Une loi fatale contraint celui qui glisse sur
une pente à rouler toujours plus bas et
toujours plus vite. Voyez cette charmante fillette.
Elle a commis quelque étourderie et la
maîtresse d’école l’a
gardée en classe après ses compagnes.
L’enfant sait que sa mère la punira
à son tour, et, pour éviter ce second
châtiment, elle ment en affirmant qu’il
y avait ce jour-là une leçon
supplémentaire à l’école.
La mère émet des doutes, la fillette
invente de nouveaux prétextes. Par malheur
ces mensonges réussissent. Ah ! notre
écolière aurait été
bien étonnée si on lui avait
prédit le matin qu’elle tromperait
ainsi une mère tendrement
aimée ! Mais elle a mis le pied sur la
pente et a été entraînée
bien plus bas qu’elle ne le croyait. — Un
homme pénètre dans une maison pendant
la nuit pour voler. Il veut seulement, se dit-il,
s’emparer de quelques objets de
première nécessité, qui ne
manqueront même pas au riche
propriétaire. Mais celui-ci survient, une
lutte s’engage, le voleur devient un
meurtrier ! Il n’aurait jamais cru la
chose possible, cependant elle est
arrivée.
Il en est ainsi sur la route du
péché. Quand la faute est commise, il
n’y a qu’un seul moyen de recouvrer sa
liberté : se repentir
sincèrement et rompre avec le
péché. Pour cela, une franche
confession est indispensable. Si la petite fille
dont nous parlions avait jeté les bras
autour du cou de sa mère en avouant sa
faute, elle aurait évité de grands
malheurs. Le voleur pouvait aussi par son aveu
éviter de nouveaux crimes. Les fils de Jacob
songèrent-ils seulement, sous l’empire
de leur passion déchaînée,
à l’écroulement du bonheur de
leur vieux père ? Leur but
n’était pas de lui faire de la
peine ; la piété filiale
n’était pas éteinte dans leurs
coeurs. Le respect pour les cheveux blancs est une
vertu que nous trouvons plus souvent de nos jours
chez les juifs que dans la plupart des familles
soi-disant chrétiennes.
Lorsque Ruben s’écria :
"L’enfant n’y est plus et moi où
irai-je ?" la question se pose
brûlante : "Que dira notre
père ? Comment expliquerons-nous
l’absence de Joseph ?" — Maintenant
ils sont obligés, contre leur gré, de
commettre un nouveau crime ; ils sont
contraints de devenir des parricides ; car ils
tuent le coeur de leur père.
Lorsqu’Israël, vingt-deux ans plus tard,
apprend que Joseph vit encore, lorsqu’enfin il
croit la nouvelle incroyable, alors. "l’esprit
de Jacob se ranima". est-il écrit ; il
était donc mort auparavant ;
l’amour, la joie, l’espérance
avaient été anéantis. Schiller
a dit un mot bien vrai : "Le châtiment
de celui qui commet une mauvaise action est
d’être contraint d’en commettre une
nouvelle". Chacun pourrait trouver dans sa propre
vie le commentaire de ces paroles. Cependant je
retire l’expression "être contraint".
Une franche confession aurait beaucoup
allège le chagrin du vieillard.
Les fils de Jacob devaient, quel que fût
le parti qu’ils prissent, causer un grand
chagrin a leur père. La faute
confessée ne ramenait pas Joseph. On
pouvait, il est vrai, poursuivre les
Ismaélites, racheter Joseph ou le retrouver
en Égypte. En tous cas la repentance des
fils coupables aurait été un
adoucissement à la douleur de Jacob ;
il aurait souffert, pleure, prie avec eux. Cela
aurait été une consolation pour lui
de voir ses fils impies, au moment où leur
méchanceté était à son
comble, se retourner vers Dieu par la confession de
leur péché. On a beaucoup
discuté la question de savoir si c’est
un devoir pour chacun de confesser ses fautes
devant les hommes. Les uns, appliquant à la
légère les paroles de
St-Jacques : "Confessez vos fautes les uns aux
autres", en ont conclu que chacun doit raconter ce
qu’il a sur le coeur à la
première personne venue. C’est une
erreur.
Un homme aurait grand tort de raconter à sa
femme les désordres de sa vie passée.
Je connais un mari qui crut devoir confesser
à sa jeune épouse que vingt-cinq ans
auparavant il avait tué un étudiant
dans un duel. Cet aveu eut de tristes
conséquences, car des ce jour-là
cette femme ne put voir sans horreur un mari
qu’elle estimait être un meurtrier.
Une personne convertie eut un jour
l’imprudence de confesser à son
seigneur et maître, homme encore
éloigné de la foi, qu’elle avait
autrefois, longtemps avant son mariage, vole un
ruban dans un magasin. Qu’en
résulta-t-il ? Ceci.
L’incrédule ne perdit pas une occasion
de lancer à sa femme des traits comme
celui-ci : "Qu’on ne me parle pas de la
morale des chrétiens ; elle n’est
pas ce que l’on croit ; souviens-toi du
ruban".
Ce serait donc une folie d’exiger la
confession d’une faute en toute
occasion ; cependant dans la plupart des cas,
une bénédiction est attachée
à un aveu complet. Il est le gage de la
repentance et de l’humiliation du
pécheur. Nous ne pouvons définir les
cas dans lesquels il faut parler devant les hommes
et ceux où il vaut mieux ne parler
qu'à Dieu. L’Esprit saint nous conduira
si nous sommes droits de coeur. Le devoir en tout
cas est clairement tracé si notre confession
peut rendre l’honneur ou le bonheur à
une personne à laquelle nous avons fait
tort. La chose devrait être toute simple pour
un honnête homme, mais à la pratique
il n’en est pas ainsi. Celui qui n’a pas
recule devant la confession, celui qui n’a pas
tremble devant le souverain juge, tremble devant
les hommes ; celui qui n’a pas redoute
les conséquences intimes du
péché, redoute le qu’en
dira-t-on.
Les fils de Jacob ne veulent pas reconnaître
ouvertement leur crime ; ils
préfèrent faire souffrir leur vieux
père. Ils lui font croire qu’une
bête féroce a dévoré son
bien-aimé, et dès lors cette
scène terrible obsède jour et nuit le
patriarche. Il voit son Joseph entouré de
hyènes et de lions, il voit ses membres
déchirés, il entend ses cris... mais
n’insistons pas. Pour un oriental, être
dévoré par des fauves, par
conséquent ne pas avoir de sépulture,
était chose bien plus terrible que pour
nous.
Les mauvais fils jouent la comédie avec un tel aplomb, que
pendant vingt-deux ans Jacob
ne doute pas de la mort de son fils et se rend avec
la plus grande difficulté à
l’évidence quand on vient lui dire
qu’il est vivant. Les fils criminels et
menteurs sont entrés dans une impasse. En
assistant à l’explosion de douleur du
vieillard, en le voyant couvert du sac et de la
cendre, en entendant ses cris
déchirants : "C’est la tunique de
mon fils ! Une bête féroce
l’a dévoré ! Joseph a
été mis en pièces !" et
ces paroles navrantes : "C’est en
pleurant que je descendrai vers mon fils au
séjour des morts", plus d’un parmi les
coupables se sera senti presse de rassurer
l’infortune, de lui apprendre que Joseph
n’est pas mort, mais aucun ne le fait.
Pourquoi ? Ils avaient peur les uns des
autres, ils ne voulaient pas se trahir. La
confession était devenue plus difficile, il
s’agissait d’avouer, non seulement le
crime, mais encore la supercherie par laquelle on
avait voulu le cacher. Parvenus à ce point,
il ne leur reste qu'à accumuler
péché sur péché, honte
sur honte. Pour éloigner tout
soupçon, il s’agit de feindre une
profonde affliction, de prendre le deuil, de
prodiguer des consolations au père
affligé.
Nous rougissons en lisant ces mots : "Tous ses
fils vinrent pour le consoler". C’est
épouvantable, mais c’est le cours
naturel des choses. L’avalanche roule avec une
vitesse accumulée. Un péché en
produit toujours un autre, jusqu’à ce
que le pécheur ait le courage de rompre la
chaîne. Quel dégoût, quelle
horreur d’eux-mêmes ces impies ne
devaient-ils pas ressentir en offrant à leur
père ces consolations hypocrites ! Quel
châtiment toujours présent, que la vue
de cette figure angoissée. Si ces hommes,
malgré toute leur grossièreté,
avaient encore jusqu’ici gardé
l’habitude de la prière, ils ont
été alors obligés d’y
renoncer. Comprenez-vous ce que cela
signifie ? Vingt-deux ans sans prier,
vingt-deux ans passent sous la colère de
Dieu. Pour qui ne connaît pas la vie avec
Dieu, cela ne parait pas terrible, mais celui qui
sait que Dieu est le Dieu vivant, pourrait-il
supporter une heure sans devenir fou, cette
pensée épouvantable : La
colère de Dieu repose sur moi.
Nous avons ici une preuve palpable des
terribles
conséquences du péché ;
nous touchons du doigt ce qu’il en coûte
d’abandonner le Seigneur. Un sombre nuage
plane sur les tentes d’Israël. Plus
d’amour, plus de bonheur ; elles sont
muettes les lèvres qui causaient et
chantaient. Sombres, froids, méprisants, ces
hommes se coudoient ; toute vie de famille a
disparu. Le salaire du péché,
c’est la mort, non seulement dans
l’éternité, mais à
l’heure présente. Dieu l’a
dit : "Le jour où tu pécheras,
tu mourras".
(Genèse
II, 17). De grands
péchés ne causent pas toujours des
perturbations visibles dans l’entourage
extérieur, mais les désastres
intérieurs sont d’autant plus
terribles.
Ô vous tous, mes frères,
chrétiens éclairés ou gens
honnêtes selon le monde, songez aux malheurs,
à la misère que vous vous êtes
attirés par votre propre imprudence, votre
légèreté, votre mauvaise
volonté ; alors vous comprendrez que
chaque pécheur est son propre ennemi. Le
tort que vous ont causé les autres est
faible en comparaison de celui que vous vous
êtes fait à vous-mêmes. La croix
posée sur vos épaules par le Seigneur
vous rapproche de lui et ne vous empêche pas
d’espérer la délivrance, de
compter de nouveau sur un bonheur saint et radieux.
Mais l’épreuve amenée par vos
propres fautes empoisonne tout, anéantit
tout, jusqu’au moment o, repentants, vous vous
tournez vers l’amour éternel et
miséricordieux de votre Dieu.
La plus cruelle des souffrances c’est le
péché. Des milliers d’hommes se
moquent de l'Évangile, du pardon, de la
nouvelle naissance ; cependant là est
le seul rayon d’espoir pour qui sait le voir.
Les pauvres se plaignent à vous alors
même qu’ils sont eux-mêmes les
artisans de leur misère. Quand vous
rencontrez des hommes malheureux par leur propre
faute, plaignez-les, ayez pitié
d’eux ! Le péché est puni
dans bien des cas d’une manière
terrible ici-bas. Dieu n’a pas rejeté
ces hommes impies, mais il les conduit au repentir.
Quant au vieil Israël, après une nuit
de vingt-deux ans, luira pour lui le jour de la
résurrection, un jour si radieux, si beau,
que la souffrance passée fondra comme la
neige d’avril sous le soleil du printemps.
Pour le moment il nous apparaît comme un
arbre défeuillé ; son coeur est
brisé. Mourir aujourd’hui, tout de
suite, est son seul désir.
Y a-t-il de nos jours des enfants qui aient fait le
malheur de leurs parents ? Nous voudrions dire
non, mais nous ne le pouvons. Dans l’île
de Rügen, on montre sur une tombe une main
pétrifiée ; c’est, dit-on,
celle d’un parricide. Le tombeau n’a pas
voulu la garder, cette main coupable. D'où
vient-elle ? Je ne sais, mais je vois dans
cette légende et dans d’autres
semblables combien le peuple ou plutôt le
coeur humain a horreur de ce crime contre nature.
Le meurtre le plus horrible est celui qui a pour
objet un être qui nous a donné la vie,
dont le sang coule dans nos veines, dont le
dévouement a soutenu notre existence.
Impossible de mesurer la culpabilité de
celui qui tue l’auteur de ses jours. Le
législateur athénien n’avait
prononcé aucune peine contre le parricide.
Interroge sur cette omission, il
répondit : Personne ne commet jamais ce
crime, il est donc inutile de statuer à cet
égard. Dieu soit loué, ce forfait
est, en effet, rare : peu d’enfants
versent le sang de leurs parents, mais ils les
tuent d’une autre manière,
manière plus cruelle puisqu’elle
prolonge l’agonie pendant de nombreuses
années. Je m’adresse à ces
meurtriers-là, a ceux qui l’ont
été et a ceux qui
s’apprêtent à le devenir.
Que de jeunes gens, que de jeunes filles
traînent dans la boue le nom honorable de
leurs parents par leurs péchés, leurs
mensonges, leurs coupables désirs. Combien
brisent le coeur de leur père et de leur
mère et font prématurément
blanchir leurs cheveux.
Je sais par expérience que des parents sans
nombre ont le coeur meurtri, tue, avant leur mort,
par ceux qui leur doivent tout. Je connais des
enfants qui grâce au dévouement et aux
sacrifices de leur mère se sont
élevés sur l’échelle
sociale et ont eu ensuite honte de leurs parents.
Une blanchisseuse s’était usée
au travail pour permettre à son fils de
suivre ses études. Le jeune homme ayant
réussi à prendre son grade de docteur
en philologie avait obtenu une place de professeur
au gymnase et avait laissé sa mère
à ses cuviers. Un jour il la rencontre dans
la rue. Il est obligé de
s’arrêter mais se dégage vite en
voyant approcher un collègue. "Qui
était", lui demande celui-ci, "cette
personne avec laquelle tu causais si
familièrement". "Cette personne",
répond le professeur, "cette femme...
c’était ma blanchisseuse ; elle
est familière jusqu’à
l’impertinence..."
Je ne raconterais pas cette triste histoire si je
ne savais que des faits semblables sont
fréquents.
Le proverbe : "Un père nourrit plus
aisément six fils, que six fils ne
nourrissent un père" — est toujours
vrai. L'Éternel qui se compare à un père ému de compassion
envers ses enfants comprend la souffrance du pauvre
vieillard que ses fils font vivre parce qu’ils
y sont contraints par la police, ou celle de celui
qui doit entrer à l’asile quand ses
enfants pourraient lui venir en aide.
Dans les familles aisées, cela ne va pas
mieux ; les enfants n’ont parfois pas une
minute a donné au père malade et
abandonné ; quand ils viennent le voir
par acquit de conscience, ils sont si presses
qu’ils ne peuvent s’arrêter.
Nombreux sont les parents qui comprennent à
merveille le sens de cette parole : - "Une
épée te transpercera
l’âme". - et dont les cheveux blancs
pourraient raconter de tristes histoires. Il ne
manquerait pas d’exemples à citer pour
montrer que la malédiction repose sur ceux
qui ont foule aux pieds le commandement qui a une
promesse. Leur coeur est dans
l’obscurité quelque brillante que soit
leur position extérieure, car ils ont
élevé une barrière entre Dieu
et leur âme.
Puissent ces quelques mots atteindre leur but et
avertir ces fils et ces filles coupables qui, non
seulement font le malheur de leurs parents, mais
détruisent encore leur propre bonheur.
"Ne vous abusez pas ; on ne se moque pas de
Dieu ; ce que l’homme a sème il le
moissonnera aussi". Plus tard les ingrats
récoltent chez leurs propres enfants ce
qu’ils ont semé dans leur jeunesse.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |