Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE PREMIER

SOUS LES TENTES DE JACOB

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Genèse 37 : 1.

1. Un pèlerin lassé.

 Pour comprendre le caractère de Joseph et les dispensations par lesquelles Dieu le fit passer, il est indispensable de connaître sa famille. Ouvrons donc le premier livre de la Bible. Il nous transporte dans une période reculée et dans un pays éloigné, étranger à toute culture artistique ou intellectuelle. Un chrétien, a-t-on dit, à trois patries : celle ou il est ne, celle pour laquelle il est ne, le ciel, celle enfin où ont vécu le Sauveur et les héros de la Bible. Connaissez-vous ce pays-là ? Pouvez-vous vous représenter Hébron, la ville des palmes située sur les confins du désert arabique ? Voyez-vous en imagination Sichem ou Jacob creusa le puits immortalisé par la conversation de Jésus avec la Samaritaine ? Avez-vous une idée nette de ce qu’est la vie de famille sous les tentes de Jacob ?

Celui-ci possède de grands troupeaux, des bestiaux, des chevaux, des chameaux ; il a des serviteurs et des servantes en grand nombre. Une tribu aussi considérable ne peut demeurer longtemps au même endroit, car le fourrage devient vite insuffisant. Les tentes se dressent tantôt ici tantôt là. À l’endroit ou les feux brillent aujourd’hui de leur plus vif éclat, la cendre refroidie indiquera seule demain qu’ici on a vécu. L’existence des Bédouins de nos jours est l’image fidèle de ce qui se passait alors, car l’Orient est le pays de l’immortalité. S’il en est ainsi, à quoi bon, à notre époque de progrès, étudier de si vieilles histoires ? C’est la question que se posent nombre de gens soi-disant cultivés mais qui ne jugent que sur l’apparence. Sans doute beaucoup d’usages de ces temps reculés ont vieilli et pourtant nous ne devons pas les considérer comme des antiquailles. L’avenir de l’humanité, le salut du monde planent sur la terre sainte comme une mystérieuse vapeur d’encens. Ce pays est béni parce que le Dieu invisible y a en quelque sorte ouvert son coeur et révèle ses desseins de paix. Ces figures vénérables à l’aspect étranger qui errent sur les sombres collines, dans les steppes désertes et a travers les vastes plaines nous montrent Dieu à l’oeuvre dans la vie de chacun de nous. Voilà pourquoi ces histoires ne sauraient vieillir et édifient tous ceux qui s’intéressent à l’avancement du règne de Dieu.

Contemplez maintenant le vieux Jacob. Ce n’est pas une personnalité idéale comme Abraham. Son apparence extérieure même laisse à désirer ; sa hanche est démise, il boite. Bien des traits de son caractère nous déplaisent et les défauts que l'humanité a de tout temps reproches aux Juifs se retrouvent en lui. Il est cupide et fort peu scrupuleux sur le choix des moyens propres à atteindre son but. Il exploite avec ruse son père, son frère et son beau-père. Il montre peu de sagesse dans l'éducation de ses fils. En un mot son caractère est très humain. Son âme n’est pas belle ; celle du vieil Adam l’est rarement.

Ce qui constitue sa grandeur morale, c’est qu’on sent décroître en lui le vieil homme et grandir l’homme nouveau. Il progresse lentement mais sûrement et ce qui fait la force de ses pas en avant, c’est la foi. Il sait que Dieu lui a promis de lui faire du bien et il lui dit :
Je ne te laisserai point aller que tu ne m’aies béni.
L'essentiel, c’est qu’on puisse dire de vous que vous progressez. Peu importe que votre âme soit au début belle ou laide. Que le baromètre soit haut ou bas, là n’est pas la question ; ce qu’il faut savoir, c’est s’il est plus haut ou plus bas que le jour précédent.

Jacob est un homme qui progresse parce qu’il lutte, soit contre lui-même soit avec Dieu. Il travaille à se vaincre, à donner à l’esprit la souveraineté sur la chair et c’est pourquoi Jéhovah lui a donné le beau nom d'Israël (vainqueur de Dieu). Lorsque nous contemplons de près ce vieillard plus que centenaire, il nous semble voir gravé sur son front ridé le mot d'
éternité. Ses yeux nous parlent de douleurs infinies, de rêves évanouis et reflètent une espérance qui n’a rien de commun avec les choses de la terre.

Jacob habite, pour le moment du moins, le pays ou ses pères ont vécu comme étrangers. Les anciens serviteurs de Dieu se considéraient volontiers comme des voyageurs. Vingt-deux ans plus tard, Jacob parle à Pharaon de ses pèlerinages. Le voyageur marche vers la patrie, le pèlerin vers le sanctuaire, tous deux considèrent le pays ou ils séjournent comme un lieu de passage. Pourquoi les patriarches sont-ils des pèlerins ? Ce n’est pas parce qu’en qualité de nomades ils dressent leurs tentes tantôt ici tantôt là ; ce n’est pas non plus parce que Canaan ne leur appartient encore qu’a titre de promesse. Ce pays était depuis longtemps la propriété des Israélites alors qu’ils se nommaient encore étrangers et passagers (
Ps. 39, 13. Hébr. 11, 13). Ceux qui parlent ainsi montrent qu’ils cherchent une patrie et les apôtres nous exhortent à avoir les mêmes sentiments (1 Pierre 2, 11. Phil. 3, 20).

Tous les hommes sont également étrangers et passagers sur la terre puisqu’ils ne doivent y rester qu’un temps. Mais tandis que l’homme du monde s’y cramponne par toutes les fibres de son être, le chrétien s’en détache intérieurement et plante ses racines là où son âme a trouvé sa véritable patrie. Le contraste est donc grand entre eux, et pourtant ils ont également raison tous deux. Tant qu’un homme ne connaît que le monde on ne saurait lui reprocher de tenir fortement à lui, mais celui qui sait qu’il existe des biens infiniment supérieurs serait un fou de rester attache à ce qui a si peu de valeur.

Interrogeons donc notre coeur, chrétiens, demandons-nous chaque soir si nous avons dans la journée vécu comme un voyageur, comme un être qui sent qu’il n’est pas du monde. Des que nous cessons d'être ici-bas des étrangers, d’avoir en nous le mal du pays du ciel, nous sommes traîtres à nous-mêmes, nous renions notre noblesse et nos meilleures espérances.


2. Vie de famille autrefois et maintenant.

 Sous les tentes de Jacob, un triste spectacle s’offre à nos yeux. Ceci nous surprend, étant donnée la piété du patriarche.
Le cadet de ses douze fils, celui qui a coûté la vie a sa mère, Benjamin, est encore au berceau. Joseph se distingue déjà par la noblesse de son caractère, mais ses frères sont des polissons grossiers et impies. J’ai dit des
polissons bien que ce soient déjà des hommes dont plusieurs ont des fils mariés.

Bientôt nous verrons ces gens sans coeur et vindicatifs vendre leur jeune frère. Le dégoût et l’effroi nous saisissent en pénétrant dans le cercle de ces fils dégénérés, qui sont un sujet de honte et de douleur pour leur père.

Nous avons donc ici une vie de famille fort peu attrayante. Que dis-je ? Une vie de famille ? En réalité il n’y en a point. Ce que nous nommons ainsi fut toujours chose inconnue aux Juifs aussi bien qu’aux païens ou aux mahométans ; elle est incompatible avec la polygamie. Cette institution entraîne nécessairement pour la femme le mépris et l’abaissement, elle détruit son influence, elle tue en elle toute noblesse de caractère et engendre des querelles, des intrigues, des jalousies entre les différents groupes de femmes et d’enfants. Or Jacob était polygame. On comprend aisément qu’avoir quatre épouses c’est n’en point avoir de véritable et que dans un ménage constitué de la sorte il ne saurait être question de bonheur.

Nous n’adresserons aucun blâme à Jacob ; il suivait les moeurs de son époque et sa conscience ne lui reprocha rien lorsqu’a ses deux épouses il joignit deux servantes.
Napoléon dans sa vieillesse demandait à une femme d’esprit :
"Que nous faudrait-il pour assurer la prospérité de notre nation ?"
"Des mères", lui fut-il répondu. La remarque était juste ; aucune femme de l'antiquité classique ne l’eut imaginée, aucun roi, aucun prophète de l’ancienne alliance n’y eut songe. C’est l'Évangile qui a donné à la femme sa position et sa puissance. Ceci est un fait indiscutable et ce qui est non moins certain c’est qu’une vie de famille normale n’est possible que là ou la femme est à sa vraie place.

Oui, la vie de famille, cette inépuisable fontaine de Jouvence qui restaure et conserve une nation, est le triomphe de l'Évangile. Nous tenons à le relever ici, car il se trouve malheureusement des chrétiens qui croient faire acte de piété et pousser les gens a la repentance en peignant sous les couleurs les plus noires les moeurs modernes dans nos grandes villes en particulier. Certes, je ne méconnais pas les déficits de notre époque, mais je dis qu’il y a de la frivolité et de l’ingratitude à ne voir que ses mauvais côtés. Il est faux que Paris ou Berlin soient des villes aussi corrompues que Sodome et Gomorrhe et faux que Londres soit un bourbier empoisonné, un fumier pestilentiel auprès duquel Ninive et Babylone seraient des écoles de vertu. Il est injuste de prétendre qu’un petit noyau de chrétiens véritables représente seul la moralité et qu’en dehors de lui tout soit pur paganisme.

Des propos semblables tendent à déclarer que le christianisme et l'oeuvre qu’il poursuit ont fait faillite. Dieu merci, ceci est faux, et ceux qui ne sont pas des chrétiens fervents ne sont pas tous par cela même des païens. Que les pessimistes qui professent cette opinion veuillent bien aller passer six mois parmi les Zoulous, les Hindous ou les fils du Céleste empire et ils reconnaîtront leur erreur. L'évangile a renouvelle l'atmosphère morale des peuples auxquels il a été annoncé depuis plusieurs siècles, il a rendu les relations des hommes entre eux plus conformes qu’elles ne l'étaient à la volonté de Dieu, il a développé en eux des puissances d’amour inconnues au paganisme et au judaïsme, puissances qui agissent comme un levain sur la masse entière. On rencontre, il est vrai, parmi les peuples chrétiens nombre de familles désunies, mais néanmoins la vie de famille existe, elle est une digue puissante contre les assauts du mal et de la corruption. Seuls les ignorants et les pessimistes peuvent nier ce fait.

Si j’ai fait l'éloge de notre vie de famille en la comparant a celle des pays païens, ce n’est pas que j’estime qu’elle soit ce qu’elle devrait et pourrait être d'après l'Évangile. Beaucoup de jeunes gens ruinent leur santé par l'excès des plaisirs. Des péchés sans nombre crient vers le ciel, des coeurs brises accusent devant Dieu ceux qui les ont trompés. Ces détestables romans, ces drames qui glorifient l'adultère sont le tableau fidèle des moeurs actuelles et contribuent à vicier toujours davantage l'atmosphère morale.

Partout on entend des plaintes sur l’ennuyeux joug du mariage, qui entrave le plaisir et la liberté ; on nie l’amour fidèle, on le couvre de ridicule et l’on forme des voeux pour que l’on arrive bientôt à une conception différente de l’union conjugale. On excuse de nos jours toutes les passions ; on prouve qu’elles sont irrésistibles et que lutter contre elles c’est faire preuve d'étroitesse d'idées. Ces doctrines proclamées partout créent d’infinies misères et il est incroyable que des parents bien pensants tolèrent dans leurs maisons des livres et des journaux inspirés par un semblable esprit. Comment pourront-ils, ces pères et mères de famille, se justifier devant Dieu d’avoir laisse un tel poison a la portée de leurs enfants et de leurs domestiques ?

Ajoutons encore à cela la fréquentation du café, de la brasserie, du casino, habitude qui ronge notre vie de famille. Dans la seule Allemagne, chose honteuse, cinq cent millions de marks (six cent vingt-cinq millions de francs) sont dépensés annuellement en eau-de-vie. Dans ces lieux de perdition, des sentences humoristiques et des gravures pendues partout aux murs glorifient l’ivresse. Pendant que les hommes passent là leurs soirées et une partie de leurs nuits, rivalisant à qui pourra boire le plus longtemps, le reste de la famille pleure au logis et souffre moralement si ce n’est matériellement. Lorsqu’enfin le père ou le fils aine rentrent chez eux, leur coeur ne saurait être accessible a l’affection ; ils ne songent qu’à poser sur l’oreiller leur tête appesantie. Il n’est que trop naturel en présence d’un tel état de choses que les femmes cherchent à se distraire par les commérages, la toilette et le luxe et que les enfants tirent de leur cote ou suivent l’exemple de leurs parents.

Même dans les ménages sérieux où la vertu est en honneur, le véritable esprit de famille manque trop souvent. Il est désirable que le père de famille s'intéresse à sa vocation et la poursuive avec activité, mais si ses occupations l’absorbent de telle sorte qu’il n’ait ni coeur, ni yeux, ni oreilles, ni temps pour les siens, s’il est comme absent au milieu d’eux, c’est la une circonstance déplorable. Il est très bon qu’un homme aime sa patrie, qu’il contribue de toutes ses forces au bien de ses concitoyens, mais si, par le fait de réunions trop fréquentes en vue de l'intérêt général, il néglige les intérêts des siens, s’il s’ennuie chez lui, s’il est silencieux, tyrannique avec ses enfants, il y a là un mal profond. Le mal n’est pas moins grand si l'Église ou des oeuvres de philanthropie et d'évangélisation absorbent les pensées du père.

On ne m’accusera pas sans doute de vouloir éloigner mes lecteurs de semblables préoccupations. J’ai dit et répété assez souvent qu’une partie de notre temps doit être consacré à l’avancement du règne de Dieu. N’oublions pas cependant qu’en ces matières notre famille a en toute première ligne droit à notre sollicitude ; c’est elle, avant tout, que nous sommes appelés à amener à Dieu.
Se consacrer aux siens, faire pour eux des frais de conversation, lire, chanter, jouer avec eux, s’associer avec amour aux intérêts des petits et des grands, exige beaucoup plus d’humilité, d’abnégation, de patience que de faire entendre dans un comité un avis qu’on suit avec déférence, ou de briller dans une assemblée. Là il y a recueillir des lauriers que nul ne nous décerne au logis.
Dans toute cette activité chrétienne, loteries de charité, bazars, réunions d’édification ou d’église, comités, fêtes religieuses, la vanité individuelle joue sans qu’on s’en doute un rôle prépondérant. Quiconque sait être jeune avec les jeunes, rendre la maison agréable aux enfants, quel que soit leur âge, quiconque, après se les être attachés, les amène doucement au Sauveur, rend à la patrie le meilleur des services et travaille à l’avancement du règne de Dieu. Beaucoup d’hommes et de femmes de notre époque qui collaborent avec succès aux oeuvres religieuses devraient écrire sur les murailles de leur demeure la parole de l’apôtre : Si quelqu’un n’a pas soin des siens et principalement de ceux de sa famille, il a renié la foi et il est pire qu’un infidèle.

Nous invitons tous nos lecteurs à se frapper la poitrine en se demandant s’ils accomplissent leurs devoirs de père, de mère, d’époux, de maîtres, de fils, de filles, puis à rechercher le moyen de mieux faire et à travailler à être la lumière, le sel de la famille, un élément de paix et de joie pour elle.

Le foyer domestique est le lieu ou les péchés d’omission sont punis de la manière la plus prompte et la plus douloureuse et, parmi ces péchés, celui qui détruit notre bonheur de la manière la plus complète est le manque d’amour et de renoncement pour ceux que Dieu a places près de nous. Mais il est temps maintenant de retourner auprès des tentes de Jacob.

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