Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

VI.

DU DROIT DE PROPRIÉTÉ.

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 La terre était la propriété de l'Éternel. L'Israélite n'avait, dès lors, pour me servir d'une expression consacrée par nos lois modernes, qu'un droit de jouissance, d'usufruit, droit auquel le législateur attachait certaines charges au profit des pauvres, des orphelins, des veuves, des étrangers.

La possession était originairement réglée selon l'ordre des familles. Les pays conquis étaient divisés par le sort entre les familles israélites suivant le dénombrement qui avait été fait par tribus : « A ceux qui sont en plus grand nombre, vous donnerez plus d'héritage, et à ceux qui sont en plus petit nombre, vous donnerez moins d'héritage ; chacun aura selon ce qu'il lui sera échu par le sort, et vous hériterez selon les tribus de vos pères » (Nomb., XXXIII, 54).
Ce partage fait, chaque famille cultivait le lot qui lui avait été assigné et en recueillait les fruits sous les conditions que nous examinerons bientôt.

Ce droit de possession était aliénable. Le possesseur pouvait vendre, non la propriété du sol qui était hors du commerce et dans laquelle le vendeur était réintégré, tout au moins à l'époque du jubilé, mais le droit de jouissance seulement jusqu'à l'année du jubilé. « Selon qu'il y aura plus d'années, tu augmenteras le prix de ce que tu achètes, et selon qu'il y aura moins d'années, tu le diminueras, car on vend le nombre des récoltes » (Lévit., XXV, 16).
Le jubilé se célébrait tous les cinquante ans. Tous les habitants du pays reprenaient ce qu'ils avaient aliéné.

Le partage des terres entre les familles, suivant l'importance de chacune d'elles, le droit de rentrer en possession de ce qui avait été aliéné, les conditions du prêt entre Israélites, l'obligation d'assister les veuves, les orphelins, les étrangers, constituaient tout autant de dispositions généreuses propres à conserver la pureté et la simplicité des moeurs patriarcales au sein du peuple hébreu. « Si, dans un État, les richesses sont également partagées, dit Montesquieu, il n'y aura point de luxe. »

Réunis en société, les hommes sont toujours tentés de s'élever les uns au-dessus des autres, et souvent par de misérables moyens. Nul ne veut rester à son rang ; chacun s'applique à prendre les habitudes et jusqu'au costume de la condition qui lui paraît supérieure à la sienne. Rien n'était plus propre à empêcher cette folle envie de se distinguer par le luxe, par des dehors fastueux, que l'institution du droit de possession formulée dans les lois de Moïse.
Ce n'était certainement pas en Égypte que le législateur d'Israël avait puisé ces principes qui convenaient si bien au peuple de Dieu. L'Égyptien était maître de son champ ; les prêtres possédaient, comme absolus propriétaires, le tiers des terres. La vanité se manifestait jusque dans les tombeaux.

La terre que l'Israélite foulait sous ses pieds, qu'il arrosait de ses sueurs, qui lui fournissait les choses nécessaires à la vie, cette terre ne lui appartenait pas. Tout en lui permettant d'en recueillir les fruits, Dieu rappelait sans cesse à son enfant, par les oblations, par les sacrifices, par le jubilé, de qui il tenait ces biens précieux et de quelle manière il devait en jouir. Comment, après cela, l'homme aurait-il pu, sans se rendre coupable, abuser de ces dons et faire tourner à la satisfaction de son orgueil et de sa vaine gloire ce qu'il ne possédait que précairement !
Pour le chrétien, malgré tous les droits que les lois civiles actuelles lui confèrent, il en est bien encore comme aux beaux jours du peuple hébreu. Il ne doit se considérer que comme le dépositaire des biens qu'il plaît à son Dieu de lui confier ; il a, lui aussi, ses orphelins, ses veuves, ses étrangers, ses offrandes, sa dîme ; il doit, suivant le précepte divin, user des biens de ce monde comme n'en usant pas ; mais c'est sa foi religieuse, et non une prescription légale, qui lui impose ces saints devoirs.
Cette foi n'est plus que le privilège de quelques âmes d'élite ; elle n'est plus qu'une exception. Est-ce donc qu'il faudrait s'en plaindre ? N'est-ce pas la conséquence du grand principe de liberté morale développé par l'Évangile ? Nous ne sommes plus sous le joug impérieux de la loi, mais sous le régime de la grâce et de l'amour. Lorsqu'une âme s'est placée sous cette douce influence, son obéissance n'est plus un joug, c'est une sainte, c'est une ineffable joie.

Mais revenons à la loi de Moïse qui, nous pourrions en faire la remarque à chaque chapitre, était à la fois une admirable préparation au régime de la grâce dont le sacrifice de la croix est le dernier mot et une introduction magnifique aux lois fondamentales de toute société humaine.
L'Israélite qui aliénait son droit de possession pouvait stipuler le rachat, c'est-à-dire le droit de reprendre, après un temps moindre que celui à courir jusqu'au jubilé, la possession qu'il aliénait. Cette faculté était réglée différemment selon que le fonds vendu était une maison située dans une ville fermée de murailles, ou bien une propriété bâtie ou non bâtie, en pleins champs ou dans un village entouré de murailles.

Dans une ville entourée de murailles, le rachat ne pouvait s'exercer que dans l'année de la vente. Si le rachat n'était pas fait dans ce délai, la maison demeurait à l'acheteur et en ses âges ; il n'était pas tenu de la rendre à l'époque du jubilé.
Les fonds de terre ou les maisons situées dans les villages non fermés pouvaient être rachetés jusqu'à l'année du jubilé. Si le rachat n'était pas effectué dans ce délai, l'objet vendu rentrait, au moment du jubilé, dans les mains de son ancien possesseur, car, nous le répétons la vente n'était valable que selon les années de jouissance à courir jusqu'au jubilé.
Nous trouvons dans le livre du Lévitique l'origine du retrait lignager. La loi autorisait le plus proche parent du pauvre qui avait été obligé de vendre ce qu'il possédait, à opérer le rachat.
Le retrait lignager pouvait se céder par le parent le plus rapproché à un parent plus éloigné. « C'était une ancienne coutume en Israël qu'au cas de droit de retrait lignager et de subrogation, pour confirmer la chose, l'homme déchaussait son soulier et le donnait à son prochain, et c'était là un témoignage en Israël qu'on cédait son droit. »

Le retrait, soit par le vendeur lui-même, soit par ses proches parents, se retrouve dans la législation de quelques peuples. Il a été usité dans nos coutumes. Le retrait par les parents du vendeur a été limité par notre législation moderne au seul cas de cession par l'un des cohéritiers de ses droits dans une succession non encore partagée. Notre Code a voulu réserver à la famille le droit d'exclure du partage un étranger auquel l'un des cohéritiers aurait cédé ses droits indivis. Ce droit peut être exercé même à l'égard d'une personne parente du défunt si elle n'est pas successible, c'est-à-dire si elle n'est pas appelée, par la loi, à succéder au défunt.

Le contrat appelé dans la pratique pacte de rachat, très usité chez les Hébreux, a été considéré par plusieurs savants économistes comme l'un des plus puissants éléments du crédit immobilier. D'autres l'ont vivement attaqué comme se prêtant, mieux que tout autre, à déguiser des prêts usuraires. Nos annales judiciaires comptent plus d'une décision qui semblerait autoriser ce dernier sentiment. Mais le contrat d'obligation, la lettre de change, ne sont-ils pas plus souvent encore employés par l'usurier pour déguiser ses spoliations, et n'en avons-nous pas tous les jours sous les yeux de tristes preuves ?

Le travail de l'homme, ses services, pouvaient être aussi aliénés, mais seulement en faveur d'un autre Israélite. Ce n'était pas une condition de dur esclavage, ainsi qu'on l'a prétendu, c'était un simple louage de services résultant de conditions librement consenties. Nous rechercherons plus loin ce qu'étaient les serviteurs chez les Israélites.

Le pauvre pouvait vendre ses services à l'étranger ; mais il avait le droit de racheter sa liberté ; ses proches parents pouvaient exercer ce rachat.

Nous avons fait connaître en quoi consistait, dans la loi de Moïse, le droit de propriété et de quelles modifications il était susceptible ; examinons maintenant sous quelles charges cette propriété était donnée en jouissance par l'Éternel à son peuple.
Ces charges publiques avaient pour principal objet le service du culte, le soutien des pauvres, des veuves et des orphelins.

Cette charité de par la loi a ses adversaires. Que n'a-t-on pas dit et écrit sur la taxe des pauvres usitée en Angleterre ? Il a été, pendant quelque temps, de très bon goût d'attaquer la charité légale chez nos voisins, sans prendre garde qu'elle existe chez nous dans de plus fortes proportions peut-être. Nos nombreux hospices, nos salles d'asile, nos asiles de vieillards, nos bureaux de bienfaisance ne prennent-ils pas dans les budgets de l'État, des départements et des communes le plus clair de leurs revenus ? n'est-ce pas là de la charité légale au premier chef ? et pourquoi l'État ne s'occuperait-il pas des indigents, des infirmes, des orphelins, des vieillards, des proscrits ?
La France n'a jamais refusé une part de ses ressources aux étrangers que les discordes civiles ont jetés si souvent sur le sol français. Oserait-on l'en blâmer ? La charité légale n'exclut pas la charité privée : elle l'excite au contraire et lui sert de guide. La première, par ses règles bien arrêtées, par sa comptabilité exacte, par ses investigations sûres, corrige ce que la seconde a quelquefois de trop hasardeux.

Si la loi de Moïse a posé le fondement de la charité légale, ne lui en faisons pas un reproche. On se plaint quelquefois des abus qui se glissent dans l'administration des secours, combien ne seraient-ils pas et plus nombreux et plus désastreux pour l'indigent lui-même si la charité privée avait seule mission de venir au secours des malheureux !

Pendant trois ans, l'Israélite ne devait pas toucher aux fruits de l'arbre qu'il avait planté. Le fruit de la quatrième année était une chose sainte, consacrée au service de Dieu. À la cinquième année, le fruit pouvait être mangé.
Les premiers-nés des troupeaux et des animaux étaient aussi consacrés au culte et aux sacrifices ou oblations pour le péché du peuple ou pour le péché personnel.
Le cultivateur ne devait pas moissonner le bout de son champ, cueillir ce qui pouvait rester lorsqu'il avait enlevé la moisson, grappiller la vigne ni ramasser les grains de raisin qui étaient tombés. Tout cela appartenait, de par la loi, au pauvre, à l'orphelin et à l'étranger.

L'organisation ingénieuse et forte de nos sociétés de secours mutuels n'est-elle pas la meilleure preuve que la bienfaisance même a besoin de règles et de direction ? La petite somme que l'ouvrier s'engage à verser mensuellement pour venir au secours de ses frères malades, n'est-ce pas le bout du champ, les épis et les grains de raisin que l'Israélite devait laisser pour l'indigent, pour la veuve, pour l'orphelin ?

Cette perception des charges imposées à la possession était, on le voit, simple et facile. Elle réunissait toutes les conditions que les législateurs et les économistes demandent en pareille matière.
Il faut que ces redevances soient facilement perçues. Quoi de plus simple à constater que l'offrande des fruits des jeunes arbres et les premiers-nés des troupeaux, le grappillage, le glanage, l'abandon du bout des sillons au profit du pauvre, de l'orphelin et de l'étranger ?

Une seconde condition relative aux charges publiques, c'est qu'elles ne puissent pas être augmentées au gré de celui qui les prélève. Or c'était la loi de Dieu elle-même qui prescrivait et réglait ces redevances. Toujours les économistes ont classé parmi les meilleurs modes d'impositions, une portion dans les fruits de la terre, une taxe par tête ou de tant pour cent sur les marchandises.

La cinquantième année, année du jubilé, était un temps de repos. Point de semailles, point de moissons. Chacun rentrait en possession de ce qu'il avait aliéné. Le prix de l'aliénation ne se composant jamais que du produit présumé de l'immeuble pendant les années qui restaient à courir jusqu'au jubilé, le vendeur rentrait en possession de la même manière que, à l'expiration du bail, le bailleur reprend possession des objets loués.

En résumé, Dieu était le maître du sol, l'homme n'en avait que la jouissance, à la charge de pourvoir, sur les produits de cette possession, au service du culte, aux secours que réclamaient les orphelins, les indigents, les veuves, les étrangers. Cette possession ne pouvait pas être aliénée indéfiniment ; elle rentrait dans les mains du vendeur à l'époque du jubilé.

Les limites de la possession étaient déterminées par des bornes ; la loi prescrivait le plus grand respect pour ces limites. Le déplacement d'une borne était un acte criminel qui entraînait sur le coupable la malédiction que les lévites prononçaient solennellement devant l'assemblée du peuple.
Le respect pour les bornes des champs était placé, par la loi romaine, sous la sauvegarde d'une divinité.

Dans nos lois françaises, le bornage a sa place : l'article 646 du code Napoléon lui est consacré. Il est obligatoire entre les propriétés contiguës et se fait à frais communs. Pour assurer la prompte exécution de cette règle, la loi charge le magistrat judiciaire du canton de faire opérer le bornage et de prononcer sur le déplacement des bornes.




VII

DES SUCCESSIONS.


 Le droit de succession est un autre mode de mutation que connaissaient les Israélites et sur lequel la loi de Moïse contient des principes très précis. C'est dans le 27e chapitre du livre des Nombres qu'il faut chercher les règles se référant aux droits héréditaires.

Tselophcad était mort dans le désert et n'avait pas laissé d'enfant mâle. Cet homme, dit la Bible, n'avait pas pris part aux troubles que suscitèrent ceux de l'assemblée de Coré qui s'étaient élevés contre Moïse. Ses filles, prétendant avoir leur part dans la division des héritages à la place de leur père, se présentèrent devant Moïse et Eléazar et devant l'assemblée du peuple, à l'entrée du tabernacle d'assignation.

Elles exposèrent que le nom de leur père ne devait pas être retranché du milieu de la nation parce qu'il n'avait pas eu de fils, et réclamèrent leur part dans les terres distribuées aux enfants d'Israël.

Moïse ne crut pas pouvoir répondre immédiatement à cette demande ; il est dit, au verset 5 du chapitre déjà cité, qu'il rapporta leur cause devant l'Éternel. Cette réclamation fut trouvée juste ; l'Éternel ordonna à Moïse de faire passer l'héritage auquel avait droit Tselophcad, à ses filles.

On sait sous quelle dépendance était placée la femme dans les institutions des anciens peuples ; aussi Moïse hésitait-il à donner aux filles l'héritage de leur père.
Conformément à la loi de Moïse, les femmes devinrent capables de succéder, de posséder, et ce droit a passé dans les législations modernes, mais non sans difficulté.
Une loi romaine appelée la loi Voconienne privait les filles, même la fille unique, de la succession de ses parents. Marculfe, saint Augustin, Justinien traitent cette loi d'injuste et de barbare. Cette prohibition fut plus tard abolie chez les Romains ou du moins très modifiée par la loi Pappienne.
Plus tard les Romains s'appliquèrent avec un soin tout particulier à garantir la conservation du patrimoine de la femme, interest reipublicae dotes mulierum salvas fore. C'est des Romains que nous vient le régime dotal, qui tend à disparaître de nos institutions.

Des questions de succession pouvant très fréquemment se présenter alors que les Israélites allaient posséder un important territoire, Dieu prit occasion de cette cause particulière pour indiquer à Moïse de quelle manière devait être réglé l'ordre des successions.
« Lorsque quelqu'un mourra sans avoir de fils, l'héritage devra passera sa fille. »
Notre Code dispose que les enfants succèdent à leurs père et mère, sans distinction de sexe.

La loi des Hébreux établissait, au profit de l'aîné des enfants, un avantage connu sous le nom de droit d'aînesse. D'après la tradition conservée chez les Israélites, ce droit se réglait en comptant fictivement un héritier de plus que le nombre réel. La part de cet héritier fictif appartenait à l'aîné des enfants mâles.
Ce droit avait parfaitement sa raison d'être dans la législation du peuple d'Israël : il avait pour motif l'autorité du chef de famille.
À la mort du père, l'aîné des enfants devait être le protecteur, le soutien de la famille. Le législateur voulut lui donner à la fois le moyen de subvenir aux charges de cette direction et l'influence, l'autorité qu'une position meilleure ? devait contribuer à lui donner.

Le droit d'aînesse s'est conservé, sous différentes dénominations, dans la législation des autres peuples. Il existait dans nos coutumes et quelquefois dans des proportions énormes. Il a été aboli par le législateur moderne, en conservant cependant au père de famille le droit d'avantager un ou plusieurs de ses enfants dans des proportions que la loi a soin de déterminer. Il y a cette différence importante entre notre législation moderne, celle de Moïse et de quelques-unes des anciennes coutumes, que ce n'est plus un droit que l'aîné puisse exercer, mais simplement une faveur dont le père de famille peut faire jouir tel ou tel de ses enfants.
À défaut d'enfants, la loi de Moïse faisait passer toute la succession aux frères du défunt.

Notre Code divise la succession, dans ce cas, entre les frères et soeurs et les père et mère du défunt. Si le père et la mère du défunt n'existent plus, toute la succession est dévolue aux frères et soeurs de la personne décédée sans postérité.

La loi de Moïse ne pouvait pas faire cette division puisqu'il était de principe que le fils ne possédait rien en propre tant que vivait le chef de famille.

S'il n'existe ni frères, ni soeurs, ni descendants, notre Code fait passer la succession dans les mains des collatéraux. La loi de Moïse appelait, dans ce cas, les frères du père du défunt à recueillir toute la succession : « S'il n'a point de frères, vous donnerez son héritage aux frères de son père. »

La ligne des ascendants était bien plus favorisée que dans la législation moderne, car, de son vivant, le père était seul possesseur de tout ce qui devait revenir à la famille ; à sa mort, s'il ne laissait ni descendants ni frères, l'héritage passait aux frères de son père exclusivement.
Enfin, si le défunt ne laissait ni enfants, ni frères, ni frères de son père, l'héritage passait aux parents les plus proches.

Une publication récente de M. le missionnaire Casalis, qui a passé vingt-trois années au milieu des tribus sauvages du sud de l'Afrique, chez les descendants de Cham, atteste la puissance des traditions et des usages et leur durée à travers les siècles. Ce missionnaire a retrouvé, au sein de ces peuplades, le droit d'aînesse exercé comme chez les Hébreux, s'appuyant sur les mêmes motifs et entraînant pour celui qui est appelé à en profiter les mêmes obligations. Ce n'est pas le seul point de ressemblance signalé par M. Casalis. Le respect pour les étrangers, la cérémonie de la circoncision, l'offrande aux dieux d'une partie des produits de la terre, les dons faits par l'époux lors du mariage, se retrouvent aussi chez plusieurs tribus de l'Afrique méridionale. Ce qui confirme encore ces traditions, ce sont les nombreux rapports d'origine, indiqués dans cet ouvrage intéressant, entre la langue de certaines de ces tribus et la langue hébraïque.

Faut-il s'étonner, après cela, que les Israélites, peuple essentiellement commerçant et voyageur, dont l'histoire est mêlée à celle de tant de peuples de l'antiquité, aient laissé dans les pays où ils ont séjourné des traces de leurs institutions et de leurs usages ?

Nous l'avons déjà vu, en parlant du mariage, l'union entre parents était recommandée par la loi de Moïse. Par suite du partage égal des terres et de la division des biens entre les familles, il était ordonné au plus proche parent d'épouser l'héritière. Platon adopta ces dispositions (Rép., liv. VIII) qui passèrent dans les lois des Athéniens.

Ce chapitre fournit une réponse péremptoire à une objection soulevée par la critique contre l'unité de rédaction de la loi mosaïque. Les quatre premiers livres de la loi des Hébreux manquent, dit-on, d'ordre et de suite ; Ils ne peuvent pas être l'oeuvre d'un seul rédacteur. On reconnaît qu'ils renferment des documents remontant à un âge très reculé, dont quelques-uns peuvent bien se rapporter à Moïse ou à de savants israélites qui l'accompagnèrent et qui travaillèrent avec lui à constituer le peuple d'Israël ; mais si Moïse avait, lui seul, rédigé ces lois, il y aurait mis plus d'ordre, il ne se serait pas répété aussi souvent.
D'après Richard Simon, ce serait Esdras qui aurait colligé les documents anciens et leur aurait donné un ordre nouveau, sans néanmoins rien changer au contexte.

Eichhorn explique le désordre que l'on remarque dans l'Exode, le Lévitique et les Nombres par cette considération que ces livres sont le récit de la marche du peuple d'Israël, récit noté, chaque jour, par le législateur hébreu.
Cette explication nous paraît parfaitement vraie, et nous sommes surpris qu'elle ait été rejetée comme insuffisante par quelques écrivains d'un incontestable mérite.

Le sujet que nous avons traité dans ce chapitre serait, à lui seul, une démonstration complète de l'opinion d'Eichhorn.


Comment arrivent, dans le livre des Nombres, les dispositions claires et précises se référant aux droits successoraux ? Pendant la marche dans le désert, un Israélite est décédé ne laissant point d'enfants mâles. Ses filles viennent demander leur part dans le partage des terres.
Moïse n'est pas fixé ; il hésite ; il demande du temps ; il faut qu'il se recueille, qu'il aille vers son Dieu. Il en reçoit une réponse pleine de sagesse, et cette réponse est, à l'instant, consignée dans son livre. On le voit, la loi mosaïque ne se déroule qu'à mesure que les faits se produisent.

Moïse n'est pas un penseur se penchant, chaque jour, sur ses livres et préparant d'avance un ensemble de dispositions législatives savamment liées et coordonnées. Il a bien le temps de méditer ! À la tête de ce peuple si souvent rebelle, de ce peuple qui, dans mille circonstances, ne comprend pas son libérateur et cherche à s'éloigner de lui, à la fois chef politique, chef militaire, législateur, Moïse, - tous ses livres en font foi, - n'a rien préparé : il travaille au jour le jour.
Le peuple, dans sa marche vers Canaan, doit traverser un territoire, Moïse fait demander le passage ; il est obligé de combattre : ses mesures sont bientôt prises ; le peuple se battra en quelque nombre qu'il soit et quelque puissant que soit l'adversaire ; Dieu combattra avec son peuple. Dans cette longue et magnifique entreprise de la délivrance des Hébreux, tout est imprévu, tout est dans les mains de Dieu. Si, dans un aussi grave sujet, nous ne devions pas mesurer les termes, nous dirions, avec ceux pour qui Dieu n'est rien, tout, dans l'oeuvre de Moïse, est livré au hasard. Les filles de l'Israélite mort dans le désert soumettent à Moïse une question d'hérédité : il a fallu ce fait pour que le législateur fixât l'ordre des successions. Il suffit, ce semble, de lire, sans parti pris, sans système arrêté, les livres de Moïse pour se convaincre que l'explication du savant Eichhorn est parfaitement rationnelle.

Qu'Esdras ait rétabli les ordonnances de la loi, qu'il ait donné à la législation mosaïque une nouvelle importance, en ordonnant, avec l'autorité dont il fut revêtu, leur observation, nous ne chercherons pas à le contester.
La Bible elle-même nous apprend que, après les guerres terribles dont le Peuple élu et la sainte Cité furent victimes, certains Israélites avaient suivi les moeurs et les coutumes des peuples voisins. Cependant, parmi les prisonniers qui fuient conduits dans les États du vainqueur, se trouvaient des hommes dont la loi de Moïse avait été la principale étude. Artaxercès ne dédaigna pas de les entendre. Lorsqu'il connut mieux les institutions mosaïques, ce grand monarque chargea Esdras de rétablir la loi, de la faire observer par le peuple d'Israël.
Il ne s'agissait pas, pour Artaxercès et pour Esdras, d'une loi nouvelle, d'une loi corrigée, modifiée. Esdras ne s'attribua jamais le mérite d'avoir changé quelque chose à la loi et, d'un autre côté, Artaxercès savait bien quelle loi il chargeait Esdras de faire observer, car, en lui donnant ses lettres patentes, il parle ainsi de la loi des Israélites : « La loi de ton Dieu, laquelle tu as en ta main. »

Lorsqu'on a des textes aussi formels, aussi clairs, pourquoi se livrer à des conjectures, à des hypothèses ? Pour repousser l'inspiration divine, alors d'ailleurs qu'on ne peut plus nier l'existence du texte dans les temps les plus reculés de l'histoire du monde, on est obligé de chercher des explications vulgaires aux faits que les Livres saints nous présentent comme surnaturels, sans s'inquiéter si ces explications elles-mêmes ne sont pas plus difficiles à admettre que l'affirmation du fait, telle que le lièvre la donne.

Si l'on ne veut accepter que ce qui se voit et se démontre rigoureusement, si l'on veut que tout fait puisse s'expliquer et se prouver comme une proposition de géométrie, le coeur, le sentiment, la conscience ne deviennent plus qu'un froid mécanisme ; il n'y a plus de place au foyer de la vie intérieure pour les saints enthousiasmes, pour les élans de l'âme, pour les sublimes inspirations. La foi n'est plus alors ce don de Dieu qui, de tout temps, a enfanté des prodiges.

Quoiqu'on en puisse dire et sans mépriser la valeur du syllogisme, la puissance de la raison, nous croyons qu'il y a en l'homme d'autres éléments de conviction tout aussi dignes d'admiration et de confiance.
La lecture d'un chapitre de la Bible faite dans un esprit sérieux et non pour y chercher des difficultés ou des armes pour la critique, procure à l'âme une assurance, une confiance en la vérité de Dieu qui sont aussi fortes que les raisonnements les plus serrés. Ce cri de notre âme qui répond à la voix du ciel, ce mystérieux et saint rapport qui s'établit entre Dieu et la conscience de l'homme, réchauffent le coeur, entraînent la conviction, et lui donnent une force, une puissance de discernement et d'activité que la plus exacte démonstration mathématique ne saura jamais produire. « Le coeur, dit Pascal, a des raisons que ne comprend pas la raison. »




VIII.

DU PRÊT.


 Le prêt, chez les Israélites, était purement un contrat de bienfaisance. Le prêteur ne pouvait retirer aucun intérêt ni pour l'argent, ni pour les soins, ni pour quelque chose que ce soit qu'on puisse prêter à intérêt.
Il était permis cependant de retirer un intérêt des choses prêtées à l'étranger. Le prêt n'était alors qu'une affaire de trafic où le gain n'était pas défendu. Il y avait, dans cette disposition, un avantage commercial pour l'Israélite ; mais le législateur des Hébreux avait pour but principal de rendre moins faciles les rapports des étrangers avec le peuple de Dieu. Il s'agissait, avant tout, de conserver la pureté de la foi et d'empêcher l'introduction des idées païennes en Canaan.

Les lois de la Grèce permettaient le prêt à intérêt ; les lois romaines l'autorisaient à raison d'un pour cent par mois (loi XXIe de la 3e Table). On connaît les diverses théories émises par les économistes sur l'importante question de la fixation légale du taux de l'intérêt. Jusqu'à présent, notre législation française autorise le prêt à cinq pour cent par an en matière civile et à six pour cent en matière commerciale.

Le prêt, chez les Hébreux, pouvait être assorti de certaines garanties afin d'assurer la restitution des objets prêtés. Le prêteur pouvait demander un gage, mais il était recommandé à l'Israélite de ne pas se détourner de celui qui demandait à emprunter, n'eût-il aucune garantie à fournir.

Lors de l'année de relâche, - c'est-à-dire tous les sept ans, - la dette se trouvait éteinte ; le prêteur perdait ses droits. Lorsqu'on demandait à emprunter, l'Israélite ne devait pas s'arrêter à considérer combien il y avait de temps à courir jusqu'à l'année de relâche. « Prends garde à toi qu'il n'y ait cette pensée dans ton coeur et que tu ne dises : La septième année, qui est l'année de relâche, approche, - et que ton oeil, étant sans pitié envers ton frère qui est pauvre, pour ne lui rien donner, il ne crie contre toi à l'Éternel et qu'il n'y ait en toi du péché » (Deut., XV, 9).

Le chapitre XXIV du Deutéronome nous donne une preuve de l'intérêt que la loi de Moïse portait au sort de l'indigent. Il nous fait connaître les devoirs de celui qui prêtait sur gage : il ne devait pas entrer dans la maison de l'emprunteur pour se saisir lui-même du gage.
Ainsi se trouvaient évitées ces luttes scandaleuses entre un débiteur malheureux et un impitoyable créancier. Le temps n'est pas encore bien éloigné où il était reçu de mettre à la porte le créancier qui venait réclamer ce qui lui était dû, ou de frapper l'agent de la loi chargé de recouvrer la créance. Il n'y a rien d'exagéré dans cette scène où Chicaneau déclare ne connaître d'autre procédé que le bâton pour savoir si l'Intimé est un véritable sergent ! « Tôt donc ! (s'écrie l'Intimé) frappez ! j'ai quatre enfants à nourrir. »
Mais si le créancier ne pouvait pas saisir son gage dans la demeure du débiteur, la loi faisait une obligation à celui-ci d'apporter le gage dehors.

Cette garantie d'inviolabilité pour l'asile de la famille est l'oeuvre d'une profonde sagesse. La maison était comme un sanctuaire qu'il n'était pas permis de profaner. Le père de famille, respecté chez lui par sa compagne, par ses enfants, par ses serviteurs, par les étrangers et même par ses créanciers, est établi par la loi de Moïse comme le conservateur de ces traditions patriarcales dont la Bible nous offre, en plusieurs passages, l'intéressant tableau.

Nous retrouvons ce respect de la maison dans la législation romaine. Elle défendait même d'entrer dans la demeure de l'adversaire pour l'appeler en justice. L'appel en justice était considéré comme une action violente.

Notre législation française a toujours autorisé l'agent de la loi à entrer, pendant le jour, dans la maison du père de famille pour l'appeler en justice, mais non point pour le contraindre par corps pour dettes. Il faut, pour ce dernier acte, l'assistance d'un magistrat.

Le prêt sur gage était connu des Romains. Le mot pignus, gage, venait, dit Caïus, de pugnus, poing, parce que les choses qui se donnaient de cette manière étaient livrées de la main à la main, quia res quae pignori dantur, manu traduntur.

Chez les Hébreux, si le gage était un objet essentiel à la vie, le créancier devait le remettre lorsque son usage devenait nécessaire au pauvre. « Tu ne manqueras pas de lui rendre le gage aussitôt que le soleil sera couché, afin qu'il couche dans son habit et qu'il te bénisse. »

Nos lois de la procédure civile déclarent insaisissables le coucher nécessaire aux débiteurs, les habits dont ils sont vêtus et couverts.
La loi de Moïse défendait au créancier de se saisir, pour gage, des deux meules, non pas même de la meule de dessus. C'eût été prendre pour gage la vie de son prochain.
La prohibition correspondante, dans notre droit français, s'applique aux outils nécessaires à l'occupation personnelle du débiteur, aux farines et menues denrées nécessaires à la consommation du débiteur et de sa famille pendant un mois. Chaque Israélite préparant la farine et le pain pour sa famille, il était indispensable que les meules restassent dans la maison.
Le vêtement de la veuve était chose inaliénable et ne devait jamais être donné en gage.

Toutes ces prescriptions sont empreintes d'un cachet de justice, de sagesse et de profonde charité que nous ne trouvons pas dans les lois dures et impitoyables de l'antiquité païenne.
L'amour de Dieu, le respect pour sa loi, l'amour du prochain qu'il fallait traiter comme on désirait être traité soi-même, tels étaient les principes fondamentaux de la loi de Moïse. Ces principes sont admirablement résumés dans ces commandements : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme et de toute ta pensée. Tu aimeras ton prochain comme toi-même. »

Élevée sur d'aussi saintes bases, la législation mosaïque ne devait pas considérer le prêt comme pouvant conduire, en cas d'inexécution de la convention, à une peine corporelle. Les sociétés païennes ne conçurent pas non plus tout d'abord l'idée que le corps du débiteur pût être responsable d'une somme empruntée ; mais bientôt la grande loi de l'intérêt public l'emporta sur les sains principes du juste et du vrai et l'individu fut sacrifié à la société.

Nous avons quelquefois entendu soutenir que le mosaïsme était essentiellement socialiste et s'occupait très peu de l'individu. C'est là, à notre avis, une grande erreur. Aucune législation ne s'est plus intéressée à la famille, à l'individu, que la loi de Moïse.
Le sort de la veuve, de l'orphelin, de l'indigent, fixe, à chaque page, l'attention. Le respect pour le vieillard, la remise de la dette à des époques déterminées, et tant d'autres dispositions protectrices de l'individu, démontrent suffisamment que le reproche d'excessif socialisme adressé à la loi de Moïse n'est pas fondé.

Interest reipublicae, tel est le mobile qui finit par prévaloir à Rome. Il importe à la chose publique que le débiteur se libère : dès lors il y sera contraint par tous les moyens possibles, même par l'expropriation de sa personne, si l'on peut ainsi dire ; il appartiendra corps et biens au créancier.
On connaît la rigueur du droit romain à l'égard du débiteur ; il nous suffira de citer les dispositions suivantes :

Loi XXIVe à la 3e Table : « Si le débiteur refuse de payer sa dette et que personne ne se présente pour le cautionner, son créancier pourra l'emmener chez lui, le lier par le cou et lui mettre les fers aux pieds, pourvu que la chaîne n'excède pas le poids de quinze livres. »

Loi XXVIIe à la 3e Table : « Si le débiteur est insolvable à l'égard de plusieurs créanciers, ils pourront, après le troisième jour de marché, mettre son corps en pièces et le partager impunément en plus ou moins de parties, ou bien les créanciers pourront vendre leur débiteur aux étrangers qui habitent au delà du Tibre. »

Ces lois si dures, introduites dans la législation romaine, tenaient, selon de graves autorités, à l'opposition que faisaient les décemvirs à l'établissement du principe démocratique.
Ce n'est pas sans étonnement qu'on lit dans Aulugelle la justification de ces prescriptions barbares. Elles avaient pour résultat, dit Cecilius, d'empêcher qu'on n'empruntât au-dessus de ses facultés.
Après avoir essayé d'excuser cette loi cruelle, Cecilius met en doute qu'elle ait jamais été appliquée. Selon quelques jurisconsultes, ce partage du débiteur à morceaux ne devait pas s'entendre à la lettre : il n'aurait signifié autre chose que la division entre les créanciers du prix de la vente de leur débiteur. Ce qui nous a été conservé de la loi des Douze Tables ne permet pas cette indulgente interprétation. La loi qui permettait au père de tuer son fils pouvait bien permettre au créancier de disposer de la vie de son débiteur.

D'après Plutarque, Solon s'appliqua à faire disparaître d'Athènes les rigueurs exercées contre les débiteurs insolvables. Il fit admettre dans ses lois que personne ne serait poursuivi par corps pour dettes civiles. (Plutarque, Vie de Solon.)
N'y a-t-il pas encore dans la contrainte par corps, toute modifiée qu'elle est par nos lois françaises modernes, un reste du pouvoir exorbitant donné au créancier sur la personne du débiteur ?

La loi française, s'inspirant de plus en plus des idées chrétiennes, réforme, d'âge en âge, l'économie de cette dure législation. Il appartenait à un gouvernement qui s'occupe avec tant de sollicitude des affaires publiques, qui a édicté, en quelques années, tant de lois d'utilité pratique, d'apporter un nouveau tempérament à l'exécution de la contrainte par corps.
Le débiteur incarcéré, nourri aux dépens de son créancier, ne recevait qu'une allocation insuffisante. Une loi récente a élevé le taux de la consignation que doit effectuer le créancier. Il est évident que la contrainte par corps tend à disparaître de nos institutions, mais on ne saurait blâmer les sages précautions, les ménagements qu'emploie le législateur. Tout ce qui touche au crédit public ne doit être modifié qu'avec une prudente réserve.

Ces lignes étaient depuis longtemps écrites lorsque le discours de l'Empereur, à l'ouverture de la session législative de 1865, a fait connaître l'intention généreuse du gouvernement au sujet de la contrainte par corps en matière civile et commerciale. La loi qui élève le taux de la consignation prépare à cette mesure. La contrainte par corps pour dette civile et commerciale est peu à peu abandonnée. Ses résultats n'aboutissent, le plus souvent, qu'à humilier le débiteur et sa famille sans profit pour le créancier.

Dans le but de payer sa dette, le débiteur israélite avait la faculté de louer ses services, mais seulement pour un temps déterminé par la loi. Nous nous occuperons, dans le chapitre suivant, de cet engagement et de la position que la loi de Moïse faisait aux serviteurs.




IX

DES SERVITEURS.


 L'une des causes les plus fécondes de l'erreur, c'est assurément de vouloir juger les idées, les lois et les usages des siècles reculés, par les idées, les usages et les lois du siècle où nous vivons.
Tout le monde s'accorde à reconnaître la sagesse, la haute raison, l'esprit libéral de Montesquieu : cependant il pensait, il écrivait qu'un prince ne pouvait pas tolérer plusieurs religions dans ses États. Il ne voulait pas être accusé d'avoir dit qu'il ne fallait point punir l'hérésie.
Profond philosophe et grand légiste, cet homme illustre payait, lui aussi, son tribut aux idées de son siècle, et nous serions injustes si nous mesurions ses pensées à la mesure de nos moeurs actuelles.

Il ne faut pas non plus donner toujours aux expressions employées autrefois le sens qu'elles ont aujourd'hui. « À quoi tiennent souvent les plus grandes erreurs ! s'écrie un philosophe. Un seul mot négligé, une seule idée mal démêlée, suffisent pour faire tout le mal, en corrompant les sciences dans leur source. »

Pour nous, l'esclave est cet être voué à toutes les infortunes, qui est traîné, comme le bétail, de marché en marché, vendu au plus offrant enchérisseur, qui subit fatalement le sort auquel son acheteur veut le vouer et qui meurt, avant le temps, accablé sous le poids des plus durs travaux, s'il ne succombe pas sous les coups de son cruel possesseur. Voilà l'idée qu'on se fait, de nos jours, de l'esclave. L'oncle Tom est le type de cette pauvre créature à laquelle tant de gens refusent encore le titre d'homme.

Cet esclavage dur, odieux, qui laisse complètement le serviteur à la merci de son maître, existait-il chez les Hébreux ?
Nous n'en trouvons aucune trace dans la loi de Moïse. Cette loi si humaine, si bonne envers l'indigent, l'orphelin, la veuve, aurait-elle fait divorce avec ces grands principes d'humanité pour livrer, sans défense, le serviteur à la cupidité, à la méchanceté de son maître ?
Moïse répond à ces questions par ce solennel avertissement adressé à son peuple : « Qu'il te souvienne que tu as été esclave au pays d'Égypte et que l'Éternel ton Dieu t'a racheté ! »

Cependant l'esclavage existait dans la loi mosaïque. Quelle était sa cause et quelle était la condition de l'esclave ?
Chaque Israélite devait faire fructifier, de son mieux, le lot qui lui avait été affecté dans le partage des terres ; mais, pas plus sous la loi de Moïse que chez les Romains, il ne fut possible de conserver l'égalité de fortune et de position, rêve de tant d'utopistes. Il y eut des pauvres chez les Hébreux, il y en eut chez tous les peuples. « Vous aurez toujours des pauvres avec vous ! »

La loi de Moïse, qui plaçait, avec raison, le travail au rang des premiers devoirs de l'Hébreu, autorisa le débiteur malheureux à se libérer honorablement en vendant son travail pendant un certain nombre d'années. Le vendeur entrait dans la maison du maître et participait à ses travaux, mais il était placé là sous la protection de la loi. Ainsi, le repos du septième jour était prescrit pour le serviteur comme pour le maître : « Tu ne feras aucun travail en ce jour-là, ni toi, ni ta femme, ni ton serviteur, ni ta servante. »

Le maître n'était pas propriétaire du serviteur ; nous verrons bientôt qu'il ne pouvait le retenir que pendant un temps déterminé. S'il se laissait emporter jusqu'à le frapper rudement, le maître était puni par la perte de son serviteur, car, s'il lui gâtait un oeil ou s'il lui cassait une dent, le serviteur, par ce fait, recouvrait sa liberté ; le maître ne pouvait plus le retenir ; le serviteur était libéré, à moins qu'il n'intervînt de nouvelles conventions entre eux.

Le service de l'Israélite ne devait durer que six ans. La septième année, il avait le droit de sortir sans rien payer : sa dette se trouvait soldée.
Si le serviteur était marié, sa femme sortait de service en même temps que lui.
Ces dispositions, écrites au chapitre XXI de l'Exode, suffisent pour affirmer que, si l'esclavage était autorisé chez les Hébreux, la condition de l'esclave était loin d'être aussi dure que chez les autres peuples de l'antiquité. Ce n'était, en réalité, qu'un louage de services pour un temps.

Pendant les six années du louage, le maître pouvait donner une femme à son serviteur. Si, de cette union, naissaient des enfants, ils appartenaient au maître, mais l'esclave avait toujours, le droit de sortir, quand arrivait la septième année. Cette disposition se rattache aux principes posés par la loi de Moïse quant au mariage.

Ce n'était pas, nous l'avons vu, un contrat indissoluble : le mari pouvait renvoyer sa femme et rompre, à sa volonté, le pacte conjugal. Si donc la femme qui avait été donnée au serviteur ne lui convenait pas, si la famille ne lui inspirait pas d'affection, il pouvait sortir de la maison de son maître à l'expiration des six années de service.
Il arrivait souvent que le serviteur préférait sa femme et ses enfants à l'affranchissement. Il devait alors s'attacher à eux et à son maître par un contrat indissoluble. Ce contrat se formait devant les juges et, pour qu'il en restât un signe extérieur, le maître perçait, avec une alêne, l'oreille du serviteur. Celui-ci était, dès ce moment, attaché pour toujours à sa femme, à ses enfants, à son maître.

Le père avait le droit de vouer sa fille au service d'autrui. L'engagement ne se rompait pas, de plein droit, à l'expiration de la sixième année. Le maître devait à la servante les plus grands égards. Si elle déplaisait à son maître, il pouvait la faire acheter par un autre, jamais par un étranger ; elle devait rester au sein du peuple hébreu.
Si le maître donnait sa servante pour fiancée à son fils, il devait lui remettre, en même temps, tout ce qu'il était d'usage que le père de famille israélite donnât à sa fille. Prenait-il lui-même une autre servante, la loi lui imposait l'obligation de fournir à la première la nourriture et les vêtements, et de la traiter avec affection.

Ces obligations devaient être exactement remplies par le maître, sous peine de perdre sa servante. Celle-ci avait le droit de sortir sans payer aucun argent si son maître ne lui fournissait pas la nourriture et les vêtements nécessaires et n'avait pas pour elle les égards que prescrivait la loi.
« Le magistrat doit veiller, dit Montesquieu, à ce que l'esclave ait sa nourriture et son vêtement : cela doit être réglé par la loi. »

L'esclave athénien était traité avec douceur. Les premières lois romaines prescrivaient de traiter les esclaves avec humanité ; mais ces préceptes ne furent pas longtemps suivis à Rome.

L'esclavage ne fut jamais dur chez les peuples qui firent du travail de la terre leur principale occupation. Lorsque le maître associe ses serviteurs à ses travaux et leur fait partager sa bonne comme sa mauvaise fortune, le service n'a rien d'humiliant et d'insupportable ; mais lorsque le maître ne considère l'esclave que comme le jouet de ses caprices, comme l'instrument de sa vanité, le serviteur est toujours tenté de se révolter.
Il faut que la loi intervienne pour protéger le maître. Aussi voit-on que, lorsque le luxe se fut démesurément introduit chez les Romains, il fallut édicter les lois les plus sévères contre les esclaves.
Si le maître était tué, tous les esclaves qui se trouvaient dans la maison étaient condamnés à mort, quand même ils auraient pu prouver leur innocence.
Le maître était-il tué dans un voyage, tous les esclaves qui étaient restés avec lui et tous ceux qui s'étaient enfuis étaient condamnés à mort.
On sait à quelles terribles luttes ces lois cruelles donnèrent lieu. Les esclaves organisés et armés troublèrent souvent la sûreté du peuple romain.

L'histoire du peuple hébreu ne fournit aucun trait de ce genre. On y voit, au contraire, la preuve que le maître et le serviteur vivaient en bonne intelligence et échangeaient de bons rapports.
Montesquieu trouve bien rude la loi de Moïse qui, tout en infligeant une punition au maître quand l'esclave mourait sous ses coups, le déclarait absous lorsque l'esclave survivait un jour ou deux.
La loi mosaïque recherchait, avant tout, dans un fait incriminé, l'intention. L'esclave n'était pas livré au caprice du maître, puisqu'il recouvrait immédiatement sa liberté lorsque le maître le traitait trop durement. On ne pouvait pas supposer facilement que le maître eût l'intention de tuer son serviteur, puisqu'il se privait ainsi de services qu'il avait achetés.
Si les coups étaient tellement forts que l'esclave en mourût, le fait lui seul faisait supposer l'intention ; mais si l'esclave survivait quelque temps, on ne devait pas croire que le maître eût voulu lui porter un coup mortel.

Ces dispositions, du reste, n'étaient pas exclusivement écrites pour le serviteur. On voit au chapitre XXI de l'Exode que, si un Israélite rudement frappé ne mourait pas sous les coups et pouvait se lever, marcher avec un bâton, il n'y avait à infliger à celui qui avait frappé d'autre punition que des dommages-intérêts envers la victime. La loi ne voyait encore là que l'intention.
Quant à la réparation envers l'esclave ou sa famille, la loi n'en accordait pas puisque le travail du serviteur appartenait au maître. Le temps de service représentait l'argent prêté à l'esclave.

En résumé, le maître était puni si le serviteur mourait sous ses coups. En portant des coups moins violents, le maître s'exposait à perdre son serviteur, qui recouvrait sa liberté si son oeil ou ses dents étaient endommagés. Si le serviteur se relevait, il n'y avait pas de punition proprement dite, parce que le juge ne pouvait pas supposer que le maître eût voulu se priver de son serviteur, de son argent.
Le serviteur n'était donc pas un être à part, fatalement voué au malheur, exposé à subir pour toujours tous les caprices du maître. Ce n'était pas l'esclavage tel que nous nous le représentons aujourd'hui.

Le serviteur devenait bien souvent l'ami, le confident de la famille. La Bible nous en offre une preuve bien touchante dans le choix que fit Jacob de l'un de ses serviteurs pour lui confier le soin d'amener une épouse à Isaac. Quel témoignage de confiance de la part du maître ! Quel dévouement, quelle fidélité de la part d'Eliézer !




X

DE LA PREUVE DES CONTRATS.


 Nous avons recherché et presque codifié les principaux objets de transaction dérivant des rapports des Israélites entre eux. Nous sommes naturellement conduit à rechercher maintenant de quelle manière ces transactions étaient constatées.
Le XXXIIe chapitre de Jérémie nous fournit, à cet égard, les renseignements nécessaires.

Pendant le siège de Jérusalem par les troupes du roi de Babylone, Jérémie, étant prisonnier dans la maison du roi de Juda, vit arriver Hanaméel, fils de son oncle, qui venait lui demander d'acheter son champ d'Anathoth, dans le territoire de Benjamin, en vertu de son droit de retrait lignager. Jérémie accepta cette proposition et commença par peser, à la balance, l'argent qui formait le prix de cette possession. Des témoins furent appelés et Jérémie écrivit, en leur présence, le contrat d'acquisition. Ce titre fut fait en double dont l'un resta ouvert et l'autre fut cacheté. Les témoins signèrent ces actes et, en présence de Hanaméel, des témoins qui s'étaient souscrits dans le contrat et des autres Israélites assis dans la cour de la prison, Jérémie remit les deux doubles à une tierce personne chargée de conserver avec soin ce dépôt.
Voici le commandement adressé à Baruc en lui remettant ces titres : « Prends ce contrat-ci, savoir, ce contrat d'acquisition qui est cacheté et ce contrat qui est ouvert, et mets-les dans un pot de terre, afin qu'ils puissent se conserver longtemps. »

Après ces formalités, Jérémie adresse une prière à Dieu, et, dans son acte d'adoration, il rappelle que, malgré les menaces terribles faites aux habitants de la Judée, on pourra encore acheter des champs à prix d'argent, « en écrire les contrats, les cacheter et prendre des témoins. »

Lorsque la convention devait se continuer jusqu'à une époque éloignée, il fallait donc un contrat. Ce contrat était fait en double, en présence de témoins qui y apposaient leur signature.
Enfin le titre était remis à un tiers qui, se chargeait de le conserver.

Un contrat, des témoins qui y assistent et qui le signent, une rédaction faite en double, le sceau ou cachet apposé à l'acte, un dépositaire chargé de le conserver, ont toujours été, depuis la loi de Moïse, des formalités essentielles à la preuve des transactions.
Suétone nous apprend que, du temps de Néron, tout acte pour lequel on n'avait pas appelé de témoins et qui n'avait pas été scellé avec de la cire, n'avait aucune valeur et ne pouvait avoir aucun effet.
Tout le monde sait que, aujourd'hui encore, la présence de témoins est nécessaire pour la validité des actes notariés ; que les actes sous seing privé doivent être faits en double lorsqu'ils renferment des conventions synallagmatiques ; que les copies des actes notariés destinées à ramener à exécution les conventions, doivent être scellées du sceau de l'État.

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