"Le caractère de l’homme est le
résultat de l’influence exercée
par ses parents et par son entourage", telle est
l’affirmation que j’ai lue
dernièrement. Plusieurs de mes lecteurs
seront peut-être d’accord avec
l’auteur. Pourtant je les engagerai à
user de prudence en soutenant cette théorie,
car elle les rabaisse au niveau des plantes ou des
bêtes. Je sais que beaucoup de docteurs
modernes ne voient en l’homme qu’un
animal perfectionne et osent écrire que ce
qu’il est dépend de ce qu’il
mange. Nous nous détournons avec
dégoût de ce matérialisme
grossier, néanmoins nous ne devons pas
méconnaître ce qu’il y a de vrai
dans la proposition énoncée plus
haut. Pour écrire l’histoire d’un
homme, il faut connaître ses ascendants et le
milieu dans lequel il a grandi, il faut expliquer
dans quelle mesure il est le fils de ses parents,
quels traits physiques et moraux il en a
hérité, montrer que c’est
d’eux qu’il tient beaucoup de ses
penchants, de ses répugnances, de ses
pensées, de ses préoccupations.
"La pomme ne tombe pas loin du tronc". Ce proverbe
est souvent vrai, et si l’homme n’est pas
comme le cheval pur sang, le produit de ses seuls
parents, il doit néanmoins rendre
grâce à Dieu lorsqu’il est ne de
bonne race.
Une seconde chose à considérer
c’est l’entourage. "L’homme est le
fils de son époque". ainsi parle la sagesse
des nations et, bien que les plus grands
génies aient réagi contre
l’esprit de leur siècle et lui en aient
communiqué un nouveau, néanmoins le
fait est vrai pour la grande masse. Le moment
auquel naît un homme, le sol sur lequel il
grandit, la nourriture physique et morale
qu’il absorbe, les différentes
circonstances au milieu desquelles il grandit,
exerce une action puissante sur son
développement. Vous qui élevez des
enfants, écartez d’eux le plus possible
les influences corruptrices, veillez à ce
que l’air qu’ils respirent soit pur, a ce
qu’il vienne le plus directement possible du
ciel.
Malgré tout ce qui précède, il
faudrait être bien borné pour vouloir
reconstruire de toutes pièces le
caractère d’un homme
d’après ses parents et son entourage.
On se moquerait a bon droit de celui qui
soutiendrait que Socrate dut son génie
à son père, le sculpteur Sophronique,
et a sa mère, la sage-femme Phanariote
d’une part, et à la vie
athénienne d’autre part. Goethe
déploie un talent qui
l’élève infiniment au-dessus de
ses parents, et qu’on ne comprendra pas mieux
lorsqu’on aura énuméré
les avantages qu’offrait à un jeune
homme brillamment doué le sol classique de
la bonne ville de Francfort.
Si l’homme est le résultat de ses
parents et de son entourage, pourquoi Caïn et
Abel, ces premiers enfants du premier homme,
furent-ils si différents l’un de
l’autre ? Pourquoi David et Joseph
ressemblaient-ils si peu à leurs
frères ? Pourquoi ces mêmes
contrastes nous frappent-ils encore
aujourd’hui dans toutes les familles des bords
du Rhin et des bords du Rhône, du Cap nord et
du Cap de Bonne-Espérance ?
L’enfant s’élève parfois
bien haut au-dessus de sa famille, et il tombe
souvent aussi bien plus bas.
Nous sommes donc forcés de reconnaître
qu’il y a dans l’homme quelque chose
qu’on ne peut expliquer que par une
création de Dieu. Il n’est pas besoin
de citer à l’appui de notre
thèse des génies qui ont remué
le monde, tels que Moïse, Daniel, Platon,
St-Paul, Luther, Goethe, etc., non, le
caractère du premier garçon venu, qui
n’est ni plus ni moins doué que la
moyenne de ses camarades, est inexplicable sans
l’intervention divine. Partout nous
rencontrons des particularités, des
aptitudes, des penchants, des lacunes qu’on ne
comprend qu’en portant les yeux sur le
Créateur et le Maître de
l’univers.
Il en est spécialement ainsi de
l’attrait pour les choses de Dieu. Il serait
un menteur et un hypocrite celui qui justifierait
ses goûts mondains en disant qu’il
n’a nulle tendance à la
piété. Chaque homme, par le fait de
son humanité, a de certaines
affinités avec Dieu. St-Augustin le dit avec
raison : O Dieu, tu nous as
créés pour toi et notre coeur est
dans l’angoisse tant qu’il ne se repose
pas en toi. Néanmoins il est évident
que l’attrait pour l’idéal domine
chez les uns et l’attrait pour les choses
basses chez les autres ; les uns ont soif de
Dieu, les autres ne songent qu'à la terre et
cette différence tient à leur nature
même. Il est hors de doute que tel homme a
infiniment plus d’efforts à faire pour
mener une vie pure, honnête et pieuse que son
frère. Sa nature physique et morale lui
suscite des difficultés auxquelles
l’autre demeure étranger. C’est
pourquoi la Bible nous adresse cette
sérieuse exhortation : "Ne jugez pas".
Si nous tenons absolument à porter un
jugement sur nos frères, qu’il soit
basé sur leurs efforts et non sur les
résultats acquis.
La doctrine de la prédestination a ses
racines les plus profondes dans les faits que nous
venons d’énoncer, et celui qui croit
que l’éducation à laquelle Dieu
soumet sa créature se termine dans cette
vie, ne saurait glisser sur les terribles
conséquences de cette doctrine. Nous
reconnaissons qu’il est beaucoup plus
difficile pour tel homme de devenir croyant que
pour son voisin, mais nous certifions en revanche
que Dieu se révèle tôt ou tard
à toute âme, que dans cette vie ou
dans l’autre chacun aura l’occasion de
croire en Jésus et de devenir
chrétien s’il le veut. J’affirme
en outre que les croyants les plus éminents
ne le sont pas devenus fatalement et ne restent pas
nécessairement au point ou ils sont
parvenus. Par conséquent la chose importante
à considérer est bien moins le
penchant naturel, que le libre choix de la
volonté. Judas Iscariote possédait
certainement une nature religieuse, pourtant il fut
un traître, car il déroba son
âme à l’influence de la
vérité. L’apôtre Paul, le
plus grand des serviteurs de Jésus-Christ,
alors qu’il avait atteint le point culminant
de la vie religieuse, affirme qu’après
avoir prêché les autres il pourrait
lui-même être rejeté. Le brigand
sur la croix n’avait probablement pas
reçu de ses parents et de son entourage de
bien bonnes leçons, rien ne nous fait
supposer non plus en lui de forts penchants
religieux, néanmoins il rencontra
l’amour de Jésus, parce qu’il se
soumit à l’action divine. La
manifestation de sa foi fut bien imparfaite, mais
Dieu le jugea, comme il nous jugera tous,
d’après ses lumières et les
circonstances de sa vie.
Ce que je veux établir revient à
ceci : La foi ne nous est communiquée
ni par notre naissance, ni par notre
éducation, ni par une création
spontanée de Dieu dans le coeur. Nous
n’avons la même dans les circonstances
les plus favorables, que des matériaux qui
facilitent pour nous la possession de la foi. La
vie chrétienne en nous, commence lorsque
l’homme dit sincèrement : "Je veux
"et qu’il est résolu à suivre
l’attrait divin qui est en lui. Aussi pour que
la piété soit solidement
ancrée dans le coeur, est-il indispensable
que jour après jour, à chaque
nouvelle difficulté, à chaque
nouvelle tentation, l’homme
répète."Je veux". Un croyant peut
devenir impie, un impie peut devenir croyant, tout
dépend de sa volonté.
Joseph n’était donc pas
prédestiné à la
piété, ni ses frères à
l’inconduite. Il ne devait pas non plus
fatalement rester pieux après l’avoir
été pendant dix-sept ans. Chez nombre
d’hommes, jadis heureux de croire, la foi a
fait naufrage, beaucoup qui avaient
déjà jeté leur ancre dans le
ciel se sont rattachés à la terre.
Malheur a tous ceux qui, croyants ou
incrédules, considèrent leur vie
intérieure comme une nécessité
fatale.
Avant de nous demander ce qu’était
chez Joseph la vie intérieure, cherchons
à décrire la vie spirituelle
d’une manière générale.
La chose n’est pas facile. Chacun peut
définir la vie charnelle, elle existe chez
l’homme uniquement préoccupe des choses
terrestres, chez l’être qui plonge
toutes ses racines dans le sol visible. Les uns
formulent le but de leur existence d’une
manière tout à fait
grossière : "Mangeons et buvons, car
demain nous mourrons". D'autres ont des goûts
plus nobles et raffinés ; ils se
passionnent pour l’art, la science, la patrie.
Entre ces deux pôles extrêmes une foule
de tendances diverses se donnent carrière.
Nous sommes loin de vouloir les mettre toutes sur
le même pied. Les hommes qui ont choisi un
idéal élève contribuent au
développement et à la conservation de
l’espèce humaine tout autrement que les
natures grossières, ils sont aussi beaucoup
plus près du royaume des cieux, car il ne
leur manque pour être chrétiens que
d’avoir compris que Christ est la
personnification de leur idéal. Ils ne sont
pas éloignés du royaume des cieux,
disons-nous, néanmoins ils n’en font
pas partie. Tant que la terre seule est leur vie,
leur but, leur avenir, ils sont engagés dans
la voie de la perdition et vont au-devant d’un
désillusionnement complet. La figure de ce
monde passe. et celui qui est du monde sera
anéanti avec lui.
Qu’est-ce que la vie spirituelle ?
l'écriture la nomme aussi la vie en Dieu,
car Dieu en est la base, la source, le but
suprême. Quiconque la possède est
intimement persuadé de l’existence
d’un Dieu vivant, personnel, dont tous les
êtres créés sont
l’essence, d’un Dieu qui est la vie
même de l’âme, la source de la
paix. L’homme dont la vie spirituelle existe
vraiment recherchera donc l’union avec,
Dieu ; il la maintiendra malgré tous
les obstacles, il fera tout avec la certitude de la
présence de Dieu ; il se laissera
diriger, aider, guérir par lui et visera
à le servir dans la mesure de ses
lumières et de ses capacités.
En ce qui concerne la connaissance de Dieu, elle a
beaucoup varié avec les époques.
L'Évangile a donné à
l’âme pieuse une croyance qui la
satisfait pleinement. Seuls les chrétiens
peuvent répéter avec
St-Paul :
"Nous avons la paix avec Dieu par notre Seigneur
Jésus-Christ". St-Paul lui-même
n’eut pourtant jamais songé à
contester aux croyants de l’ancienne alliance
la possession de la vie spirituelle. De même
si Abraham, Moïse ou Esaïe avaient
rencontre Socrate ou Confucius, ils auraient
reconnu qu’il y avait entre eux une
véritable parente spirituelle, car ces
païens aussi étaient des hommes de foi,
visant plus haut que la terre.
Pourvu que l’homme recherche Dieu, peu importe
le développement de ses connaissances, peu
importe également qu’il ait
apporté en naissant un beau caractère
ou un caractère déplaisant,
revêche, impur. Ce que nous sommes importe
moins que ce que nous voulons devenir. Joseph avait
naturellement une âme grande et
généreuse, celle de Jacob, au
contraire, était basse et fausse.
Néanmoins Jacob devint Israël, celui
qui lutte avec Dieu et qui a été
vainqueur. Élie rencontra, par le fait de
son caractère, beaucoup plus de
difficultés qu’Élisée.
Pierre fut repris dix fois par Jésus alors
que Jean reçut à peine une
réprimande. Luther dut renverser des
murailles dont Mélanchthon ne
soupçonnait pas même l’existence.
Tous ces hommes néanmoins étaient
également chers à Dieu.
Ne vous troublez pas lorsque le monde
déclare que votre caractère manque
d’amabilité ou de droiture et si vous
devez livrer contre ces défauts une lutte
acharnée. Le Seigneur a égard
à la sincérité de vos
intentions. L’homme le plus pieux aux yeux de
Dieu, c’est celui du coeur duquel
s’échappe avec le plus d’ardeur ce
cri : "Viens en moi, Seigneur
Jésus" ; cet homme fut-il le plus
insupportable de tous et dut-il passer au creuset
divin des milliers d’années. Là
encore répétons cette parole :
"Ne jugez pas". Grand sera notre étonnement
lorsqu’au dernier jour Dieu proclamera les
noms des premiers parmi ses serviteurs.
Nous avons parlé plus haut de l’immense
importance des influences que nous subissons.
L’être qui doit avant tout agir sur
nous, c’est Dieu. Lui seul peut nous donner la
paix, la joie, la sainteté. L’homme
n’est vraiment lui-même que lorsque son
âme a soif du Dieu vivant, il n’est en
paix que lorsqu’il est animé par le
souffle de Dieu et délivre de tout ce qui
s’oppose à son intimité avec son
Créateur. Mépriser
l’élément divin qui est en nous,
c’est nous suicider et rentrer dans la
catégorie des êtres inférieurs.
Dans ce cas-là, le philosophe et le
saltimbanque sont sur le même pied. Les
hommes qui, suivant l’attrait divin, ont
recherché l’influence d’en haut,
l’ont subie, quel que fût leur entourage
extérieur. Noé, Élie,
Jérémie ont vécu à des
époques de corruption et
d’impiété
générales ; leur foi a
rencontré partout des obstacles et
néanmoins, ils ont été des
géants dans le domaine religieux. Pour
Joseph aussi la piété
n’était pas chose facile. Son
père était un croyant et c’est
de lui qu’il apprit à connaître
Dieu, mais le caractère de Jacob eut pu
facilement nuire à l’effet de ses
enseignements. Rachel avait transmis à son
fils un don agréable mais dangereux :
la beauté. Le monde pardonne beaucoup
à un bel homme et tout a une belle femme,
néanmoins d’après ce que dit
L'écriture, nous pouvons certifier que
Rachel était despotique, volontaire,
égoïste et ne pût ni ne voulut
jamais renoncer à ses habitudes
païennes.
Ce n’est donc pas sa mère qui
communiqua à Joseph des dons
spirituels ; nous ne dirons rien de ses
frères, qui furent, chacun a sa
manière, une pierre d’achoppement pour
lui. Nulle part dans son entourage il ne
rencontrait de sympathie. Pas question non plus
pour lui d’une Bible dont la lecture eut pu
l’édifier. Il connaissait les histoires
de la création, de la chute, du
déluge, de la confusion des langues et
surtout de l’alliance de Dieu avec son
arrière-grand-père Abraham. Ces faits
lui avaient été racontés par
Jacob et cette âme pure y puisait la force
nécessaire pour marcher fidèlement et
sérieusement avec Dieu.
On se demandera peut-être où
j’ai trouvé matière à
tant parler de la grande piété de
Joseph, de ses prières, de sa confiance en
Dieu. Je le reconnais, la Bible ne dit pas une
seule fois : "Joseph eut confiance en
l'Éternel, qui le lui imputa à
justice". Il n’est également dit nulle
part : "Joseph pria". mais nous lisons cela
entre les lignes. Celui qui ne lit pas la Bible
entre les lignes ne la comprend pas. Il n’est
pas dit que Lot ait mal agi en
s’établissant au milieu des Sodomites.
Aucun reproche n’est adressé à
Jacob et à Rebecca lorsqu’ils
trompèrent Isaac ni aux fils de Jacob
lorsqu’ils vendirent leur frère. Dieu
parle par les jugements ou les
bénédictions qui suivent les actes et
non par des mots. Ainsi la Bible ne cite pas une
seule parole encourageante adressée par Dieu
à Joseph pour le fortifier, mais le fait que
le jeune homme reste toujours joyeux parle plus
haut de sa communion avec Dieu que toutes les
paroles. Le chapitre XXXVII
de la Genèse ne dit
rien de sa piété, cela est vrai, mais
le chapitre
XXXIX nous le montre en
Égypte restant ferme dans une circonstance
très grave et prouvant par sa conduite que
son intimité avec Dieu lui est plus
précieuse que toute la splendeur du monde,
que sa vie elle-même. Elle est donc la base
de son existence.
La prière, la lecture de la Bible, la
fréquentation du culte,
l’accomplissement d’oeuvres
chrétiennes, la communion avec les enfants
de Dieu, la lutte contre le mal ne constituent pas
la vie spirituelle. Toutes ces choses en sont les
fruits, les conséquences, elles sont aussi
les moyens de l’entretenir. La vie
spirituelle, c’est l’union de
l’âme avec le Dieu invisible.
Joseph nous montre par chacun de ses actes
qu’il possède cette base solide ;
et c’est à elle qu’il dut son
caractère attachant. Ses songes en sont une
preuve à leur manière.
Je n’ai point l’intention de faire une
dissertation sur la cause ou la signification des
rêves. Ce sujet qui se rattache aux
pressentiments, au magnétisme, au
somnambulisme, m’entraînerait dans un
domaine mystérieux et effrayant qui n’a
déjà inspiré que trop de gros
livres.
Quiconque connaît un peu l’histoire de
l’homme sait que beaucoup de songes ont
été des prophéties. On peut
expliquer la chose par une révélation
directe de Dieu, par une faculté
mystérieuse que possède
l’âme lorsqu’elle a perdu
conscience d’elle-même, par une
puissance de sympathie ou par toute autre
cause ; peu m’importe. Ce dont je ne
saurais douter, c’est que Dieu s’est
révélé parfois aux hommes par
des rêves. "Songe, mensonge",
dites-vous ; cela est vrai, le plus
souvent ; sur cinquante songes, quarante-neuf
sont des mensonges, mais le cinquantième
peut-être dû à une intervention
directe de Dieu.
Ceci arrivait naturellement plus souvent jadis
qu’aujourd’hui, puisque les hommes ne
possédaient pas la Révélation
écrite. Le Maître souverain qui se
manifeste à toutes les consciences a
parlé par des rêves à Pharaon
et a Nébucadnetzar et ne l’a pas fait
pour Charlemagne ou Guillaume Ier, qui avaient
d’autres lumières.
Dans la vie de Joseph, les songes jouèrent
un rôle très important. Ils
annoncèrent son élévation ou
la favorisèrent. Ceux que nous venons de
lire lui donnèrent à entendre que
Dieu avait de grands desseins à son
égard. Leur résultat immédiat
fut sans doute l’esclavage ; Joseph put
se croire écrasé, abandonné
par Dieu, mais cette épreuve même le
purifia et le rendit digne de la gloire. Le songe
se répéta deux fois, sous une forme
différente, pour lui prouver que la
prophétie était bien réelle.
Le même fait se reproduisit plus tard pour
Pharaon.
Joseph ne put pas interpréter ses premiers
rêves. L’échanson et le panetier
ne le purent pas davantage, mais cette fois Joseph
reçut une puissance divine et c’est
grâce a ces rêves fort peu
significatifs en eux-mêmes qu’il put
être introduit à la cour. Les
rêves de Pharaon enfin furent dignes
d’un roi et eurent une importance capitale
pour les Égyptiens et leurs voisins. Dieu
voila leur signification aux yeux du monarque et de
ses sages et il la révéla à
Joseph dont il voulait faire un ministre puissant
et le sauveur d’Israël
(Genèse
41, v. 15 et
suivants).
Les rêves sont dans la main de Dieu, ceci est
indiscutable pour quiconque croit en lui. Si nous
admettons qu’il y a une relation entre nous et
notre Créateur, nous n’avons aucune
difficulté à admettre qu’il se
révèle à notre âme,
d’autant mieux qu’elle est silencieuse et
inconsciente. Chacun conviendra que nos voeux
secrets, nos projets, nos espérances, nos
craintes sont plus nets encore dans le sommeil
qu’a l’état de veille.
Dieu donc se révèle par des
songes ; à l’égard de
Joseph, il l’a fait d’une manière
particulièrement systématique.
Répondant à cette âme qui le
cherche, il lui fait entrevoir les hauteurs sur
lesquelles il veut la conduire. Le jeune homme ne
comprend pas et en toute simplicité il
raconte son premier rêve à ses
frères. Ceux-ci l’interprètent
aussitôt : "Est-ce que tu
régnerais sur nous ? Est-ce que tu nous
gouvernerais ? Et ils le haïrent encore
davantage à cause de ses songes". Ceci
n’est pas étonnant. Peut-être
crurent-ils que ce rêve n’était
qu’une invention de Joseph, une manière
d’exprimer ses désirs ambitieux. Des
faits analogues ne se reproduisent-ils pas tous les
jours sous nos yeux ? Joseph commit du reste
par son récit une imprudence ;
s’il eut mieux connu le coeur humain et en
particulier celui de ses frères, il aurait
prévu l’orage qu’il allait faire
éclater, mais son coeur n’est pas
exempt de vanité ; il est tout plein de
ce qu’il a vu et il faut qu’il parle.
À son deuxième songe son innocence et
sa naïveté lui jouent le même
tour. Il voit ses parents eux-mêmes
s’incliner devant lui. Cette fois son
père se tourne contre lui, ce père
qui jusqu’alors l’avait approuve sans
réserves ; et pour une fois qu’il
le blâme, il le fait à tort. Du reste,
il n’était pas absolument sûr de
lui-même, car après sa
réprimande il garda le souvenir de ces
choses. Il avait beau les considérer
comme les propos d’un vaniteux, un secret
pressentiment l’avertissait qu’il y avait
là plus que de l’imagination.
En effet, le jeune homme n’était pas
coupable d’avoir fait un beau rêve, on
pouvait tout au plus lui reprocher de l’avoir
raconté. La jeune fille aussi est innocente
lorsqu’un imprudent lui dit qu’elle est
la plus ravissante des femmes. Néanmoins
elle n’a qu’une chose à faire,
oublier ce propos inconsidéré. Si
elle le répète, même sans
aucune mauvaise intention, elle fait une chose
absolument contraire à sa dignité.
Joseph n’avait pas discerné la
vanité qui s’était
glissée dans ses récits. Il en
était pourtant ainsi. "Les mouches mortes
infectaient et faisaient fermenter l’huile
divine". Un peu de propre justice
s’était manifestée aussi
lorsqu’il avait rapporté à son
père les mauvais propos de ses
frères. N’était-il pas naturel
qu’il se voulût du bien de sa vertu, de
sa piété, qu’il regardât
de l’oeil du pharisien la troupe
déréglée de ses frères
et se considérât comme le seul
héritier spirituel d’Abraham. Bien vite
il regagna la faveur paternelle, et cette
prédilection de Jacob pour lui augmenta son
mauvais penchant. La propre justice est le plus
dangereux des poisons que le diable ait invente
pour perdre l’humanité, car, ne
soupçonnant pas sa présence, nous ne
combattons pas ses effets. La propre justice nous
empêche de prendre vis-à-vis de Dieu
la position qui nous convient.
"Il fait grâce aux humbles" ; à
eux seuls il peut accorder des
bénédictions dont les orgueilleux
n’estiment pas avoir besoin. Dieu vit le
danger que courait Joseph et pour le rendre capable
de recevoir toutes ses faveurs, il le plongea dans
le plus profond abaissement.
Il est beaucoup d’enfants élevés
par de pieux parents qu’on pourrait croire
innocents de tout péché. Des leur
enfance on leur a fait connaître
l'Évangile, des leur enfance ils ont
aimé leur Sauveur ; rien ne leur semble
plus naturel, ils trouvent inouï, odieux
qu’on puisse douter du salut par Christ ou de
toute autre vérité exposée
dans la Bible. Je m’incline devant la noblesse
de ces âmes, je reconnais leurs
privilèges, car c’est un avantage
inappréciable de n’avoir jamais connu
le doute, d’être tenu à
l’écart des choses basses, d’avoir
toujours travaille pour le bien. Je dois pourtant
leur signaler les dangers qui menacent leur
âme comme ils menaçaient celle de
Joseph. Ce sont la propre justice, la complaisance
pour soi-même, le penchant à se croire
arrive au but. Les gens dont je parle sont
sincères, ils ignorent le péril au
devant duquel ils vont et ne se mettent pas en
garde contre lui. Lorsqu’ils disent avec
St-Paul : Par la grâce de Dieu je
suis ce que je suis, lorsque, faisant cause
commune avec d’autres, ils déclarent
qu’ils sont de pauvres pécheurs sans
mérites devant Dieu, ils
n’altèrent pas consciemment la
vérité, et pourtant au fond de leur
âme il s’est glissé une
très perfide satisfaction
d’eux-mêmes qui se manifeste
peut-être dans les jugements acerbes et
sévères portes sur des
chrétiens moins avances qu’eux, ou sur
des hommes en proie au doute, plonges dans
l’incrédulité ou hostiles
à l'Évangile.
L’expérience nous montre que Dieu,
notre souverain Maître, inflige à ces
nobles âmes, trop portées à
l’orgueil, des épreuves
particulièrement douloureuses et les plonge
dans des creusets ardents pour amener au jour leur
ruse cachée. Autour d’eux on
s’étonne de l’amère
souffrance que Dieu juge bon de leur envoyer. On
parle des voies obscures de la Providence, on
s’irrite peut-être contre elle. Ceux qui
sont l’objet de ces dispensations, passe le
premier moment de surprise, ne
s’étonnent pas, car ils comprennent ce
que Dieu à leur dire.
Que de choses laides la main divine met alors au
jour, interdits inavoués, complaisance pour
soi-même, propre justice voilée de
piété, manque de
sincérité vis-à-vis de
soi-même et des autres, irritation contre les
défauts d’autrui, rancunes
déguisées, etc. Que de
péchés Dieu doit nous pardonner.
Combien on se sent petit et misérable !
L’heure est venue de s’asseoir en
personne sur ce banc des pénitents dont on a
tant parlé. L’orfèvre voit enfin
son image briller dans l’or avec une
pureté parfaite.
Alors nous redisons avec le poète :
"Dans l’onde qu’aucun ne souffle ne ride,
je vois se refléter la volonté de
Dieu. Sa voix ne se fait entendre que lorsque tous
les vents sont apaisés".
Je parle de Joseph et de nous tout ensemble. Je ne
voudrais pas avoir l’air de justifier Dieu,
qui n’en a nul besoin, des effroyables
souffrances qu’il infligea à la noble
âme de Joseph, j’ai voulu seulement
frayer la route pour faire comprendre ce qui va
suivre.
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