Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XV

UN GRAND CHANGEMENT

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Genèse 41. 14-57.

1. De la prison au trône.

 Un philanthrope remit un jour à son pasteur vingt-cinq francs en le priant de donner cette somme à la veuve la plus nécessiteuse de la paroisse. Le pasteur se rend de suite chez celle de ses paroissiennes qu’il estime avoir les meilleurs droits à l’aumône, mais il trouve la porte fermée. Il a beau frapper, personne n’ouvre. Voyant dans ce fait un avertissement d’en haut, il va porter l’argent à une autre veuve également dans le besoin. Quelques semaines après, il rencontre la première femme qui lui parle avec larmes de la détresse dans laquelle elle se trouve. Il lui raconte ce qui s’est passé au sujet des vingt-cinq francs. Alors les sanglots redoublent.
"Comment" s’écrie-t-elle, "comment, monsieur le pasteur, c’était vous qui frappiez ce certain jour !... Je croyais que c’était mon propriétaire qui venait réclamer le loyer, et comme je n’avais pas d’argent, j’ai fait semblant d’être absente. Malheureuse que je suis, j’ai perdu ce bonheur par ma propre faute !"

Je vois dans cette histoire une allégorie. Ne faisons nous pas souvent comme cette femme en prétendant n’être pas à la maison quand Christ frappé à la porte ? Nous ne voulons pas l’entendre parce que nous croyons qu’il vient nous prendre quelque chose quand en réalité il apporte une bénédiction. Il donne toujours, même s’il a l’air de demander. Dieu montre son amour en prenant tout autant qu’en donnant. Nous nous défendons contre lui comme s’il venait nous dérober notre bonheur et en faisant les sourds nous nous privons nous-mêmes des biens qu’il nous destinait.

Joseph sait bénir la main qui le dépouille. Il croit, malgré les apparences, que Dieu gouverne avec amour et sagesse. Il croit cela tout en voyant l’édifice de son bonheur s’écrouler pierre après pierre. Famille, patrie, liberté, honneur, il perd tout. Tous ceux de ses semblables avec lesquels il a des rapports : ses frères, les Ismaélites, la femme de son maître, son maître lui-même et enfin l’ingrat échanson semblent ligués contre lui. Plus il avance, plus l’abîme devient profond.

Puis, tout à coup l’heure de Dieu sonne, lui montrant que ce labyrinthe de tristesses était la route la plus directe pour le conduire au bonheur.

Le chemin sur lequel Dieu conduit ses enfants
Leur parait un détour, sans doute.
Plus tard ils connaîtront, dans le ciel triomphants,
Que c’était la plus droite route.


Cette vérité est mise en pleine lumière dans l’histoire de Joseph. Entrons rapidement dans quelques détails et commençons par les songes du roi. Ils sont tout à fait dans l’esprit égyptien. Le Nil (Osiris) est la source de la fertilité ; la vache (Isis) le résultat de la fertilité ; les épis les signes visibles de la fertilité. Le fait que les six épis sortent d’une même tige est un signe d’abondance.

Le roi est persuadé que la divinité lui parle par ses songes et il en est effrayé. Une pensée l’obsède : en avoir l’interprétation. Mais les sages restent muets. Baumgarten fait remarquer que. c’est le sort de la sagesse de ce monde de devoir se taire quand il faudrait parler. Il se peut aussi, soit que Dieu les ait frappes d’aveuglement pour laisser la place à son serviteur, soit qu’ils aient deviné le sens des songes, mais n’aient pas osé le révéler à un despote habitué aux flatteries. Rappelons-nous que la menace d’une disette de sept ans devait causer plus de terreur que la promesse de sept ans d’abondance ne contenait de joie.

L’échanson prend la parole ; il est ému, sa déclaration, humiliante pour lui, devait faire une grande impression sur le monarque. Pharaon s’empresse de suivre le conseil de l’officier ; un messager est envoyé de suite à la prison.

Oh ! combien j’aurais voulu être là, voir la figure rayonnante de Joseph, quand on vint lui ordonner de se rendre immédiatement à la cour.
Bien que son coeur batte fort, Joseph ne perd pas la tête. Il change de vêtements, il se rase. En Égypte on portait les cheveux courts et les gens du peuple seuls laissaient pousser leur barbe. Pour se présenter devant le roi, des habits blancs et une tête rasée étaient de rigueur. Joseph, au sortir de la prison, aurait volontiers respiré à pleins poumons l’air pur dont il avait été privé si longtemps. Mais un despote oriental n’attend pas. Le prisonnier doit se rendre de suite dans la salle du trône. Chacun s’incline devant l’homme qui, peu d’instants auparavant, était inconnu.

La révolution qui s’opère dans les esprits est plus soudaine que le changement de temps un jour d’avril. Un mot du prince, un regard suffit pour faire mépriser un homme adulé, et honorer, voire même adorer, un homme méprisé. Il en était autrefois ainsi ; il en est de même maintenant.

Bientôt Joseph est en présence du souverain. Il se prosterne. Pharaon est le représentant du dieu Soleil, chacun doit lui rendre les honneurs divins, tomber sur son visage et toucher le sol d’abord avec le nez, puis avec le front. Joseph reçoit ensuite l’ordre de se relever. Pharaon lui parle sur le ton d’un despote : "J’ai appris que tu expliques un songe après l’avoir entendu." Joseph répond humblement : "Ce n’est pas moi, c’est Dieu qui donnera une réponse favorable à Pharaon." Le roi raconte ses songes en entremêlant le récit de ses propres réflexions. "Personne ne m’a donné l’explication" conclut-il, en regardant Joseph avec espérance. Joseph apprend au roi que les deux songes ont un seul et même sens et il les explique d’une manière claire bien différente de celle des oracles. Il donne au monarque le conseil de choisir un homme intelligent pour lever un cinquième des récoltes pendant les sept années d’abondance et faire ainsi de grandes provisions de blé.

Quelques savants ont cru que Joseph, en donnant ce conseil, pensait à lui-même ; ils ne peuvent comprendre qu’un homme simple et avisé puisse n’avoir en vue que le salut d’un grand royaume sans y mêler une question d’intérêt personnel. Nous ne saurions être de leur avis. Pharaon s’écrie aussitôt : "Trouverions-nous un homme comme celui-ci, ayant en lui l’esprit de Dieu ?" Et il donne à Joseph une position si brillante qu’elle nous semblerait fabuleuse, si nous ne nous souvenions que nous sommes en Orient, ou celui qui sait interpréter les songes est considéré comme un favori des dieux. Daniel fut aussi promu à de grandes dignités par le roi de Babylone parce qu’il avait "la faculté d’interpréter les songes." Dans l’histoire d'Égypte les exemples de pareils faits abondent. C’est ainsi que le roi Rampsinit donna sa fille en mariage à un maçon, à cause des facultés intellectuelles de celui-ci. car, disait-il, "si les Égyptiens surpassent tous les hommes en sagesse, ce maçon est le premier de tous les Égyptiens en intelligence."

Entrons dans quelques détails au sujet de l’élévation de Joseph. Pharaon garde ses droits royaux. Après comme avant, il est le premier. Cela bien établi, Joseph doit avoir un pouvoir absolu. Il parcourt le pays dans les voitures de la cour ; un héraut court devant lui criant : "Pliez les genoux" et tout le peuple doit lui baiser la main. Le nouveau nom qu’il reçoit est Tsaphnath Paénéach "celui qui découvre des choses cachées" ou le "sauveur du monde." Le roi est convaincu qu’il a remis le salut de son peuple à un favori de la divinité. Pharaon tient à ce que son ministre ait un attirail qui convienne à sa position. Il passe son propre anneau au doigt de Joseph, il lui met un collier d’or au cou. Des habits de fin lin remplacent le sarrau du prisonnier. Le roi songe aussi à marier honorablement son protège. Asnath, la fille du prêtre d’On devient sa femme. On ou Héliopolis (la ville du soleil) était située à trois heures au nord-est du Caire. Cette ville était le centre du culte égyptien. Là, ou s’élevaient jadis les temples superbes on ne voit aujourd’hui qu’un obélisque dans une vaste enceinte entourée de terrasses. Ces terrasses enfermaient la ville de On qui devint l’habitation de Joseph.

Nous voici en présence d’un mariage mixte. Les deux libérateurs d’Israël, Joseph et Moïse ont épousé des étrangères, fait remarquable qui nous montre que le peuple élu, malgré sa séparation d’avec les autres peuples, doit attirer à lui les nations païennes.

Comme Moïse, Joseph a deux fils auxquels il donne des noms significatifs. Le premier est Manassé (oublier) car, dit-il, "Dieu m’a fait oublier toutes mes peines et toute la maison de mon père."

On a fait à Joseph le reproche d’avoir dans sa haute fortune oublié la maison paternelle. Il n’en est rien. Il veut dire que Dieu, par ses dispensatrices étonnantes, lui a fait oublier tous ses malheurs, même ceux qui lui avaient été causés par les siens.
Une infortune qui est la source d’une grande félicité ne peut plus être considérée comme une infortune. Joseph se repose sur le Père céleste qui l’a conduit de la manière la plus merveilleuse.

Le nom donné au second fils nous montre que Joseph, malgré sa position élevée, considérait toujours le beau pays d'Égypte comme une terre d’exil. Ephraïm signifie être fécond. "Dieu", dit-il, "m’a rendu fécond dans le pays de mon affliction." Le gouverneur de l'Égypte avait toujours le mal du pays. Si nous résumons ce qui précède, nous reconnaîtrons que Joseph avait été élevé à une hauteur vertigineuse de bonheur terrestre.

L’homme qui avait su veiller dans les plus redoutables épreuves put aussi supporter les périls d’un tel changement. Pendant quatre-vingts ans, il s’est maintenu à cette hauteur sans faiblir. Il est resté le même. Si nous ne le savions pas autrement, ses derniers désirs en seraient une preuve décisive.


2. Les voies insondables de Dieu.

 "O profondeur de la richesse, de la sagesse et de la science de Dieu ! Que ses jugements sont insondables et ses voies incompréhensibles ! "s’écrie St-Paul, en remarquant que l’infidélité d’Israël a amène le salut des païens. "Le Dieu devant lequel la foi seule est acceptable a renfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire miséricorde à tous." À tous, remarquons-le, les Israélites momentanément aveugles sont donc compris.

C’est la grâce toute puissante de Dieu, la grasse qui s’avance victorieuse, triomphant de toute opposition humaine, de toute incrédulité, de toute puissance des ténèbres ; que St-Paul chante avec ravissement. La sagesse de Dieu et la folie des hommes gouvernent le monde. a dit un penseur. Oui, la sagesse et la puissance de Dieu font concourir les folies et les péchés de l’humanité à l’avancement de son règne. Ce qui, dans la nouvelle alliance nous est présenté comme une théorie capable de renouveler le monde nous apparaît déjà dans l’histoire de Joseph.

Toutes les sottises humaines, depuis le don de la robe bigarrée jusqu'à l’aveuglement des devins égyptiens ; tous les péchés, depuis l’orgueil de Joseph, jusqu'à la passion de la femme de Potiphar, depuis la semence d’envie dans le coeur des frères, jusqu'à l’ingrat oubli de l’échanson, tout a concouru à l’achèvement du plan de Dieu.

Quel est ce plan ? Il a plusieurs faces. En premier lieu Dieu veut élever, sanctifier, fortifier, éclairer l’âme de Joseph. Ensuite il veut se servir de son serviteur pour le salut de l'Égypte et d’autres contrées. La promesse faite a Abraham : "Toutes les familles de la terre seront bénies en ta postérité" commence à s’accomplir. Il veut renouveler et purifier la maison d’Israël par le moyen de Joseph. Il veut amener par lui le peuple élu dans un lieu caché où pourront s’accomplir ses destinées.

Le nom donné par le despote égyptien à son nouveau favori est surprenant. Il l’appelle le Sauveur du monde. Le monde est plus grand que Pharaon ne le pense et l’on exige plus d’un sauveur que de fournir des vivres à un peuple pendant la famine. Mais il est vrai, bien que Pharaon ne s’en doute pas, que les dispensatrices de Dieu à l’égard de Joseph renfermaient des pensées de paix pour le monde entier. Il est vrai que ce Sauveur du monde était le type de celui que les anges désignaient aux bergers par ces mots : "Il vous est né un Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur."

Quiconque a des yeux pour voir reconnaîtra que le Seigneur a caché une seule et même pensée dans l’Ancien et dans le Nouveau Testament. Quelle abondante source de consolation et de force les chrétiens de l’ancienne alliance ne devaient-ils pas trouver dans la contemplation de la vie de Joseph ! La croix du Christ révèle seule dans toute sa clarté la manière dont Dieu nous fait passer des ténèbres à la lumière ; elle nous montre seule comment les souffrances d’un juste sont suivies d’un triomphe éclatant ; elle nous assure seule que la souffrance de ce juste a une vertu rédemptrice pour les injustes, mais l’histoire de Joseph nous donne déjà un aperçu de ces vérités.

L’envie des Juifs a cloué Jésus sur la croix. Pilate savait qu’ils l’avaient livré par envie et qu’ils le haïssaient à cause de sa sainteté, de son influence, et de la faveur divine qui reposait sur lui. Il en est de même de Joseph, bien qu’il ne manque pas de défauts comme tout autre homme pécheur. Joseph comme Christ a été persécuté pour la justice. Tous deux sont abaissés, livrés à la mort. Jésus est crucifié et enseveli, Joseph est enterré vivant dans la prison. Pour tous deux tous rayons d’espoir a disparu.
La différence est que l’un souffre volontairement et l’autre involontairement. Mais Joseph comme Jésus remporte la victoire. Dieu l’élève et lui donne un nom au-dessus de tous ceux des Égyptiens. De même le nom de Christ demeurera quand tous les noms humains auront disparu. Jésus n’emploie pas sa puissance pour son propre avantage ; il donne ce qu’il a pour le bien de l’humanité. Joseph, toute proportion gardée, agit de même. Sa puissance est au service de son amour de l’humanité. La souffrance de Christ est à la fois causée par les hommes et utile aux hommes ; celle de Joseph est causée par ses frères et a pour résultat le bien de ces mêmes frères. Joseph il est vrai ignorait ce résultat lorsqu’il était dans l’épreuve, tandis que Christ connaissait le but de ses souffrances. Mais lorsque Joseph eut été élevé, alors il travailla à amener ses frères au repentir et à les faire passer de la connaissance de leur péché à celle de la miséricorde de Dieu.

Ce parallèle n’est-il pas étonnant ? Nous aurions pu le poursuivre plus loin et parler par exemple des pièces d’argent, qui dans l’un et l’autre cas furent payées. Mais ce que nous avons indiqué suffit. Un théologien a dit avec raison : Si, au jour de Golgotha, les disciples de Christ avaient eu devant les yeux l’image de Joseph, ils n’auraient pas cru que toute espérance était perdue. Pour nous, dans nos heures sombres (disons plutôt dans nos épreuves incomprises), si nous avons devant les yeux non seulement l’image de Joseph, mais surtout la figure vivante de Christ, nous pourrons, dans les dispensatrices les plus mystérieuses, chanter encore :

Au Dieu suprême
Point n’est caché,
Peine ou péché.
De ceux qu’il aime,
Ton Rédempteur
Compte les larmes...
Sois sans alarmes,
O triste coeur !


3. Questions sans réponse.

 Il y avait encore bien des questions sans réponse pour Joseph, même après son élévation. S’il avait été un homme mondain, un être attaché à cette vie passagère, il aurait estimé qu’il avait atteint le plus haut point du bonheur et n’aurait désiré qu’une chose : conserver ses biens actuels, car la vie ne pouvait rien lui offrir de mieux. Mais comme enfant de Dieu, il plaçait au-dessus de tout, l’accomplissement des promesses divines et de ce côté-là, tout était sombre. La famille d’Israël, sur laquelle reposait l’avenir, était sur le point de mourir de faim en Canaan ; dut-elle survivre, elle serait en tous cas anéantie moralement par la mort de Jacob. Joseph établi en Égypte ne pouvait y perpétuer la foi traditionnelle. Eut-il conservé intactes pour lui-même les croyances de ses pères, ses enfants et ses petits-enfants élevés dans les ténèbres du paganisme n’auraient pu les garder.

Joseph pouvait donc se demander pourquoi il avait dû être enlève de la maison paternelle comme un rameau arrache du vieux tronc d’Israël. Était-ce pour être utile aux Égyptiens en temps de famine ?
Mais les Égyptiens pouvaient être secourus par un des leurs, qui aurait expliqué les songes et donne de bons conseils au roi. Joseph aurait pu se demander ces choses, mais nous croyons qu’il ne l’a pas fait. Il savait que le Dieu qui l’avait merveilleusement aidé jusque là continuerait à le secourir et le réunirait aux siens quand le moment serait venu.

Quand vous avez reconnu que la main toute-puissante de Dieu a fait tourner à votre salut les choses les plus obscures, alors ayez bon espoir. Il ne vous abandonnera pas plus tard. Le secours reçu est un gage du secours à venir. Dieu ne commence pas une oeuvre sans l’achever.

"Sois tranquille, ma fille, jusqu'à ce que tu saches comment finira la chose, car cet homme ne se donnera point de repos qu’il n’ait terminé cette affaire aujourd’hui" dit la vieille Naomi qui a appris la patience, à sa jeune belle-fille Ruth (Ruth 3, 18). Si l’on peut dire que Boaz ne se donne pas de repos avant d’avoir achevé une affaire, combien plus la chose peu t-elle se dire de notre Père céleste qui est fidèle lorsque nous demeurons en repos. Le calme et l’espérance nous rendent forts. Heureux celui qui, paisible et plein d’espoir, peut déjà chanter la victoire prochaine. Mais heureux aussi celui dont les larmes coulent, pourvu qu’il garde la paix intérieure.

Joseph ne se troubla pas pendant les neuf années qui s’écoulèrent avant qu’il ne lui fût accordé d’embrasser ses frères. On lui a fait le reproche d’avoir été dur vis-à-vis d’eux ; il aurait pu, semble-t-il, envoyer un message au père si cruellement afflige ; un homme si puissant devait avoir de nombreux serviteurs à ses ordres. S’il ne l’a pas fait, est-ce par absence d’amour filial ? Ne serait-ce pas plutôt qu’il était conduit par une sagesse supérieure qui lui ordonnait d’agir comme il l’a fait ? On dit pour l’excuser qu’il n’avait pas le temps d’avertir son père ou qu’il devait attendre la consolidation de son pouvoir. Cette idée est absurde. On n’a pas de temps pour ce qui ne vous intéresse pas. Il aurait pu faire savoir à Jacob qu’il était vivant, même si sa position ne lui avait pas permis de faire venir de suite son père en Égypte.

Le reproche fait à Joseph d’avoir laissé sans nécessité son père pendant neuf ans dans la détresse serait écrasant en effet. Mais Moïse, l’homme de Dieu, ne perd pas son temps à justifier Joseph. Il sait ce qu’il racontera une page plus loin. Nous sommes, quant à nous, certains que Joseph agit ainsi sur le conseil de Dieu. Il avait vu la Providence à l’oeuvre d’une manière merveilleuse ; il avait, comme aucun homme avant ne lui, touche au doigt, que les voies les plus mystérieuses conduisent au but le plus radieux si nous nous laissons conduire ; il pouvait donc marcher en avant sans crainte. On m’objectera que dans la prison Joseph s’était aidé lui-même en se recommandant à l’échanson. Cela est vrai. Je ne crois pas que l’enfant de Dieu doive rester les bras croisés en laissant agir la Providence. Dieu veut que nous utilisions notre intelligence et les occasions favorables qu’il fait naître devant nous. Mais la chose est délicate. Toutes les occasions qui s’offrent à nous ne viennent pas de Dieu. Il faut beaucoup de sagesse spirituelle pour discerner si telle ou telle facilité qui s’offre à nous est un don de notre Père céleste, ou une épreuve pour notre coeur ou notre conscience.

Dernièrement, un homme d’expérience m’écrivait les lignes suivantes : "Je pourrais raconter bien des choses sur ce sujet. L’occasion d’humilier des personnes qui m’avaient fait tort s’est souvent présentée à moi. Dieu avait permis la chose pour m’éprouver. Je me suis toujours bien trouvé d’avoir résisté à mon désir de vengeance et je m’afflige encore aujourd’hui d’avoir fait une seule fois usage du pouvoir qui m’était donné."

Mon correspondant avait raison. Je ne veux pas dire cependant qu’il n’y ait pas certaines circonstances dans lesquelles le serviteur de Dieu doive humilier l’homme impie pour la gloire de son Maître. Seulement soyons sûrs que nous agissons pour la gloire de Dieu et non pour la nôtre.

Quant à Joseph, son bon sens éclaire par une lumière divine, lui recommandait d’attendre. Il savait qu’en son temps la famille d’Israël viendrait en Égypte. Il savait que la famine s’étendrait sur Canaan et contraindrait les habitants du pays à venir chercher leur subsistance en Égypte.

Que se serait-il passe si Joseph après son élévation avait fait dire à son père : "Voici, ton fils Joseph vit, il gouverne l'Égypte ! Je ne suis pas mort comme tu le crois, mes frères m’ont vendu !"
La joie du patriarche eut été grande, mais son horreur plus grande encore. Il aurait considéré ses fils avec dégoût et ceux-ci se seraient éloignés pleins de terreur de la maison paternelle. Le message aurait produit une scission dans la maison d’Israël. Les frères auraient été poussés au désespoir, non au repentir. Ils ne se seraient en aucun cas laissé persuader d’aller en Égypte, ne doutant pas que Joseph ne se vengeât. Nous savons que, sous la sage direction de Joseph, ils firent des expériences qui changèrent leur manière de voir. Maintenant ces hommes repentants qui ont senti les effets de la miséricorde de Dieu et de celle de leur frère peuvent se rendre auprès de leur vieux père pour confesser leur faute et en obtenir le pardon.

Je ne pense pas cependant que Joseph eut formé d’avance un plan bien défini. Il a marché pas à pas guidé par la sagesse d’en-haut. Un instinct sur le dirigeait, car il se confiait dans la Providence et laissait les événements s’accomplir.

Je lisais en dernier lieu l’histoire suivante : Une femme chrétienne, affligée d’une profonde mélancolie disait au pasteur qui s’efforçait de l’encourager : "Je suis perdue aussi sûrement que ce verre va se briser." Disant ces mots elle prend un verre sur la table et le jette sur le plancher. O surprise ! il reste intact sans la moindre fissure.
Dès lors la pauvre femme crut que Dieu lui ferait miséricorde. Nous ne savons si l’histoire est vraie ou à été inventée pour la gloire de Dieu. En tous cas il ne faudrait pas essayer d’une épreuve semblable. Réclamer de tels signes n’est pas faire acte de foi, mais tenter Dieu. Qu’il s’agisse du salut de notre âme ou de telle autre question dans laquelle nous désirons connaître la volonté de Dieu, nous ne devons pas lui demander un miracle.

Mon oeil te guidera. dit le Seigneur. Pour qu’il le fasse, vous devez le regarder, marcher avec lui, lire sa Parole, préférer sa volonté à la vôtre et suivre les avertissements du St-Esprit. Alors la lumière se fera. Jusque-là restez tranquille. Ce qu’il veut vous dire il le fera passer par votre intelligence. Il n’est pas chrétien de renoncer à se servir de son intelligence. Il faut la laisser éclairer par l'esprit de Dieu et non pas par l’esprit du monde.

Tel était le secret de Joseph. Il sut ainsi prendre le droit chemin. Faire attendre neuf ans son vieux père était donc, malgré les apparences, une décision sage et conforme a l'esprit de Dieu.

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