Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

UN CROYANT MÉCONNU

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Genèse 37, 5-11.

1. Pourquoi suis-je ainsi ?

 "Le caractère de l’homme est le résultat de l’influence exercée par ses parents et par son entourage", telle est l’affirmation que j’ai lue dernièrement. Plusieurs de mes lecteurs seront peut-être d’accord avec l’auteur. Pourtant je les engagerai à user de prudence en soutenant cette théorie, car elle les rabaisse au niveau des plantes ou des bêtes. Je sais que beaucoup de docteurs modernes ne voient en l’homme qu’un animal perfectionne et osent écrire que ce qu’il est dépend de ce qu’il mange. Nous nous détournons avec dégoût de ce matérialisme grossier, néanmoins nous ne devons pas méconnaître ce qu’il y a de vrai dans la proposition énoncée plus haut. Pour écrire l’histoire d’un homme, il faut connaître ses ascendants et le milieu dans lequel il a grandi, il faut expliquer dans quelle mesure il est le fils de ses parents, quels traits physiques et moraux il en a hérité, montrer que c’est d’eux qu’il tient beaucoup de ses penchants, de ses répugnances, de ses pensées, de ses préoccupations.
"La pomme ne tombe pas loin du tronc". Ce proverbe est souvent vrai, et si l’homme n’est pas comme le cheval pur sang, le produit de ses seuls parents, il doit néanmoins rendre grâce à Dieu lorsqu’il est ne de bonne race.

Une seconde chose à considérer c’est l’entourage. "L’homme est le fils de son époque". ainsi parle la sagesse des nations et, bien que les plus grands génies aient réagi contre l’esprit de leur siècle et lui en aient communiqué un nouveau, néanmoins le fait est vrai pour la grande masse. Le moment auquel naît un homme, le sol sur lequel il grandit, la nourriture physique et morale qu’il absorbe, les différentes circonstances au milieu desquelles il grandit, exerce une action puissante sur son développement. Vous qui élevez des enfants, écartez d’eux le plus possible les influences corruptrices, veillez à ce que l’air qu’ils respirent soit pur, a ce qu’il vienne le plus directement possible du ciel.

Malgré tout ce qui précède, il faudrait être bien borné pour vouloir reconstruire de toutes pièces le caractère d’un homme d’après ses parents et son entourage. On se moquerait a bon droit de celui qui soutiendrait que Socrate dut son génie à son père, le sculpteur Sophronique, et a sa mère, la sage-femme Phanariote d’une part, et à la vie athénienne d’autre part. Goethe déploie un talent qui l’élève infiniment au-dessus de ses parents, et qu’on ne comprendra pas mieux lorsqu’on aura énuméré les avantages qu’offrait à un jeune homme brillamment doué le sol classique de la bonne ville de Francfort.

Si l’homme est le résultat de ses parents et de son entourage, pourquoi Caïn et Abel, ces premiers enfants du premier homme, furent-ils si différents l’un de l’autre ? Pourquoi David et Joseph ressemblaient-ils si peu à leurs frères ? Pourquoi ces mêmes contrastes nous frappent-ils encore aujourd’hui dans toutes les familles des bords du Rhin et des bords du Rhône, du Cap nord et du Cap de Bonne-Espérance ? L’enfant s’élève parfois bien haut au-dessus de sa famille, et il tombe souvent aussi bien plus bas.

Nous sommes donc forcés de reconnaître qu’il y a dans l’homme quelque chose qu’on ne peut expliquer que par une création de Dieu. Il n’est pas besoin de citer à l’appui de notre thèse des génies qui ont remué le monde, tels que Moïse, Daniel, Platon, St-Paul, Luther, Goethe, etc., non, le caractère du premier garçon venu, qui n’est ni plus ni moins doué que la moyenne de ses camarades, est inexplicable sans l’intervention divine. Partout nous rencontrons des particularités, des aptitudes, des penchants, des lacunes qu’on ne comprend qu’en portant les yeux sur le Créateur et le Maître de l’univers.

Il en est spécialement ainsi de l’attrait pour les choses de Dieu. Il serait un menteur et un hypocrite celui qui justifierait ses goûts mondains en disant qu’il n’a nulle tendance à la piété. Chaque homme, par le fait de son humanité, a de certaines affinités avec Dieu. St-Augustin le dit avec raison : O Dieu, tu nous as créés pour toi et notre coeur est dans l’angoisse tant qu’il ne se repose pas en toi. Néanmoins il est évident que l’attrait pour l’idéal domine chez les uns et l’attrait pour les choses basses chez les autres ; les uns ont soif de Dieu, les autres ne songent qu'à la terre et cette différence tient à leur nature même. Il est hors de doute que tel homme a infiniment plus d’efforts à faire pour mener une vie pure, honnête et pieuse que son frère. Sa nature physique et morale lui suscite des difficultés auxquelles l’autre demeure étranger. C’est pourquoi la Bible nous adresse cette sérieuse exhortation : "Ne jugez pas". Si nous tenons absolument à porter un jugement sur nos frères, qu’il soit basé sur leurs efforts et non sur les résultats acquis.

La doctrine de la prédestination a ses racines les plus profondes dans les faits que nous venons d’énoncer, et celui qui croit que l’éducation à laquelle Dieu soumet sa créature se termine dans cette vie, ne saurait glisser sur les terribles conséquences de cette doctrine. Nous reconnaissons qu’il est beaucoup plus difficile pour tel homme de devenir croyant que pour son voisin, mais nous certifions en revanche que Dieu se révèle tôt ou tard à toute âme, que dans cette vie ou dans l’autre chacun aura l’occasion de croire en Jésus et de devenir chrétien s’il le veut. J’affirme en outre que les croyants les plus éminents ne le sont pas devenus fatalement et ne restent pas nécessairement au point ou ils sont parvenus. Par conséquent la chose importante à considérer est bien moins le penchant naturel, que le libre choix de la volonté. Judas Iscariote possédait certainement une nature religieuse, pourtant il fut un traître, car il déroba son âme à l’influence de la vérité. L’apôtre Paul, le plus grand des serviteurs de Jésus-Christ, alors qu’il avait atteint le point culminant de la vie religieuse, affirme qu’après avoir prêché les autres il pourrait lui-même être rejeté. Le brigand sur la croix n’avait probablement pas reçu de ses parents et de son entourage de bien bonnes leçons, rien ne nous fait supposer non plus en lui de forts penchants religieux, néanmoins il rencontra l’amour de Jésus, parce qu’il se soumit à l’action divine. La manifestation de sa foi fut bien imparfaite, mais Dieu le jugea, comme il nous jugera tous, d’après ses lumières et les circonstances de sa vie.

Ce que je veux établir revient à ceci : La foi ne nous est communiquée ni par notre naissance, ni par notre éducation, ni par une création spontanée de Dieu dans le coeur. Nous n’avons la même dans les circonstances les plus favorables, que des matériaux qui facilitent pour nous la possession de la foi. La vie chrétienne en nous, commence lorsque l’homme dit sincèrement : "Je veux "et qu’il est résolu à suivre l’attrait divin qui est en lui. Aussi pour que la piété soit solidement ancrée dans le coeur, est-il indispensable que jour après jour, à chaque nouvelle difficulté, à chaque nouvelle tentation, l’homme répète."Je veux". Un croyant peut devenir impie, un impie peut devenir croyant, tout dépend de sa volonté.

Joseph n’était donc pas prédestiné à la piété, ni ses frères à l’inconduite. Il ne devait pas non plus fatalement rester pieux après l’avoir été pendant dix-sept ans. Chez nombre d’hommes, jadis heureux de croire, la foi a fait naufrage, beaucoup qui avaient déjà jeté leur ancre dans le ciel se sont rattachés à la terre. Malheur a tous ceux qui, croyants ou incrédules, considèrent leur vie intérieure comme une nécessité fatale.


2. Vie avec et sans Dieu.

 Avant de nous demander ce qu’était chez Joseph la vie intérieure, cherchons à décrire la vie spirituelle d’une manière générale. La chose n’est pas facile. Chacun peut définir la vie charnelle, elle existe chez l’homme uniquement préoccupe des choses terrestres, chez l’être qui plonge toutes ses racines dans le sol visible. Les uns formulent le but de leur existence d’une manière tout à fait grossière : "Mangeons et buvons, car demain nous mourrons". D'autres ont des goûts plus nobles et raffinés ; ils se passionnent pour l’art, la science, la patrie. Entre ces deux pôles extrêmes une foule de tendances diverses se donnent carrière. Nous sommes loin de vouloir les mettre toutes sur le même pied. Les hommes qui ont choisi un idéal élève contribuent au développement et à la conservation de l’espèce humaine tout autrement que les natures grossières, ils sont aussi beaucoup plus près du royaume des cieux, car il ne leur manque pour être chrétiens que d’avoir compris que Christ est la personnification de leur idéal. Ils ne sont pas éloignés du royaume des cieux, disons-nous, néanmoins ils n’en font pas partie. Tant que la terre seule est leur vie, leur but, leur avenir, ils sont engagés dans la voie de la perdition et vont au-devant d’un désillusionnement complet. La figure de ce monde passe. et celui qui est du monde sera anéanti avec lui.

Qu’est-ce que la vie spirituelle ? l'écriture la nomme aussi la vie en Dieu, car Dieu en est la base, la source, le but suprême. Quiconque la possède est intimement persuadé de l’existence d’un Dieu vivant, personnel, dont tous les êtres créés sont l’essence, d’un Dieu qui est la vie même de l’âme, la source de la paix. L’homme dont la vie spirituelle existe vraiment recherchera donc l’union avec, Dieu ; il la maintiendra malgré tous les obstacles, il fera tout avec la certitude de la présence de Dieu ; il se laissera diriger, aider, guérir par lui et visera à le servir dans la mesure de ses lumières et de ses capacités.

En ce qui concerne la connaissance de Dieu, elle a beaucoup varié avec les époques. L'Évangile a donné à l’âme pieuse une croyance qui la satisfait pleinement. Seuls les chrétiens peuvent répéter avec St-Paul :
"Nous avons la paix avec Dieu par notre Seigneur Jésus-Christ". St-Paul lui-même n’eut pourtant jamais songé à contester aux croyants de l’ancienne alliance la possession de la vie spirituelle. De même si Abraham, Moïse ou Esaïe avaient rencontre Socrate ou Confucius, ils auraient reconnu qu’il y avait entre eux une véritable parente spirituelle, car ces païens aussi étaient des hommes de foi, visant plus haut que la terre.

Pourvu que l’homme recherche Dieu, peu importe le développement de ses connaissances, peu importe également qu’il ait apporté en naissant un beau caractère ou un caractère déplaisant, revêche, impur. Ce que nous sommes importe moins que ce que nous voulons devenir. Joseph avait naturellement une âme grande et généreuse, celle de Jacob, au contraire, était basse et fausse. Néanmoins Jacob devint Israël, celui qui lutte avec Dieu et qui a été vainqueur. Élie rencontra, par le fait de son caractère, beaucoup plus de difficultés qu’Élisée. Pierre fut repris dix fois par Jésus alors que Jean reçut à peine une réprimande. Luther dut renverser des murailles dont Mélanchthon ne soupçonnait pas même l’existence. Tous ces hommes néanmoins étaient également chers à Dieu.

Ne vous troublez pas lorsque le monde déclare que votre caractère manque d’amabilité ou de droiture et si vous devez livrer contre ces défauts une lutte acharnée. Le Seigneur a égard à la sincérité de vos intentions. L’homme le plus pieux aux yeux de Dieu, c’est celui du coeur duquel s’échappe avec le plus d’ardeur ce cri : "Viens en moi, Seigneur Jésus" ; cet homme fut-il le plus insupportable de tous et dut-il passer au creuset divin des milliers d’années. Là encore répétons cette parole : "Ne jugez pas". Grand sera notre étonnement lorsqu’au dernier jour Dieu proclamera les noms des premiers parmi ses serviteurs.

Nous avons parlé plus haut de l’immense importance des influences que nous subissons. L’être qui doit avant tout agir sur nous, c’est Dieu. Lui seul peut nous donner la paix, la joie, la sainteté. L’homme n’est vraiment lui-même que lorsque son âme a soif du Dieu vivant, il n’est en paix que lorsqu’il est animé par le souffle de Dieu et délivre de tout ce qui s’oppose à son intimité avec son Créateur. Mépriser l’élément divin qui est en nous, c’est nous suicider et rentrer dans la catégorie des êtres inférieurs. Dans ce cas-là, le philosophe et le saltimbanque sont sur le même pied. Les hommes qui, suivant l’attrait divin, ont recherché l’influence d’en haut, l’ont subie, quel que fût leur entourage extérieur. Noé, Élie, Jérémie ont vécu à des époques de corruption et d’impiété générales ; leur foi a rencontré partout des obstacles et néanmoins, ils ont été des géants dans le domaine religieux. Pour Joseph aussi la piété n’était pas chose facile. Son père était un croyant et c’est de lui qu’il apprit à connaître Dieu, mais le caractère de Jacob eut pu facilement nuire à l’effet de ses enseignements. Rachel avait transmis à son fils un don agréable mais dangereux : la beauté. Le monde pardonne beaucoup à un bel homme et tout a une belle femme, néanmoins d’après ce que dit L'écriture, nous pouvons certifier que Rachel était despotique, volontaire, égoïste et ne pût ni ne voulut jamais renoncer à ses habitudes païennes.

Ce n’est donc pas sa mère qui communiqua à Joseph des dons spirituels ; nous ne dirons rien de ses frères, qui furent, chacun a sa manière, une pierre d’achoppement pour lui. Nulle part dans son entourage il ne rencontrait de sympathie. Pas question non plus pour lui d’une Bible dont la lecture eut pu l’édifier. Il connaissait les histoires de la création, de la chute, du déluge, de la confusion des langues et surtout de l’alliance de Dieu avec son arrière-grand-père Abraham. Ces faits lui avaient été racontés par Jacob et cette âme pure y puisait la force nécessaire pour marcher fidèlement et sérieusement avec Dieu.


3. Entre les lignes.

 On se demandera peut-être où j’ai trouvé matière à tant parler de la grande piété de Joseph, de ses prières, de sa confiance en Dieu. Je le reconnais, la Bible ne dit pas une seule fois : "Joseph eut confiance en l'Éternel, qui le lui imputa à justice". Il n’est également dit nulle part : "Joseph pria". mais nous lisons cela entre les lignes. Celui qui ne lit pas la Bible entre les lignes ne la comprend pas. Il n’est pas dit que Lot ait mal agi en s’établissant au milieu des Sodomites. Aucun reproche n’est adressé à Jacob et à Rebecca lorsqu’ils trompèrent Isaac ni aux fils de Jacob lorsqu’ils vendirent leur frère. Dieu parle par les jugements ou les bénédictions qui suivent les actes et non par des mots. Ainsi la Bible ne cite pas une seule parole encourageante adressée par Dieu à Joseph pour le fortifier, mais le fait que le jeune homme reste toujours joyeux parle plus haut de sa communion avec Dieu que toutes les paroles. Le chapitre XXXVII de la Genèse ne dit rien de sa piété, cela est vrai, mais le chapitre XXXIX nous le montre en Égypte restant ferme dans une circonstance très grave et prouvant par sa conduite que son intimité avec Dieu lui est plus précieuse que toute la splendeur du monde, que sa vie elle-même. Elle est donc la base de son existence.

La prière, la lecture de la Bible, la fréquentation du culte, l’accomplissement d’oeuvres chrétiennes, la communion avec les enfants de Dieu, la lutte contre le mal ne constituent pas la vie spirituelle. Toutes ces choses en sont les fruits, les conséquences, elles sont aussi les moyens de l’entretenir. La vie spirituelle, c’est l’union de l’âme avec le Dieu invisible.

Joseph nous montre par chacun de ses actes qu’il possède cette base solide ; et c’est à elle qu’il dut son caractère attachant. Ses songes en sont une preuve à leur manière.


4. Les songes de Joseph.

 Je n’ai point l’intention de faire une dissertation sur la cause ou la signification des rêves. Ce sujet qui se rattache aux pressentiments, au magnétisme, au somnambulisme, m’entraînerait dans un domaine mystérieux et effrayant qui n’a déjà inspiré que trop de gros livres.

Quiconque connaît un peu l’histoire de l’homme sait que beaucoup de songes ont été des prophéties. On peut expliquer la chose par une révélation directe de Dieu, par une faculté mystérieuse que possède l’âme lorsqu’elle a perdu conscience d’elle-même, par une puissance de sympathie ou par toute autre cause ; peu m’importe. Ce dont je ne saurais douter, c’est que Dieu s’est révélé parfois aux hommes par des rêves. "Songe, mensonge", dites-vous ; cela est vrai, le plus souvent ; sur cinquante songes, quarante-neuf sont des mensonges, mais le cinquantième peut-être dû à une intervention directe de Dieu.

Ceci arrivait naturellement plus souvent jadis qu’aujourd’hui, puisque les hommes ne possédaient pas la Révélation écrite. Le Maître souverain qui se manifeste à toutes les consciences a parlé par des rêves à Pharaon et a Nébucadnetzar et ne l’a pas fait pour Charlemagne ou Guillaume Ier, qui avaient d’autres lumières.

Dans la vie de Joseph, les songes jouèrent un rôle très important. Ils annoncèrent son élévation ou la favorisèrent. Ceux que nous venons de lire lui donnèrent à entendre que Dieu avait de grands desseins à son égard. Leur résultat immédiat fut sans doute l’esclavage ; Joseph put se croire écrasé, abandonné par Dieu, mais cette épreuve même le purifia et le rendit digne de la gloire. Le songe se répéta deux fois, sous une forme différente, pour lui prouver que la prophétie était bien réelle. Le même fait se reproduisit plus tard pour Pharaon.

Joseph ne put pas interpréter ses premiers rêves. L’échanson et le panetier ne le purent pas davantage, mais cette fois Joseph reçut une puissance divine et c’est grâce a ces rêves fort peu significatifs en eux-mêmes qu’il put être introduit à la cour. Les rêves de Pharaon enfin furent dignes d’un roi et eurent une importance capitale pour les Égyptiens et leurs voisins. Dieu voila leur signification aux yeux du monarque et de ses sages et il la révéla à Joseph dont il voulait faire un ministre puissant et le sauveur d’Israël (Genèse 41, v. 15 et suivants).

Les rêves sont dans la main de Dieu, ceci est indiscutable pour quiconque croit en lui. Si nous admettons qu’il y a une relation entre nous et notre Créateur, nous n’avons aucune difficulté à admettre qu’il se révèle à notre âme, d’autant mieux qu’elle est silencieuse et inconsciente. Chacun conviendra que nos voeux secrets, nos projets, nos espérances, nos craintes sont plus nets encore dans le sommeil qu’a l’état de veille.

Dieu donc se révèle par des songes ; à l’égard de Joseph, il l’a fait d’une manière particulièrement systématique. Répondant à cette âme qui le cherche, il lui fait entrevoir les hauteurs sur lesquelles il veut la conduire. Le jeune homme ne comprend pas et en toute simplicité il raconte son premier rêve à ses frères. Ceux-ci l’interprètent aussitôt : "Est-ce que tu régnerais sur nous ? Est-ce que tu nous gouvernerais ? Et ils le haïrent encore davantage à cause de ses songes". Ceci n’est pas étonnant. Peut-être crurent-ils que ce rêve n’était qu’une invention de Joseph, une manière d’exprimer ses désirs ambitieux. Des faits analogues ne se reproduisent-ils pas tous les jours sous nos yeux ? Joseph commit du reste par son récit une imprudence ; s’il eut mieux connu le coeur humain et en particulier celui de ses frères, il aurait prévu l’orage qu’il allait faire éclater, mais son coeur n’est pas exempt de vanité ; il est tout plein de ce qu’il a vu et il faut qu’il parle. À son deuxième songe son innocence et sa naïveté lui jouent le même tour. Il voit ses parents eux-mêmes s’incliner devant lui. Cette fois son père se tourne contre lui, ce père qui jusqu’alors l’avait approuve sans réserves ; et pour une fois qu’il le blâme, il le fait à tort. Du reste, il n’était pas absolument sûr de lui-même, car après sa réprimande il garda le souvenir de ces choses. Il avait beau les considérer comme les propos d’un vaniteux, un secret pressentiment l’avertissait qu’il y avait là plus que de l’imagination.

En effet, le jeune homme n’était pas coupable d’avoir fait un beau rêve, on pouvait tout au plus lui reprocher de l’avoir raconté. La jeune fille aussi est innocente lorsqu’un imprudent lui dit qu’elle est la plus ravissante des femmes. Néanmoins elle n’a qu’une chose à faire, oublier ce propos inconsidéré. Si elle le répète, même sans aucune mauvaise intention, elle fait une chose absolument contraire à sa dignité.


5. Les mouches mortes dans l’huile, pure.

 Joseph n’avait pas discerné la vanité qui s’était glissée dans ses récits. Il en était pourtant ainsi. "Les mouches mortes infectaient et faisaient fermenter l’huile divine". Un peu de propre justice s’était manifestée aussi lorsqu’il avait rapporté à son père les mauvais propos de ses frères. N’était-il pas naturel qu’il se voulût du bien de sa vertu, de sa piété, qu’il regardât de l’oeil du pharisien la troupe déréglée de ses frères et se considérât comme le seul héritier spirituel d’Abraham. Bien vite il regagna la faveur paternelle, et cette prédilection de Jacob pour lui augmenta son mauvais penchant. La propre justice est le plus dangereux des poisons que le diable ait invente pour perdre l’humanité, car, ne soupçonnant pas sa présence, nous ne combattons pas ses effets. La propre justice nous empêche de prendre vis-à-vis de Dieu la position qui nous convient.

"Il fait grâce aux humbles" ; à eux seuls il peut accorder des bénédictions dont les orgueilleux n’estiment pas avoir besoin. Dieu vit le danger que courait Joseph et pour le rendre capable de recevoir toutes ses faveurs, il le plongea dans le plus profond abaissement.

Il est beaucoup d’enfants élevés par de pieux parents qu’on pourrait croire innocents de tout péché. Des leur enfance on leur a fait connaître l'Évangile, des leur enfance ils ont aimé leur Sauveur ; rien ne leur semble plus naturel, ils trouvent inouï, odieux qu’on puisse douter du salut par Christ ou de toute autre vérité exposée dans la Bible. Je m’incline devant la noblesse de ces âmes, je reconnais leurs privilèges, car c’est un avantage inappréciable de n’avoir jamais connu le doute, d’être tenu à l’écart des choses basses, d’avoir toujours travaille pour le bien. Je dois pourtant leur signaler les dangers qui menacent leur âme comme ils menaçaient celle de Joseph. Ce sont la propre justice, la complaisance pour soi-même, le penchant à se croire arrive au but. Les gens dont je parle sont sincères, ils ignorent le péril au devant duquel ils vont et ne se mettent pas en garde contre lui. Lorsqu’ils disent avec St-Paul : Par la grâce de Dieu je suis ce que je suis, lorsque, faisant cause commune avec d’autres, ils déclarent qu’ils sont de pauvres pécheurs sans mérites devant Dieu, ils n’altèrent pas consciemment la vérité, et pourtant au fond de leur âme il s’est glissé une très perfide satisfaction d’eux-mêmes qui se manifeste peut-être dans les jugements acerbes et sévères portes sur des chrétiens moins avances qu’eux, ou sur des hommes en proie au doute, plonges dans l’incrédulité ou hostiles à l'Évangile.

L’expérience nous montre que Dieu, notre souverain Maître, inflige à ces nobles âmes, trop portées à l’orgueil, des épreuves particulièrement douloureuses et les plonge dans des creusets ardents pour amener au jour leur ruse cachée. Autour d’eux on s’étonne de l’amère souffrance que Dieu juge bon de leur envoyer. On parle des voies obscures de la Providence, on s’irrite peut-être contre elle. Ceux qui sont l’objet de ces dispensations, passe le premier moment de surprise, ne s’étonnent pas, car ils comprennent ce que Dieu à leur dire.

Que de choses laides la main divine met alors au jour, interdits inavoués, complaisance pour soi-même, propre justice voilée de piété, manque de sincérité vis-à-vis de soi-même et des autres, irritation contre les défauts d’autrui, rancunes déguisées, etc. Que de péchés Dieu doit nous pardonner. Combien on se sent petit et misérable ! L’heure est venue de s’asseoir en personne sur ce banc des pénitents dont on a tant parlé. L’orfèvre voit enfin son image briller dans l’or avec une pureté parfaite.

Alors nous redisons avec le poète : "Dans l’onde qu’aucun ne souffle ne ride, je vois se refléter la volonté de Dieu. Sa voix ne se fait entendre que lorsque tous les vents sont apaisés".
Je parle de Joseph et de nous tout ensemble. Je ne voudrais pas avoir l’air de justifier Dieu, qui n’en a nul besoin, des effroyables souffrances qu’il infligea à la noble âme de Joseph, j’ai voulu seulement frayer la route pour faire comprendre ce qui va suivre.

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