieu."
Quelques circonstances favorables deviennent des
indications divines, les objections
sérieuses et importantes en revanche sont
passées sous silence. Ce qui n'était
qu’une épreuve envoyée par Dieu
semble indiquer sa sanction. Les
conséquences s’en font promptement
sentir ; elles se résument parfois en
trois mots : Une vie brisée.
Nous devons examiner sérieusement quel est
notre devoir, mais cet examen exige un coeur
sincère, résolu à
connaître la volonté de Dieu et
à la pratiquer. La lumière à
l’heure décisive ne manquera pas aux
coeurs droits. Dieu, conformément à
sa promesse, les dirigera sûrement.
"Seigneur, crée en nous un coeur droit et
renouvelle au-dedans de nous un esprit bien
disposé."
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