"Les pages blanches de la vie portent souvent
condamnation contre elle," ainsi s’exprime un
penseur. C’est là une parole
profondément vraie et propre à
effrayer même les plus endurcis. Les pages
blanches de votre vie témoignent par leur
vide même que vous n’avez rien fait de
ce que vous auriez pu ou dû faire, que vous
avez négligé une foule
d’occasions d’être la
lumière et le sel de la terre ou de
travailler à votre propre salut.
Qui pourrait oublier, à ce propos, que
Jésus, le souverain Juge, a
déclaré qu’il rejetterait ceux
qui n’auraient pas fait ce qu’ils
auraient du faire, qui ne l’auraient pas
visite, recueilli, vêtu.
(Matth.
XXV) Ils ont
négligé, de la manière la plus
coupable, des occasions excellentes de montrer leur
foi par leurs oeuvres, et ont vécu pour
eux-mêmes. Aussi sont-ils rejetés dans
les ténèbres du dehors, non pour
avoir commis tel ou tel forfait, mais pour avoir
fait de leur vie l’expression parfaite de
l’égoïsme.
Le temps est un trésor que vous devez
employer pour la gloire de Dieu et le bonheur de
vos frères, et chaque journée en est
une fraction, une page blanche que vous êtes
appelés à remplir. Le temps pendant
lequel vous n’avez rien fait pour la
glorification de votre Père céleste,
est perdu et s’élèvera en
accusation contre vous. Oh ! ces pages
blanches, ces pages blanches ! Combien
d’occasions avons-nous eues de consoler un
coeur affligé ou d’avertir un
pécheur ! Mais, hélas ! nos
convenances, nos distractions, notre
lâcheté, notre égoïsme,
nous en ont détournes. Quant à ce que
nous avons négligé et par
conséquent gâté, cela
échappe à notre contrôle.
Oh ! ces pages blanches ! Combien souvent
la douce voix de l’Esprit a
résonné dans notre coeur ! Elle
nous exhortait à prendre la vie au
sérieux, à saisir le salut, à
faire un fidèle usage des moyens de
grâce qui nous étaient offerts,
à renoncer à tel ou tel
péché, a nous réconcilier avec
notre frère ; mais cette voix n’a
pas été écoutée, nous
n’avons pas voulu l’entendre, nous avons
attendu, nous avons dit : "Bientôt,
bientôt, pas a présent," et tout est
reste tel qu’auparavant. Oh !
malheureuses pages blanches !
Pourquoi en parler maintenant ? Notre
récit nous y oblige. Heureux et
reconnaissant, l’échanson avait promis
à Joseph d’intercéder pour
lui ; mais, dès qu’il fut dans la
prospérité, il l’oublia. On
pourrait penser que son bonheur même et sa
reconnaissance envers Dieu auraient dû lui
rappeler ce Joseph si sympathique, si secourable,
et précisément alors il
l’oublia. N’était-ce pas
scandaleux ? Oui, scandaleux, comme la
conduite de milliers d’autres hommes
délivres de leurs angoisses.
Il est vrai que cette négligence fut un
bonheur pour Joseph. Si l’échanson eut
pensé à lui plus tôt, cela lui
aurait été plus nuisible que
profitable. Le moment ou Pharaon a l’esprit
agité par ses songes, ou ses prêtres,
ses philosophes, ses magiciens sont frappés
d’aveuglement, c’est l’instant
favorable, c’est le jour où la parole
de l’échanson pourra
pénétrer dans le coeur du roi. Tout
cela est vrai, mais ne justifie cet homme en aucune
manière. Il ne s’est pas tu parce
qu’il attendait l’occasion propice
d’intercéder pour Joseph, mais parce
qu’il avait perdu de vue son bienfaiteur. Si
l’angoisse du roi n’avait pas ému
le courtisan, cet oubli incroyable, qui avait
déjà duré deux ans, aurait
été définitif, et Joseph fut
reste en prison toute sa vie.
Heureusement, au-dessus des nuages il y avait
quelqu’un dont le souvenir était plus
vivant que celui de l’échanson. Ce fut
lui qui envoya au roi ses songes et voilà
aux sages leur sens si clair. Dieu, enfin, se
servit de l’ingratitude de
l’échanson, qu’il n’avait pas
inspirée, mais qu’il utilisa pour
accomplir ses desseins.
L’échanson lui-même
s’indigne de sa négligence, et ceci
parle en sa faveur "Je vais rappeler
aujourd’hui le souvenir de ma faute," dit-il.
Au lieu de cela, il aurait pu parler ainsi :
"Il me revient à l’ instant une chose
que j’avais presque oubliée ; je
connais un homme qui pourrait peut-être tirer
votre Majesté de peine." La prudence se fut
exprimée de la sorte. Le cri : Je vais
rappeler aujourd’hui le souvenir de ma faute,
était celui de la conscience. Ceci est un
point important ; nous allons nous y
arrêter quelques instants.
"Cela m’est entièrement sorti de la
tête", disons-nous souvent, donnant à
entendre par là que notre oubli tient
à une lacune de notre intelligence.
En effet, les gens sont à cet égard
doués d’une manière très
différente. Les uns ont de la
mémoire, d’autres n’en ont pas.
Les plus favorisés n’ont pas une
mémoire propre à tout retenir.
L’un retient facilement les chiffres ou les
noms ; l’autre les relations de famille,
un autre possède la mémoire musicale
et vous joue une mélodie qu’il n’a
entendue qu’une fois, d’autres enfin vous
répètent dans les plus petits
détails des histoires qu’on leur a
racontées. On peut user de différents
moyens pour fortifier sa mémoire ou lui
venir en aide ; mais on n’arrive pas
à de grands résultats. La meilleure
volonté et la plus tendre affection sont
impuissantes. Je n’ai pu jusqu’ici
retenir les anniversaires de mes sept enfants, et
pourtant ce n’est pas manque de tendresse.
En revanche, il y a des hommes qui savent les dates
de la naissance et de la mort d’une foule de
gens, et n’ont pas pour cela un coeur plus
aimant que d’autres.
Le cas est différent lorsqu’il
s’agit de nos obligations les plus
sacrées, et de choses qui dépendent
de notre volonté ou de notre affection.
Lorsque votre enfant a négligé ses
devoirs d’écolier, vous n’admettez
pas qu’il s’excuse en disant : "Mon
père, je les ai oubliés." Vous lui
répondez : "Tu les as oubliés
parce que tu n’y mettais pas
d'intérêt ; ta mémoire
n’est jamais en défaut lorsqu’il
s’agit de me réclamer ton argent de
poche." Vous lui imposez un pensum pour lui
apprendre à se souvenir, et si la punition
est suffisamment grave, elle atteindra son but. Une
fiancée douterait avec raison de
l’amour de son fiancé s’il
négligeait la correspondance pendant des
semaines entières. Un homme riche est
accusé de manquer de coeur lorsqu’il
oublie de pourvoir aux besoins des pauvres qui
l’entourent. Cet oubli n’est pas un
défaut de mémoire, mais un
péché, car il ne vient que de son
égoïsme. Comment se fait-il que nous
oublions si souvent nos promesses et que nous nous
souvenons si bien de celles des autres ?
N’est-il pas vrai que nous
préférons recevoir plutôt que
donner ? Autre exemple. Si vous avez
aujourd’hui oublié votre prière,
cela ne vient pas d’une lacune de votre
intelligence, mais du fait que vous êtes un
homme charnel, mondain, qui veut se passer de son
Dieu et poursuivre sa route sans lui. Quiconque
oublie Dieu, néglige de le remercier, de
s’humilier devant lui, est coupable.
Celui qui, comme l’échanson, oublie les
bienfaits, soit qu’il les ait reçus
directement de Dieu, soit qu’ils lui viennent
des hommes, ou qui n’accomplit pas ses
promesses, ne saurait se justifier. Il
mérite un blâme sévère
et, si une pareille négligence se
renouvelle, nous l’accusons d’avoir une
nature vulgaire et basse. "Si je t’oublie,
Jérusalem, que ma droite m’oublie",
ainsi psalmodiaient les Juifs pendant la
captivité. Ils trouvaient juste que le Dieu
du ciel les oubliât s’ils perdaient la
mémoire de l’antique patrie et des
révélations qui l’enveloppaient
comme une nuée d’encens. "Une femme
oublie-t-elle l’enfant qu’elle
allaite ?" N’a-t-elle pas pitié du
fruit de ses entrailles ? Telle est la
question inspirée par Dieu au
prophète Esaïe. Non, elle ne le peut
pas ; il faudrait qu’auparavant elle fit
mourir son coeur de femme, qu’elle
anéantit ses instincts maternels. Aucune
joie, aucune douleur, aucun devoir ne
l’excuseraient d’avoir oublié son
enfant.
Nous avons énuméré bien des
exemples ; ils nous prouvent, mieux que de
savantes dissertations, que se souvenir est une
chose importante. Le souvenir découle de
l’amour, l’oubli vient de
l’égoïsme. Il peut arriver
qu’en certaines occasions tous les devoirs
cessent d’exister, parce qu’ils sont
effacés ou rejetés dans l’ombre
par un autre devoir plus impérieux
qu’eux tous. Lorsque vous êtes
appelé au lit de mort de votre père,
vos obligations envers vos enfants, vos
domestiques, envers les choses
d’intérêt général
disparaissent. Mais ce qui ne doit jamais passer au
second plan, c’est votre communion avec Dieu.
Si vous êtes fidèles dans ce domaine,
si vous accordez tous ses droits à celui qui
est amour et veut répandre son amour dans le
coeur de ses enfants, vous ne négligerez
jamais vos devoirs envers votre prochain.
Ne dites pas légèrement : "Je
l’ai seulement oublié." Ce seulement ne témoigne que
de la
grandeur de votre égoïsme. La police,
sans doute, ne vous punira pas pour avoir
manqué à vos promesses, comme elle
châtie et doit châtier la femme qui,
pour nourrir ses enfants, vole un pain au
boulanger. Mais combien cette dernière faute
est légère aux yeux de Dieu en
comparaison de ces oublis auxquels les hommes
attachent si peu d’importance ! Oh !
ces pages blanches, ces pages blanches !
En ce qui concerne l’échanson, sa
conduite nous montre combien l’oubli et le
souvenir dépendent de la volonté. Sa
mémoire lui fait défaut tant
qu’il s’agit d’être utile
à un malheureux, elle lui revient à
l’instant où il peut servir le puissant
roi et augmenter son crédit auprès de
lui. Plut à Dieu que l’échanson
seul fut coupable en ces matières, et que
vous et moi ne lui ressemblions pas ! Nous
devons d’ailleurs juger cet Égyptien
avec indulgence, car ce n’était
qu’un païen ; mais soyons
sévères pour nous-mêmes.
Sachons-lui gré de traiter la chose
sérieusement, de la nommer un
péché, et de se condamner
lui-même ; il eut pu parler de Joseph
sans s’accuser.
L’échanson a rendu au monde un service
signalé en disant : Je vais rappeler
aujourd’hui le souvenir de ma faute. Par cet aujourd’hui il a
soulagé sa
conscience et il s’est procuré à
lui-même une joie délicieuse. Le
prisonnier qui devait sitôt devenir son
supérieur, lui aura sans doute fait beaucoup
de bien. En vérité, par sa
confession, cet homme s’est affranchi
lui-même avec Joseph.
Plût à Dieu que l’humble aujourd’hui de l’échanson
devienne pour vous, lecteur, une
réalité bénie. Je venais de
prêcher sur ce sujet quand je vis arriver un
ouvrier qui me dit : "Vos paroles m’ont
atteint jusqu’au fond de l’âme. Il
y a un an, dans une dure épreuve, j’ai
promis à Dieu de faire quelque chose de
sérieux pour sa gloire, s’il me
délivrait de mon angoisse. J’ai
toujours renvoyé l’accomplissement de
mon devoir, mais maintenant le diable ne me
trompera pas davantage. Voici cinquante marks pour la mission
en Afrique." Je
félicitai cet homme, qui était
heureux plus qu’il ne l’avait
été depuis longtemps ; il se
sentait aussi riche que s’il avait
trouvé un trésor, bien qu’il se
fut appauvri, humainement parlant, de cinquante marks. Allez
et faites de même.
Une jeune mère de la classe pauvre vint
aussi, apportant deux marks soixante-dix pfennigs qu’elle
avait laborieusement
économisés. Elle me pria de les
employer à envoyer un enfant souffrant
à la campagne. "Il y a trois ans", dit-elle,
"vous avez procuré à mon petit
garçon une cure de bains qui l’a
sauvé. Je voudrais payer ma dette de
reconnaissance à Dieu et aux hommes." Cet
acte me toucha fort et, s’il touche
également mes lecteurs, il en
résultera beaucoup de bien. Ils se
souviendront de mainte dette de reconnaissance
qu’eux aussi ont contractée envers Dieu
et les hommes. Le jour où ils
l’acquitteront sera un beau jour.
Oui, ce serait un beau jour si vous faisiez aujourd’hui cet
acte contre lequel vous
regimbez ; si, vous abandonnant à
l’action du St-Esprit, vous reconnaissiez ce
péché qui pèse depuis si
longtemps sur votre conscience ; si vous le
confessiez en foulant aux pieds votre fol orgueil.
Ce serait un beau jour si vous cédiez
à la voix de votre conscience et tendiez
à votre frère, contre lequel vous
êtes irrité depuis si longtemps, la
main de la réconciliation.
"Le salut est entré aujourd’hui dans
cette maison "; telle fut la parole
adressée par Jésus à
Zachée. Pourquoi aujourd’hui ? Parce que Zachée s’est
enfin
livré à ce désir secret qui le
poussait vers son Sauveur, parce que,
méprisant l’opinion de ses concitoyens,
bravant leurs moqueries, il est monté sur le
sycomore pour voir passer Jésus.
De cet aujourd’hui que la foi du
publicain a fait naître, résulte une
bénédiction spéciale que le
Sauveur lui accorde. Il vous l’accordera
à vous aussi, qui savez dès longtemps
que votre salut dépend de votre pleine
consécration à votre Sauveur, si vous
vous affranchissez aujourd’hui de la
crainte de l’opinion, si vous n’avez plus
honte de votre Rédempteur et donnez dans
votre maison un rôle
prépondérant à sa Parole.
Faites ainsi pour toutes choses. Que tous les
hommes qui ont affaire avec vous sentent que votre
coeur et votre vie sont à Dieu. Dans ces
conditions, le jour de la mort sera pour vous un
jour de bonheur, et vous serez aussi heureux que le
brigand qui entendit la parole :
"Aujourd’hui tu seras avec moi dans le
paradis."
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