Un philanthrope hollandais fit construire une
fontaine couverte au bord d’une route sur
laquelle passaient journellement des centaines
d’ouvriers. L’eau était pure et
abondante, et des gobelets irréprochablement
propres invitaient les passants à se
rafraîchir. Au bout de quelque temps, on
informa le donateur que son oeuvre prêtait le
flanc à de nombreuses critiques. Le style de
la fontaine était défectueux, elle
n’était pas à la bonne place,
bientôt elle serait tarie, etc. Le
philanthrope, pour toute réponse, demanda si
les passants faisaient usage de l’eau
qu’il avait mise à leur disposition. On
put l’assurer que journellement une foule de
travailleurs se pressaient à l’entour,
s’y rafraîchissaient avec délices
et bénissaient leur bienfaiteur. Celui-ci
sourit : "Mon but est atteint, dit-il, laissez
causer les gens, leur critique m’est
absolument indifférente."
Il avait raison, et c’est ainsi qu’on
devrait juger les hommes, les chrétiens en
particulier. Le monde vous critiquera, il dira que
vous êtes arrière, étroit, que
votre piété est
exagérée, vos intentions
incompréhensibles, qu’importe, pourvu
qu’on dise également de vous que vous
êtes fidèle à votre devoir et
que votre influence est bénie pour votre
entourage.
Je voyageais un jour dans un train en compagnie
d’hommes qui m’étaient inconnus,
mais qui passaient pour être des
libéraux éclairés.
Malgré leur libéralisme, ils ne
ménageaient guère dans leur
conversation leurs concitoyens piétistes.
J’aime à croire qu’ils les
calomniaient, car ils blâmaient
l’indélicatesse de l’un,
l’entêtement de l’autre, la
mauvaise langue du troisième. Leurs
méchants propos atteignirent enfin un
certain négociant ; à ce moment
l’un d’entre eux se dressa dans le wagon
et s’écria : "Vous savez que je
suis un libéral de la plus belle eau et que
X. est un piétiste, néanmoins, que
personne ne dise rien contre lui en ma
présence. S’il y avait dans la ville
cent hommes comme lui, les choses iraient mieux
qu’elles ne vont." Aucun des assistants ne
protesta contre cette affirmation ; leur
silence fut un bel éloge adresse à
cet homme qui, à ce que j’ai su depuis,
rendait à l’occasion un courageux
témoignage de sa foi, mais qui prouvait par
sa conduite surtout, qu’il voulait être
la lumière et le sel de la terre.
La Bible nous montre à chaque page que les
meilleurs serviteurs de Dieu sont aussi les plus
zèles serviteurs de leurs frères.
Voyez Moïse, "qui était fidèle
dans toute la maison de Dieu" ; voyez Daniel,
le gouverneur agréable à Dieu et aux
hommes ; voyez enfin St-Paul, qui a
contribué plus puissamment au bien de
l’humanité que tous les philosophes,
les législateurs et les philanthropes
réunis. Dans toute la suite du récit
sacré nous retrouvons une série
ininterrompue d’hommes et de femmes qui ont
trouvé que la piété est utile
à tout, ayant les promesses non seulement de
la vie qui est à venir mais aussi de la vie
présente.
Vous glorifierez le nom de votre Père
céleste, vous rendrez ce nom précieux
pour ceux qui ne le connaissent pas encore, dans la
mesure où vous prouverez que le
christianisme a fait de vous un membre béni
de la famille. Quelle que soit votre position,
montrez que votre foi vous rend fidèle
à l’accomplissement de votre devoir,
que vous êtes bon patriote, ami sûr.
Les paroles, les sentiments, les témoignages
rendus à la tribune ou par écrit, ne
sont rien. La cuisinière qui gaspille les
provisions de ses maîtres ou brûle du
gaz inutilement en se disant que cela importe peu,
du moment que son salut est assuré ; le
pasteur qui néglige la préparation de
ses sermons en se figurant que pourvu que Christ
soit annoncé, la forme importe peu ;
l’industriel qui donne des traités
à ses ouvriers, mais ne fait rien pour
améliorer leur condition ; le
professeur qui compose un livre excellent sur
l’oeuvre de la rédemption, et qui pour
sa femme et ses enfants est un poisson muet ou un
tyran ; tous ces chrétiens-là
serviraient mieux les intérêts du
royaume des cieux en n’ayant jamais le nom de
Dieu à la bouche.
Heureux celui dont toute la vie prouve que
l'Évangile est la vraie source de la
liberté, de la fidélité, de
l’amour, du bonheur. Celui-là,
qu’il soit homme ou femme, savant ou
agriculteur, patron ou ouvrier, souverain ou
manoeuvre, est un témoin de Dieu sur la
terre. Notre récit nous montre un esclave
libre comme un roi parce qu’il est
fidèle devant Dieu. Joseph n’est pas
étranger sur la terre d’exil, parce que
la source céleste que nul pouvoir humain ne
peut faire tarir, jaillit pour lui.
C’était là un réformateur
capable de renouveler la face du monde, si le monde
eut fait attention à lui.
La terre étrangère, quelque belle
qu’elle soit, ne saurait jamais devenir une
patrie ; c’est là ce que Joseph
apprit par expérience. L'Égypte
était un paradis terrestre et le palais de
Potiphar devait être un chef-d’oeuvre
d’architecture ; les beaux
vêtements, la bonne chère ne manquait
pas au jeune homme ; néanmoins, toute
la splendeur de Memphis ne lui faisait pas oublier
les montagnes de Canaan ; il était
seul, nul ne devinait ses regrets, les
désirs de son coeur, nul ne connaissait sa
foi, ses affections, ses espérances.
Seul, le Dieu qu’il servait et qui veillait
sur lui, lisait dans son coeur et savait que son
pauvre enfant éprouvé avait besoin de
consolation.
Il y a dans la Bible une parole
particulièrement douce : "Dieu ne
permettra pas que vous soyez tentés
au-delà de vos forces." Cette promesse est
vraie pour tous ceux qui veulent croire, bien
qu’elle paraisse parfois une ironie à
ceux qui de loin contemplent certaines positions.
La tentation d’Abraham lorsque Dieu lui
ordonna d’immoler Isaac,
n’était-elle pas trop forte ?
David avait-il vraiment assez de constance pour se
laisser pendant des années traquer comme une
bête fauve par Saul ? Le malheur de Job
ne passa-t-il pas la mesure ? Ces hommes
pourtant ne se sont pas suicidés, ils
n’ont même pas perdu leur confiance en
Dieu et tous auraient été heureux de
rendre témoignage à la
vérité de la promesse divine.
Parmi mes lecteurs, il y en a sans doute beaucoup
qui ont subi des épreuves qui les faisaient
frissonner eux et leur entourage, et qui
néanmoins n’ont pas été
au-dessus de leurs forces tant que leur foi a tenu
bon. Au jour de la tempête, le Dieu qui sonde
les coeurs comme seul le Créateur peut le
faire, leur a donne un secours mystérieux
qu’ils ne soupçonnaient pas
jusqu’alors. Dans des situations
intolérables en apparence il a porté
notre fardeau. Il nous a montré par les
rayons inattendus qu’il faisait briller sur
notre route qu’il pensait à nous et
nous bénissait.
Non le jeune homme isolé dans la maison de
Potiphar, associé à cette tourbe
bigarrée, immorale, plongé dans une
existence ou le coeur réclame en vain ses
droits, ne se perdra pas. Tous les moyens
ordinaires d’édification lui font
défaut ; il n’a à sa
portée ni culte, ni Bible, ni église,
ni conducteur spirituel, ni encouragement
d’aucune sorte ; il n’a que la
communion directe avec son Dieu et cela lui suffit.
Deux choses lui sont restées et l’ont
sauvé : la prière et le travail.
Il a compris que Dieu avait vu ses larmes et
voulait éclairer sa route.
Pour que Dieu vienne en aide à Joseph il est
indispensable que Joseph se laisse aider de la
manière que Dieu jugera être la bonne.
Beaucoup de chrétiens affligés
gâtent leur position parce qu’ils
décident par eux-mêmes quel secours
Dieu doit leur envoyer. Leur enfant, par exemple,
est malade, Dieu doit le guérir ; leur
honneur commercial est compromis, il doit le leur
rendre. Mais non, Dieu a pour les relever
d’autres moyens, et pendant qu’ils
s’obstinent à n’attendre le
secours que d’un côté, ils ne
voient pas la main miséricordieuse qui se
tend vers eux à l’opposite, et par
conséquent ils négligent de la
saisir.
Si Joseph avait fait comme eux, il serait
resté dans les ténèbres.
S’il avait estimé qu’il
était indigne d’un enfant de Dieu
d’être l’esclave d’un
païen, si dans toutes ses prières il
avait demandé à Dieu de le
délivrer naturellement ou par un miracle, il
n’aurait pas été secouru.
Dieu n’a pas d’ordre à recevoir de
nous. Si nous lui prescrivons de venir de
l’Orient, il jugera peut-être
précisément à propos de venir
de l’Occident. Joseph n’est ni
volontaire, ni obstiné ; dans ses
prières il ne trace aucun plan a Dieu, il se
borne à lui dire : "Seigneur, aide-moi
comme tu le jugeras bon, fais moi goûter ton
amour, sentir ta présence ; en ce qui
concerne mon avenir, je suis tranquille. Donne-moi
aujourd’hui la lumière, la sagesse, la
joie, la force. Demain je viendrai de nouveau te
demander les mêmes grâces."
Qu’ils sont insensés ceux qui exigent
sans cesse des garanties pour des
difficultés que l’avenir seul pourra
résoudre et qui n’existeront
peut-être jamais, parce que les circonstances
auront changé. La sainte simplicité
en revanche reçoit avec une joyeuse
reconnaissance les biens que le Seigneur lui
accorde aujourd’hui, elle a la ferme assurance
que sa table est assez abondante pour la nourrir
demain de la même manière. C’est
ainsi qu’on devient capable de traverser les
temps les plus difficiles. L’âme
affamée et suppliante est rassasiée
de la manne, mais lorsqu’elle se laisse
envahir par la crainte de voir le lendemain le ciel
tomber et l’écraser, la manne
déjà entre ses lèvres est
empoisonnée. Redeviens enfant, o coeur
critique et soucieux :
Pour aujourd’hui,
Comptons sur lui.
Il nous garde,
Il nous aime,
Quant à demain,
Sa bonne main,
Y pourvoira de même.
Telle était la foi de Joseph, il faisait
de son mieux et Dieu naturellement ne trompa pas
son attente. Il le mit dans une position propre
à faire valoir ses forces et ses aptitudes.
Joseph, de son côté, savait qu’un
croyant doit faire tous ses efforts pour
développer ses facultés dans la place
ou il se trouve, que les circonstances de sa vie
soient ou non conformes à ses goûts.
S’il se fut borné à gémir
et à se lamenter sur les impies qui
l’entouraient, s’il avait accompli son
devoir avec aigreur parce qu’il y était
obligé, et dans la mesure seulement ou il y
était obligé, il se serait
enfoncé dans le bourbier et aurait
contribué à alourdir
l’atmosphère paludéenne qui
régnait autour de lui. Longtemps avant que
le Seigneur eut dit : "", Joseph suivait ce
précepte, jouissant avec reconnaissance des
biens mis sur sa route, et surtout de la confiance
que lui témoignait son maître. Il ne
s’écriait pas sans cesse entre deux
soupirs : "À quoi bon ces faveurs, je
n’en suis pas moins esclave !" Il
n’était en rien semblable à ces
saints aigris qui ne cessent de chanter des
complaintes sur la corruption du monde, qui
méprisent tout ce qui se fait sur la terre
uniquement parce que cela est terrestre, qui
croient montrer leur piété en disant
qu’ils sont sous le joug. Non, les
chrétiens ne sont pas des chattemites ;
comme Joseph, ils font l’oeuvre qui leur est
assignée avec entrain, amour et
enthousiasme, et ils savent par expérience
que, dans ces conditions, Dieu répand sur
leur travail la paix et la joie.
Joseph s’est donc mis à l’oeuvre
avec ardeur, il y a mis toute sa force et tout son
zèle, il a compris que mieux vaut travailler
que raisonner, qu’il est plus sain pour le
corps et pour l’âme de déployer
de l’activité physique que
d’écrire des tragédies, voire
même des tragédies pieuses. Il
envisageait sa tache journalière comme si
Dieu la lui avait directement assignée et
comme si c’était à lui
qu’il dut en rendre compte. C’est
là le seul véritable aspect sous
lequel nous devons considérer notre
activité terrestre. La prière dans de
telles conditions nous pousse au labeur et le
labeur nous ramène à la
prière ; ou, mieux encore, prier et
travailler devient pour nous la même chose,
et nous accomplissons la recommandation de
l’apôtre : "Priez sans cesse."
Les savants se sont livres à une foule de
suppositions sur la nature du travail que Joseph
avait à accomplir dans la maison de
Potiphar. Son maître est appelé le
chef des gardes, il était donc le pacha de
la troupe qui environnait le trône de Pharaon
et qui exécutait les sentences royales.
Était-il un maître aussi aimable
qu’on l’a quelquefois
prétendu ? Je me permets d’en
douter. Dans les cours orientales on ne choisit pas
en général pour un semblable poste
des âmes douces. Le fait qu’il honora
Joseph de sa confiance parle simplement en faveur
de sa clairvoyance et de sa connaissance des
hommes. C’était là pour lui la
meilleure manière de veiller à ses
propres intérêts. En se bornant
âpres l’acquisition d’un tel
serviteur à manger et à dormir sans
se faire de souci, il prouve simplement qu’il
était un paresseux. D’innombrables
orientaux ont la funeste coutume de se
déshabituer du travail et de la
réflexion quand ils savent leurs affaires en
de bonnes mains. Potiphar n’était pas
un Bismarck. Le christianisme seul a donné
au travail ses lettres de noblesse.
Potiphar n’était pas non plus ce que
les Anglais appellent un gentleman. Lorsque
plus tard sa femme calomnie Joseph, il le fait
jeter dans une prison. S’il avait cru à
la parole de sa femme, s’il n’eut pas
soupçonné la vérité, il
eut sans doute déféré Joseph
au bourreau. L’honneur de sa noble maison lui
interdit d’exposer sa femme au pilori. Joseph
doit donc être sacrifié. N’est-ce
pas ainsi que les choses se passent trop
souvent ?
En un mot, nous pensons que Potiphar
n’était ni meilleur ni pire que la
plupart des pachas qui ont vécu avant et
après lui sur les rives du Nil.
Sa personnalité n’est donc pour rien
dans la célébrité qu’il a
acquise. Quiconque, comme Joseph, servait le chef
des bourreaux avait sans cesse au-dessus de sa
tête une épée suspendue
à un fil. Un accès de mauvaise humeur
du maître, une habile calomnie d’un
serviteur envieux, pouvait trancher ce fil et tel
eut été le cas en effet, si Joseph
n’eut pas été dans la main de
Dieu. Il ne prospérait donc pas
lui-même, mais la prospérité
l’accompagnait, ce qui est assurément
une cause de bonheur, néanmoins cette joie
était mêlée de beaucoup
d’amertume.
Potiphar n’a pas fait immédiatement de
Joseph l’intendant de tous ses biens, le jeune
homme a dû remplir d’abord des emplois
inférieurs.
L’intelligent Égyptien comprit bien
vite qu’il avait un serviteur à la fois
très capable et très fidèle.
La Bible nous apprend aussi qu’il avait
découvert la source à laquelle Joseph
puisait sa force, sa sagesse, sa
sérénité. Il avait compris que
Jéhovah était avec Joseph, parce que
Joseph marchait avec lui ; aussi accorda-t-il
à cet étranger une confiance
illimitée et lui abandonna-t-il tout ce
qu’il possédait. Avec un autre, cette
abdication complète eut pu avoir de
fâcheuses conséquences.
La caste des guerriers avait en Égypte de
vastes possessions territoriales et le chef des
gardes doit en avoir eu sa large part. Joseph
était donc vraisemblablement chargé
de la régie du domaine, il levait la
dîme, l’encaissait, la faisait valoir.
Ceci était une préparation excellente
pour la charge importante dont il fut plus tard
revêtu par le roi. "Au milieu des instruments
d’agriculture et des produits du sol qui sont
représentés sur les tombeaux
égyptiens, nous voyons souvent un
régisseur qui inscrit les résultats
de la récolte. Dans un tombeau près
de Kum el Ahmaar nous voyons même le cabinet
de l’intendant avec tous ses accessoires."
(Ebers).
Joseph était donc inspecteur du domaine de
Potiphar, ou quelque chose d’analogue. En tous
cas, il était aussi fidèle que
capable. C’est une belle chose, lorsque la
fidélité et le talent sont
associés ; tel est rarement le cas.
Trop souvent les habiles se laissent séduire
par leur propre coeur ou par des insensés
qui les flattent et ils se figurent qu’ils
pourront arriver au but sans peine et sans
honnêteté. Ils croient traverser la
vie en jouant et s’enfoncent dans le bourbier.
En revanche, ceux qui sont fidèles
réussissent toujours dans
l’accomplissement de leur tache, pourvu
qu’ils l’aient entreprise avec
discernement. J’ai beaucoup vécu, mais
je n’ai jamais vu un homme consciencieux
n’être pas regretté après
sa mort. Tous ceux qui connaissent la nation juive
n’ignorent pas qu’elle a fourni un noble
contingent d’hommes distingués, mais
ils savent également que la loyauté
n’est pas la qualité dominante de ce
peuple. Abraham, Moïse, David est à la
fois pieux et honnêtes, mais ils sont une
exception. De nos jours encore, les Juifs font
servir leurs talents à leur propre profit et
on les accuse de chercher avant tout à
exploiter leurs semblables.
J’avais parlé dans une
conférence de l’avenir glorieux
d’Israël auquel je crois, puisque je
crois aux prophéties. Pour éviter des
malentendus, j’avais ajouté
néanmoins : En attendant, les Juifs
sont maudits par les autres peuples, et sont pour
eux une malédiction. Les Juifs ont
trouvé cela mauvais car ils sont très
susceptibles. Ils m’ont même fait
comparaître devant le juge de paix, ce qui
naturellement a tourne a leur confusion, car ce que
j’avais avance était, non une calomnie,
mais le simple énoncé d’un fait
historique. Je n’offenserai pas davantage un
français en affirmant que ses compatriotes
ont été les pères de la
révolution. Je ne suis d’ailleurs
nullement ennemi des Juifs et j’ai souvent dit
en public et en particulier que si les
chrétiens pratiquaient plus
fidèlement les vertus juives, la
tempérance, l’économie,
l’activité, la sanctification du jour
du repos, etc., l’équilibre financier
entre les deux races se rétabliraient. Je ne
puis changer les faits. Le peuple juif est malade
parce que ses aptitudes remarquables sont au
service d’un froid égoïsme.
Le talent n’a de valeur devant Dieu, il
n’est une bénédiction
véritable pour le monde et pour celui qui le
possède que lorsqu’il est joint
à l’honnêteté. Cette
honnêteté est une vertu religieuse qui
a sa source unique dans les rapports intimes de
l’âme avec Dieu.
La fidélité au devoir et la
liberté sont deux frères jumeaux, si
on comprend bien ce qu’est la liberté.
Celui-là seul est vraiment libre qui
n’a qu’un seul maître : Dieu,
et qui se soumet volontairement à lui.
Être libre ce n’est pas
s’affranchir de toute obéissance.
Sont-ils donc libres ces viveurs, ces buveurs, ces
avares, qui ne reconnaissent l’autorité
d’aucune loi, d’aucun Dieu, d’aucun
homme et ne songent qu’à satisfaire
leurs passions ? Un enfant même sait
qu’ils sont esclaves. Est-il son propre
maître celui qui ne pense qu’à
adopter l’opinion publique ou à rester
d’accord avec les gens influents de son
voisinage ? Non, il est esclave. Servir Dieu,
là seulement est la liberté. Tous
ceux qui veulent se soustraire à son pouvoir
peuvent être achetés à un prix
plus ou moins élève. Quiconque se
vend, que ce soit pour un titre, pour une bouteille
d’eau-de-vie, ou pour une charge publique
n’est plus libre.
L’accord avec Dieu est-il votre premier, votre
dernier souci, est-il la pensée dominante de
votre vie et lui subordonnez-vous tout le
reste ? Alors vous êtes libres,
même dans la plus humble position. Joseph,
bien qu'esclave, était affranchi ; la
femme de son maître dut l’apprendre
bientôt. Joseph était libre dans la
prison, aussi libre que lorsqu’il devint le
chancelier de Pharaon.
Quiconque cherche son idéal de
liberté ailleurs que parmi les bêtes
sauvages reconnaît que celui-là seul
est libre qui n’écoute que la voix de
la conscience et de sa conviction, ce qui revient
au même qu’obéir à Dieu.
Luther était sans contredit l’homme le
plus libre de l’univers lorsque seul à
Worms il bravait le monde en
s’écriant : "Me voici, je ne puis
autrement." L’empereur, en revanche,
était un esclave, car il
s’inquiétait infiniment moins des
droits de la vérité que des
conséquences qu’aurait sa
décision. En résumé,
l’homme le plus pieux est le plus libre ;
il peut braver toutes les puissances parce
qu’il n’obéit qu’à un
Maître, celui du ciel, dont la voix est en
harmonie avec celle de la conscience ;
c’est cet accord parfait avec lui-même
qui constitue la liberté de
l’homme.
Il va sans dire que cet homme libre sera en
même temps intègre sur tous les
points. Car l’homme intègre est celui
qui fait tout en regardant à Dieu et ne
cherche que sa volonté. Il n’a
qu’un spectateur, qu’un auditeur,
qu’un critique : son Dieu.
Être intègre ce n’est donc pas
seulement respecter le bien d’autrui, tenir
ses promesses, être fidèle à
ses affections ; tout cela n’est que le
petit côté de la question. Le fond de
la chose est ceci : employer les dons que Dieu
nous a confiés conformément à
sa volonté, sans nous inquiéter du
blâme ou de la louange des hommes.
Les facultés et les dons les plus nobles
n’ont en eux-mêmes aucune valeur morale.
St-Paul, le plus vaillant des serviteurs du
Seigneur, ne dit-il pas : "Je rends
grâces à Jésus-Christ, notre
Seigneur, de ce qu’il m’a jugé
fidèle." Voilà pour lui
l’essentiel. Il ne dit pas : "Je rends
grâces à Dieu de ce qu’il
m’a donne de grands talents, le pouvoir de
faire des miracles, une éloquence
persuasive" non, il rend grâces d’avoir
été juge fidèle.
L’âme fidèle, fut-elle
réduite à faire preuve de ses
sentiments par les actes les plus insignifiants,
est le vase dans lequel le Dieu éternel peut
et veut verser toute la plénitude de ses
richesses. La fidélité dans les
petites choses que notre Sauveur nous
présente comme si importante nous rend
capables d’occuper le poste le plus
élève, à savoir celui
d’enfant de Dieu. En face de ce
privilège tout est petit ; les travaux
d’un empereur comme ceux d’un
écolier. Que l’empereur et
l’écolier accomplissent leur tache avec
une soumission absolue à Dieu et alors ils
grandiront devant lui.
Notre position n’est donc pas celle-ci :
faire d’une part ici-bas notre devoir parce
qu’il le faut sous peine de mourir de faim ou
de perdre notre réputation ;
d’autre part, travailler à devenir un
enfant de Dieu. Cette conception peut être
conforme aux opinions catholiques, mais elle est
une abomination aux yeux de quiconque connaît
l'Évangile. Le chrétien se dit :
Où que je sois placé, je suis au
service de Dieu et j’accomplis son oeuvre en
accomplissant ma tache. Je contribue donc pour ma
part à la conservation de
l’humanité et à la bonne marche
du monde. Je jouis du plus grand des honneurs,
celui d’être un serviteur de Dieu.
N’est-ce pas là une pensée
consolante, propre à adoucir les eaux les
plus amères ? Notre monde a besoin de
semblables pensées pour ne pas se dissoudre.
Sans ce sentiment, la vie est pour la plupart des
hommes très lourde, très ennuyeuse,
souvent les deux choses à la fois, surtout a
notre époque qui pratique si largement le
travail divisé et mécanique. Le
célèbre américain George,
écrivait ceci : "Si un homme, avant sa
naissance, pouvait choisir entre ces deux
alternatives : être un habitant de la
Terre de feu en Australie ou faire partie des
basses classes dans notre civilisation tant
vantée, il agirait sagement en choisissant
la première." Ceci est une affirmation
exagérée et empreinte
d’étroitesse ; mais voici en quoi
elle est vraie. Le travail actuel est pour des
millions d’êtres très monotone et
abrutissant tout en étant fort peu
rétribué.
Anciennement, lorsque la plupart des hommes
étaient des cultivateurs, la vie
était infiniment plus intéressante,
car le travail était très
varié. Le bédouin dans le
désert à une existence bien
préférable à celle du facteur
qui parcourt journellement trois ou quatre fois les
mêmes rues. Il ressemble à une montre
qui, constamment remontée, suit toujours la
même marche. Le bédouin, en revanche,
vit sous la libre voûte du ciel ; il
soigne, il élève des chameaux, des
moutons, des génisses ; il plante des
palmiers, creuse des puits, va à la chasse,
etc. Peut-être est-il pauvre, mais à
coup sûr son travail lui procure de la
satisfaction.
Que sont, en revanche, les ouvriers de
fabrique ? Chacun d’eux, en le
considérant au point de vue
extérieur, n’est qu’un rayon
d’une des petites roues d’une immense
machine. Comment un homme qui, heure après
heure, jour après jour, semaine après
semaine, ne fait que coller des estampilles ou
chauffer une chaudière, peut-il trouver de
la satisfaction à son travail ? Cela
n’est possible que s’il est convaincu que
c’est le Dieu d’amour qui lui a
assigné un tel poste et veut le trouver
fidèle dans les petites choses pour lui en
confier un jour de grandes. De cette façon
l’insupportable devient supportable, car le
malheureux se dit : Le jour approche où
le travail terrestre prendra fin, où le
vêtement passager tombera et où
l’âme éprouvée obtiendra
le premier rang ; alors retentira cette
parole : "Cela va bien, bon et fidèle
serviteur ; tu as été
fidèle en peu de choses, je te confierai
beaucoup."
Du reste, comme je l’ai déjà
dit, l’intégrité reçoit
ici-bas déjà sa récompense.
L’homme intègre à un coeur
joyeux et une bonne conscience, ces biens
souverains, et il moissonne ce qu’il a
fidèlement semé. "Chaque homme est
à la fois son propre ancêtre et son
propre héritier ; il combine et
crée son avenir ; il hérite de
son passé" a dit spirituellement le Dr
Hodgett.
Il peut arriver, et le fait se produit souvent, que
la plus grande intégrité soit, sur la
terre, récompensée par l’injure,
la honte ou la misère. Tel fut le cas des
martyrs qui, pour leur fidélité
à l'Évangile et à leurs
semblables furent tourmentes et massacres. Joseph
fit une expérience pire encore, comme nous
le verrons bientôt, mais cette
considération ne l’a nullement
arrêté.
L’éternité sera assez longue
pour que Dieu puisse assigner sa part à
chacun de ses enfants ; d’ailleurs
ceux-ci ont, même dans la douleur, le coeur
plus joyeux que ceux qui n’ont
travaillé que pour eux-mêmes. Joseph
était plus heureux dans sa prison, que
Potiphar et sa femme dans leur palais, car il
restait en communion avec Dieu.
Apprenons donc à considérer toutes
nos occupations terrestres comme grandes et saintes
et à servir Dieu par elles. De cette
manière nous serons utiles aux autres et
notre vie entière sera un culte. Ne perdons
jamais de vue celui qui nous contemple toujours,
que nous soyons à notre établi ou sur
les bancs de l’église. Alors nous
n’aurons plus deux dieux, un pour la semaine
et l’autre pour le dimanche. Ce sont tous des
hypocrites conscients ou inconscients, ceux qui
demandent à Dieu de les sauver et ne lui
permettent aucun contrôle sur leurs affaires
terrestres. Spurgeon a dépeint cette
tendance d’une manière incisive dans le
dialogue suivant : un épicier dit
à son apprenti : - "Bon, avez-vous mis
de la chaux dans la farine ?" - "Oui,
monsieur." - "Avez-vous mis du sable dans le
sucre ?" - "Oui, monsieur." - "Avez-vous mis
des petites pierres dans le café ?" -
"Oui, monsieur." - "Très bien, tout est en
ordre, nous pouvons donc aller à
l’église."
Le lecteur rit et se dit : Voici qui est bien
anglais. Ces gens-là usent leurs jambes
à force d’aller à
l’église et avec cela ils trompent et
mentent à coeur joie. En effet, beaucoup
d’Anglais peuvent ressembler à ce type.
L’épicier allemand qui donne des ordres
semblables ne prend pas la peine d’aller
à l’église, et quant à
son apprenti, il va à la brasserie ;
mais ne sont-ils pas nombreux dans les pays
chrétiens et parmi les hommes de toutes les
classes ceux qui n’ont qu’un Dieu du
dimanche et sont eux-mêmes leur dieu dans le
comptoir, le magasin ou l’atelier. Oh !
liberté, intégrité ! vous
êtes de grands mots, compris de
ceux-là seuls qui s’inclinent devant
Dieu.
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