Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE II

DIVERSITÉ DE CARACTÈRES DANS UNE MÊME FAMILLE

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Genèse 37, v. 2 a 4.

1. Le père et son favori.

 "Voici la postérité de Jacob. Joseph, âge de dix-sept ans, faisait paître le troupeau de son père". Dès ce moment, remarquez-le, c’est Joseph qui devient le héros du récit. Ses frères ne peuvent tenir une place importante dans l’histoire sacrée, puisqu’ils vivent selon la chair. Quant à la figure de Jacob elle disparaît derrière celle de son fils. Sauf à la fin de sa carrière, où il jette de nouveau un vif éclat. Jacob n’a que le rôle efface d’un spectateur sympathique ; dans sa vieillesse il obéit plutôt qu’il ne commande.
N’en est-il pas en général ainsi dans notre société moderne ? Ne voit-on pas fils et filles prendre tout doucement le premier rang et laisser les parents dans l’ombre ? C’est la loi du monde. Pourquoi nous en attrister ? Il faut que la jeunesse croisse et que la vieillesse diminue. Cet effacement ne nous nuira pas si nous nous appuyons sur le Seigneur pour nous laisser toujours mieux conduire, porter et éclairer par lui.

Jacob subit la loi commune d’une manière toute spéciale. Nous devons avouer qu’il était la cause des tristes rapports qui existaient entre ses enfants. Que cela serve d’avertissement aux parents qui se trouvent dans des circonstances analogues.

"Israël aimait Joseph plus que tous ses autres fils". Était-ce seulement à cause de la sagesse et de la piété de l’enfant ? Moïse, l’historien véridique, ne nous Ne donne pas cette raison comme la principale. Il en indique une autre : "Parce qu’il l’avait eu dans sa vieillesse". Il l’avait engendré longtemps après les autres et aurait pu être son grand-père. Pendant longtemps aussi Joseph avait été le cadet. II était de plus l’enfant de la femme préférée, le fils de la belle Rachel et le portrait vivant de sa mère. Ajoutez à cela qu’il était un jeune homme pieux qui avait soif de vie éternelle, qui savait prier et avait horreur du mal. Joseph seul pouvait sympathiser avec son père dans ses sentiments les plus nobles et les plus saints ; à lui seul Jacob pouvait ouvrir son coeur, avec lui seul il pouvait prier du fond de l’âme. Il était donc dans la nature des choses que Jacob préférât Joseph à ses autres fils. Il avait raison de remercier Dieu de lui avoir donné un tel enfant. Mais aller plus loin, afficher sa préférence, donner la première place à Joseph devant tout le monde, c’était une imprudence qu’il devait payer cher. La robe bigarrée que le patriarche donna à son préfère était un vêtement rayé comme en portaient alors les fils de princes. Il voulait probablement indiquer par là que Joseph serait son héritier.

Il est incroyable qu’un homme pieux et éclairé ait pu commettre une pareille bévue. Il avait vu dans la maison paternelle les fâcheux résultats d’une différence faite entre les enfants. Hélas ! à quoi nous servent les expériences des autres ? Les passions sont plus fortes que la raison et entraînent celle-ci comme un torrent puissant emporte une digue. Ce sont nos propres expériences qui nous rendent sages. Et encore ne suffisent-elles pas toujours. Comme le chante un poète :

Le malheur seul rend sage,
Dit-on. C’est un vain mot.
J’ai subi mains orages
Et suis encore un sot.


Dans quel malheur, dans quelle confusion nous jettent nos passions nos passions (1).
Je sais ce que les parents peuvent dire pour excuser leurs préférences. Je sais qu’ils doivent souvent lutter énergiquement pour accorder à certains enfants difficiles l’amour chaud qui leur est dû, mais je les adjure de n’épargner ni les prières ni les larmes jusqu’à ce qu’ils aient vaincu. Quand des parents montrent une grande préférence pour un enfant et le donnent en exemple aux autres (comme cela avait lieu sous les tentes du patriarche), le simple bon sens pourrait leur faire prévoir qu’ils s’attireront des difficultés. Pères et mères, la raison et la justice ne vous répètent-elles pas qu’ils sont les uns et les autres vos enfants ? Ils sont votre chair et votre sang, vous leur avez donné la vie, leurs défauts sont par conséquent en grande partie les vôtres. Vous devez à chaque enfant la même part d’amour. L’expérience nous enseigne que le favoritisme qui crée une sourde hostilité entre les parents et fait naître l’envie et la haine entre frères et soeurs, bannit la paix et le bonheur au foyer domestique. L’autorité n’existe plus, l’amour filial s’éteint. Les enfants négligents ferment leurs coeurs à leurs parents, en revanche les favoris deviennent outrecuidants et finissent souvent par briser le coeur du père et de la mère. Les exemples abondent à l’appui de ma thèse. Et cependant que de personnes intelligentes et pieuses ne voit-on pas continuer à nourrir dans leur coeur cet amour partial.

"C’est le bijou de maman ; c’est le favori de papa", entend-on répéter. Oh ! pères et mères, si vous tenez à votre vie et à celle de vos enfants, luttez avec Dieu afin qu’il vous donne d’aimer vos enfants comme le Père céleste vous aime, de les embrasser tous dans le même amour.

Oh ! pauvre Jacob, quels malheurs te prépare cette robe bigarrée ! Es-tu si aveuglé par ton amour que tu ne comprennes pas ce qui va se passer ? "Ses frères virent que leur père l’aimait plus qu’eux tous, ils le prirent en haine. Ils ne pouvaient lui parler avec amitié". Voilà le premier résultat du cadeau fait à Joseph. Loin de lui faire du bien, la prédilection dont il était l’objet fut pour lui une source d’amertume. Il fut mis de cote par ses frères, abandonne, haï et bientôt chasse. L’atmosphère était lourde dans la famille de Jacob, l’orage grondait au loin. D’un instant à l’autre il pouvait éclater. Il y avait, il est vrai, un moyen de prévenir la catastrophe, c’était d’avoir recours à une franche explication. Les frères de Joseph auraient dû lui dire ce qu’ils avaient sur le coeur, exiger qu’il ne portât pas la robe bigarrée et le prier de renoncer à son rôle de rapporteur. Une franche explication, quelle chose excellente ! mais quelle chose rare.
Ils ne pouvaient lui parler avec amitié.

La présence de leur père leur interdisait les propos acariâtres. Ils ne voulaient pas prononcer des paroles aimables. Ils se taisaient donc, mais leurs regards méprisants et haineux en disaient assez long sur leurs sentiments intimes. Ces lèvres muettes avaient un éloquent langage, Nous ne voulons rien avoir à faire avec toi, disaient-elles. Connaissez-vous par expérience l’horreur de ce silence gardé en présence d’un être avec lequel vous vous entreteniez jadis amicalement ?
Avez-vous aussi un frère auquel vous ne pouvez plus parler avec amitié ? Alors, tremblez, car vous êtes sur la même route que les fils de Jacob. Ne laissez pas finir cette journée sans avoir soumis votre coeur de glace aux rayons salutaires de la grâce divine, sans vous être explique avec votre frère et lui avoir dit ouvertement ce que vous aviez à lui reprocher.

Que de querelles, de brouilleries seraient évitées si alors que
l’un a sujet de se plaindre de l’autre il le lui disait franchement et sans colère, qu’il s’agisse d’une chose importante ou d’une vétille. Que de fois un malentendu est la seule cause de nos disputes. Même dans des cas plus graves la réconciliation est facilitée par la présence de notre adversaire. Hélas ! cela ne se fait pas souvent, parce que la plupart des hommes, même des chrétiens, sont si héroïques qu’ils préfèrent cent fois mal parler d’un homme derrière son dos plutôt que de lui dire les choses en face. O misérable lâcheté qui nous pousse à agir dans les ténèbres ! Quel nom donner à cette médisance qui maltraite le prochain quand il ne peut se défendre ? Vous ne voudriez pas pour tout au monde que la chose lui revînt, vous la dites sous le sceau du plus profond secret. Ne savez-vous pas qu’une lettre cachetée nous intéresse bien plus qu’une lettre ouverte ? Comment, vous prétendez être des hommes et vous vous rendez coupables d’une telle duplicité ! Mieux vaudrait, dans les réunions féminines, jouer du tambour ou de la cornemuse que bavarder sur le compte des absents. Tout homme d’honneur, tout chrétien surtout, doit vouer une haine mortelle à la médisance et la flageller partout ou il la rencontre. Si les lecteurs de ces pages voulaient former une sainte ligue contre ce péché-là, mon livre aurait contribue pour sa large part à débarrasser notre pauvre terre d’une de ses hontes et à faciliter l’entrée du royaume des cieux a un grand nombre d’âmes.

Si les choses se passent ainsi chez nos contemporains, comment nous étonner qu’il en fût de même chez Jacob. Dans le cas qui nous occupe, une explication n’eut peut-être pas tout arrangé. Pourquoi ? Parce que les frères ne se comprenaient pas. Il s’agissait de choses plus importantes qu’une robe bariolée. Ils se seraient à la rigueur entendus pour ce qui concerne ce vêtement, mais Joseph aurait-il consenti à ne pas raconter leurs mauvaises actions ? Il les aurait suppliés de mener une meilleure vie, afin qu’il n’y eut plus rien à dire sur leur compte, il les aurait prévenus qu’il considérait comme son devoir de tenir son père au courant de ce qui se passait. Qu’il se mêlât dans ses récits un peu de propre justice et d’orgueil, nous n’en doutons pas, mais nous estimons qu’il était en effet tenu d’avertir son père.

Les frères aînés ne comprenaient absolument pas leur cadet. Ils vivaient dans deux mondes différents. Les uns avaient pour but leur plaisir et l’assouvissement de leurs passions ; l’autre, sans être un ange, vivait pour l’éternité. Entre eux ce n’était pas une question de quantité mais de qualité. Il y avait sans doute de bonnes cotes chez les frères aînés, comme il y en avait de mauvais chez Joseph, mais aucune sympathie ne pouvait exister entre eux. On pouvait s’entendre sur la fabrication du fromage, le blanchissage des laines, la construction d’une nouvelle machine à tisser, mais quant aux questions vitales du coeur et de la conscience, aucun rapport n’était possible. Il en est de même de nos jours entre les enfants du monde et les enfants de Dieu. Ils sont aussi dissemblables qu’un caillou et un brin d’herbe. Ils se rencontrent sur mille et mille points sans importance, mais dans ce qui touche aux choses essentielles, aucune sympathie n’est possible car. l’homme animal ne reçoit pas les choses de l’Esprit de Dieu, car elles sont une folie pour lui et il ne peut les connaître. Il ne peut les connaître jusqu'à ce que Dieu l’éclaire. Le jour devait venir ou la lumière divine brillerait dans le coeur des dix frères. Mais en attendant bien des larmes devaient couler.


2. Les fils dégénèrent.

 Certaines personnes ne comprennent pas comment le pieux Jacob avait des fils tels que les siens. Des hommes vivant dans la solitude, au sein d’une nature grandiose, disent-ils, auraient dû avoir des pensées élevées et marcher sans effort en présence du Créateur.
Il faut connaître bien peu le monde pour parler ainsi. Seuls de naïfs rêveurs s’imaginent encore que sur les cimes immaculées des montagnes ou dans les îles solitaires de la mer la seule innocence puisse habiter. En y regardant de plus près on s’aperçoit que l’immoralité, quand elle pénètre dans ces lieux isolés, y pousse des racines plus profondes que dans les villes. Les grandes agglomérations, il est vrai, donnent naissance à des miasmes dangereux, inconnus dans les campagnes, mais d’un autre côté, c’est dans les grandes cités que se trouvent ces institutions charitables qui opposent une digue puissante au mal. Les oeuvres de lumière réagissent dans les grands centres contre les oeuvres des ténèbres.

Les sauvages beautés de la nature et la société des brebis, des veaux et des chameaux n’ont pas le pouvoir d’élever les coeurs vers Dieu. Ce ne sont ni les moutons du troupeau de David, ni les gigantesques palmiers de la demeure d’Abraham, qui ont fait de ces patriarches les héros de la foi. Ils ont été des témoins fidèles parce qu’ils ont suivi l’instinct de leur âme qui les poussait vers Dieu et qu’ils ont ouvert leur coeur au Tout-Puissant, afin qu’il y vînt faire sa demeure. Les fils de Jacob pouvaient aussi peu être préservés de la grossièreté par les charmes de la végétation ou du ciel étoilé, que les insulaires de la mer du Sud être gardés contre leur féroce cannibalisme par les beautés de leur contrée. Ne parlons plus des vertus purifiantes de la nature.

Une question plus difficile se présente. Comment se fait-il que l’exemple du père n’ait pas produit de meilleurs fruits chez les enfants ? Plus tard un esprit nouveau s’éveillera en eux, dû, sans doute, aux prières et à l’exemple du patriarche. Pour le moment ils sont plongés dans le mal. Rien d’étonnant. Chez Jacob lui-même l’homme intérieur avait eu de la peine à se développer. Les faiblesses du père étaient plus visibles que sa piété. Ajoutez à cela les troubles et les intrigues inséparables de la polygamie. Les fils de Jacob n’étaient pas toujours sous ses yeux. Le patriarche était vieux et par trop indulgent. Il habitait toujours au même endroit tandis que ses fils parcouraient à leur gré les montagnes et les plaines. Bientôt ils dégénérèrent, car aucune puissance ne s’opposait au mal qui les envahissait.

Quiconque a quelque connaissance en histoire naturelle sait ce que signifie le mot
dégénérescence. Si l’on abandonne à lui-même un jardin rempli de roses magnifiques, qu’arrive-t-il ? Les roses ne disparaissent pas, mais elles dégénèrent. Elles retournent à l’état sauvage auquel leurs ancêtres avaient échappé. On a placé des pigeons apprivoisés sur une île déserte ; après vingt ou trente ans ils avaient repris les moeurs des pigeons sauvages. Bien plus : certains crustacés vivent dans l’eau éclairée par le soleil. Or, il arrive à quelques-uns d’entre eux de se retirer dans des grottes sombres. Que se passe-t-il ? Ceux qui avaient fui la lumière ont perdu la vue. Ils ont préféré les ténèbres à la lumière et ont reçu une punition méritée. Ils ont perdu la vue parce qu’ils s’étaient mis dans un endroit où ils n’en avaient plus besoin. La nature est économe ; elle ne prodigue pas ses dons à ceux qui les méprisent.

Or, aucun être ne s’améliore et ne dégénère aussi aisément que l’homme. Le fils de famille dégénère avec une étonnante rapidité quand il se trouve dans un cercle d’hommes grossiers. Bientôt on ne trouve plus trace chez lui de l’éducation raffinée qu’il avait reçue. Quand des hommes élèves dans des familles chrétiennes préfèrent les ténèbres à la lumière, tôt ou tard ils en viennent à haïr la lumière et finissent par ne plus distinguer le bien du mal. L’oeil intérieur se perd. Cela arrive tout naturellement, suivant une loi inévitable.

Nous ne prétendons pas affirmer que les fils de Jacob avaient perdu cet oeil de l’âme, mais ils étaient si endurcis qu’ils ne sentaient plus l’influence paternelle et la discipline de l’Esprit de Dieu. Ils n’en étaient pas tous au même point, comme nous le verrons bientôt. De grandes différences se remarquaient entre eux. Cependant pas un n’avait assez de courage moral pour appeler le mal, pour se garder du péché, pour prendre la vérité comme bouclier et marcher avec Dieu. Ceux qui avaient de bonnes dispositions n’osaient pas les montrer ouvertement, par crainte du ridicule. Aussi les plus hardis, les plus légers et les plus frivoles donnaient-ils le ton.
Il serait inutile de parler des péchés de ces jeunes Hébreux qui gardaient leurs troupeaux il y a près de trois mille ans, dans un pays éloigné du nôtre de plus de trois mille kilomètres, si ce que nous leur reprochons ne concernait pas aussi nos contemporains.

Jeunes gens et jeunes filles, fuyez les sociétés où règne un ton frivole et léger. Des hommes aimables, spirituels, vous attirent peut-être dans ces cercles. Vous ne croyez pas arriver à leur ressembler. Vous avez une trop haute idée de vous-mêmes si vous croyez, après comme avant, rester fidèles a la vérité. Vous serez nécessairement les victimes de la loi de la dégénérescence. Vous protestez. Écoutez le rire moqueur qui s’élève autour de vous ; il vous réduira vite au silence. "Je ne dois pas faire cela, dites-vous timidement, mon père me blâmerait". Des sarcasmes fondent sur vous comme un essaim de guêpes. "Oh ! quel bébé ! Il ne peut faire un pas sans consulter papa et maman. Cent ans après sa mort il sera à peine majeur. Crainte de pécher, il n’osera jamais porter à ses lèvres la coupe du plaisir. Dieu doit se moquer de ce nigaud qui tremble devant lui".

Ces discours sont de mise dans un certain monde. Il y a une seule chance de salut : la fuite. Cette fuite exige un courage héroïque. En êtes-vous incapables ? Alors vous êtes marqués pour la dégénérescence. Les exemples abondent dans notre pays comme en Canaan. Le monde moral ne change pas plus que la nature extérieure. Elle aussi obéit à des lois invariables.

Dans chaque cercle règne un certain esprit, bon ou mauvais. Cet esprit forme, il pétrit à son image ceux qui fréquentent cette société. Chez les fils de Jacob régnait un mauvais esprit ; ils étaient tous des enfants dégénérés. Examinez l’esprit de la société dans laquelle vous vivez. Voudriez-vous partager le sort éternel de vos camarades ? Examinez l’esprit des livres que vous lisez, des théâtres que vous fréquentez. Est-ce l’esprit de lumière, de vérité, de pureté, de paix ou le contraire ? Je me tais pour laisser parler votre conscience.


(1) La Bible avec son inimitable franchise ne nous cache pas les fautes des enfants de Dieu. Elle nous dévoile celle de l’homme auquel l'Éternel donna le nom d’Israël (vainqueur de Dieu). Samuel, cette pure figure, a des fils mal élèvés ; il avait cependant vu dans la famille d’Éli les douleurs qui résultent de la faiblesse paternelle. David, l’homme selon le coeur de Dieu, n’a point d’autorité sur ses enfants. Aaron, le grand prêtre, voit mourir ses deux fils par un jugement de Dieu. 
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