Les années d’abondance, de joie, de
chants et de festins sont passées pour
l'Égypte. La sécheresse est
générale, la chaleur, la
poussière, plus intolérables que
jamais. Pourtant, aucune disette n’est
à craindre. Le peuple entier bénit ce
grand vizir étranger que les dieux ont
placé aux côtés de leur roi
à l’heure du besoin. Joseph
était devenu l’un des hommes les plus
honorés et les plus influents du monde
entier, et la considération dont il
jouissait augmentait avec la détresse
publique ; il était pour tous un
véritable sauveur. Les hommes les plus en
vue dans le pays lui rendaient hommage. Il y avait
la une grande tentation pour lui. David, Salomon,
Ézéchias nous prouvent à quel
point elle était redoutable. Rien n’est
plus difficile à supporter qu’une
série de jours heureux. Mes lecteurs seront
sans doute d’accord sur ce fait. Joseph,
cependant, conserva toute son humilité. Le
bonheur, d’ailleurs, n’était pas
plus complet pour lui qu’il ne l’est pour
le reste des hommes. Bien fou, qui poursuit sans
cesse une pareille chimère ! Comment un
monde imparfait pourrait-il donner une joie
parfaite ? Et, à supposer qu’il le
pût, comment nous, si imparfaits,
pourrions-nous être parfaitement
heureux ?
En ce qui concerne Joseph, la chose se comprend
sans peine. Je ne ferai pas valoir la somme de
travail à laquelle il était
assujetti, les responsabilités qui pesaient
sur lui. Là était sa plus grande
joie, car, pour une âme noble, quelle plus
pure satisfaction pourrait-il exister que la
certitude de procurer du bonheur à
d’autres ? Il y avait en revanche pour
lui une réelle difficulté à
rester fidèle à sa foi, sans froisser
inutilement les convictions des Égyptiens et
c’était un devoir compliqué de
participer au culte professé dans sa patrie
d’adoption, sans renier le Dieu de ses
pères ! Puis, songeons au mal du pays
qu’il devait ressentir. Que de questions
angoissantes au sujet de son père ?
Vit-il encore ? Comment se porte-t-il ?
Où en sont les dispositions de ses
frères ? Ont-ils reconnu leurs
péchés ? quand Jéhovah
consentira-t-il à lui livrer le secret de
ses dispensatrices ? Viendra-t-il un jour, et
quand, comment viendra-t-il ? ou lui, rameau
séparé de la maison
d’Israël, se rattachera de nouveau
à la famille dépositaire des
promesses ? Toutes ces questions se sont
évidemment résolues pour lui en
prières, mais non sans lui faire verser bien
des larmes. Le vieux père intercéda
sans doute chaudement, lui aussi, pour les
âmes de ses fils, et il ne le fit pas en
vain. Lorsque la famine s’abattit sur Canaan,
le patriarche ne vit là qu’un nouveau
malheur.
Quant à Joseph, il dut pressentir que cette
épreuve servirait à l’exaucement
de ses prières ; aussi, en homme
intelligent, non seulement il se confia en Dieu,
mais il prit toutes les mesures nécessaires
pour revoir ses frères. Il ordonna pour cela
que tous les étrangers qui venaient acheter
du blé en Égypte fussent conduits en
sa présence.
La Bible nous explique comment Jacob lui-même
poussa ses fils à ce voyage. Lorsque la
famine augmentant, chacun alla
s’approvisionner en Égypte, il
dit : "Pourquoi vous regardez-vous les uns les
autres ? J’apprends qu’il y a du
blé en Égypte ; descendez-y pour
nous en acheter là, afin que nous vivions et
que nous ne mourions pas." La jeunesse, si
entreprenante d’ordinaire, n’a donc pas
imaginé ce moyen si simple de sortir
d’embarras ! Déconcertés,
les frères se regardent les uns les autres,
se demandant ce qu’ils ont à faire.
L'Égypte, ne l’oublions pas, leur
inspirait une vague crainte depuis qu’ils
avaient vendu leur frère. Leur conscience
commence à parler, mais ils ne peuvent le
dire à leur père, et ils lui
obéissent. Bientôt ils arrivent avec
leurs ânes dans la vallée du Nil, et
foulent la route de Memphis. Ils déclarent
leur intention d’acheter du blé, et
sont conduits à Joseph.
Il est tout naturel qu’ils ne l’aient pas
reconnu. D’adolescent qu’il était
au départ, il est devenu homme ;
rasé, vêtu d’habits princiers, il
avait adopté les modes égyptiennes,
et s’exprimait dans la langue du pays. Il est
tout aussi naturel que Joseph les ait reconnus.
C’étaient bien là les
mêmes hommes qui l’avaient vendu. Ils
portaient le même costume, parlaient le
même langage. Quelle émotion dut
saisir le coeur de Joseph en revoyant ces visages
et en entendant le dialecte de la patrie ! Que
de questions brûlent ses lèvres !
mais une seule suffirait à le trahir. Il ne
songea pas à provoquer aussitôt une
scène touchante ; il imposa silence
à ses sentiments et a ses désirs.
Tais-toi, mon coeur, tais-toi ! En homme qui
connaît le Dieu saint, il sait qu’il ne
peut être utile à ses frères
qu’en les poussant à adorer ce Dieu et
à se laisser écraser par sa
sainteté. En qualité de
représentant de Jéhovah, il se sent
appelé non seulement à
s'enquérir du changement qui a pu survenir
dans la disposition de ses frères, mais
à provoquer ce changement dans la mesure de
ses forces. La compassion est une chose grande et
admirable, mais son action peut être funeste
à l’âme et à la conscience
lorsqu’elle s’exerce hors du temps
favorable. Dieu n’est pas assez faible pour
manifester sa grâce au coeur qui ne
s’est pas humilié. Il n’est pas
semblable à maint père
insensé, qui croit que l’humiliation
accompagne nécessairement la souffrance.
Dieu sait que ces deux choses ne vont pas toujours
ensemble, et que l’homme orgueilleux a une
peine infinie à se condamner lui-même.
"Il sera comme le feu du fondeur, comme la
potasse des foulons. Il s’assiéra,
fondra et purifiera l’argent ; il
purifiera les fils de Lévi, il les
épurera comme on épure l’or et
l’argent", ainsi parle le prophète
Malachie
(3.
2-3). Tous les enfants de Dieu
savent ce que cela signifie, depuis Noé au
milieu des flots, jusqu'à Pierre qui
entendit retentir jusqu’au fond de son coeur
la voix impitoyable de son Maître qui lui dit
trois fois : "M’aimes-tu ?" Joseph,
esclave et prisonnier, en a su, lui aussi, quelque
chose ; c’est pourquoi il sent que
c’est désormais à lui de s’asseoir au nom de Dieu pour fondre
et
purifier.
Pendant que ses frères se prosternent devant
lui avec respect, Joseph se souvient de ses songes,
et le plan admirable de Dieu se dévoile
à ses yeux : mais il feint la
dureté, il traite ces hommes en "espions
venus pour épier les lieux faibles du pays"
et ses moyens de défense. Ce reproche
était habile, car de tous temps les
Égyptiens avaient eu à souffrir des
incursions des tribus asiatiques. Ses frères
repoussent l’accusation avec modération
et fermeté. Ils exposent, pour se justifier,
leurs circonstances de famille. Ainsi Joseph
apprend ce qui a dû faire bondir de joie son
coeur : "Le plus jeune est aujourd’hui
avec notre père." Jacob vit donc encore,
ainsi que Benjamin, son seul véritable
frère ! Quelle émotion il dut
ressentir quand ils lui dirent : "Il y en a un
qui n’est plus." Et c’est de lui, qui se
tient là devant eux qu’ils parlent
ainsi ! Qui ne penserait, en lisant ceci,
à l’histoire des pèlerins
d’Emmaüs qui racontaient tristement au
Sauveur, marchant à leurs
côtés, comment on avait
crucifié celui qu’ils tenaient pour le
Libérateur d’Israël, et qui
ajoutaient que l’annonce de sa
résurrection n’était qu’un
propos de, femmes insensées ?
Jésus a beau leur montrer que la faiblesse
de leur foi a seule pu faire naître ce doute
dans leur coeur, néanmoins ils ne croient
pas encore.
Ainsi, les patriarches ne soupçonnent en
aucune manière quel est celui qui leur
parle, et Joseph ne se presse pas de les
éclairer. Froid et dur en apparence, il
maintient son accusation, il exige que l’un
d’entre eux aille chercher leur frère,
et que les autres restent en
captivité ; sans cela il ne les croira
pas. "Par la vie de Pharaon", dit-il pour
paraître un parfait Égyptien, "vous
êtes des espions." C’est le son dernier
mot. Malgré leurs larmes et leurs
protestations, ils vont en prison ; là,
ils auront le temps de réfléchir.
Au bout de trois jours de captivité, trois
jours éternels, ils sont ramenés
devant le tout-puissant ministre. Son visage
s’adoucit en le voyant si triste. Ses paroles
sont moins sévères : —
"Faites ceci et vous vivrez. Je crains Dieu." Ses
ordres rigoureux sont changés. Au lieu de
neuf prisonniers, un seul sera
incarcéré, et les neuf autres
pourront retourner en Canaan. Cet acte de
clémence leur prouvera qu’il craint
Dieu, et à coeur leur bien et celui de
leur famille.
C’est une chose délicieuse
lorsqu’un homme, dur en apparence, se
révèle soudain comme un croyant.
N’ayons nul effroi de celui qui craint
Dieu ; il ne fera jamais de son pouvoir un
mauvais usage. Mais si l’on n’a pas
soi-même la crainte de Dieu, si l’on a
agi contre sa volonté, et si l’on a la
conviction désolante d’avoir
attiré sur sa tête la colère
divine, alors ce n’est pas une consolation
d’avoir affaire à un croyant. Tel est
le cas des frères de Joseph, et de là
leur cri de douleur : Nous avons
été coupables envers notre
frère ; car nous avons vu
l’angoisse de son âme quand il nous
demandait grâce, et nous ne l’avons
point écouté. C’est pour cela
que cette affliction nous arrive.
Quelle musique céleste pour Joseph, pour
Dieu lui-même, et pour les anges qui ont de
la joie quand un pécheur vient à se
repentir ! C’est le souffle printanier
qui témoigne que les glaces vont fondre. Ces
hommes grossiers et ignorants sont
supérieurs aux membres de notre
génération raffinée, car ils
croient en Dieu, ils croient qu’il juge et
dirige chaque individu. Ils n’en ont
même jamais douté ; mais,
enlacés dans les filets du diable, ils
n’ont fait aucun usage de leur conviction.
Maintenant, tout est changé. Ces trois jours
de captivité ont été la plus
dure, mais la plus salutaire leçon de leur
vie. La souffrance amère a brisé leur
orgueil et, après leur longue période
d’endurcissement, ils ont écouté
la voix divine. Oh ! quel beau jour que celui
qui amène un pareil résultat !
Oh ! quelle heure bénie, même si
elle devait être acquise sur un lit de
douleur, dans une prison, ou, comme ce fut le cas
du brigand, sur une croix sanglante. Heure
bénie entre toutes, car le coeur y retrouve
sa céleste origine.
En envisageant les choses par leur cote
extérieure, on pourrait dire que les
frères de Joseph souffrent sans être
coupables. Ils ne sont pas des espions. Ils peuvent
reparaître devant Jacob, et lui raconter avec
une excellente conscience qu’ils ont
été les victimes d’une criante
injustice et que le tout-puissant Égyptien
a, par un acte de violence inqualifiable, retenu
Siméon captif ; ils ont le droit de
demander à leur père de leur confier
Benjamin pour obtenir la libération du
prisonnier et une nouvelle provision de blé.
Ceci est vrai extérieurement, mais faux en
ce qui concerne le fond de la question. "Vous avez
fait souffrir votre frère innocent ;
vous, innocents, souffrirez à votre
tour" ; voilà l’arrêt
prononce par le Dieu juste. "Vous avez, le voulant
et le sachant, abreuvé votre père de
douleur, et vous devez maintenant, contre votre
gré, le faire souffrir encore. Vous avez
été impitoyables, on sera impitoyable
pour vous." C’est le juste retour des choses
d’ici-bas. Ils souffrent cruellement de causer
cette nouvelle épreuve à leur
père, mais leur douleur est un indice de la
vie nouvelle qui commence en eux. Les cloches du
ciel tintent au loin d'allégresse. "Joseph
s’éloigna d’eux pour pleurer." Il
se détourne extérieurement quand son
coeur se tourne vers eux, et ses larmes sont des
cantiques de reconnaissance. Néanmoins, il
n’en laisse rien voir, il estime qu’il
est de son devoir de poursuivre son oeuvre de
relèvement. Sous leurs yeux, il fait lier
Siméon. Pourquoi pas Ruben,
l’aîné ? Parce qu’il savait
que Ruben ne l’avait pas vendu, et il retint
de préférence Siméon, le plus
âge des coupables. Ceci devait les faire
réfléchir et leur montrer en Joseph
l’exécuteur de la justice divine.
Du reste, Joseph prit soin qu’ils
reçussent non seulement le blé
qu’ils avaient acheté, mais "des
provisions pour la route", de telle sorte que,
pendant le voyage, ils n’eussent pas besoin
d’entamer leur emplette et qu’ils
n’ouvrissent pas leurs sacs, dans lesquels
leur argent avait été remis.
L’un d’eux pourtant découvrit
avant leur arrivée la restitution qui lui
avait été faite. Lorsque, au logis,
tous constatèrent la même chose, un
grand effroi s’empara d’eux.
"Qu’est-ce que Dieu nous a fait ?" se
disent-ils les uns aux autres en tremblant. Ils
craignent qu’à leur retour en
Égypte le fait ne leur soit reproché,
et qu’on ne les traite de voleurs. Quiconque a
vendu son frère se sent environné de
fantômes accusateurs. Mais ce n’est pas
tout ; ils voient dans l’affaire une
action directe de Dieu, ils n’admettent pas
qu’elle soit le résultat d’un
ordre du gouverneur égyptien. Leur
conscience une fois réveillée, ils
aperçoivent partout la main vengeresse du
Dieu saint. Les amener là était
précisément le but de Joseph en
ordonnant ces singulières
dispositions ; il voulait qu’ils se
sentissent enlacés par une puissance
invisible.
Le retour des frères, réduits
à neuf, a été, malgré
leurs abondantes provisions, une voie douloureuse.
La conscience, une fois réveillée, ne
nous laisse plus de repos. Les patriarches savaient
quelle douleur assaillirait Jacob à la
nouvelle que Siméon était captif et
qu’il devrait leur abandonner Benjamin. La
scène qui se passa à Hébron
fut poignante. Après le récit sobre
et loyal de ses fils, le vieillard donna essor
à sa douleur : "Vous me privez de mes
enfants. Joseph n’est plus, Siméon
n’est plus, et vous prendriez Benjamin !
C’est sur moi que tout cela retombe." Ces
paroles se passent de commentaire. Quiconque a un
coeur, en est touché. Les fils en sont
navrés. Ils sont innocents, en effet, de la
captivité de Siméon, mais les paroles
concernant Joseph pénètrent dans leur
conscience saignante comme des flèches
empoisonnées. Oui, Dieu "s’est assis
pour fondre et purifier" les enfants
d’Israël, et il est facile de comprendre
la nécessité de ce feu toujours
renouvelé. Il peut paraître dur que
Jacob souffre avec ses enfants, mais c’est
là un effet de la loi de la
solidarité qui veut que les pères
pâtissent des péchés de leurs
fils, et que les fils à leur tour subissent
la conséquence des erreurs paternelles. Ce
fait est dur et nous arrache souvent des larmes.
Ces larmes ne sont pas un mal, pourvu que le
dépit, le découragement et le murmure
en soient bannis, car nous ne devons pas oublier
que le Dieu de toute consolation les voit
couler.
Sois tranquille, pauvre Jacob ;
déjà luit à l’horizon
l’aurore d’un jour de bonheur. Tes yeux
voilés de larmes ne
l’aperçoivent pas encore, elle
n’en existe pas moins. Là-bas, au bord
du Nil, à Memphis, un grand seigneur
à genoux prie Dieu de ne pas permettre que
la souffrance soit trop forte pour toi, et cet
homme sera exaucé.
Avant de contempler le lever du soleil, nous devons
nous arrêter quelque temps encore au fait que
Dieu s’est tu pendant vingt ans sur le
péché des frères de Joseph,
sans l’avoir oublié. Pendant tout ce
temps, les patriarches avaient perdu de vue leur
faute ; ils durent néanmoins comprendre
qu’elle avait encore toute son importance et
qu’elle pouvait se dresser devant eux plus
redoutable qu’au premier jour. Ceci nous
prouve qu’il y a un Dieu dans le ciel.
Quelle preuve certaine puis-je avoir de
l’existence d’un Dieu vivant ?
C’est une question qu’on entend
fréquemment poser à notre
époque. On met actuellement en question une
foule de choses qui ne faisaient pas jadis
l’objet d’un doute, et on se croit
très sage lorsqu’on fait suivre toutes
les affirmations de points d’interrogation ou
de suspension. Cet état d’esprit
dénote dans notre génération
plutôt la faiblesse et la décadence
que la vigueur et le progrès. Les enfants et
les fous posent plus de questions que les sages ne
sont capables d’en résoudre. Il est
difficile de dire comment on peut être
certain de l’existence d’un Dieu vivant.
Nous déclarons franchement qu’il
n’en existe pas de preuves
irréfutables. Il n’existe
également aucun moyen de, prouver à
Mlle X. un esprit fort, qui croit être un
enfant suppose, que sa mère est bien sa
mère. Tous les arguments tirés des
registres publics, le témoignage des
personnes qui étaient là au moment de
sa naissance, la ressemblance frappante entre elle
et sa mère, l’amour que celle-ci lui a
témoigné pendant tant
d’années, ne réussissent pas
à dissiper ses doutes. Tous ces indices
seront insuffisants jusqu’au moment ou Mlle
X., au lieu d’écouter la voix de la
froide raison, laissera parler son coeur ; si
celui-ci reste muet, il n’y a rien à
faire pour elle.
La même chose est vraie des rapports de
l’âme avec Dieu. Tant qu’un homme
demande de l’existence de Dieu des preuves
mathématiquement certaines, il ne trouve
jamais de satisfaction. Un homme peut douter de
l’instinct de son coeur, mais alors aucune
preuve n’aura de l’action sur lui. La
cigogne, l’hirondelle et la grue connaissent
les saisons ; le boeuf et l’âne
connaissent la crèche de leur
maître ; toutes les créatures
ignorantes sont conduites sûrement par leur
instinct. L’homme, grâce à Dieu,
n’est pas plus mal partagé
qu’elle, lui aussi peut s’abandonner en
sécurité à l’attrait
intérieur de son coeur qui le pousse vers
son Créateur. S’il écoute cette
voix sainte, il se voit subitement environné
de preuves de l’existence de Dieu, et retrouve
partout sa main.
Il y eut un temps où l’on demandait
à la nature les principales preuves de la
puissance du Créateur, puis la
théologie repoussa entièrement cette
argumentation. Je crois, pour ma part, que pour les
coeurs simples l’influence de la nature sera
toujours salutaire au point de vue religieux.
Diderot, l’esprit fort, n’a-t-il pas
dit : "L’aile d’un papillon et
l’oeil d’un moucheron suffisent pour
réduire au silence tous les
athées ?" Mädler s’exprime
ainsi : "Un véritable naturaliste ne
saurait être un impie. Quiconque a
contemplé d’aussi près que nous
l’atelier divin, et a eu autant
d’occasions d’admirer la sagesse et les
plans merveilleux du Créateur, doit courber
le genou devant ses oeuvres." Écoutons
encore le témoignage de l’illustre
Linné : "J’ai vu s’avancer le
Dieu unique, infini, seul sage ; je l’ai
observé, et j’ai été
confondu d’admiration. J’ai reconnu la
trace de ses pas à travers la
création, et j’ai constaté
partout la plénitude de la puissance, de la
sagesse et de la perfection."
Nous acceptons avec bonheur le témoignage
des savants qui parlent ainsi ; ils expriment
le sentiment de ceux qui ont observé la
nature avec des yeux d’enfant, sans
télescope, ni microscope, ni culture
scientifique. Cette impression se fortifie à
mesure qu’on creuse plus avant. Il vous
devient incompréhensible qu’un homme
qui réfléchit puisse résister
à la certitude que, derrière toutes
ces choses, il y a un Dieu sage, agissant
d’après un plan méthodique, et
non l’action aveugle du hasard. Je ne noterai
ici qu’une seule loi, que chacun peut observer
et a sans doute observée sans y attacher
d’importance. Le froid contracte l’eau,
et il en résulte que celle qui se refroidit
à la surface, étant plus lourde,
descend au fond, entraînant avec elle
l’oxygène nécessaire à la
vie des animaux qui vivent dans la profondeur.
Si cette loi n’avait pas d’exception, il
en résulterait que la glace descendrait sous
l’eau. Chaque nuit froide augmenterait cette
masse gelée, et bientôt le lac le plus
profond ne serait qu’un seul bloc de glace,
qui ne pourrait plus se fondre. Toute vie serait
par là anéantie, et un froid intense
rayonnerait sur les alentours. Il en est
autrement : un froid modère contracte
l’eau, un froid intense la dilate. Sitôt
que les frimas arrivent, une mince couche de glace,
facilement fondue par le soleil, recouvre les
pièces d’eau et, sous cet abri
temporaire, l’eau conserve une
température égale qui préserve
d’un froid trop rigoureux les animaux qui
l’habitent. N’est-ce pas là une
preuve admirable de l’intelligence qui a
créé le monde ? Il serait facile
de fournir des milliers de preuves semblables. Nous
ne nions pas que beaucoup de naturalistes ne
repoussent ces arguments ; mais, quand bien
même tous s’uniraient à
Linné et à Mädler pour louer la
sagesse du Créateur, ils ne
réussiraient pas à prouver que Dieu
est sage et miséricordieux ; ils ne
prouveraient pas davantage que Dieu entretient des
rapports personnels avec les hommes, qu’il les
aime et qu’il les juge, et là est
précisément pour nous le point
important. Nous en trouvons la preuve dans le coeur
même de l’homme et dans son
expérience. Mentionnons à cet
égard un seul point : le souvenir
ineffaçable du péché.
"J’ai cherché de mon mieux à
étouffer en moi la voix de la conscience et
celle du repentir. On ne peut les
anéantir ; leurs langues de serpent
sifflent toujours de temps à autre. Des
héros ou des esprits forts peuvent seuls les
maîtriser entièrement, et encore
sont-ils parfois vaincus par elles. La conscience
et le repentir sont des animaux nuisibles et
gênants, qui ne sont pas les moindres parmi
les mille tourments qui torturent notre âme."
Tel est le langage que tient le spirituel
Liliencron dans son Mécène. Sachons-lui gré de sa franchise.
Il nous
montre que la vie entière de l’homme
qui s’est détourné de Dieu,
n’est qu’une lutte stérile contre
ces bêtes qui se nomment la conscience et le repentir. Nous
avons la
confession
caractéristique d’un homme du monde
honnête et d’un naturaliste.
La conscience n’est donc pas une partie de
notre être qui dépende de notre
volonté. Si la conscience était dans
la dépendance de l’homme, celui-ci
pourrait lui imposer silence. L’homme peut
s’arracher les yeux, altérer sa raison,
s’ôter la vie ; il peut
étouffer une passion et lui en substituer
une autre, mais il n’a aucun empire sur sa
conscience. Certaines gens donneraient avec
empressement tous leurs biens pour la faire taire.
Vains efforts ! Ils réussissent
parfois, il est vrai, à la chloroformer.
Des hommes, des peuples même ont
cherché avec ardeur le meilleur moyen de
l’endormir, afin de pouvoir jouir sans elle
des douceurs de la vie. Par le tourbillon des
plaisirs, par la pénitence et les plus dures
macérations, par un travail absorbant, par
la pratique des bonnes oeuvres et du
dévouement, vous avez cherché
à vous débarrasser de la voix
accusatrice. Vous y avez réussi pour un
temps, peut-être pour longtemps ; vous
croyiez avoir enfin gravi l’âpre cime.
Soudain, au moment où vous vous y attendiez
le moins, la conscience réveillée
s’est dressée devant vous comme un
affreux fantôme. Les preuves que vous mettez
en avant pour démontrer d’une
manière irréfutable que le
péché et la culpabilité ne
sont que des contes de nourrice, des spectres sans
consistance ; que tout homme agit
d’après une loi fatale ;
qu’il ne peut pas exister un Dieu qui nous
juge, sont absolument vaines ; malgré
tout, l’effrayante réalité vous
saisit.
Vous qui souriez peut-être en lisant ceci, ne
triomphez pas trop vite ; l’action de
votre chloroforme ne se fera pas toujours sentir,
votre conscience se réveillera. À
supposer que le fait ne se produise pas même
à l’heure de la mort, à supposer
qu’à cet instant suprême vous
puissiez encore rire du ciel et de l’enfer, ne
triomphez pas trop tôt ; Dieu agit avec
lenteur ; il trouvera votre
péché lorsque son heure sera venue,
et l’éternité est pour lui
l’heure par excellence.
Habituellement, il ne nous fait pas attendre si
longtemps. Celui qui observe attentivement la vie
constate à chaque pas que le
péché est impérissable, parce
qu’un Dieu qui juge exerce son empire sur le
pécheur. L’expérience nous
démontre ce fait même pour les
péchés que le monde estime être
sans importance. Vous vous êtes rendu
coupable d’un manque de charité, vous
avez prononcé un mot dur ou impur ;
l’Esprit vous pousse à vous repentir et
à réparer, dans la mesure du
possible, le mal que vous avez fait, mais vous
résistez et refusez d’écouter sa
voix. Vous réussissez à vous
tranquilliser, vous oubliez la chose, pendant
longtemps peut-être. Votre acte est
effacé ou paraît l’être.
Mais voici, au milieu de la nuit, il vous
apparaît, spectre effrayant, et votre
âme angoissée
s’écrie : "Où fuirai-je
loin de ta face ?" L’histoire des fils de
Jacob est une preuve de l’immortalité
du péché. Vingt-deux ans se sont
écoulés depuis qu’ils ont vendu
Joseph. C’est long, vingt-deux ans ! Que
de choses perdues et acquises pendant ce
temps ! que de changements ! que
d’émotions traversent les coeurs !
Que d’événements dans
l’existence des frères, malgré
la monotonie de leur vie nomade ! Des danses,
des funérailles, des fêtes de famille,
des incursions de tribus voisines, des querelles,
des tremblements de terre, des maladies survenues
aux enfants, des escarmouches avec les
Cananéens, de mauvaises récoltes, des
épizooties. Les atomes de leur organisme
vital s’étaient renouvelés trois
fois. La conscience vivait toujours en eux.
À notre connaissance, elle ne les avait pas
troublés jusqu’alors. Dieu
lui-même ne l’avait pas
réveillée, et voici, maintenant
qu’ils comparaissent devant celui qu’ils
prennent pour un grand vizir égyptien,
maintenant qu’ils souffrent injustement, leur
péché se réveille avec une
force que le temps n’a pas
émoussée. Le sentiment de leur
culpabilité les saisit avec des griffes de
fer.
Dernièrement, je me trouvais auprès
du lit de mort d’un vieillard.
C’était un homme honorable, mais son
agonie fut terrible. Lorsque, le regardant dans les
yeux, je lui demandai la cause de son angoisse, il
reconnut avec larmes que soixante ans auparavant
(lisez soixante ans), il avait fait le malheur
d’une jeune fille. Il s’était
facilement tranquillisé ;
n’était-ce pas un fait qui se reproduit
chaque jour ? Pendant toute sa vie il avait
joui de l’amour et de la confiance de ses
concitoyens, et maintenant, à l’heure
de la mort, il voyait cette infortunée
dresser sa face accusatrice près du
trône de Dieu. — Il y a des
années, je reçus une lettre
écrite d’une main tremblante dans un
hôpital de l’extrême Orient. Le
malade me disait que, bien longtemps auparavant
à Brème, il avait accusé un
domestique de vol et l’avait renvoyé.
L’homme, honnête jusqu’alors, avait
quitté la maison avec beaucoup de larmes, en
protestant de son innocence. Peu après, on
avait reconnu l’injustice qui lui avait
été faite ; l’auteur de la
lettre n’avait pas, néanmoins,
jugé qu’il valut la peine de
s’enquérir du domicile du domestique
pour réparer son erreur et, au milieu de
préoccupations importantes, il avait
oublié cette affaire. Maintenant, sans
qu’il sût pourquoi, le vieux
péché avait repris vie, le
tourmentait nuit et jour, et troublait ses derniers
instants. Ajoutons que, dans ce cas, l’affaire
finit bien. L’ancien domestique vivait
encore ; on put le retrouver, il pardonna et,
comme il se trouvait dans une position
gênée, il reconnut que toute
l’affaire avait été
dirigée par Dieu. Son ancien maître,
en effet, se fit un plaisir de le sortir de
peine.
La conscience peut se taire pendant des
années, Dieu lui-même peut ne pas nous
parler, mais malheur a celui qui croirait la faute
effacée ! Nous ne pouvons jamais
ôter de notre vie ce que nous y avons mis.
Dieu a averti l’homme de ne pas prendre son
silence pour une adhésion au
péché. "Tu livres ta bouche au mal,
et ta langue est un tissu de tromperies. Tu
t’assieds, et tu parles contre ton
frère, tu diffames le fils de ta
mère. Voilà ce que tu as fait, et je
me suis tu. Tu t’es imaginé (à
cause de mon silence) que je te ressemblais (et
que, comme toi, je me tairais) ; mais je vais
te reprendre, et tout mettre sous tes yeux."
(Ps.
50 : 19-21). David dit
aussi : "Si je prends les ailes de
l’aurore et que j’aille habiter à
l'extrémité de la mer, là
aussi ta main me conduira et ta droite me saisira."
Ces paroles sont aussi vraies qu’au moment ou
elles ont été écrites ;
elles sont aussi vraies dans les pampas de
l’Amérique que sur les boulevards de
Paris. Avant même qu’elles eussent
été placées dans les Psaumes,
elles étaient déjà
gravées en lettres de feu dans les
consciences humaines. Eve, la première
pécheresse, et Caïn, le premier
meurtrier, en rendent témoignage.
Le péché est impérissable,
parce que le Dieu juste et saint est éternel
"Ne vous y trompez pas, on ne se moque pas de Dieu.
Ce que l’homme aura sème, il le
moissonnera aussi." Dieu n’oublie pas comme
nous.
Le monde est soumis à une direction, bien
qu’elle soit souvent voilée, et cette
direction suppose nécessairement un Dieu
éternel, saint et juste. Oh ! vous qui
avez jusqu’ici accumulé
péché sur péché, et qui
avez ri du jugement divin, rentrez en
vous-même ; votre péché
est immortel, il se réveillera et fondra sur
vous comme un lion. Pendant qu’il en est temps
encore, recherchez le seul refuge qui puisse vous
sauver des mains du Dieu vivant ; c’est
Christ, la source du pardon et de la
régénération. C’est toi,
Sauveur meurtri et sanglant, que Dieu
lui-même a donné à tous les
coeurs repentants et sincères !
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