Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XI

UNE PRISON COMME RÉCOMPENSE

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1. Ainsi va le monde.

 "Celui qui croit à la Providence, connaît mal le monde. Les destinées humaines s’arrangent comme les pièces d’un kaléidoscope, sans aucun ordre." Je lisais dernièrement ces lignes et je comprends qu’on les écrive quand on regarde superficiellement les choses. Celui qui ne sait pas attendre, cherche en vain un ordre divin dans les événements, il ne saurait l’y trouver, car il n’y voit pas la main de son Dieu.

Comment croire à la Providence quand on voit les impies réussir dans leurs vils projets comme s’ils étaient les maîtres du monde, tandis que les enfants de Dieu sont accablés et reçoivent comme prix de leur fidélité le mépris, la honte et la pauvreté ?

Il semble, après la victoire héroïque remportée par Joseph, que Dieu doit lui donner une récompense toute spéciale et l’honorer devant les hommes. Il n’en est rien. La femme coupable a le dernier mot. Potinerai se met en colère ; il sacrifie Joseph et le désigne aux yeux du monde comme un être vil et ingrat. Ce qui nous étonne c’est qu’on ne lui ait pas fait son procès et que sa tête soit restée sur ses épaules. La vie de Joseph tenait à un fil. Que serait devenu le royaume de Dieu sur la terre si ce fil s'était brisé ? À vues humaines il s’en faut de peu souvent pour que l’histoire du peuple de Dieu soit interrompue. L’avenir d'Israël est renfermé avec Moïse dans ce petit coffret qui flotte sur les eaux du Nil. Vienne un crocodile, vienne un passant qui s’empare de la corbeille et c’en est fait. Cinq cents ans plus tard tout se concentre sur l’existence de David. Et David est poursuivi, traque par Saul comme une bette féroce ; pendant vingt ans il est chaque jour en péril. Mais le fil ne se rompt pas, quelque tenu qu’il soit. La Providence peut se permettre des imprudences. Elle sait ce qu’elle fait. Le fil tenu par la main de Dieu est plus solide que les chaînes de fer forgées par la main des hommes. Ne nous inquiétons pas au sujet de Joseph. Humainement parlant, il est destiné à ne jamais sortir de prison. Potiphar avait le plus grand intérêt à faire disparaître son esclave ; il était le dernier à désirer que le prisonnier reparut au jour. Une main plus forte que la sienne devait arranger l’affaire. Combien de temps Joseph passa-t-il dans le cachot ? Nous l’ignorons. Treize années s'écoulèrent entre le jour de l’achat et celui de la libération, et Joseph resta deux ans en prison après la sortie du panetier. Nous ne savons pas depuis combien d'années il était captif quand il expliqua les songes du panetier et de l'échanson. Son avenir devait lui paraître sombre et sans issue, et comme sur la porte de l’enfer on aurait pu tracer sur le seuil de la prison le vers du Dante :

"Lasciate ogni speranza voi ch'entrate. "

Quant au lieu de la captivité, l'écriture nous dit que c’était "la prison du roi". celle où l’on enfermait, non les petits voleurs, mais les hommes accusés de crimes contre la majesté royale. De vieilles inscriptions nous apprennent qu’ils étaient gardés plus étroitement, mais mieux tenus que les condamnés ordinaires. Cette prison était située près de temples magnifiques et de belles casernes, dans cette ville de Memphis qu'Ebers nous dit être appelée la ville des blanches murailles. C’est là que nous chercherons Joseph.


2. Dans la sombre vallée, je suis avec toi.

 Dans quel esprit Joseph est-il entré dans cette nouvelle phase de sa vie ? Il s'était en quelque mesure attiré ses souffrances précédentes, tandis que son épreuve actuelle était la récompense de sa fidélité au devoir. C’est une leçon toute nouvelle pour cet homme de foi. Il court le danger de douter de son Dieu. Dix-neuf siècles plus tard, le Sauveur a averti ses disciples à cet égard. Heureux serez-vous, dit-il, lorsqu’on vous outragera, qu’on vous persécutera, et qu’on dira faussement de vous toute sorte de mal à cause de moi. Il a gravé ce mot heureux dans leur coeur. Ne nous pressons cependant pas trop de prendre cet encouragement pour nous quand nous avons à nous plaindre de nos frères. Demandons-nous d’abord si nous souffrons réellement pour le nom de Christ et ensuite s’il n’y a pas quelque fondement dans les plaintes qu’on formule sur notre compte. Si nous pouvons nous rendre le témoignage que nous rentrons dans la catégorie de ceux que Jésus appela heureux, alors consolons-nous et chantons de joie fut-ce au milieu des larmes. Nous ferons de merveilleuses découvertes, car Jésus-Christ règne. Si la mort vient avant notre réhabilitation, n’importe, le ciel est le pays de la grande rétribution. L'éternité développera, expliquera et redressera les affaires de ce monde.

Pour Joseph rien n'était expliqué. Mais Dieu met toujours un rayon dans le coeur de ceux de ses enfants qui souffrent pour la vérité et une joyeuse assurance que leurs ténèbres seront changées en lumière. Des épreuves exceptionnelles sont un honneur pour l’enfant de Dieu ; elles prouvent que le Seigneur a confiance en lui.

Le général place l’officier le plus distingué au poste le plus dangereux ; la mère de famille exige de l’enfant dont elle a la plus haute opinion un renoncement qu’elle ne réclame pas des autres.
Des honneurs particuliers, des joies spéciales sont plus tard la récompense de l’officier et de la fille dévouée, cela va de soi. Dieu ne récompense-t-il pas bien mieux que les hommes ? Ceux qui ont souffert pour la justice comprendront un jour que Dieu ne se contente pas de compter nos larmes, mais qu’il les essuie lui-même de nos yeux et alors ils ne se demanderont plus pourquoi il a fallu pleurer. Leur bienheureuse expérience sera une récompense suffisante. Mais ce n’est pas seulement dans l'éternité que Dieu accorde ses faveurs. La joie des martyrs au milieu de leurs souffrances serait incompréhensible s’ils n’avaient pas senti d’une manière particulière la présence divine. Plus la position de Joseph était sans issue, plus l’espoir lui était interdit, plus il dut faire cette expérience bénie. "Dans la sombre vallée je suis avec toi."

"Il fut là en prison." lisons-nous au verset 20. Et au verset 21 : "L'éternel fut avec Joseph et il étendit sur lui sa bonté." Ce rapprochement est digne de remarque. Les croyants seuls en comprennent le sens profond. Sermo amantis barbarus est non amanti a dit Bernard de Clairvaux. "Les paroles de celui qui aime, paraissent une folie à qui ne connaît pas l’amour." Ceci est vrai déjà dans les affections humaines. Le tendre langage de deux heureux fiancés éveille la moquerie de ceux qui ne comprennent pas le bonheur d’aimer. Dans le domaine religieux dont parle St-Bernard il en est de même. L’homme charnel dont toutes les pensées sont pour ce monde ne peut juger des choses spirituelles et il ne devrait pas le tenter.

J’aurais honte pour ma part de donner mon opinion sur la gravitation des corps célestes, mes études ne m’ayant pas conduit à m’occuper de cette question. Que mon ignorance soit un mal, j’en conviens ; mais puisqu’elle existe, le silence est un devoir. De même ceux qui ne se sont jamais préoccupés des choses de Dieu, ne peuvent avoir la plus faible idée de ce que Dieu est pour une âme qui s’est donnée à lui, ni comprendre comment il la soutient et lui fait traverser joyeuse les circonstances les plus difficiles. L’homme charnel s'étonne de voir combien peu une âme, remplie de la grasse divine, à besoin des biens de ce monde. Il ne comprend pas comment Joseph, après avoir traversé tant de luttes et de déceptions, pouvait encore supporter, joyeux, la vie solitaire et terne de la prison. Mais celui qui sait que Dieu est la vraie vie de l'âme comprend que Joseph a eu des jouissances et des consolations intimes dont pas un habitant de Memphis la superbe, ne pouvait se faire une idée. Sa conscience lui rendait témoignage qu’il était un enfant de Dieu et lui garantissait un avenir bienheureux. Les souffrances du présent n’avaient d’autre but que de le préparer au bonheur à venir. Dieu donne aux âmes droites l’assurance que les contrariétés d’ici-bas s’expliqueront plus tard. Dans cette pensée on peut vivre en paix. Celui qui souffre injustement sait mieux que tout autre qu’il est à l'école de la grâce et que toute souffrance est une preuve de l’amour de son Dieu. Le Seigneur lui montre clairement que ce n’est qu'après avoir été abaissé jusqu’au fond de l’abîme qu’on peut être élevé sur les purs sommets du bonheur céleste. Je termine ces remarques en transcrivant ici un hymne du poète écossais, Horaires Sonar. Il est intitulé : « Touché par le maître ».

"La brise du soir soupire de douces mélodies, et dans le bloc de marbre sommeille une forme idéale, mais nul n’entend, nul ne voit. Pour nous révéler la musique et la beauté il faut la main du maître. — Oh Maître ! touche nos coeurs pour leur faire livrer leur céleste harmonie, touche nos âmes pour leur faire reproduire ton image divine. N'épargne pas les coups, sculpte et cisèle à ton gré, achève ton oeuvre, Seigneur, et sans te lasser poursuis le plan que tu as formé à notre égard."


3. Travail et joie.

 Nous ne pouvons clore ce chapitre sans faire remarquer que Joseph a travaille dans la prison et que ce travail a été, après ses rapports avec Dieu, la source la plus pure de son bonheur. Pour parler plus exactement, c’est parce qu’il était un enfant de Dieu qu’il a eu le désir de travailler. Il a exposé ce désir à Dieu et sans doute aussi au geôlier de la prison.

"L'éternel fut avec Joseph", est-il écrit. "Il le mit en faveur aux yeux du chef de la prison. Et le chef de la prison plaqua sous sa surveillance tous les prisonniers qui étaient dans la prison ; et rien ne s’y faisait que par lui. Le chef de la prison ne prenait aucune connaissance de ce que Joseph avait en main, parce que l'Éternel était avec lui. Et l'Éternel donnait de la réussite à ce qu’il faisait." - Il devait y avoir beaucoup de besogne dans cette prison ; des livres de comptes à tenir, une surveillance à exercer, des détenus à visiter séparément, une correspondance à faire. Tels furent les devoirs de Joseph.

Comment le chef de la prison en vint-il à lui confier de telles charges ? Peut-être reconnut-il son innocence ? Mais cela n’aurait éveillé chez lui que de la pitié. Joseph dut lui donner des preuves de sa capacité et de son amour pour le travail. Le jeune prisonnier se fut-il contenté de pleurer, de prier, de raconter ses malheurs, d’avoir l’air aigri, se fut-il borné à philosopher sur les dispensatrices de Dieu et à faire une élégie sur son triste sort : se fut-il appliqué comme d’autres captifs à apprivoiser des souris ou des araignées, il n’aurait pas attiré l’attention du geôlier. On ne s'arrête pas auprès des gens aigris. Joseph devait avoir dans la prison un regard aimable et lumineux. Il a probablement demandé à son chef de lui permettre de l’aider. Celui-ci s’est vite aperçu que l’ouvrage se faisait à souhait. Il devina qu’une main puissante conduisait Joseph, il en fit son homme de confiance. Joseph eut bientôt sur les bras autant d’ouvrage qu’il voulait et n’eut pas de temps à donner aux regrets inutiles ; il fut aussi traité avec douceur. Tous deux, le chef et le prisonnier se trouvèrent bien des mesures prises.

Ne pas occuper les détenus est une chose inique. On croyait bien faire, il n’y a pas longtemps, même en pays chrétiens, en les laissant agglomérés sans aucun travail. La prison, dans de telles circonstances, est une école de vice et de grossièreté. Maintenant on a reconnu que les condamnés étaient des hommes et devaient être mis, par un travail régulier, en mesure de redevenir des membres utiles de la société. Il y a encore cependant de grands progrès à accomplir dans ce domaine. Joseph n'était pas un moine ou un ermite paresseux. Il montre que l’homme, s’il entretient avec son Dieu des rapports normaux, est aussi en rapport avec le monde. Un homme pieux doit être un membre utile de la société. L'indifférence pour les affaires terrestres est un signe de maladie spirituelle. J’ai connu des paysans qui discutaient des matinées entières sur la prédestination ; pendant ce temps, leurs pommes de terre gelaient dans les champs. J’ai connu des hommes qui voulaient éteindre un incendie par la prière tout en laissant de cote la pompe à feu. J’en connais d’autres qui croient guérir par des psaumes et des cantiques et violent les lois les plus élémentaires de l'hygiène dans leurs propres demeures. Il ne manque pas de caricatures de la piété. Les pieux voleurs sont en réalité plus rares que les rochers qui marchent. Ou bien ils ne sont pas des voleurs, ou bien ils ne sont pas pieux.

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