Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XVI

LES MORTS RESSUSCITENT

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Genèse 42.

1. La famine, messager céleste.

 Les années d’abondance, de joie, de chants et de festins sont passées pour l'Égypte. La sécheresse est générale, la chaleur, la poussière, plus intolérables que jamais. Pourtant, aucune disette n’est à craindre. Le peuple entier bénit ce grand vizir étranger que les dieux ont placé aux côtés de leur roi à l’heure du besoin. Joseph était devenu l’un des hommes les plus honorés et les plus influents du monde entier, et la considération dont il jouissait augmentait avec la détresse publique ; il était pour tous un véritable sauveur. Les hommes les plus en vue dans le pays lui rendaient hommage. Il y avait la une grande tentation pour lui. David, Salomon, Ézéchias nous prouvent à quel point elle était redoutable. Rien n’est plus difficile à supporter qu’une série de jours heureux. Mes lecteurs seront sans doute d’accord sur ce fait. Joseph, cependant, conserva toute son humilité. Le bonheur, d’ailleurs, n’était pas plus complet pour lui qu’il ne l’est pour le reste des hommes. Bien fou, qui poursuit sans cesse une pareille chimère ! Comment un monde imparfait pourrait-il donner une joie parfaite ? Et, à supposer qu’il le pût, comment nous, si imparfaits, pourrions-nous être parfaitement heureux ?

En ce qui concerne Joseph, la chose se comprend sans peine. Je ne ferai pas valoir la somme de travail à laquelle il était assujetti, les responsabilités qui pesaient sur lui. Là était sa plus grande joie, car, pour une âme noble, quelle plus pure satisfaction pourrait-il exister que la certitude de procurer du bonheur à d’autres ? Il y avait en revanche pour lui une réelle difficulté à rester fidèle à sa foi, sans froisser inutilement les convictions des Égyptiens et c’était un devoir compliqué de participer au culte professé dans sa patrie d’adoption, sans renier le Dieu de ses pères ! Puis, songeons au mal du pays qu’il devait ressentir. Que de questions angoissantes au sujet de son père ? Vit-il encore ? Comment se porte-t-il ? Où en sont les dispositions de ses frères ? Ont-ils reconnu leurs péchés ? quand Jéhovah consentira-t-il à lui livrer le secret de ses dispensatrices ? Viendra-t-il un jour, et quand, comment viendra-t-il ? ou lui, rameau séparé de la maison d’Israël, se rattachera de nouveau à la famille dépositaire des promesses ? Toutes ces questions se sont évidemment résolues pour lui en prières, mais non sans lui faire verser bien des larmes. Le vieux père intercéda sans doute chaudement, lui aussi, pour les âmes de ses fils, et il ne le fit pas en vain. Lorsque la famine s’abattit sur Canaan, le patriarche ne vit là qu’un nouveau malheur.
Quant à Joseph, il dut pressentir que cette épreuve servirait à l’exaucement de ses prières ; aussi, en homme intelligent, non seulement il se confia en Dieu, mais il prit toutes les mesures nécessaires pour revoir ses frères. Il ordonna pour cela que tous les étrangers qui venaient acheter du blé en Égypte fussent conduits en sa présence.

La Bible nous explique comment Jacob lui-même poussa ses fils à ce voyage. Lorsque la famine augmentant, chacun alla s’approvisionner en Égypte, il dit : "Pourquoi vous regardez-vous les uns les autres ? J’apprends qu’il y a du blé en Égypte ; descendez-y pour nous en acheter là, afin que nous vivions et que nous ne mourions pas." La jeunesse, si entreprenante d’ordinaire, n’a donc pas imaginé ce moyen si simple de sortir d’embarras ! Déconcertés, les frères se regardent les uns les autres, se demandant ce qu’ils ont à faire. L'Égypte, ne l’oublions pas, leur inspirait une vague crainte depuis qu’ils avaient vendu leur frère. Leur conscience commence à parler, mais ils ne peuvent le dire à leur père, et ils lui obéissent. Bientôt ils arrivent avec leurs ânes dans la vallée du Nil, et foulent la route de Memphis. Ils déclarent leur intention d’acheter du blé, et sont conduits à Joseph.

Il est tout naturel qu’ils ne l’aient pas reconnu. D’adolescent qu’il était au départ, il est devenu homme ; rasé, vêtu d’habits princiers, il avait adopté les modes égyptiennes, et s’exprimait dans la langue du pays. Il est tout aussi naturel que Joseph les ait reconnus. C’étaient bien là les mêmes hommes qui l’avaient vendu. Ils portaient le même costume, parlaient le même langage. Quelle émotion dut saisir le coeur de Joseph en revoyant ces visages et en entendant le dialecte de la patrie ! Que de questions brûlent ses lèvres ! mais une seule suffirait à le trahir. Il ne songea pas à provoquer aussitôt une scène touchante ; il imposa silence à ses sentiments et a ses désirs. Tais-toi, mon coeur, tais-toi ! En homme qui connaît le Dieu saint, il sait qu’il ne peut être utile à ses frères qu’en les poussant à adorer ce Dieu et à se laisser écraser par sa sainteté. En qualité de représentant de Jéhovah, il se sent appelé non seulement à s'enquérir du changement qui a pu survenir dans la disposition de ses frères, mais à provoquer ce changement dans la mesure de ses forces. La compassion est une chose grande et admirable, mais son action peut être funeste à l’âme et à la conscience lorsqu’elle s’exerce hors du temps favorable. Dieu n’est pas assez faible pour manifester sa grâce au coeur qui ne s’est pas humilié. Il n’est pas semblable à maint père insensé, qui croit que l’humiliation accompagne nécessairement la souffrance. Dieu sait que ces deux choses ne vont pas toujours ensemble, et que l’homme orgueilleux a une peine infinie à se condamner lui-même.


2. Il fondra et purifiera.

 "Il sera comme le feu du fondeur, comme la potasse des foulons. Il s’assiéra, fondra et purifiera l’argent ; il purifiera les fils de Lévi, il les épurera comme on épure l’or et l’argent", ainsi parle le prophète Malachie (3. 2-3). Tous les enfants de Dieu savent ce que cela signifie, depuis Noé au milieu des flots, jusqu'à Pierre qui entendit retentir jusqu’au fond de son coeur la voix impitoyable de son Maître qui lui dit trois fois : "M’aimes-tu ?" Joseph, esclave et prisonnier, en a su, lui aussi, quelque chose ; c’est pourquoi il sent que c’est désormais à lui de s’asseoir au nom de Dieu pour fondre et purifier.

Pendant que ses frères se prosternent devant lui avec respect, Joseph se souvient de ses songes, et le plan admirable de Dieu se dévoile à ses yeux : mais il feint la dureté, il traite ces hommes en "espions venus pour épier les lieux faibles du pays" et ses moyens de défense. Ce reproche était habile, car de tous temps les Égyptiens avaient eu à souffrir des incursions des tribus asiatiques. Ses frères repoussent l’accusation avec modération et fermeté. Ils exposent, pour se justifier, leurs circonstances de famille. Ainsi Joseph apprend ce qui a dû faire bondir de joie son coeur : "Le plus jeune est aujourd’hui avec notre père." Jacob vit donc encore, ainsi que Benjamin, son seul véritable frère ! Quelle émotion il dut ressentir quand ils lui dirent : "Il y en a un qui n’est plus." Et c’est de lui, qui se tient là devant eux qu’ils parlent ainsi ! Qui ne penserait, en lisant ceci, à l’histoire des pèlerins d’Emmaüs qui racontaient tristement au Sauveur, marchant à leurs côtés, comment on avait crucifié celui qu’ils tenaient pour le Libérateur d’Israël, et qui ajoutaient que l’annonce de sa résurrection n’était qu’un propos de, femmes insensées ? Jésus a beau leur montrer que la faiblesse de leur foi a seule pu faire naître ce doute dans leur coeur, néanmoins ils ne croient pas encore.

Ainsi, les patriarches ne soupçonnent en aucune manière quel est celui qui leur parle, et Joseph ne se presse pas de les éclairer. Froid et dur en apparence, il maintient son accusation, il exige que l’un d’entre eux aille chercher leur frère, et que les autres restent en captivité ; sans cela il ne les croira pas. "Par la vie de Pharaon", dit-il pour paraître un parfait Égyptien, "vous êtes des espions." C’est le son dernier mot. Malgré leurs larmes et leurs protestations, ils vont en prison ; là, ils auront le temps de réfléchir.

Au bout de trois jours de captivité, trois jours éternels, ils sont ramenés devant le tout-puissant ministre. Son visage s’adoucit en le voyant si triste. Ses paroles sont moins sévères : — "Faites ceci et vous vivrez. Je crains Dieu." Ses ordres rigoureux sont changés. Au lieu de neuf prisonniers, un seul sera incarcéré, et les neuf autres pourront retourner en Canaan. Cet acte de clémence leur prouvera qu’il craint Dieu, et à coeur leur bien et celui de leur famille.

C’est une chose délicieuse lorsqu’un homme, dur en apparence, se révèle soudain comme un croyant. N’ayons nul effroi de celui qui craint Dieu ; il ne fera jamais de son pouvoir un mauvais usage. Mais si l’on n’a pas soi-même la crainte de Dieu, si l’on a agi contre sa volonté, et si l’on a la conviction désolante d’avoir attiré sur sa tête la colère divine, alors ce n’est pas une consolation d’avoir affaire à un croyant. Tel est le cas des frères de Joseph, et de là leur cri de douleur : Nous avons été coupables envers notre frère ; car nous avons vu l’angoisse de son âme quand il nous demandait grâce, et nous ne l’avons point écouté. C’est pour cela que cette affliction nous arrive.

Quelle musique céleste pour Joseph, pour Dieu lui-même, et pour les anges qui ont de la joie quand un pécheur vient à se repentir ! C’est le souffle printanier qui témoigne que les glaces vont fondre. Ces hommes grossiers et ignorants sont supérieurs aux membres de notre génération raffinée, car ils croient en Dieu, ils croient qu’il juge et dirige chaque individu. Ils n’en ont même jamais douté ; mais, enlacés dans les filets du diable, ils n’ont fait aucun usage de leur conviction. Maintenant, tout est changé. Ces trois jours de captivité ont été la plus dure, mais la plus salutaire leçon de leur vie. La souffrance amère a brisé leur orgueil et, après leur longue période d’endurcissement, ils ont écouté la voix divine. Oh ! quel beau jour que celui qui amène un pareil résultat ! Oh ! quelle heure bénie, même si elle devait être acquise sur un lit de douleur, dans une prison, ou, comme ce fut le cas du brigand, sur une croix sanglante. Heure bénie entre toutes, car le coeur y retrouve sa céleste origine.

En envisageant les choses par leur cote extérieure, on pourrait dire que les frères de Joseph souffrent sans être coupables. Ils ne sont pas des espions. Ils peuvent reparaître devant Jacob, et lui raconter avec une excellente conscience qu’ils ont été les victimes d’une criante injustice et que le tout-puissant Égyptien a, par un acte de violence inqualifiable, retenu Siméon captif ; ils ont le droit de demander à leur père de leur confier Benjamin pour obtenir la libération du prisonnier et une nouvelle provision de blé. Ceci est vrai extérieurement, mais faux en ce qui concerne le fond de la question. "Vous avez fait souffrir votre frère innocent ; vous, innocents, souffrirez à votre tour" ; voilà l’arrêt prononce par le Dieu juste. "Vous avez, le voulant et le sachant, abreuvé votre père de douleur, et vous devez maintenant, contre votre gré, le faire souffrir encore. Vous avez été impitoyables, on sera impitoyable pour vous." C’est le juste retour des choses d’ici-bas. Ils souffrent cruellement de causer cette nouvelle épreuve à leur père, mais leur douleur est un indice de la vie nouvelle qui commence en eux. Les cloches du ciel tintent au loin d'allégresse. "Joseph s’éloigna d’eux pour pleurer." Il se détourne extérieurement quand son coeur se tourne vers eux, et ses larmes sont des cantiques de reconnaissance. Néanmoins, il n’en laisse rien voir, il estime qu’il est de son devoir de poursuivre son oeuvre de relèvement. Sous leurs yeux, il fait lier Siméon. Pourquoi pas Ruben, l’aîné ? Parce qu’il savait que Ruben ne l’avait pas vendu, et il retint de préférence Siméon, le plus âge des coupables. Ceci devait les faire réfléchir et leur montrer en Joseph l’exécuteur de la justice divine.

Du reste, Joseph prit soin qu’ils reçussent non seulement le blé qu’ils avaient acheté, mais "des provisions pour la route", de telle sorte que, pendant le voyage, ils n’eussent pas besoin d’entamer leur emplette et qu’ils n’ouvrissent pas leurs sacs, dans lesquels leur argent avait été remis. L’un d’eux pourtant découvrit avant leur arrivée la restitution qui lui avait été faite. Lorsque, au logis, tous constatèrent la même chose, un grand effroi s’empara d’eux. "Qu’est-ce que Dieu nous a fait ?" se disent-ils les uns aux autres en tremblant. Ils craignent qu’à leur retour en Égypte le fait ne leur soit reproché, et qu’on ne les traite de voleurs. Quiconque a vendu son frère se sent environné de fantômes accusateurs. Mais ce n’est pas tout ; ils voient dans l’affaire une action directe de Dieu, ils n’admettent pas qu’elle soit le résultat d’un ordre du gouverneur égyptien. Leur conscience une fois réveillée, ils aperçoivent partout la main vengeresse du Dieu saint. Les amener là était précisément le but de Joseph en ordonnant ces singulières dispositions ; il voulait qu’ils se sentissent enlacés par une puissance invisible.

Le retour des frères, réduits à neuf, a été, malgré leurs abondantes provisions, une voie douloureuse. La conscience, une fois réveillée, ne nous laisse plus de repos. Les patriarches savaient quelle douleur assaillirait Jacob à la nouvelle que Siméon était captif et qu’il devrait leur abandonner Benjamin. La scène qui se passa à Hébron fut poignante. Après le récit sobre et loyal de ses fils, le vieillard donna essor à sa douleur : "Vous me privez de mes enfants. Joseph n’est plus, Siméon n’est plus, et vous prendriez Benjamin ! C’est sur moi que tout cela retombe." Ces paroles se passent de commentaire. Quiconque a un coeur, en est touché. Les fils en sont navrés. Ils sont innocents, en effet, de la captivité de Siméon, mais les paroles concernant Joseph pénètrent dans leur conscience saignante comme des flèches empoisonnées. Oui, Dieu "s’est assis pour fondre et purifier" les enfants d’Israël, et il est facile de comprendre la nécessité de ce feu toujours renouvelé. Il peut paraître dur que Jacob souffre avec ses enfants, mais c’est là un effet de la loi de la solidarité qui veut que les pères pâtissent des péchés de leurs fils, et que les fils à leur tour subissent la conséquence des erreurs paternelles. Ce fait est dur et nous arrache souvent des larmes. Ces larmes ne sont pas un mal, pourvu que le dépit, le découragement et le murmure en soient bannis, car nous ne devons pas oublier que le Dieu de toute consolation les voit couler.

Sois tranquille, pauvre Jacob ; déjà luit à l’horizon l’aurore d’un jour de bonheur. Tes yeux voilés de larmes ne l’aperçoivent pas encore, elle n’en existe pas moins. Là-bas, au bord du Nil, à Memphis, un grand seigneur à genoux prie Dieu de ne pas permettre que la souffrance soit trop forte pour toi, et cet homme sera exaucé.

Avant de contempler le lever du soleil, nous devons nous arrêter quelque temps encore au fait que Dieu s’est tu pendant vingt ans sur le péché des frères de Joseph, sans l’avoir oublié. Pendant tout ce temps, les patriarches avaient perdu de vue leur faute ; ils durent néanmoins comprendre qu’elle avait encore toute son importance et qu’elle pouvait se dresser devant eux plus redoutable qu’au premier jour. Ceci nous prouve qu’il y a un Dieu dans le ciel.


3. Quelle preuve puis-je avoir de l’existence de Dieu ?

 Quelle preuve certaine puis-je avoir de l’existence d’un Dieu vivant ? C’est une question qu’on entend fréquemment poser à notre époque. On met actuellement en question une foule de choses qui ne faisaient pas jadis l’objet d’un doute, et on se croit très sage lorsqu’on fait suivre toutes les affirmations de points d’interrogation ou de suspension. Cet état d’esprit dénote dans notre génération plutôt la faiblesse et la décadence que la vigueur et le progrès. Les enfants et les fous posent plus de questions que les sages ne sont capables d’en résoudre. Il est difficile de dire comment on peut être certain de l’existence d’un Dieu vivant. Nous déclarons franchement qu’il n’en existe pas de preuves irréfutables. Il n’existe également aucun moyen de, prouver à Mlle X. un esprit fort, qui croit être un enfant suppose, que sa mère est bien sa mère. Tous les arguments tirés des registres publics, le témoignage des personnes qui étaient là au moment de sa naissance, la ressemblance frappante entre elle et sa mère, l’amour que celle-ci lui a témoigné pendant tant d’années, ne réussissent pas à dissiper ses doutes. Tous ces indices seront insuffisants jusqu’au moment ou Mlle X., au lieu d’écouter la voix de la froide raison, laissera parler son coeur ; si celui-ci reste muet, il n’y a rien à faire pour elle.

La même chose est vraie des rapports de l’âme avec Dieu. Tant qu’un homme demande de l’existence de Dieu des preuves mathématiquement certaines, il ne trouve jamais de satisfaction. Un homme peut douter de l’instinct de son coeur, mais alors aucune preuve n’aura de l’action sur lui. La cigogne, l’hirondelle et la grue connaissent les saisons ; le boeuf et l’âne connaissent la crèche de leur maître ; toutes les créatures ignorantes sont conduites sûrement par leur instinct. L’homme, grâce à Dieu, n’est pas plus mal partagé qu’elle, lui aussi peut s’abandonner en sécurité à l’attrait intérieur de son coeur qui le pousse vers son Créateur. S’il écoute cette voix sainte, il se voit subitement environné de preuves de l’existence de Dieu, et retrouve partout sa main.

Il y eut un temps où l’on demandait à la nature les principales preuves de la puissance du Créateur, puis la théologie repoussa entièrement cette argumentation. Je crois, pour ma part, que pour les coeurs simples l’influence de la nature sera toujours salutaire au point de vue religieux. Diderot, l’esprit fort, n’a-t-il pas dit : "L’aile d’un papillon et l’oeil d’un moucheron suffisent pour réduire au silence tous les athées ?" Mädler s’exprime ainsi : "Un véritable naturaliste ne saurait être un impie. Quiconque a contemplé d’aussi près que nous l’atelier divin, et a eu autant d’occasions d’admirer la sagesse et les plans merveilleux du Créateur, doit courber le genou devant ses oeuvres." Écoutons encore le témoignage de l’illustre Linné : "J’ai vu s’avancer le Dieu unique, infini, seul sage ; je l’ai observé, et j’ai été confondu d’admiration. J’ai reconnu la trace de ses pas à travers la création, et j’ai constaté partout la plénitude de la puissance, de la sagesse et de la perfection."

Nous acceptons avec bonheur le témoignage des savants qui parlent ainsi ; ils expriment le sentiment de ceux qui ont observé la nature avec des yeux d’enfant, sans télescope, ni microscope, ni culture scientifique. Cette impression se fortifie à mesure qu’on creuse plus avant. Il vous devient incompréhensible qu’un homme qui réfléchit puisse résister à la certitude que, derrière toutes ces choses, il y a un Dieu sage, agissant d’après un plan méthodique, et non l’action aveugle du hasard. Je ne noterai ici qu’une seule loi, que chacun peut observer et a sans doute observée sans y attacher d’importance. Le froid contracte l’eau, et il en résulte que celle qui se refroidit à la surface, étant plus lourde, descend au fond, entraînant avec elle l’oxygène nécessaire à la vie des animaux qui vivent dans la profondeur.

Si cette loi n’avait pas d’exception, il en résulterait que la glace descendrait sous l’eau. Chaque nuit froide augmenterait cette masse gelée, et bientôt le lac le plus profond ne serait qu’un seul bloc de glace, qui ne pourrait plus se fondre. Toute vie serait par là anéantie, et un froid intense rayonnerait sur les alentours. Il en est autrement : un froid modère contracte l’eau, un froid intense la dilate. Sitôt que les frimas arrivent, une mince couche de glace, facilement fondue par le soleil, recouvre les pièces d’eau et, sous cet abri temporaire, l’eau conserve une température égale qui préserve d’un froid trop rigoureux les animaux qui l’habitent. N’est-ce pas là une preuve admirable de l’intelligence qui a créé le monde ? Il serait facile de fournir des milliers de preuves semblables. Nous ne nions pas que beaucoup de naturalistes ne repoussent ces arguments ; mais, quand bien même tous s’uniraient à Linné et à Mädler pour louer la sagesse du Créateur, ils ne réussiraient pas à prouver que Dieu est sage et miséricordieux ; ils ne prouveraient pas davantage que Dieu entretient des rapports personnels avec les hommes, qu’il les aime et qu’il les juge, et là est précisément pour nous le point important. Nous en trouvons la preuve dans le coeur même de l’homme et dans son expérience. Mentionnons à cet égard un seul point : le souvenir ineffaçable du péché.


4. Le souvenir du péché.

 "J’ai cherché de mon mieux à étouffer en moi la voix de la conscience et celle du repentir. On ne peut les anéantir ; leurs langues de serpent sifflent toujours de temps à autre. Des héros ou des esprits forts peuvent seuls les maîtriser entièrement, et encore sont-ils parfois vaincus par elles. La conscience et le repentir sont des animaux nuisibles et gênants, qui ne sont pas les moindres parmi les mille tourments qui torturent notre âme." Tel est le langage que tient le spirituel Liliencron dans son Mécène. Sachons-lui gré de sa franchise. Il nous montre que la vie entière de l’homme qui s’est détourné de Dieu, n’est qu’une lutte stérile contre ces bêtes qui se nomment la conscience et le repentir. Nous avons la confession caractéristique d’un homme du monde honnête et d’un naturaliste.

La conscience n’est donc pas une partie de notre être qui dépende de notre volonté. Si la conscience était dans la dépendance de l’homme, celui-ci pourrait lui imposer silence. L’homme peut s’arracher les yeux, altérer sa raison, s’ôter la vie ; il peut étouffer une passion et lui en substituer une autre, mais il n’a aucun empire sur sa conscience. Certaines gens donneraient avec empressement tous leurs biens pour la faire taire. Vains efforts ! Ils réussissent parfois, il est vrai, à la chloroformer.
Des hommes, des peuples même ont cherché avec ardeur le meilleur moyen de l’endormir, afin de pouvoir jouir sans elle des douceurs de la vie. Par le tourbillon des plaisirs, par la pénitence et les plus dures macérations, par un travail absorbant, par la pratique des bonnes oeuvres et du dévouement, vous avez cherché à vous débarrasser de la voix accusatrice. Vous y avez réussi pour un temps, peut-être pour longtemps ; vous croyiez avoir enfin gravi l’âpre cime. Soudain, au moment où vous vous y attendiez le moins, la conscience réveillée s’est dressée devant vous comme un affreux fantôme. Les preuves que vous mettez en avant pour démontrer d’une manière irréfutable que le péché et la culpabilité ne sont que des contes de nourrice, des spectres sans consistance ; que tout homme agit d’après une loi fatale ; qu’il ne peut pas exister un Dieu qui nous juge, sont absolument vaines ; malgré tout, l’effrayante réalité vous saisit.

Vous qui souriez peut-être en lisant ceci, ne triomphez pas trop vite ; l’action de votre chloroforme ne se fera pas toujours sentir, votre conscience se réveillera. À supposer que le fait ne se produise pas même à l’heure de la mort, à supposer qu’à cet instant suprême vous puissiez encore rire du ciel et de l’enfer, ne triomphez pas trop tôt ; Dieu agit avec lenteur ; il trouvera votre péché lorsque son heure sera venue, et l’éternité est pour lui l’heure par excellence.

Habituellement, il ne nous fait pas attendre si longtemps. Celui qui observe attentivement la vie constate à chaque pas que le péché est impérissable, parce qu’un Dieu qui juge exerce son empire sur le pécheur. L’expérience nous démontre ce fait même pour les péchés que le monde estime être sans importance. Vous vous êtes rendu coupable d’un manque de charité, vous avez prononcé un mot dur ou impur ; l’Esprit vous pousse à vous repentir et à réparer, dans la mesure du possible, le mal que vous avez fait, mais vous résistez et refusez d’écouter sa voix. Vous réussissez à vous tranquilliser, vous oubliez la chose, pendant longtemps peut-être. Votre acte est effacé ou paraît l’être. Mais voici, au milieu de la nuit, il vous apparaît, spectre effrayant, et votre âme angoissée s’écrie : "Où fuirai-je loin de ta face ?" L’histoire des fils de Jacob est une preuve de l’immortalité du péché. Vingt-deux ans se sont écoulés depuis qu’ils ont vendu Joseph. C’est long, vingt-deux ans ! Que de choses perdues et acquises pendant ce temps ! que de changements ! que d’émotions traversent les coeurs ! Que d’événements dans l’existence des frères, malgré la monotonie de leur vie nomade ! Des danses, des funérailles, des fêtes de famille, des incursions de tribus voisines, des querelles, des tremblements de terre, des maladies survenues aux enfants, des escarmouches avec les Cananéens, de mauvaises récoltes, des épizooties. Les atomes de leur organisme vital s’étaient renouvelés trois fois. La conscience vivait toujours en eux.

À notre connaissance, elle ne les avait pas troublés jusqu’alors. Dieu lui-même ne l’avait pas réveillée, et voici, maintenant qu’ils comparaissent devant celui qu’ils prennent pour un grand vizir égyptien, maintenant qu’ils souffrent injustement, leur péché se réveille avec une force que le temps n’a pas émoussée. Le sentiment de leur culpabilité les saisit avec des griffes de fer.

Dernièrement, je me trouvais auprès du lit de mort d’un vieillard. C’était un homme honorable, mais son agonie fut terrible. Lorsque, le regardant dans les yeux, je lui demandai la cause de son angoisse, il reconnut avec larmes que soixante ans auparavant (lisez soixante ans), il avait fait le malheur d’une jeune fille. Il s’était facilement tranquillisé ; n’était-ce pas un fait qui se reproduit chaque jour ? Pendant toute sa vie il avait joui de l’amour et de la confiance de ses concitoyens, et maintenant, à l’heure de la mort, il voyait cette infortunée dresser sa face accusatrice près du trône de Dieu. — Il y a des années, je reçus une lettre écrite d’une main tremblante dans un hôpital de l’extrême Orient. Le malade me disait que, bien longtemps auparavant à Brème, il avait accusé un domestique de vol et l’avait renvoyé. L’homme, honnête jusqu’alors, avait quitté la maison avec beaucoup de larmes, en protestant de son innocence. Peu après, on avait reconnu l’injustice qui lui avait été faite ; l’auteur de la lettre n’avait pas, néanmoins, jugé qu’il valut la peine de s’enquérir du domicile du domestique pour réparer son erreur et, au milieu de préoccupations importantes, il avait oublié cette affaire. Maintenant, sans qu’il sût pourquoi, le vieux péché avait repris vie, le tourmentait nuit et jour, et troublait ses derniers instants. Ajoutons que, dans ce cas, l’affaire finit bien. L’ancien domestique vivait encore ; on put le retrouver, il pardonna et, comme il se trouvait dans une position gênée, il reconnut que toute l’affaire avait été dirigée par Dieu. Son ancien maître, en effet, se fit un plaisir de le sortir de peine.

La conscience peut se taire pendant des années, Dieu lui-même peut ne pas nous parler, mais malheur a celui qui croirait la faute effacée ! Nous ne pouvons jamais ôter de notre vie ce que nous y avons mis. Dieu a averti l’homme de ne pas prendre son silence pour une adhésion au péché. "Tu livres ta bouche au mal, et ta langue est un tissu de tromperies. Tu t’assieds, et tu parles contre ton frère, tu diffames le fils de ta mère. Voilà ce que tu as fait, et je me suis tu. Tu t’es imaginé (à cause de mon silence) que je te ressemblais (et que, comme toi, je me tairais) ; mais je vais te reprendre, et tout mettre sous tes yeux." (Ps. 50 : 19-21). David dit aussi : "Si je prends les ailes de l’aurore et que j’aille habiter à l'extrémité de la mer, là aussi ta main me conduira et ta droite me saisira." Ces paroles sont aussi vraies qu’au moment ou elles ont été écrites ; elles sont aussi vraies dans les pampas de l’Amérique que sur les boulevards de Paris. Avant même qu’elles eussent été placées dans les Psaumes, elles étaient déjà gravées en lettres de feu dans les consciences humaines. Eve, la première pécheresse, et Caïn, le premier meurtrier, en rendent témoignage.

Le péché est impérissable, parce que le Dieu juste et saint est éternel "Ne vous y trompez pas, on ne se moque pas de Dieu. Ce que l’homme aura sème, il le moissonnera aussi." Dieu n’oublie pas comme nous.

Le monde est soumis à une direction, bien qu’elle soit souvent voilée, et cette direction suppose nécessairement un Dieu éternel, saint et juste. Oh ! vous qui avez jusqu’ici accumulé péché sur péché, et qui avez ri du jugement divin, rentrez en vous-même ; votre péché est immortel, il se réveillera et fondra sur vous comme un lion. Pendant qu’il en est temps encore, recherchez le seul refuge qui puisse vous sauver des mains du Dieu vivant ; c’est Christ, la source du pardon et de la régénération. C’est toi, Sauveur meurtri et sanglant, que Dieu lui-même a donné à tous les coeurs repentants et sincères !

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