Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VI

TUER SON PÈRE SANS VERSER DE SANG

-------

Genèse 37, 31-35.

1. Une pente glissante.

 Une loi fatale contraint celui qui glisse sur une pente à rouler toujours plus bas et toujours plus vite. Voyez cette charmante fillette. Elle a commis quelque étourderie et la maîtresse d’école l’a gardée en classe après ses compagnes. L’enfant sait que sa mère la punira à son tour, et, pour éviter ce second châtiment, elle ment en affirmant qu’il y avait ce jour-là une leçon supplémentaire à l’école. La mère émet des doutes, la fillette invente de nouveaux prétextes. Par malheur ces mensonges réussissent. Ah ! notre écolière aurait été bien étonnée si on lui avait prédit le matin qu’elle tromperait ainsi une mère tendrement aimée ! Mais elle a mis le pied sur la pente et a été entraînée bien plus bas qu’elle ne le croyait. — Un homme pénètre dans une maison pendant la nuit pour voler. Il veut seulement, se dit-il, s’emparer de quelques objets de première nécessité, qui ne manqueront même pas au riche propriétaire. Mais celui-ci survient, une lutte s’engage, le voleur devient un meurtrier ! Il n’aurait jamais cru la chose possible, cependant elle est arrivée.

Il en est ainsi sur la route du péché. Quand la faute est commise, il n’y a qu’un seul moyen de recouvrer sa liberté : se repentir sincèrement et rompre avec le péché. Pour cela, une franche confession est indispensable. Si la petite fille dont nous parlions avait jeté les bras autour du cou de sa mère en avouant sa faute, elle aurait évité de grands malheurs. Le voleur pouvait aussi par son aveu éviter de nouveaux crimes. Les fils de Jacob songèrent-ils seulement, sous l’empire de leur passion déchaînée, à l’écroulement du bonheur de leur vieux père ? Leur but n’était pas de lui faire de la peine ; la piété filiale n’était pas éteinte dans leurs coeurs. Le respect pour les cheveux blancs est une vertu que nous trouvons plus souvent de nos jours chez les juifs que dans la plupart des familles soi-disant chrétiennes.

Lorsque Ruben s’écria : "L’enfant n’y est plus et moi où irai-je ?" la question se pose brûlante : "Que dira notre père ? Comment expliquerons-nous l’absence de Joseph ?" — Maintenant ils sont obligés, contre leur gré, de commettre un nouveau crime ; ils sont contraints de devenir des parricides ; car ils tuent le coeur de leur père. Lorsqu’Israël, vingt-deux ans plus tard, apprend que Joseph vit encore, lorsqu’enfin il croit la nouvelle incroyable, alors. "l’esprit de Jacob se ranima". est-il écrit ; il était donc mort auparavant ; l’amour, la joie, l’espérance avaient été anéantis. Schiller a dit un mot bien vrai : "Le châtiment de celui qui commet une mauvaise action est d’être contraint d’en commettre une nouvelle". Chacun pourrait trouver dans sa propre vie le commentaire de ces paroles. Cependant je retire l’expression "être contraint". Une franche confession aurait beaucoup allège le chagrin du vieillard.


2. Devons-nous confesser ou cacher nos fautes ?

 Les fils de Jacob devaient, quel que fût le parti qu’ils prissent, causer un grand chagrin a leur père. La faute confessée ne ramenait pas Joseph. On pouvait, il est vrai, poursuivre les Ismaélites, racheter Joseph ou le retrouver en Égypte. En tous cas la repentance des fils coupables aurait été un adoucissement à la douleur de Jacob ; il aurait souffert, pleure, prie avec eux. Cela aurait été une consolation pour lui de voir ses fils impies, au moment où leur méchanceté était à son comble, se retourner vers Dieu par la confession de leur péché. On a beaucoup discuté la question de savoir si c’est un devoir pour chacun de confesser ses fautes devant les hommes. Les uns, appliquant à la légère les paroles de St-Jacques : "Confessez vos fautes les uns aux autres", en ont conclu que chacun doit raconter ce qu’il a sur le coeur à la première personne venue. C’est une erreur.

Un homme aurait grand tort de raconter à sa femme les désordres de sa vie passée. Je connais un mari qui crut devoir confesser à sa jeune épouse que vingt-cinq ans auparavant il avait tué un étudiant dans un duel. Cet aveu eut de tristes conséquences, car des ce jour-là cette femme ne put voir sans horreur un mari qu’elle estimait être un meurtrier.

Une personne convertie eut un jour l’imprudence de confesser à son seigneur et maître, homme encore éloigné de la foi, qu’elle avait autrefois, longtemps avant son mariage, vole un ruban dans un magasin. Qu’en résulta-t-il ? Ceci.
L’incrédule ne perdit pas une occasion de lancer à sa femme des traits comme celui-ci : "Qu’on ne me parle pas de la morale des chrétiens ; elle n’est pas ce que l’on croit ; souviens-toi du ruban".

Ce serait donc une folie d’exiger la confession d’une faute en toute occasion ; cependant dans la plupart des cas, une bénédiction est attachée à un aveu complet. Il est le gage de la repentance et de l’humiliation du pécheur. Nous ne pouvons définir les cas dans lesquels il faut parler devant les hommes et ceux où il vaut mieux ne parler qu'à Dieu. L’Esprit saint nous conduira si nous sommes droits de coeur. Le devoir en tout cas est clairement tracé si notre confession peut rendre l’honneur ou le bonheur à une personne à laquelle nous avons fait tort. La chose devrait être toute simple pour un honnête homme, mais à la pratique il n’en est pas ainsi. Celui qui n’a pas recule devant la confession, celui qui n’a pas tremble devant le souverain juge, tremble devant les hommes ; celui qui n’a pas redoute les conséquences intimes du péché, redoute le qu’en dira-t-on.

Les fils de Jacob ne veulent pas reconnaître ouvertement leur crime ; ils préfèrent faire souffrir leur vieux père. Ils lui font croire qu’une bête féroce a dévoré son bien-aimé, et dès lors cette scène terrible obsède jour et nuit le patriarche. Il voit son Joseph entouré de hyènes et de lions, il voit ses membres déchirés, il entend ses cris... mais n’insistons pas. Pour un oriental, être dévoré par des fauves, par conséquent ne pas avoir de sépulture, était chose bien plus terrible que pour nous.

Les mauvais fils jouent la comédie avec un tel aplomb, que pendant vingt-deux ans Jacob ne doute pas de la mort de son fils et se rend avec la plus grande difficulté à l’évidence quand on vient lui dire qu’il est vivant. Les fils criminels et menteurs sont entrés dans une impasse. En assistant à l’explosion de douleur du vieillard, en le voyant couvert du sac et de la cendre, en entendant ses cris déchirants : "C’est la tunique de mon fils ! Une bête féroce l’a dévoré ! Joseph a été mis en pièces !" et ces paroles navrantes : "C’est en pleurant que je descendrai vers mon fils au séjour des morts", plus d’un parmi les coupables se sera senti presse de rassurer l’infortune, de lui apprendre que Joseph n’est pas mort, mais aucun ne le fait. Pourquoi ? Ils avaient peur les uns des autres, ils ne voulaient pas se trahir. La confession était devenue plus difficile, il s’agissait d’avouer, non seulement le crime, mais encore la supercherie par laquelle on avait voulu le cacher. Parvenus à ce point, il ne leur reste qu'à accumuler péché sur péché, honte sur honte. Pour éloigner tout soupçon, il s’agit de feindre une profonde affliction, de prendre le deuil, de prodiguer des consolations au père affligé.

Nous rougissons en lisant ces mots : "Tous ses fils vinrent pour le consoler". C’est épouvantable, mais c’est le cours naturel des choses. L’avalanche roule avec une vitesse accumulée. Un péché en produit toujours un autre, jusqu’à ce que le pécheur ait le courage de rompre la chaîne. Quel dégoût, quelle horreur d’eux-mêmes ces impies ne devaient-ils pas ressentir en offrant à leur père ces consolations hypocrites ! Quel châtiment toujours présent, que la vue de cette figure angoissée. Si ces hommes, malgré toute leur grossièreté, avaient encore jusqu’ici gardé l’habitude de la prière, ils ont été alors obligés d’y renoncer. Comprenez-vous ce que cela signifie ? Vingt-deux ans sans prier, vingt-deux ans passent sous la colère de Dieu. Pour qui ne connaît pas la vie avec Dieu, cela ne parait pas terrible, mais celui qui sait que Dieu est le Dieu vivant, pourrait-il supporter une heure sans devenir fou, cette pensée épouvantable : La colère de Dieu repose sur moi.


3. La puissance ténébreuse du péché.

 Nous avons ici une preuve palpable des terribles conséquences du péché ; nous touchons du doigt ce qu’il en coûte d’abandonner le Seigneur. Un sombre nuage plane sur les tentes d’Israël. Plus d’amour, plus de bonheur ; elles sont muettes les lèvres qui causaient et chantaient. Sombres, froids, méprisants, ces hommes se coudoient ; toute vie de famille a disparu. Le salaire du péché, c’est la mort, non seulement dans l’éternité, mais à l’heure présente. Dieu l’a dit : "Le jour où tu pécheras, tu mourras". (Genèse II, 17). De grands péchés ne causent pas toujours des perturbations visibles dans l’entourage extérieur, mais les désastres intérieurs sont d’autant plus terribles.

Ô vous tous, mes frères, chrétiens éclairés ou gens honnêtes selon le monde, songez aux malheurs, à la misère que vous vous êtes attirés par votre propre imprudence, votre légèreté, votre mauvaise volonté ; alors vous comprendrez que chaque pécheur est son propre ennemi. Le tort que vous ont causé les autres est faible en comparaison de celui que vous vous êtes fait à vous-mêmes. La croix posée sur vos épaules par le Seigneur vous rapproche de lui et ne vous empêche pas d’espérer la délivrance, de compter de nouveau sur un bonheur saint et radieux. Mais l’épreuve amenée par vos propres fautes empoisonne tout, anéantit tout, jusqu’au moment o, repentants, vous vous tournez vers l’amour éternel et miséricordieux de votre Dieu.

La plus cruelle des souffrances c’est le péché. Des milliers d’hommes se moquent de l'Évangile, du pardon, de la nouvelle naissance ; cependant là est le seul rayon d’espoir pour qui sait le voir. Les pauvres se plaignent à vous alors même qu’ils sont eux-mêmes les artisans de leur misère. Quand vous rencontrez des hommes malheureux par leur propre faute, plaignez-les, ayez pitié d’eux ! Le péché est puni dans bien des cas d’une manière terrible ici-bas. Dieu n’a pas rejeté ces hommes impies, mais il les conduit au repentir. Quant au vieil Israël, après une nuit de vingt-deux ans, luira pour lui le jour de la résurrection, un jour si radieux, si beau, que la souffrance passée fondra comme la neige d’avril sous le soleil du printemps. Pour le moment il nous apparaît comme un arbre défeuillé ; son coeur est brisé. Mourir aujourd’hui, tout de suite, est son seul désir.

Y a-t-il de nos jours des enfants qui aient fait le malheur de leurs parents ? Nous voudrions dire non, mais nous ne le pouvons. Dans l’île de Rügen, on montre sur une tombe une main pétrifiée ; c’est, dit-on, celle d’un parricide. Le tombeau n’a pas voulu la garder, cette main coupable. D'où vient-elle ? Je ne sais, mais je vois dans cette légende et dans d’autres semblables combien le peuple ou plutôt le coeur humain a horreur de ce crime contre nature. Le meurtre le plus horrible est celui qui a pour objet un être qui nous a donné la vie, dont le sang coule dans nos veines, dont le dévouement a soutenu notre existence. Impossible de mesurer la culpabilité de celui qui tue l’auteur de ses jours. Le législateur athénien n’avait prononcé aucune peine contre le parricide. Interroge sur cette omission, il répondit : Personne ne commet jamais ce crime, il est donc inutile de statuer à cet égard. Dieu soit loué, ce forfait est, en effet, rare : peu d’enfants versent le sang de leurs parents, mais ils les tuent d’une autre manière, manière plus cruelle puisqu’elle prolonge l’agonie pendant de nombreuses années. Je m’adresse à ces meurtriers-là, a ceux qui l’ont été et a ceux qui s’apprêtent à le devenir.

Que de jeunes gens, que de jeunes filles traînent dans la boue le nom honorable de leurs parents par leurs péchés, leurs mensonges, leurs coupables désirs. Combien brisent le coeur de leur père et de leur mère et font prématurément blanchir leurs cheveux.
Je sais par expérience que des parents sans nombre ont le coeur meurtri, tue, avant leur mort, par ceux qui leur doivent tout. Je connais des enfants qui grâce au dévouement et aux sacrifices de leur mère se sont élevés sur l’échelle sociale et ont eu ensuite honte de leurs parents. Une blanchisseuse s’était usée au travail pour permettre à son fils de suivre ses études. Le jeune homme ayant réussi à prendre son grade de docteur en philologie avait obtenu une place de professeur au gymnase et avait laissé sa mère à ses cuviers. Un jour il la rencontre dans la rue. Il est obligé de s’arrêter mais se dégage vite en voyant approcher un collègue. "Qui était", lui demande celui-ci, "cette personne avec laquelle tu causais si familièrement". "Cette personne", répond le professeur, "cette femme... c’était ma blanchisseuse ; elle est familière jusqu’à l’impertinence..."
Je ne raconterais pas cette triste histoire si je ne savais que des faits semblables sont fréquents.

Le proverbe : "Un père nourrit plus aisément six fils, que six fils ne nourrissent un père" — est toujours vrai. L'Éternel qui se compare à un père ému de compassion envers ses enfants comprend la souffrance du pauvre vieillard que ses fils font vivre parce qu’ils y sont contraints par la police, ou celle de celui qui doit entrer à l’asile quand ses enfants pourraient lui venir en aide.
Dans les familles aisées, cela ne va pas mieux ; les enfants n’ont parfois pas une minute a donné au père malade et abandonné ; quand ils viennent le voir par acquit de conscience, ils sont si presses qu’ils ne peuvent s’arrêter. Nombreux sont les parents qui comprennent à merveille le sens de cette parole : - "Une épée te transpercera l’âme". - et dont les cheveux blancs pourraient raconter de tristes histoires. Il ne manquerait pas d’exemples à citer pour montrer que la malédiction repose sur ceux qui ont foule aux pieds le commandement qui a une promesse. Leur coeur est dans l’obscurité quelque brillante que soit leur position extérieure, car ils ont élevé une barrière entre Dieu et leur âme.

Puissent ces quelques mots atteindre leur but et avertir ces fils et ces filles coupables qui, non seulement font le malheur de leurs parents, mais détruisent encore leur propre bonheur.
"Ne vous abusez pas ; on ne se moque pas de Dieu ; ce que l’homme a sème il le moissonnera aussi". Plus tard les ingrats récoltent chez leurs propres enfants ce qu’ils ont semé dans leur jeunesse.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant