Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XIV

JE VAIS RAPPELER AUJOURD’HUI LE SOUVENIR DE MA FAUTE

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Genèse XLI. 1-13.

1. Les pages blanches de la vie.

 "Les pages blanches de la vie portent souvent condamnation contre elle," ainsi s’exprime un penseur. C’est là une parole profondément vraie et propre à effrayer même les plus endurcis. Les pages blanches de votre vie témoignent par leur vide même que vous n’avez rien fait de ce que vous auriez pu ou dû faire, que vous avez négligé une foule d’occasions d’être la lumière et le sel de la terre ou de travailler à votre propre salut.

Qui pourrait oublier, à ce propos, que Jésus, le souverain Juge, a déclaré qu’il rejetterait ceux qui n’auraient pas fait ce qu’ils auraient du faire, qui ne l’auraient pas visite, recueilli, vêtu. (Matth. XXV) Ils ont négligé, de la manière la plus coupable, des occasions excellentes de montrer leur foi par leurs oeuvres, et ont vécu pour eux-mêmes. Aussi sont-ils rejetés dans les ténèbres du dehors, non pour avoir commis tel ou tel forfait, mais pour avoir fait de leur vie l’expression parfaite de l’égoïsme.

Le temps est un trésor que vous devez employer pour la gloire de Dieu et le bonheur de vos frères, et chaque journée en est une fraction, une page blanche que vous êtes appelés à remplir. Le temps pendant lequel vous n’avez rien fait pour la glorification de votre Père céleste, est perdu et s’élèvera en accusation contre vous. Oh ! ces pages blanches, ces pages blanches ! Combien d’occasions avons-nous eues de consoler un coeur affligé ou d’avertir un pécheur ! Mais, hélas ! nos convenances, nos distractions, notre lâcheté, notre égoïsme, nous en ont détournes. Quant à ce que nous avons négligé et par conséquent gâté, cela échappe à notre contrôle. Oh ! ces pages blanches ! Combien souvent la douce voix de l’Esprit a résonné dans notre coeur ! Elle nous exhortait à prendre la vie au sérieux, à saisir le salut, à faire un fidèle usage des moyens de grâce qui nous étaient offerts, à renoncer à tel ou tel péché, a nous réconcilier avec notre frère ; mais cette voix n’a pas été écoutée, nous n’avons pas voulu l’entendre, nous avons attendu, nous avons dit : "Bientôt, bientôt, pas a présent," et tout est reste tel qu’auparavant. Oh ! malheureuses pages blanches !

Pourquoi en parler maintenant ? Notre récit nous y oblige. Heureux et reconnaissant, l’échanson avait promis à Joseph d’intercéder pour lui ; mais, dès qu’il fut dans la prospérité, il l’oublia. On pourrait penser que son bonheur même et sa reconnaissance envers Dieu auraient dû lui rappeler ce Joseph si sympathique, si secourable, et précisément alors il l’oublia. N’était-ce pas scandaleux ? Oui, scandaleux, comme la conduite de milliers d’autres hommes délivres de leurs angoisses.

Il est vrai que cette négligence fut un bonheur pour Joseph. Si l’échanson eut pensé à lui plus tôt, cela lui aurait été plus nuisible que profitable. Le moment ou Pharaon a l’esprit agité par ses songes, ou ses prêtres, ses philosophes, ses magiciens sont frappés d’aveuglement, c’est l’instant favorable, c’est le jour où la parole de l’échanson pourra pénétrer dans le coeur du roi. Tout cela est vrai, mais ne justifie cet homme en aucune manière. Il ne s’est pas tu parce qu’il attendait l’occasion propice d’intercéder pour Joseph, mais parce qu’il avait perdu de vue son bienfaiteur. Si l’angoisse du roi n’avait pas ému le courtisan, cet oubli incroyable, qui avait déjà duré deux ans, aurait été définitif, et Joseph fut reste en prison toute sa vie.

Heureusement, au-dessus des nuages il y avait quelqu’un dont le souvenir était plus vivant que celui de l’échanson. Ce fut lui qui envoya au roi ses songes et voilà aux sages leur sens si clair. Dieu, enfin, se servit de l’ingratitude de l’échanson, qu’il n’avait pas inspirée, mais qu’il utilisa pour accomplir ses desseins.

L’échanson lui-même s’indigne de sa négligence, et ceci parle en sa faveur "Je vais rappeler aujourd’hui le souvenir de ma faute," dit-il. Au lieu de cela, il aurait pu parler ainsi : "Il me revient à l’ instant une chose que j’avais presque oubliée ; je connais un homme qui pourrait peut-être tirer votre Majesté de peine." La prudence se fut exprimée de la sorte. Le cri : Je vais rappeler aujourd’hui le souvenir de ma faute, était celui de la conscience. Ceci est un point important ; nous allons nous y arrêter quelques instants.


2. Oublier et se souvenir.

 "Cela m’est entièrement sorti de la tête", disons-nous souvent, donnant à entendre par là que notre oubli tient à une lacune de notre intelligence.
En effet, les gens sont à cet égard doués d’une manière très différente. Les uns ont de la mémoire, d’autres n’en ont pas. Les plus favorisés n’ont pas une mémoire propre à tout retenir. L’un retient facilement les chiffres ou les noms ; l’autre les relations de famille, un autre possède la mémoire musicale et vous joue une mélodie qu’il n’a entendue qu’une fois, d’autres enfin vous répètent dans les plus petits détails des histoires qu’on leur a racontées. On peut user de différents moyens pour fortifier sa mémoire ou lui venir en aide ; mais on n’arrive pas à de grands résultats. La meilleure volonté et la plus tendre affection sont impuissantes. Je n’ai pu jusqu’ici retenir les anniversaires de mes sept enfants, et pourtant ce n’est pas manque de tendresse.

En revanche, il y a des hommes qui savent les dates de la naissance et de la mort d’une foule de gens, et n’ont pas pour cela un coeur plus aimant que d’autres.
Le cas est différent lorsqu’il s’agit de nos obligations les plus sacrées, et de choses qui dépendent de notre volonté ou de notre affection. Lorsque votre enfant a négligé ses devoirs d’écolier, vous n’admettez pas qu’il s’excuse en disant : "Mon père, je les ai oubliés." Vous lui répondez : "Tu les as oubliés parce que tu n’y mettais pas d'intérêt ; ta mémoire n’est jamais en défaut lorsqu’il s’agit de me réclamer ton argent de poche." Vous lui imposez un pensum pour lui apprendre à se souvenir, et si la punition est suffisamment grave, elle atteindra son but. Une fiancée douterait avec raison de l’amour de son fiancé s’il négligeait la correspondance pendant des semaines entières. Un homme riche est accusé de manquer de coeur lorsqu’il oublie de pourvoir aux besoins des pauvres qui l’entourent. Cet oubli n’est pas un défaut de mémoire, mais un péché, car il ne vient que de son égoïsme. Comment se fait-il que nous oublions si souvent nos promesses et que nous nous souvenons si bien de celles des autres ? N’est-il pas vrai que nous préférons recevoir plutôt que donner ? Autre exemple. Si vous avez aujourd’hui oublié votre prière, cela ne vient pas d’une lacune de votre intelligence, mais du fait que vous êtes un homme charnel, mondain, qui veut se passer de son Dieu et poursuivre sa route sans lui. Quiconque oublie Dieu, néglige de le remercier, de s’humilier devant lui, est coupable.

Celui qui, comme l’échanson, oublie les bienfaits, soit qu’il les ait reçus directement de Dieu, soit qu’ils lui viennent des hommes, ou qui n’accomplit pas ses promesses, ne saurait se justifier. Il mérite un blâme sévère et, si une pareille négligence se renouvelle, nous l’accusons d’avoir une nature vulgaire et basse. "Si je t’oublie, Jérusalem, que ma droite m’oublie", ainsi psalmodiaient les Juifs pendant la captivité. Ils trouvaient juste que le Dieu du ciel les oubliât s’ils perdaient la mémoire de l’antique patrie et des révélations qui l’enveloppaient comme une nuée d’encens. "Une femme oublie-t-elle l’enfant qu’elle allaite ?" N’a-t-elle pas pitié du fruit de ses entrailles ? Telle est la question inspirée par Dieu au prophète Esaïe. Non, elle ne le peut pas ; il faudrait qu’auparavant elle fit mourir son coeur de femme, qu’elle anéantit ses instincts maternels. Aucune joie, aucune douleur, aucun devoir ne l’excuseraient d’avoir oublié son enfant.

Nous avons énuméré bien des exemples ; ils nous prouvent, mieux que de savantes dissertations, que se souvenir est une chose importante. Le souvenir découle de l’amour, l’oubli vient de l’égoïsme. Il peut arriver qu’en certaines occasions tous les devoirs cessent d’exister, parce qu’ils sont effacés ou rejetés dans l’ombre par un autre devoir plus impérieux qu’eux tous. Lorsque vous êtes appelé au lit de mort de votre père, vos obligations envers vos enfants, vos domestiques, envers les choses d’intérêt général disparaissent. Mais ce qui ne doit jamais passer au second plan, c’est votre communion avec Dieu. Si vous êtes fidèles dans ce domaine, si vous accordez tous ses droits à celui qui est amour et veut répandre son amour dans le coeur de ses enfants, vous ne négligerez jamais vos devoirs envers votre prochain.

Ne dites pas légèrement : "Je l’ai seulement oublié." Ce seulement ne témoigne que de la grandeur de votre égoïsme. La police, sans doute, ne vous punira pas pour avoir manqué à vos promesses, comme elle châtie et doit châtier la femme qui, pour nourrir ses enfants, vole un pain au boulanger. Mais combien cette dernière faute est légère aux yeux de Dieu en comparaison de ces oublis auxquels les hommes attachent si peu d’importance ! Oh ! ces pages blanches, ces pages blanches !

En ce qui concerne l’échanson, sa conduite nous montre combien l’oubli et le souvenir dépendent de la volonté. Sa mémoire lui fait défaut tant qu’il s’agit d’être utile à un malheureux, elle lui revient à l’instant où il peut servir le puissant roi et augmenter son crédit auprès de lui. Plut à Dieu que l’échanson seul fut coupable en ces matières, et que vous et moi ne lui ressemblions pas ! Nous devons d’ailleurs juger cet Égyptien avec indulgence, car ce n’était qu’un païen ; mais soyons sévères pour nous-mêmes. Sachons-lui gré de traiter la chose sérieusement, de la nommer un péché, et de se condamner lui-même ; il eut pu parler de Joseph sans s’accuser.

L’échanson a rendu au monde un service signalé en disant : Je vais rappeler aujourd’hui le souvenir de ma faute. Par cet aujourd’hui il a soulagé sa conscience et il s’est procuré à lui-même une joie délicieuse. Le prisonnier qui devait sitôt devenir son supérieur, lui aura sans doute fait beaucoup de bien. En vérité, par sa confession, cet homme s’est affranchi lui-même avec Joseph.

Plût à Dieu que l’humble aujourd’hui de l’échanson devienne pour vous, lecteur, une réalité bénie. Je venais de prêcher sur ce sujet quand je vis arriver un ouvrier qui me dit : "Vos paroles m’ont atteint jusqu’au fond de l’âme. Il y a un an, dans une dure épreuve, j’ai promis à Dieu de faire quelque chose de sérieux pour sa gloire, s’il me délivrait de mon angoisse. J’ai toujours renvoyé l’accomplissement de mon devoir, mais maintenant le diable ne me trompera pas davantage. Voici cinquante marks pour la mission en Afrique." Je félicitai cet homme, qui était heureux plus qu’il ne l’avait été depuis longtemps ; il se sentait aussi riche que s’il avait trouvé un trésor, bien qu’il se fut appauvri, humainement parlant, de cinquante marks. Allez et faites de même.

Une jeune mère de la classe pauvre vint aussi, apportant deux marks soixante-dix pfennigs qu’elle avait laborieusement économisés. Elle me pria de les employer à envoyer un enfant souffrant à la campagne. "Il y a trois ans", dit-elle, "vous avez procuré à mon petit garçon une cure de bains qui l’a sauvé. Je voudrais payer ma dette de reconnaissance à Dieu et aux hommes." Cet acte me toucha fort et, s’il touche également mes lecteurs, il en résultera beaucoup de bien. Ils se souviendront de mainte dette de reconnaissance qu’eux aussi ont contractée envers Dieu et les hommes. Le jour où ils l’acquitteront sera un beau jour.

Oui, ce serait un beau jour si vous faisiez aujourd’hui cet acte contre lequel vous regimbez ; si, vous abandonnant à l’action du St-Esprit, vous reconnaissiez ce péché qui pèse depuis si longtemps sur votre conscience ; si vous le confessiez en foulant aux pieds votre fol orgueil. Ce serait un beau jour si vous cédiez à la voix de votre conscience et tendiez à votre frère, contre lequel vous êtes irrité depuis si longtemps, la main de la réconciliation.

"Le salut est entré aujourd’hui dans cette maison "; telle fut la parole adressée par Jésus à Zachée. Pourquoi aujourd’hui ? Parce que Zachée s’est enfin livré à ce désir secret qui le poussait vers son Sauveur, parce que, méprisant l’opinion de ses concitoyens, bravant leurs moqueries, il est monté sur le sycomore pour voir passer Jésus.
De cet aujourd’hui que la foi du publicain a fait naître, résulte une bénédiction spéciale que le Sauveur lui accorde. Il vous l’accordera à vous aussi, qui savez dès longtemps que votre salut dépend de votre pleine consécration à votre Sauveur, si vous vous affranchissez aujourd’hui de la crainte de l’opinion, si vous n’avez plus honte de votre Rédempteur et donnez dans votre maison un rôle prépondérant à sa Parole. Faites ainsi pour toutes choses. Que tous les hommes qui ont affaire avec vous sentent que votre coeur et votre vie sont à Dieu. Dans ces conditions, le jour de la mort sera pour vous un jour de bonheur, et vous serez aussi heureux que le brigand qui entendit la parole : "Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis."

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