Un philanthrope remit un jour à son
pasteur vingt-cinq francs en le priant de donner
cette somme à la veuve la plus
nécessiteuse de la paroisse. Le pasteur se
rend de suite chez celle de ses paroissiennes
qu’il estime avoir les meilleurs droits
à l’aumône, mais il trouve la
porte fermée. Il a beau frapper, personne
n’ouvre. Voyant dans ce fait un avertissement
d’en haut, il va porter l’argent à
une autre veuve également dans le besoin.
Quelques semaines après, il rencontre la
première femme qui lui parle avec larmes de
la détresse dans laquelle elle se trouve. Il
lui raconte ce qui s’est passé au sujet
des vingt-cinq francs. Alors les sanglots
redoublent.
"Comment" s’écrie-t-elle, "comment,
monsieur le pasteur, c’était vous qui
frappiez ce certain jour !... Je croyais que
c’était mon propriétaire qui
venait réclamer le loyer, et comme je
n’avais pas d’argent, j’ai fait
semblant d’être absente. Malheureuse que
je suis, j’ai perdu ce bonheur par ma propre
faute !"
Je vois dans cette histoire une allégorie.
Ne faisons nous pas souvent comme cette femme en
prétendant n’être pas à la
maison quand Christ frappé à la
porte ? Nous ne voulons pas l’entendre
parce que nous croyons qu’il vient nous
prendre quelque chose quand en
réalité il apporte une
bénédiction. Il donne toujours,
même s’il a l’air de demander. Dieu
montre son amour en prenant tout autant qu’en
donnant. Nous nous défendons contre lui
comme s’il venait nous dérober notre
bonheur et en faisant les sourds nous nous privons
nous-mêmes des biens qu’il nous
destinait.
Joseph sait bénir la main qui le
dépouille. Il croit, malgré les
apparences, que Dieu gouverne avec amour et
sagesse. Il croit cela tout en voyant
l’édifice de son bonheur
s’écrouler pierre après pierre.
Famille, patrie, liberté, honneur, il perd
tout. Tous ceux de ses semblables avec lesquels il
a des rapports : ses frères, les
Ismaélites, la femme de son maître,
son maître lui-même et enfin
l’ingrat échanson semblent
ligués contre lui. Plus il avance, plus
l’abîme devient profond.
Puis, tout à coup l’heure de Dieu
sonne, lui montrant que ce labyrinthe de tristesses
était la route la plus directe pour le
conduire au bonheur.
Le chemin sur lequel Dieu conduit ses enfants
Leur parait un détour, sans doute.
Plus tard ils connaîtront, dans le ciel triomphants,
Que c’était la plus droite route.
Cette vérité est mise en pleine
lumière dans l’histoire de Joseph.
Entrons rapidement dans quelques détails et
commençons par les songes du roi. Ils sont
tout à fait dans l’esprit
égyptien. Le Nil (Osiris) est la
source de la fertilité ; la vache (Isis) le résultat de
la
fertilité ; les épis les signes
visibles de la fertilité. Le fait que les
six épis sortent d’une même tige
est un signe d’abondance.
Le roi est persuadé que la divinité
lui parle par ses songes et il en est
effrayé. Une pensée
l’obsède : en avoir
l’interprétation. Mais les sages
restent muets. Baumgarten fait remarquer que.
c’est le sort de la sagesse de ce monde de
devoir se taire quand il faudrait parler. Il se
peut aussi, soit que Dieu les ait frappes
d’aveuglement pour laisser la place à
son serviteur, soit qu’ils aient deviné
le sens des songes, mais n’aient pas
osé le révéler à un
despote habitué aux flatteries.
Rappelons-nous que la menace d’une disette de
sept ans devait causer plus de terreur que la
promesse de sept ans d’abondance ne contenait
de joie.
L’échanson prend la parole ; il
est ému, sa déclaration, humiliante
pour lui, devait faire une grande impression sur le
monarque. Pharaon s’empresse de suivre le
conseil de l’officier ; un messager est
envoyé de suite à la prison.
Oh ! combien j’aurais voulu être
là, voir la figure rayonnante de Joseph,
quand on vint lui ordonner de se rendre
immédiatement à la cour.
Bien que son coeur batte fort, Joseph ne perd pas
la tête. Il change de vêtements, il se
rase. En Égypte on portait les cheveux
courts et les gens du peuple seuls laissaient
pousser leur barbe. Pour se présenter devant
le roi, des habits blancs et une tête
rasée étaient de rigueur. Joseph, au
sortir de la prison, aurait volontiers
respiré à pleins poumons l’air
pur dont il avait été privé si
longtemps. Mais un despote oriental n’attend
pas. Le prisonnier doit se rendre de suite dans la
salle du trône. Chacun s’incline devant
l’homme qui, peu d’instants auparavant,
était inconnu.
La révolution qui s’opère dans
les esprits est plus soudaine que le changement de
temps un jour d’avril. Un mot du prince, un
regard suffit pour faire mépriser un homme
adulé, et honorer, voire même adorer,
un homme méprisé. Il en était
autrefois ainsi ; il en est de même
maintenant.
Bientôt Joseph est en présence du
souverain. Il se prosterne. Pharaon est le
représentant du dieu Soleil, chacun doit lui
rendre les honneurs divins, tomber sur son visage
et toucher le sol d’abord avec le nez, puis
avec le front. Joseph reçoit ensuite
l’ordre de se relever. Pharaon lui parle sur
le ton d’un despote : "J’ai appris
que tu expliques un songe après l’avoir
entendu." Joseph répond humblement :
"Ce n’est pas moi, c’est Dieu qui donnera
une réponse favorable à Pharaon." Le
roi raconte ses songes en entremêlant le
récit de ses propres réflexions.
"Personne ne m’a donné
l’explication" conclut-il, en regardant Joseph
avec espérance. Joseph apprend au roi que
les deux songes ont un seul et même sens et
il les explique d’une manière claire
bien différente de celle des oracles. Il
donne au monarque le conseil de choisir un homme
intelligent pour lever un cinquième des
récoltes pendant les sept années
d’abondance et faire ainsi de grandes
provisions de blé.
Quelques savants ont cru que Joseph, en donnant ce
conseil, pensait à lui-même ; ils
ne peuvent comprendre qu’un homme simple et
avisé puisse n’avoir en vue que le
salut d’un grand royaume sans y mêler
une question d’intérêt personnel.
Nous ne saurions être de leur avis. Pharaon
s’écrie aussitôt :
"Trouverions-nous un homme comme celui-ci, ayant en
lui l’esprit de Dieu ?" Et il donne
à Joseph une position si brillante
qu’elle nous semblerait fabuleuse, si nous ne
nous souvenions que nous sommes en Orient, ou celui
qui sait interpréter les songes est
considéré comme un favori des dieux.
Daniel fut aussi promu à de grandes
dignités par le roi de Babylone parce
qu’il avait "la faculté
d’interpréter les songes." Dans
l’histoire d'Égypte les exemples de
pareils faits abondent. C’est ainsi que le roi
Rampsinit donna sa fille en mariage à un
maçon, à cause des facultés
intellectuelles de celui-ci. car, disait-il, "si
les Égyptiens surpassent tous les hommes en
sagesse, ce maçon est le premier de tous les
Égyptiens en intelligence."
Entrons dans quelques détails au sujet de
l’élévation de Joseph. Pharaon
garde ses droits royaux. Après comme avant,
il est le premier. Cela bien établi, Joseph
doit avoir un pouvoir absolu. Il parcourt le pays
dans les voitures de la cour ; un
héraut court devant lui criant : "Pliez
les genoux" et tout le peuple doit lui baiser la
main. Le nouveau nom qu’il reçoit est Tsaphnath Paénéach "celui
qui
découvre des choses cachées" ou le
"sauveur du monde." Le roi est convaincu qu’il
a remis le salut de son peuple à un favori
de la divinité. Pharaon tient à ce
que son ministre ait un attirail qui convienne
à sa position. Il passe son propre anneau au
doigt de Joseph, il lui met un collier d’or au
cou. Des habits de fin lin remplacent le sarrau du
prisonnier. Le roi songe aussi à marier
honorablement son protège. Asnath, la
fille du prêtre d’On devient sa femme.
On ou Héliopolis (la ville du soleil)
était située à trois heures au
nord-est du Caire. Cette ville était le
centre du culte égyptien. Là, ou
s’élevaient jadis les temples superbes
on ne voit aujourd’hui qu’un
obélisque dans une vaste enceinte
entourée de terrasses. Ces terrasses
enfermaient la ville de On qui devint
l’habitation de Joseph.
Nous voici en présence d’un mariage
mixte. Les deux libérateurs
d’Israël, Joseph et Moïse ont
épousé des étrangères,
fait remarquable qui nous montre que le peuple
élu, malgré sa séparation
d’avec les autres peuples, doit attirer
à lui les nations païennes.
Comme Moïse, Joseph a deux fils auxquels il
donne des noms significatifs. Le premier est
Manassé (oublier) car, dit-il, "Dieu
m’a fait oublier toutes mes peines et toute la
maison de mon père."
On a fait à Joseph le reproche d’avoir
dans sa haute fortune oublié la maison
paternelle. Il n’en est rien. Il veut dire que
Dieu, par ses dispensatrices étonnantes, lui
a fait oublier tous ses malheurs, même ceux
qui lui avaient été causés par
les siens.
Une infortune qui est la source d’une grande
félicité ne peut plus être
considérée comme une infortune.
Joseph se repose sur le Père céleste
qui l’a conduit de la manière la plus
merveilleuse.
Le nom donné au second fils nous montre que
Joseph, malgré sa position
élevée, considérait toujours
le beau pays d'Égypte comme une terre
d’exil. Ephraïm signifie être
fécond. "Dieu", dit-il, "m’a rendu
fécond dans le pays de mon affliction." Le
gouverneur de l'Égypte avait toujours le mal
du pays. Si nous résumons ce qui
précède, nous reconnaîtrons que
Joseph avait été élevé
à une hauteur vertigineuse de bonheur
terrestre.
L’homme qui avait su veiller dans les plus
redoutables épreuves put aussi supporter les
périls d’un tel changement. Pendant
quatre-vingts ans, il s’est maintenu à
cette hauteur sans faiblir. Il est resté le
même. Si nous ne le savions pas autrement,
ses derniers désirs en seraient une preuve
décisive.
"O profondeur de la richesse, de la sagesse et
de la science de Dieu ! Que ses jugements sont
insondables et ses voies
incompréhensibles !
"s’écrie St-Paul, en remarquant que
l’infidélité d’Israël
a amène le salut des païens. "Le Dieu
devant lequel la foi seule est acceptable a
renfermé tous les hommes dans la
désobéissance pour faire
miséricorde à tous." À
tous, remarquons-le, les Israélites
momentanément aveugles sont donc
compris.
C’est la grâce toute puissante de Dieu,
la grasse qui s’avance victorieuse, triomphant
de toute opposition humaine, de toute
incrédulité, de toute puissance des
ténèbres ; que St-Paul chante
avec ravissement. La sagesse de Dieu et la folie
des hommes gouvernent le monde. a dit un penseur.
Oui, la sagesse et la puissance de Dieu font
concourir les folies et les péchés de
l’humanité à l’avancement
de son règne. Ce qui, dans la nouvelle
alliance nous est présenté comme une
théorie capable de renouveler le monde nous
apparaît déjà dans
l’histoire de Joseph.
Toutes les sottises humaines, depuis le don de la
robe bigarrée jusqu'à
l’aveuglement des devins
égyptiens ; tous les
péchés, depuis l’orgueil de
Joseph, jusqu'à la passion de la femme de
Potiphar, depuis la semence d’envie dans le
coeur des frères, jusqu'à
l’ingrat oubli de l’échanson, tout
a concouru à l’achèvement du
plan de Dieu.
Quel est ce plan ? Il a plusieurs faces. En
premier lieu Dieu veut élever, sanctifier,
fortifier, éclairer l’âme de
Joseph. Ensuite il veut se servir de son serviteur
pour le salut de l'Égypte et d’autres
contrées. La promesse faite a Abraham :
"Toutes les familles de la terre seront
bénies en ta postérité"
commence à s’accomplir. Il veut
renouveler et purifier la maison d’Israël
par le moyen de Joseph. Il veut amener par lui le
peuple élu dans un lieu caché
où pourront s’accomplir ses
destinées.
Le nom donné par le despote égyptien
à son nouveau favori est surprenant. Il
l’appelle le Sauveur du monde. Le monde
est plus grand que Pharaon ne le pense et l’on
exige plus d’un sauveur que de fournir des
vivres à un peuple pendant la famine. Mais
il est vrai, bien que Pharaon ne s’en doute
pas, que les dispensatrices de Dieu à
l’égard de Joseph renfermaient des
pensées de paix pour le monde entier. Il est
vrai que ce Sauveur du monde était le
type de celui que les anges désignaient aux
bergers par ces mots : "Il vous est né
un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur."
Quiconque a des yeux pour voir reconnaîtra
que le Seigneur a caché une seule et
même pensée dans l’Ancien et dans
le Nouveau Testament. Quelle abondante source de
consolation et de force les chrétiens de
l’ancienne alliance ne devaient-ils pas
trouver dans la contemplation de la vie de
Joseph ! La croix du Christ
révèle seule dans toute sa
clarté la manière dont Dieu nous fait
passer des ténèbres à la
lumière ; elle nous montre seule
comment les souffrances d’un juste sont
suivies d’un triomphe éclatant ;
elle nous assure seule que la souffrance de ce
juste a une vertu rédemptrice pour les
injustes, mais l’histoire de Joseph nous donne
déjà un aperçu de ces
vérités.
L’envie des Juifs a cloué Jésus
sur la croix. Pilate savait qu’ils
l’avaient livré par envie et
qu’ils le haïssaient à cause de sa
sainteté, de son influence, et de la faveur
divine qui reposait sur lui. Il en est de
même de Joseph, bien qu’il ne manque pas
de défauts comme tout autre homme
pécheur. Joseph comme Christ a
été persécuté pour la
justice. Tous deux sont abaissés,
livrés à la mort. Jésus est
crucifié et enseveli, Joseph est
enterré vivant dans la prison. Pour tous
deux tous rayons d’espoir a disparu.
La différence est que l’un souffre
volontairement et l’autre involontairement.
Mais Joseph comme Jésus remporte la
victoire. Dieu l’élève et lui
donne un nom au-dessus de tous ceux des
Égyptiens. De même le nom de Christ
demeurera quand tous les noms humains auront
disparu. Jésus n’emploie pas sa
puissance pour son propre avantage ; il donne
ce qu’il a pour le bien de
l’humanité. Joseph, toute proportion
gardée, agit de même. Sa puissance est
au service de son amour de l’humanité.
La souffrance de Christ est à la fois
causée par les hommes et utile aux
hommes ; celle de Joseph est causée par
ses frères et a pour résultat le bien
de ces mêmes frères. Joseph il est
vrai ignorait ce résultat lorsqu’il
était dans l’épreuve, tandis que
Christ connaissait le but de ses souffrances. Mais
lorsque Joseph eut été
élevé, alors il travailla à
amener ses frères au repentir et à
les faire passer de la connaissance de leur
péché à celle de la
miséricorde de Dieu.
Ce parallèle n’est-il pas
étonnant ? Nous aurions pu le
poursuivre plus loin et parler par exemple des
pièces d’argent, qui dans l’un et
l’autre cas furent payées. Mais ce que
nous avons indiqué suffit. Un
théologien a dit avec raison : Si, au
jour de Golgotha, les disciples de Christ avaient
eu devant les yeux l’image de Joseph, ils
n’auraient pas cru que toute espérance
était perdue. Pour nous, dans nos heures
sombres (disons plutôt dans nos
épreuves incomprises), si nous avons devant
les yeux non seulement l’image de Joseph, mais
surtout la figure vivante de Christ, nous pourrons,
dans les dispensatrices les plus
mystérieuses, chanter encore :
Au Dieu suprême
Point n’est caché,
Peine ou péché.
De ceux qu’il aime,
Ton Rédempteur
Compte les larmes...
Sois sans alarmes,
O triste coeur !
Il y avait encore bien des questions sans
réponse pour Joseph, même après
son élévation. S’il avait
été un homme mondain, un être
attaché à cette vie passagère,
il aurait estimé qu’il avait atteint le
plus haut point du bonheur et n’aurait
désiré qu’une chose :
conserver ses biens actuels, car la vie ne pouvait
rien lui offrir de mieux. Mais comme enfant de
Dieu, il plaçait au-dessus de tout,
l’accomplissement des promesses divines et de
ce côté-là, tout était
sombre. La famille d’Israël, sur laquelle
reposait l’avenir, était sur le point
de mourir de faim en Canaan ; dut-elle
survivre, elle serait en tous cas anéantie
moralement par la mort de Jacob. Joseph
établi en Égypte ne pouvait y
perpétuer la foi traditionnelle. Eut-il
conservé intactes pour lui-même les
croyances de ses pères, ses enfants et ses
petits-enfants élevés dans les
ténèbres du paganisme n’auraient
pu les garder.
Joseph pouvait donc se demander pourquoi il avait
dû être enlève de la maison
paternelle comme un rameau arrache du vieux tronc
d’Israël. Était-ce pour être
utile aux Égyptiens en temps de
famine ?
Mais les Égyptiens pouvaient être
secourus par un des leurs, qui aurait
expliqué les songes et donne de bons
conseils au roi. Joseph aurait pu se demander ces
choses, mais nous croyons qu’il ne l’a
pas fait. Il savait que le Dieu qui l’avait
merveilleusement aidé jusque là
continuerait à le secourir et le
réunirait aux siens quand le moment serait
venu.
Quand vous avez reconnu que la main toute-puissante
de Dieu a fait tourner à votre salut les
choses les plus obscures, alors ayez bon espoir. Il
ne vous abandonnera pas plus tard. Le secours
reçu est un gage du secours à venir.
Dieu ne commence pas une oeuvre sans
l’achever.
"Sois tranquille, ma fille, jusqu'à ce que
tu saches comment finira la chose, car cet homme ne
se donnera point de repos qu’il n’ait
terminé cette affaire aujourd’hui" dit
la vieille Naomi qui a appris la patience, à
sa jeune belle-fille Ruth
(Ruth
3, 18). Si l’on peut dire
que Boaz ne se donne pas de repos avant
d’avoir achevé une affaire, combien
plus la chose peu t-elle se dire de notre
Père céleste qui est fidèle
lorsque nous demeurons en repos. Le calme et
l’espérance nous rendent forts. Heureux
celui qui, paisible et plein d’espoir, peut
déjà chanter la victoire prochaine.
Mais heureux aussi celui dont les larmes coulent,
pourvu qu’il garde la paix
intérieure.
Joseph ne se troubla pas pendant les neuf
années qui s’écoulèrent
avant qu’il ne lui fût accordé
d’embrasser ses frères. On lui a fait
le reproche d’avoir été dur
vis-à-vis d’eux ; il aurait pu,
semble-t-il, envoyer un message au père si
cruellement afflige ; un homme si puissant
devait avoir de nombreux serviteurs à ses
ordres. S’il ne l’a pas fait, est-ce par
absence d’amour filial ? Ne serait-ce pas
plutôt qu’il était conduit par
une sagesse supérieure qui lui ordonnait
d’agir comme il l’a fait ? On dit
pour l’excuser qu’il n’avait pas le
temps d’avertir son père ou qu’il
devait attendre la consolidation de son pouvoir.
Cette idée est absurde. On n’a pas de
temps pour ce qui ne vous intéresse pas. Il
aurait pu faire savoir à Jacob qu’il
était vivant, même si sa position ne
lui avait pas permis de faire venir de suite son
père en Égypte.
Le reproche fait à Joseph d’avoir
laissé sans nécessité son
père pendant neuf ans dans la
détresse serait écrasant en effet.
Mais Moïse, l’homme de Dieu, ne perd pas
son temps à justifier Joseph. Il sait ce
qu’il racontera une page plus loin. Nous
sommes, quant à nous, certains que Joseph
agit ainsi sur le conseil de Dieu. Il avait vu la
Providence à l’oeuvre d’une
manière merveilleuse ; il avait, comme
aucun homme avant ne lui, touche au doigt, que les
voies les plus mystérieuses conduisent au
but le plus radieux si nous nous laissons
conduire ; il pouvait donc marcher en avant
sans crainte. On m’objectera que dans la
prison Joseph s’était aidé
lui-même en se recommandant à
l’échanson. Cela est vrai. Je ne crois
pas que l’enfant de Dieu doive rester les bras
croisés en laissant agir la Providence. Dieu
veut que nous utilisions notre intelligence et les
occasions favorables qu’il fait naître
devant nous. Mais la chose est délicate.
Toutes les occasions qui s’offrent à
nous ne viennent pas de Dieu. Il faut beaucoup de
sagesse spirituelle pour discerner si telle ou
telle facilité qui s’offre à
nous est un don de notre Père
céleste, ou une épreuve pour notre
coeur ou notre conscience.
Dernièrement, un homme
d’expérience m’écrivait les
lignes suivantes : "Je pourrais raconter bien
des choses sur ce sujet. L’occasion
d’humilier des personnes qui m’avaient
fait tort s’est souvent
présentée à moi. Dieu avait
permis la chose pour m’éprouver. Je me
suis toujours bien trouvé d’avoir
résisté à mon désir de
vengeance et je m’afflige encore
aujourd’hui d’avoir fait une seule fois
usage du pouvoir qui m’était
donné."
Mon correspondant avait raison. Je ne veux pas dire
cependant qu’il n’y ait pas certaines
circonstances dans lesquelles le serviteur de Dieu
doive humilier l’homme impie pour la gloire de
son Maître. Seulement soyons sûrs que
nous agissons pour la gloire de Dieu et non pour la
nôtre.
Quant à Joseph, son bon sens éclaire
par une lumière divine, lui recommandait
d’attendre. Il savait qu’en son temps la
famille d’Israël viendrait en
Égypte. Il savait que la famine
s’étendrait sur Canaan et contraindrait
les habitants du pays à venir chercher leur
subsistance en Égypte.
Que se serait-il passe si Joseph après son
élévation avait fait dire à
son père : "Voici, ton fils Joseph vit,
il gouverne l'Égypte ! Je ne suis pas
mort comme tu le crois, mes frères
m’ont vendu !"
La joie du patriarche eut été grande,
mais son horreur plus grande encore. Il aurait
considéré ses fils avec
dégoût et ceux-ci se seraient
éloignés pleins de terreur de la
maison paternelle. Le message aurait produit une
scission dans la maison d’Israël. Les
frères auraient été
poussés au désespoir, non au
repentir. Ils ne se seraient en aucun cas
laissé persuader d’aller en
Égypte, ne doutant pas que Joseph ne se
vengeât. Nous savons que, sous la sage
direction de Joseph, ils firent des
expériences qui changèrent leur
manière de voir. Maintenant ces hommes
repentants qui ont senti les effets de la
miséricorde de Dieu et de celle de leur
frère peuvent se rendre auprès de
leur vieux père pour confesser leur faute et
en obtenir le pardon.
Je ne pense pas cependant que Joseph eut
formé d’avance un plan bien
défini. Il a marché pas à pas
guidé par la sagesse d’en-haut. Un
instinct sur le dirigeait, car il se confiait dans
la Providence et laissait les
événements s’accomplir.
Je lisais en dernier lieu l’histoire
suivante : Une femme chrétienne,
affligée d’une profonde
mélancolie disait au pasteur qui
s’efforçait de l’encourager :
"Je suis perdue aussi sûrement que ce verre
va se briser." Disant ces mots elle prend un verre
sur la table et le jette sur le plancher. O
surprise ! il reste intact sans la moindre
fissure.
Dès lors la pauvre femme crut que Dieu lui
ferait miséricorde. Nous ne savons si
l’histoire est vraie ou à
été inventée pour la gloire de
Dieu. En tous cas il ne faudrait pas essayer
d’une épreuve semblable.
Réclamer de tels signes n’est pas faire
acte de foi, mais tenter Dieu. Qu’il
s’agisse du salut de notre âme ou de
telle autre question dans laquelle nous
désirons connaître la volonté
de Dieu, nous ne devons pas lui demander un
miracle.
Mon oeil te guidera. dit le Seigneur. Pour
qu’il le fasse, vous devez le regarder,
marcher avec lui, lire sa Parole,
préférer sa volonté à
la vôtre et suivre les avertissements du
St-Esprit. Alors la lumière se fera.
Jusque-là restez tranquille. Ce qu’il
veut vous dire il le fera passer par votre
intelligence. Il n’est pas chrétien de
renoncer à se servir de son intelligence. Il
faut la laisser éclairer par l'esprit de
Dieu et non pas par l’esprit du monde.
Tel était le secret de Joseph. Il sut ainsi
prendre le droit chemin. Faire attendre neuf ans
son vieux père était donc,
malgré les apparences, une décision
sage et conforme a l'esprit de Dieu.
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