Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE IV

L’ENFER S’ENTR’OUVRE

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Genèse 37, 12-28.

1. L’arbre empoisonné de l’envie.

 "Voici, ah ! qu’il est agréable, qu’il est doux pour des frères de demeurer ensemble, car c’est là que l'Éternel envoie la bénédiction, la vie pour l’éternité". Ps. 133.
Peu de paroles dans la Bible méritent autant que celle-ci l’approbation des hommes intelligents. Aujourd’hui encore elle est bénie la maison où frères et soeurs, qu’ils soient majeurs ou non, vivent en paix, s’entraident, portent les fardeaux les uns des autres et savent jouir sans envie de leurs joies réciproques. Une pareille maison est la porte des cieux. Cette union se retrouve surtout là où l’amour de Christ est le lien entre les coeurs comme il l’était dans la famille de Lazare et dans celle de Zébédée.

Avouons-le à notre honte, les choses se passent rarement ainsi entre frères et soeurs. Que de fois ne sont-ils pas animés d’un esprit de discorde et de querelle. Chacun veut avoir ce qu’il y a de meilleur et être préfère aux autres. L’un est vexé de ce que son frère est plus beau ou mieux doué que lui ; il souffre de le voir recherché par les amis de la maison. Un autre s’efforce de noircir son frère auprès de ses parents pour prendre sa place dans leur affection, etc. O frères et soeurs qui lisez ces lignes, tremblez si vous vous reconnaissez dans ce portrait. On peut dire de vous en retournant la parole biblique : "O qu’il est laid, qu’il est repoussant de voir des frères et des soeurs vivre dans l’envie et dans la discorde. C’est là que se trouvent les gémissements et le trouble pour le temps et pour l’éternité".

Il en fut ainsi chez nos premiers parents lorsque Caïn envia Abel. Il en fut ainsi dans la famille d’Isaï lorsque David se vit haïr par ses frères à cause de ses mérites. Et il en fut ainsi surtout dans la maison de Jacob. Le fait que les enfants appartenaient à quatre mères différentes était bien pour quelque chose dans leurs disputes. La préférence accordée à Joseph par le père augmenta encore le mal. Mais la cause principale gisait bien dans le coeur de ces dix hommes qui avaient donné accès dans leur coeur au démon de l’envie.

Il y a peu de temps, un ministre des finances prussien prononçait cette parole : "La Bourse est un arbre empoisonné". Il savait bien ce qu’il disait et j’ai admiré le courage de l’homme qui ne craignait pas d’attaquer la Bourse, cette reine du monde.
Je suis certain qu’agioteurs, ministres, acteurs, paysans, marchands, enfants de l’un et de l’autre sexe seront tous d’accord que l’envie est un arbre empoisonné, que c’est un péché très répandu et qu’il est aussi dangereux que commun. Qui, fut-ce le pharisien le plus rempli de propre justice, l’homme le plus aveugle sur lui-même, ne sent en lui ce péché ? "Je ne croirais pas au péché universel, disait quelqu’un, si l’envie n’existait pas ; dès qu’on la nomme l’homme le plus fidèle pâlit".
J’ai moi-même réduit au silence un homme qui ne voulait pas se reconnaître pécheur en lui montrant les traces de ce serpent de l’envie dans son propre coeur.

L’envie poussa le diable à séduire nos premiers parents pour les éloigner de Dieu. L’envie a fait le premier assassin. L’envie du grand-prêtre a cloué le Sauveur sur la croix. L’envie fait prendre les armes aux nations. L’envie et ses fruits empoisonnés se retrouvent partout ; aubergistes, artistes, cochers, professeurs, étudiants, ministres, etc., la connaissent bien. Devons nous dire qu’elle est naturelle au coeur ou l’appeler une oeuvre de Satan ? La difficulté que nous trouvons à résoudre cette question nous prouve bien que l’homme naturel a de grands rapports avec le démon.

Tout homme sérieux hait l’envie et pourtant il lui est soumis. C’est la preuve de notre état de corruption. Là mieux que partout ailleurs se vérifie le mot de l’apôtre :
"Quand je veux faire le bien, le mal est attaché à moi". Celui auquel l’expérience de l’envie n’a pas rempli les yeux de larmes ne sait rien de la tristesse selon Dieu. Si quelques âmes privilégiées en sont exemptes, elles représentent l’exception qui confirme la règle.

Oh qu’il est difficile de se réjouir du fond du coeur quand un bonheur exceptionnel arrive au prochain ! Qu’il est difficile de reconnaître les avantages physiques ou moraux de nos frères ! Qu’il est difficile de nous préserver d’une mauvaise joie quand la personne qui occupe la place que nous convoitons vient à mourir. Qu’il est naturel de passer du simple désir de posséder ce que notre prochain a eu avant nous a une inimitié coupable contre celui qui nous laisse dans l’ombre ! Dieu savait pourquoi il terminait les dix commandements par celui-ci : "Tu ne convoiteras point".
Quand nous avons laisse pénétrer dans notre coeur le désir de posséder les biens qui nous sont refusés et qui appartiennent au prochain, peu à peu les sentiments que nous devons avoir envers nos frères se modifient. L’amour qui cherche le bonheur des autres est remplacé par un esprit qui voudrait les abaisser et les amoindrir.
Notre coeur se refroidit, une secrète amertume l’envahit et les mauvaises pensées y entrent. Suivant le caractère de l’envieux et ses circonstances personnelles, ses mauvais sentiments se manifesteront par des paroles grondeuses ou calomniatrices, ou par des actions ayant pour but de détruire le bonheur du prochain.
Les gens bien élevés sont prudents dans la manifestation de leur envie, non pour épargner celui qui la fait naître dans leur coeur, au contraire, ils lui souhaitent volontiers du mal, mais dans leur propre intérêt. Ils savent bien que les envieux sont mépris dans le monde. Il s’agit par conséquent d’user de prudence, de voiler ses noires pensées sous des formes aimables.

Mais si chez de telles personnes les choses n’en Ne viennent jamais à une explosion, le feu qui couve intérieurement n’en est que plus mauvais. Nul ne peut l’éteindre. L’éternité montrera que des âmes sans nombre ont été perdues parce qu’elles s’étaient laissé consumer par l’envie et la haine.

Pour échapper à ce danger, examinez-vous journellement. Ne dites pas que chez un enfant de Dieu l’envie ne saurait prendre racine. Elle se glisse sournoisement sous le masque de la piété et, secret poison, elle compromet l’oeuvre du Saint-Esprit. Cherchez avec soin si tel ou telle ne vous sont pas insupportables parce que vous les enviez. L’envie est fille d’un insatiable amour-propre ; elle est opposée à cet amour qui ne cherche point son intérêt.

J’ai parlé de ceux qui, soit par prudence, soit par crainte, cachent leur envie ou ne veulent pas reconnaître en eux l’existence de ce mauvais sentiment. Chez les hommes grossiers, ardents, chez les enfants de la nature comme les fils de Jacob ou bien chez des êtres assez puissants pour n’avoir rien à redouter, on peut comprendre comment l’envie pousse à la haine et la haine au crime. D’après une loi inexorable, l’envie produit les querelles, le meurtre ou tel autre crime. Caïn refusant de maîtriser son envie malgré les avertissements de Dieu, devint un meurtrier. Saul voulut transpercer David. Roi, il n’avait à ne craindre aucune vengeance. Les sacrificateurs recouvrant leur envie du beau nom de zèle pour l’autel, clouèrent Jésus sur la croix. Poussés par l’envie les fils de Jacob trompèrent leur père pour lequel ils avaient cependant un certain respect.

L’heure du crime ne tarda pas à sonner. "Un jour propice arriva", nous dit St-Marc à propos du meurtre de Jean-Baptiste. Pour les impies, le jour propice arrive toujours ; ils savent bien le guetter. Le jour propice pour faire le bien, pour se sacrifier, vient malheureusement plus rarement pour les gens pieux. Pourquoi ? Parce qu’ils ne l’attendent pas avec impatience, parce que leur passion pour le bien est moins ardente que la passion des impies pour le mal. Le jour favorable ne vient pas parce que la bonne volonté est absente. Que chacun y fasse attention. Le jour propice vint pour les dix fils de Jacob. L’enfer intérieur devint l’enfer extérieur. Les fruits de l’envie étaient mûrs.


2. Les fruits de l’arbre empoisonnés.

 Le pauvre père précipita lui-même la catastrophe. Il menait une vie calme et contemplative à Hébron, la ville des palmes, tandis que ses fils faisaient paître les troupeaux à Sichem ; Joseph, le fils bien-aimé, la consolation de sa vieillesse, le compagnon de ses heures de prière, était auprès de lui. Mais tout à coup le patriarche désire avoir des nouvelles des absents et de leurs bêtes ; il envoie Joseph auprès d’eux. Jacob ne connaissait pas la nature humaine ; il ne connaissait pas même ses propres enfants. Semblable à tant de parents modernes, il était aveugle sur sa progéniture. Cela est mal, mais ce qui est encore pire, c’est que pères et mères s’aveuglent volontairement et traitent d’ennemis tous ceux qui veulent les éclairer.

Des chagrins cuisants en résultent souvent et les yeux s’ouvrent quand il est trop tard. Si Jacob avait un peu étudié ses fils aînés, il n’aurait pas envoyé son bien-aimé comme un agneau au milieu des loups. Joseph, lui, connaissait mieux ses frères. Il a dû avoir peur quand son père l’a envoyé. Il n’avait à attendre, en mettant les choses au mieux qu’une réception glaciale, des paroles aigres. Mais il montra sa douceur et sa confiance enfantine en n’opposant pas la moindre résistance aux ordres de son père. Joseph arrive à Sichem, mais n’y trouve pas ses frères. Il s’égare dans cette contrée inconnue et déserte. Fatigué et solitaire, le jeune homme rencontre un Cananéen qui connaît les lieux et lui dit qu’il trouvera ceux qu’il cherche plus au nord, à Dothan, car ils ont dit : "Allons à Dothan". Joseph aurait pu se tranquilliser par les pensées suivantes : Ma commission est faite, mon père m’a envoyé à Sichem, mes frères n’y sont pas ; je puis m’en retourner.

Mais Joseph n’est pas homme à n’avoir que l’apparence de l’obéissance. Il poursuit sa route. Fatigué, le coeur tremblant, il s’avance vers le nord et bientôt il aperçoit les feux du campement.
Anges du ciel qui, des siècles plus tard, avez veille sur Élisée assiège dans Dothan, montrez-vous ! Anges gardiens, une âme pieuse a plus que jamais besoin de votre protection, car aucun être humain ne se lèvera pour la défendre. — Mais cet appel au secours est emporté par les vents. Nous entendons tout autre chose que le bruissement des ailes d’anges. Nous entendons des cris de rage : "Voici le faiseur de songes qui arrivent. Venez maintenant, tuons-le et jetons-le dans une des citernes ; nous dirons qu’une bête féroce l’a dévoré et nous verrons ce que deviendront ses songes". (v. 19 et 20). Ces hommes savent ce qu’ils veulent. Ils ont fait leur plan depuis longtemps. Leur haine ardente pour l’orgueilleux songeur se fait jour dans ces sauvages moqueries. Pas trace d’amour, de compassion ; pas trace de honte chez ces dix lâches qui s’apprêtent à tomber sur un jeune homme sans défense. Ils veulent apaiser leur rage, l’égorger afin de se débarrasser de lui, le jeter dans un trou et l’abandonner à la pourriture. Une sépulture honorable ne lui sera pas accordée.

Voilà les fruits de l’arbre de l’envie. Au jour propice le crime éclate. Les envieux sont devenus des meurtriers ; le diable qui est meurtrier depuis le commencement a gagné la partie.
C’est ainsi que les drôles exécutent leur plan. Ils tombent sur le jeune homme affamé et fatigué, lui arrachent avec force plaisanteries la robe bigarrée qu’il avait eu l’imprudence de revêtir et le jettent dans une citerne vide. Ses supplications, ses prières sont accueillies par des moqueries. Pas un des frères n’a assez de courage pour s’opposer à la méchanceté, à la lâcheté des autres. Que la victime croupisse dans la citerne jusqu’à ce que ses persécuteurs aient mangé, puis elle sera égorgée.

"Ils s’assirent ensuite pour manger". (v. 25). Une grande page d’histoire racontée en quelques sobres mots. Nous rougissons en songeant au degré de perversité de ces hommes, qui, le coeur rempli de pensées meurtrières, se mettent tranquillement à manger. J’entends ici plus d’un homme sérieux et plus d’une femme aux sentiments élèves, s’écrier : "Non, c’est trop fort, le tableau est peint en noir, des êtres humains ne sauraient être aussi mauvais". Ceux qui parlent ainsi ne connaissent pas la nature humaine.

Goethe a dit : "Il y a autour de nous plus d’un abîme creusé par le hasard, mais le plus profond se trouve dans notre coeur". Platen, que nul n’accusera de piétisme, s’exprime ainsi : "Dans notre esprit sont des abîmes plus profonds que l’enfer".
Quiconque a sonde son propre coeur ne démentira pas ces paroles et rendra grâces a Dieu de ce que là où le péché abondait la grâce a surabondé. Des actes comme celui qui nous occupe sont tout naturels quand les passions sont déchaînées. Moïse raconte la chose simplement, sans un cri d’horreur. Le Saint-Esprit ne veut pas nous faire reculer d’épouvante devant certains actes grossiers commis par de grands pécheurs ; il attire nos regards sur la source du mal, sur notre éloignement de Dieu et notre égoïsme. Les actes mauvais viennent de là comme la fleur qui donne la mort vient de l’arbre empoisonné.

Si je voulais m’exprimer à la façon du monde, je dirais qu’un hasard empêcha les fils de Jacob d’accomplir leur criminel projet.
Des marchands ismaélites viennent à passer, transportant de Galaad en Égypte le baume et la myrrhe sur leurs chameaux. Une idée nouvelle traverse l’esprit de Juda : "Que gagnerons-nous, dit-il, à tuer notre frère et à cacher son sang ? Venez, vendons-le aux Ismaélites, et ne mettons pas la main sur lui, car il est notre frère, notre chair". (v. 27). Ce discours dénote une certaine compassion, une certaine horreur a l’idée de verser le sang d’un frère. Un homme n’est jamais si mauvais qu’il ne lui reste quelque bon côté. Des hommes grossiers peuvent, s’ils sont timides, éprouver de la répugnance à répandre le sang humain. Pendant le repas, les esprits se sont un peu calmés. Manger est une action prosaïque qui produit des pensées prosaïques et, ajoute-t-on, fait naître une certaine bienveillance. Je n’en suis pas sûr pour ma part, mais je suis certain que tout homme a une répulsion instinctive pour le meurtre.

Je n’oublierai jamais une scène dont je fus témoin et qui prouve ce que j’avance. Deux maçons se battaient. L’un d’eux avait appuyé le genou sur la poitrine de son camarade et s’apprêtait à lui casser la tête avec une grosse pierre. Je saisis son bras et d’une voix forte : "Caïn, Caïn ! "m’écriai-je. Il me dévisagea d’un air irrité, hésita un instant, comme s’il pensait à sévir contre moi, puis laissa tomber la pierre, se leva et s’en alla.

Les fils de Jacob approuvèrent Juda. Il leur suffisait d’être débarrassés de Joseph et les Ismaélites se trouvaient là fort à propos. L’intérêt, le désir de faire une affaire firent probablement aussi pencher la balance. Ils gagnaient vingt sicles à ce marché, deux sicles par homme. Mais ne noircissons pas encore ces tristes personnages.
Le marché est conclu sans pitié. Joseph a beau supplier, invoquer les cheveux blancs de son père, tout est inutile. Il est attaché sur un chameau et emmené au sud vers l'Égypte.

Ces hommes impies ont atteint leur but. Ils sont débarrassés de leur frère à jamais, car comment recouvrerait-il sa liberté ? Ils s’étaient vengés. Joseph, le fils libre d’un prince nomade, ne devait pas, semblait-il, tarder à succomber dans l’esclavage. Qu’importe à ces mauvais frères ? Ils ont apaisé leur soif de vengeance. Sont-ils contents en réalité ? Caïn l’était-il après le meurtre d’Abel ? Ne l’entendons-nous pas crier : "Je serai errant et vagabond sur la terre". Une plainte identique ne s’échappe-t-elle pas de la poitrine de tous les meurtriers dans tous les pays, à toutes les époques ? Juda Iscariote était-il content lorsqu’il reçut les trente pièces d’argent ? N’a-t-il pas mis fin à ses jours peu d’instants après ? Écoutons le témoignage d’un homme qui, peu après une tentative de suicide, s’exprimait ainsi devant un ami chrétien :
"Deux choses représentaient pour moi le paradis : avoir beaucoup d’argent et pouvoir lâcher la bride a mes passions. J’ai trouvé ce paradis sur le chemin du péché. Mais arrivé au but je me suis demandé par quel moyen je pourrais mettre le plus promptement possible un terme a ma misérable existence, et j’ai choisi le rasoir".

O vous qui par des moyens coupables cherchez à atteindre le bonheur, comprenez votre erreur. Hommes crédules, hommes trompés, croyez-vous réellement trouver le bonheur dans l’assouvissement de vos passions ?

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