La terre était la propriété
de l'Éternel. L'Israélite n'avait,
dès lors, pour me servir d'une expression
consacrée par nos lois modernes, qu'un droit
de jouissance, d'usufruit, droit
auquel le législateur attachait certaines
charges au profit des pauvres, des orphelins, des
veuves, des étrangers.
La possession était originairement
réglée selon l'ordre des familles.
Les pays conquis étaient divisés par
le sort entre les familles israélites
suivant le dénombrement qui avait
été fait par tribus :
« A ceux qui sont
en plus grand nombre, vous donnerez plus
d'héritage, et à ceux qui sont en
plus petit nombre, vous donnerez moins
d'héritage ; chacun
aura selon ce qu'il lui sera échu par le
sort, et vous hériterez selon les tribus de
vos pères »
(Nomb.,
XXXIII, 54).
Ce partage fait, chaque famille cultivait le lot
qui lui avait été assigné et
en recueillait les fruits sous les conditions que
nous examinerons bientôt.
Ce droit de possession était
aliénable. Le possesseur pouvait vendre, non
la propriété du sol qui était
hors du commerce et dans laquelle le vendeur
était réintégré, tout
au moins à l'époque du jubilé, mais le droit de jouissance
seulement jusqu'à l'année du
jubilé. « Selon
qu'il y aura plus
d'années, tu augmenteras le prix de ce que
tu achètes, et selon qu'il y aura moins
d'années, tu le diminueras, car on vend le
nombre des récoltes »
(Lévit.,
XXV, 16).
Le jubilé se célébrait tous
les cinquante ans. Tous les habitants du pays
reprenaient ce qu'ils avaient
aliéné.
Le partage des terres entre les familles, suivant
l'importance de chacune d'elles, le droit de
rentrer en possession de ce qui avait
été aliéné, les
conditions du prêt entre Israélites,
l'obligation d'assister les veuves, les orphelins,
les étrangers, constituaient tout autant de
dispositions généreuses propres
à conserver la
pureté et la
simplicité des moeurs patriarcales au sein
du peuple hébreu. « Si, dans un
État, les richesses sont également
partagées, dit Montesquieu, il n'y aura
point de luxe. »
Réunis en société, les hommes
sont toujours tentés de s'élever les
uns au-dessus des autres, et souvent par de
misérables moyens. Nul ne veut rester
à son rang ; chacun s'applique à
prendre les habitudes et jusqu'au costume de la
condition qui lui paraît supérieure
à la sienne. Rien n'était plus propre
à empêcher cette folle envie de se
distinguer par le luxe, par des dehors fastueux,
que l'institution du droit de possession
formulée dans les lois de Moïse.
Ce n'était certainement pas en Égypte
que le législateur d'Israël avait
puisé ces principes qui convenaient si bien
au peuple de Dieu. L'Égyptien était
maître de son champ ; les prêtres
possédaient, comme absolus
propriétaires, le tiers des terres. La
vanité se manifestait jusque dans les
tombeaux.
La terre que l'Israélite foulait sous ses
pieds, qu'il arrosait de ses sueurs, qui lui
fournissait les choses nécessaires à
la vie, cette terre ne lui appartenait pas. Tout en
lui permettant d'en recueillir les fruits, Dieu
rappelait sans cesse à son enfant, par les
oblations, par les sacrifices, par le
jubilé, de qui il tenait ces biens
précieux et de quelle
manière il devait en jouir. Comment,
après cela, l'homme aurait-il pu, sans se
rendre coupable, abuser de ces dons et faire
tourner à la satisfaction de son orgueil et
de sa vaine gloire ce qu'il ne possédait que
précairement !
Pour le chrétien, malgré tous les
droits que les lois civiles actuelles lui
confèrent, il en est bien encore comme aux
beaux jours du peuple hébreu. Il ne doit se
considérer que comme le dépositaire
des biens qu'il plaît à son Dieu de
lui confier ; il a, lui aussi, ses orphelins,
ses veuves, ses étrangers, ses offrandes, sa
dîme ; il doit, suivant le
précepte divin, user des biens de ce monde
comme n'en usant pas ; mais c'est sa foi
religieuse, et non une prescription légale,
qui lui impose ces saints devoirs.
Cette foi n'est plus que le privilège de
quelques âmes d'élite ; elle
n'est plus qu'une exception. Est-ce donc qu'il
faudrait s'en plaindre ? N'est-ce pas la
conséquence du grand principe de
liberté morale développé par
l'Évangile ? Nous ne sommes plus sous
le joug impérieux de la loi, mais sous le
régime de la grâce et de l'amour.
Lorsqu'une âme s'est placée sous cette
douce influence, son obéissance n'est plus
un joug, c'est une sainte, c'est une ineffable
joie.
Mais revenons à la loi de Moïse qui,
nous pourrions en faire la
remarque à chaque chapitre, était
à la fois une admirable préparation
au régime de la grâce dont le
sacrifice de la croix est le dernier mot et une
introduction magnifique aux lois fondamentales de
toute société humaine.
L'Israélite qui aliénait son droit de
possession pouvait stipuler le rachat, c'est-à-dire le droit
de reprendre,
après un temps moindre que celui à
courir jusqu'au jubilé, la possession qu'il
aliénait. Cette faculté était
réglée différemment selon que
le fonds vendu était une maison
située dans une ville fermée de
murailles, ou bien une propriété
bâtie ou non bâtie, en pleins champs ou
dans un village entouré de murailles.
Dans une ville entourée de murailles, le
rachat ne pouvait s'exercer que dans l'année
de la vente. Si le rachat n'était pas fait
dans ce délai, la maison demeurait à
l'acheteur et en ses âges ; il
n'était pas tenu de la rendre à
l'époque du jubilé.
Les fonds de terre ou les maisons situées
dans les villages non fermés pouvaient
être rachetés jusqu'à
l'année du jubilé. Si le rachat
n'était pas effectué dans ce
délai, l'objet vendu rentrait, au moment du
jubilé, dans les mains de son ancien
possesseur, car, nous le
répétons la vente
n'était valable que selon les années
de jouissance à courir jusqu'au
jubilé.
Nous trouvons dans le livre du Lévitique
l'origine du retrait lignager. La loi autorisait le
plus proche parent du pauvre qui avait
été obligé de vendre ce qu'il
possédait, à opérer le
rachat.
Le retrait lignager pouvait se céder par le
parent le plus rapproché à un parent
plus éloigné.
« C'était une ancienne coutume en
Israël qu'au cas de droit de retrait lignager
et de subrogation, pour confirmer la chose, l'homme
déchaussait son soulier et le donnait
à son prochain, et c'était
là un témoignage en Israël qu'on
cédait son droit. »
Le retrait, soit par le vendeur lui-même,
soit par ses proches parents, se retrouve dans la
législation de quelques peuples. Il a
été usité dans nos coutumes.
Le retrait par les parents du vendeur a
été limité par notre
législation moderne au seul cas de cession
par l'un des cohéritiers de ses droits dans
une succession non encore partagée. Notre
Code a voulu réserver à la famille le
droit d'exclure du partage un étranger
auquel l'un des cohéritiers aurait
cédé ses droits indivis. Ce droit
peut être exercé même à
l'égard d'une personne parente du
défunt si elle n'est pas successible,
c'est-à-dire si elle n'est
pas appelée, par la loi, à
succéder au défunt.
Le contrat appelé dans la pratique pacte
de rachat, très usité chez les
Hébreux, a été
considéré par plusieurs savants
économistes comme l'un des plus puissants
éléments du crédit immobilier.
D'autres l'ont vivement attaqué comme se
prêtant, mieux que tout autre, à
déguiser des prêts usuraires. Nos
annales judiciaires comptent plus d'une
décision qui semblerait autoriser ce dernier
sentiment. Mais le contrat d'obligation, la lettre
de change, ne sont-ils pas plus souvent encore
employés par l'usurier pour déguiser
ses spoliations, et n'en avons-nous pas tous les
jours sous les yeux de tristes preuves ?
Le travail de l'homme, ses services, pouvaient
être aussi aliénés, mais
seulement en faveur d'un autre Israélite. Ce
n'était pas une condition de dur esclavage,
ainsi qu'on l'a prétendu, c'était un
simple louage de services résultant de
conditions librement consenties. Nous rechercherons
plus loin ce qu'étaient les serviteurs chez
les Israélites.
Le pauvre pouvait vendre ses services à
l'étranger ; mais il avait le droit de
racheter sa liberté ; ses proches
parents pouvaient exercer ce rachat.
Nous avons fait connaître en quoi
consistait, dans la loi de
Moïse, le droit de propriété et
de quelles modifications il était
susceptible ; examinons maintenant sous
quelles charges cette propriété
était donnée en jouissance par
l'Éternel à son peuple.
Ces charges publiques avaient pour principal objet
le service du culte, le soutien des pauvres, des
veuves et des orphelins.
Cette charité de par la loi a ses
adversaires. Que n'a-t-on pas dit et écrit
sur la taxe des pauvres usitée en
Angleterre ? Il a été, pendant
quelque temps, de très bon goût
d'attaquer la charité légale chez nos
voisins, sans prendre garde qu'elle existe chez
nous dans de plus fortes proportions
peut-être. Nos nombreux hospices, nos salles
d'asile, nos asiles de vieillards, nos bureaux de
bienfaisance ne prennent-ils pas dans les budgets
de l'État, des départements et des
communes le plus clair de leurs revenus ?
n'est-ce pas là de la charité
légale au premier chef ? et pourquoi
l'État ne s'occuperait-il pas des indigents,
des infirmes, des orphelins, des vieillards, des
proscrits ?
La France n'a jamais refusé une part de ses
ressources aux étrangers que les discordes
civiles ont jetés si souvent sur le sol
français. Oserait-on l'en
blâmer ? La charité légale
n'exclut pas la charité
privée : elle
l'excite au contraire et lui sert de guide. La
première, par ses règles bien
arrêtées, par sa comptabilité
exacte, par ses investigations sûres, corrige
ce que la seconde a quelquefois de trop
hasardeux.
Si la loi de Moïse a posé le fondement
de la charité légale, ne lui en
faisons pas un reproche. On se plaint quelquefois
des abus qui se glissent dans l'administration des
secours, combien ne seraient-ils pas et plus
nombreux et plus désastreux pour l'indigent
lui-même si la charité privée
avait seule mission de venir au secours des
malheureux !
Pendant trois ans, l'Israélite ne devait pas
toucher aux fruits de l'arbre qu'il avait
planté. Le fruit de la quatrième
année était une chose sainte,
consacrée au service de Dieu. À la
cinquième année, le fruit pouvait
être mangé.
Les premiers-nés des troupeaux et des
animaux étaient aussi consacrés au
culte et aux sacrifices ou oblations pour le
péché du peuple ou pour le
péché personnel.
Le cultivateur ne devait pas moissonner le bout de
son champ, cueillir ce qui pouvait rester lorsqu'il
avait enlevé la moisson, grappiller la vigne
ni ramasser les grains de raisin qui étaient
tombés. Tout cela appartenait, de par la
loi, au pauvre, à l'orphelin et à
l'étranger.
L'organisation ingénieuse et forte de nos
sociétés de secours mutuels
n'est-elle pas la meilleure preuve que la
bienfaisance même a besoin de règles
et de direction ? La petite somme que
l'ouvrier s'engage à verser mensuellement
pour venir au secours de ses frères malades,
n'est-ce pas le bout du champ, les épis et
les grains de raisin que l'Israélite devait
laisser pour l'indigent, pour la veuve, pour
l'orphelin ?
Cette perception des charges imposées
à la possession était, on le voit,
simple et facile. Elle réunissait toutes les
conditions que les législateurs et les
économistes demandent en pareille
matière.
Il faut que ces redevances soient facilement
perçues. Quoi de plus simple à
constater que l'offrande des fruits des jeunes
arbres et les premiers-nés des troupeaux, le
grappillage, le glanage, l'abandon du bout des
sillons au profit du pauvre, de l'orphelin et de
l'étranger ?
Une seconde condition relative aux charges
publiques, c'est qu'elles ne puissent pas
être augmentées au gré de celui
qui les prélève. Or c'était la
loi de Dieu elle-même qui prescrivait et
réglait ces redevances. Toujours les
économistes ont classé parmi les
meilleurs modes d'impositions, une portion dans les
fruits de la terre, une taxe par
tête ou de tant pour cent sur les
marchandises.
La cinquantième année, année
du jubilé, était un temps de repos.
Point de semailles, point de moissons. Chacun
rentrait en possession de ce qu'il avait
aliéné. Le prix de
l'aliénation ne se composant jamais que du
produit présumé de l'immeuble pendant
les années qui restaient à courir
jusqu'au jubilé, le vendeur rentrait en
possession de la même manière que,
à l'expiration du bail, le bailleur reprend
possession des objets loués.
En résumé, Dieu était le
maître du sol, l'homme n'en avait que la
jouissance, à la charge de pourvoir, sur les
produits de cette possession, au service du culte,
aux secours que réclamaient les orphelins,
les indigents, les veuves, les étrangers.
Cette possession ne pouvait pas être
aliénée indéfiniment ;
elle rentrait dans les mains du vendeur à
l'époque du jubilé.
Les limites de la possession étaient
déterminées par des bornes ; la
loi prescrivait le plus grand respect pour ces
limites. Le déplacement d'une borne
était un acte criminel qui entraînait
sur le coupable la malédiction que les
lévites prononçaient solennellement
devant l'assemblée du peuple.
Le respect pour les bornes des champs était
placé, par la loi romaine,
sous la sauvegarde d'une divinité.
Dans nos lois françaises, le bornage a sa
place : l'article 646 du code Napoléon
lui est consacré. Il est obligatoire entre
les propriétés contiguës et se
fait à frais communs. Pour assurer la
prompte exécution de cette règle, la
loi charge le magistrat judiciaire du canton de
faire opérer le bornage et de prononcer sur
le déplacement des bornes.
Le droit de succession est un autre mode de
mutation que connaissaient les Israélites et
sur lequel la loi de Moïse contient des
principes très précis. C'est dans le 27e
chapitre du livre des Nombres
qu'il faut chercher les règles se
référant aux droits
héréditaires.
Tselophcad était mort dans le désert
et n'avait pas laissé d'enfant mâle.
Cet homme, dit la Bible, n'avait pas pris part aux
troubles que suscitèrent ceux de
l'assemblée de Coré qui
s'étaient élevés contre
Moïse. Ses filles, prétendant avoir
leur part dans la division des héritages
à la place de leur père, se
présentèrent devant Moïse et
Eléazar et devant l'assemblée du
peuple, à l'entrée du tabernacle
d'assignation.
Elles exposèrent que le nom de leur
père ne devait pas être
retranché du milieu de la nation parce qu'il
n'avait pas eu de fils, et
réclamèrent leur part dans les terres
distribuées aux enfants d'Israël.
Moïse ne crut pas pouvoir répondre
immédiatement à cette demande ;
il est dit, au verset
5 du chapitre
déjà cité, qu'il rapporta
leur cause devant l'Éternel. Cette
réclamation fut trouvée juste ;
l'Éternel ordonna à Moïse de
faire passer l'héritage auquel avait droit
Tselophcad, à ses filles.
On sait sous quelle dépendance était
placée la femme dans les institutions des
anciens peuples ; aussi Moïse
hésitait-il à donner aux filles
l'héritage de leur père.
Conformément à la loi de Moïse,
les femmes devinrent capables de succéder,
de posséder, et ce droit a passé dans
les législations modernes, mais non sans
difficulté.
Une loi romaine appelée la loi Voconienne privait les filles,
même la fille unique,
de la succession de ses parents. Marculfe, saint
Augustin, Justinien traitent cette loi
d'injuste et de barbare. Cette prohibition fut plus
tard abolie chez les Romains ou du moins
très modifiée par la loi Pappienne.
Plus tard les Romains s'appliquèrent avec un
soin tout particulier à garantir la
conservation du patrimoine de la
femme, interest reipublicae dotes mulierum
salvas fore. C'est des Romains que nous vient
le régime dotal, qui tend à
disparaître de nos institutions.
Des questions de succession pouvant très
fréquemment se présenter alors que
les Israélites allaient posséder un
important territoire, Dieu prit occasion de cette
cause particulière pour indiquer à
Moïse de quelle manière devait
être réglé l'ordre des
successions.
« Lorsque quelqu'un
mourra sans avoir de fils, l'héritage devra
passera sa fille. »
Notre Code dispose que les enfants succèdent
à leurs père et mère, sans
distinction de sexe.
La loi des Hébreux établissait, au
profit de l'aîné des enfants, un
avantage connu sous le nom de droit
d'aînesse. D'après la tradition
conservée chez les Israélites, ce
droit se réglait en comptant fictivement un
héritier de plus que le nombre réel.
La part de cet héritier fictif appartenait
à l'aîné des enfants
mâles.
Ce droit avait parfaitement sa raison d'être
dans la législation du peuple
d'Israël : il avait pour motif
l'autorité du chef de famille.
À la mort du père,
l'aîné des enfants devait être
le protecteur, le soutien de la famille. Le
législateur voulut lui donner à la
fois le moyen de subvenir aux charges de cette
direction et l'influence,
l'autorité qu'une position meilleure ?
devait contribuer à lui donner.
Le droit d'aînesse s'est conservé,
sous différentes dénominations, dans
la législation des autres peuples. Il
existait dans nos coutumes et quelquefois dans des
proportions énormes. Il a été
aboli par le législateur moderne, en
conservant cependant au père de famille le
droit d'avantager un ou plusieurs de ses enfants
dans des proportions que la loi a soin de
déterminer. Il y a cette différence
importante entre notre législation moderne,
celle de Moïse et de quelques-unes des
anciennes coutumes, que ce n'est plus un droit que
l'aîné puisse exercer, mais simplement
une faveur dont le père de famille peut
faire jouir tel ou tel de ses enfants.
À défaut d'enfants, la loi de
Moïse faisait passer toute la succession aux
frères du défunt.
Notre Code divise la succession, dans ce cas, entre
les frères et soeurs et les père et
mère du défunt. Si le père et
la mère du défunt n'existent plus,
toute la succession est dévolue aux
frères et soeurs de la personne
décédée sans
postérité.
La loi de Moïse ne pouvait pas faire cette
division puisqu'il était de principe que le
fils ne possédait rien en propre tant que
vivait le chef de famille.
S'il n'existe ni frères, ni soeurs, ni
descendants, notre Code fait passer la succession
dans les mains des collatéraux. La loi de
Moïse appelait, dans ce cas, les frères
du père du défunt à recueillir toute la succession :
« S'il
n'a point de frères, vous donnerez son
héritage aux frères de son
père. »
La ligne des ascendants était bien plus
favorisée que dans la législation
moderne, car, de son vivant, le père
était seul possesseur de tout ce qui devait
revenir à la famille ; à sa
mort, s'il ne laissait ni descendants ni
frères, l'héritage passait aux
frères de son père exclusivement.
Enfin, si le défunt ne laissait ni enfants,
ni frères, ni frères de son
père, l'héritage passait aux parents
les plus proches.
Une publication récente de M. le
missionnaire Casalis, qui a passé
vingt-trois années au milieu des tribus
sauvages du sud de l'Afrique, chez les descendants
de Cham, atteste la puissance des traditions et des
usages et leur durée à travers les
siècles. Ce missionnaire a retrouvé,
au sein de ces peuplades, le droit
d'aînesse exercé comme chez les
Hébreux, s'appuyant sur les mêmes
motifs et entraînant pour celui qui est
appelé à en profiter les mêmes
obligations. Ce n'est pas le seul point de
ressemblance signalé par
M. Casalis. Le respect pour les étrangers,
la cérémonie de la circoncision,
l'offrande aux dieux d'une partie des produits de
la terre, les dons faits par l'époux lors du
mariage, se retrouvent aussi chez plusieurs tribus
de l'Afrique méridionale. Ce qui confirme
encore ces traditions, ce sont les nombreux
rapports d'origine, indiqués dans cet
ouvrage intéressant, entre la langue de
certaines de ces tribus et la langue
hébraïque.
Faut-il s'étonner, après cela, que
les Israélites, peuple essentiellement
commerçant et voyageur, dont l'histoire est
mêlée à celle de tant de
peuples de l'antiquité, aient laissé
dans les pays où ils ont
séjourné des traces de leurs
institutions et de leurs usages ?
Nous l'avons déjà vu, en parlant du
mariage, l'union entre parents était
recommandée par la loi de Moïse. Par
suite du partage égal des terres et de la
division des biens entre les familles, il
était ordonné au plus proche parent
d'épouser l'héritière. Platon
adopta ces dispositions (Rép., liv. VIII)
qui passèrent dans les lois des
Athéniens.
Ce chapitre fournit une réponse
péremptoire à une objection
soulevée par la critique contre
l'unité de rédaction de la loi
mosaïque. Les quatre premiers livres de la loi
des Hébreux manquent,
dit-on, d'ordre et de suite ; Ils ne peuvent
pas être l'oeuvre d'un seul rédacteur.
On reconnaît qu'ils renferment des documents
remontant à un âge très
reculé, dont quelques-uns peuvent bien se
rapporter à Moïse ou à de
savants israélites qui
l'accompagnèrent et qui travaillèrent
avec lui à constituer le peuple
d'Israël ; mais si Moïse avait, lui
seul, rédigé ces lois, il y aurait
mis plus d'ordre, il ne se serait pas
répété aussi souvent.
D'après Richard Simon, ce serait Esdras qui
aurait colligé les documents anciens et leur
aurait donné un ordre nouveau, sans
néanmoins rien changer au contexte.
Eichhorn explique le désordre que l'on
remarque dans l'Exode, le Lévitique et les
Nombres par cette considération que ces
livres sont le récit de la marche du peuple
d'Israël, récit noté, chaque
jour, par le législateur hébreu.
Cette explication nous paraît parfaitement
vraie, et nous sommes surpris qu'elle ait
été rejetée comme insuffisante
par quelques écrivains d'un incontestable
mérite.
Le sujet que nous avons traité dans ce
chapitre serait, à lui seul, une
démonstration complète de l'opinion
d'Eichhorn.
Comment arrivent, dans le livre des
Nombres, les dispositions claires
et précises se référant aux
droits successoraux ? Pendant la marche dans
le désert, un Israélite est
décédé ne laissant point
d'enfants mâles. Ses filles viennent demander
leur part dans le partage des terres.
Moïse n'est pas fixé ; il
hésite ; il demande du temps ; il
faut qu'il se recueille, qu'il aille vers son Dieu.
Il en reçoit une réponse pleine de
sagesse, et cette réponse est, à
l'instant, consignée dans son livre. On le
voit, la loi mosaïque ne se déroule
qu'à mesure que les faits se produisent.
Moïse n'est pas un penseur se penchant, chaque
jour, sur ses livres et préparant d'avance
un ensemble de dispositions législatives
savamment liées et coordonnées. Il a
bien le temps de méditer ! À la
tête de ce peuple si souvent rebelle, de ce
peuple qui, dans mille circonstances, ne comprend
pas son libérateur et cherche à
s'éloigner de lui, à la fois chef
politique, chef militaire, législateur,
Moïse, - tous ses livres en font foi, - n'a
rien préparé : il travaille au
jour le jour.
Le peuple, dans sa marche vers Canaan, doit
traverser un territoire, Moïse fait demander
le passage ; il est obligé de
combattre : ses mesures sont bientôt
prises ; le peuple se battra en quelque nombre
qu'il soit et quelque puissant que soit
l'adversaire ; Dieu
combattra avec son peuple. Dans
cette longue et magnifique entreprise de la
délivrance des Hébreux, tout est
imprévu, tout est dans les mains de Dieu.
Si, dans un aussi grave sujet, nous ne devions pas
mesurer les termes, nous dirions, avec ceux pour
qui Dieu n'est rien, tout, dans l'oeuvre de
Moïse, est livré au hasard. Les filles
de l'Israélite mort dans le désert
soumettent à Moïse une question
d'hérédité : il a fallu
ce fait pour que le législateur fixât
l'ordre des successions. Il suffit, ce semble, de
lire, sans parti pris, sans système
arrêté, les livres de Moïse pour
se convaincre que l'explication du savant Eichhorn
est parfaitement rationnelle.
Qu'Esdras ait rétabli les ordonnances de la
loi, qu'il ait donné à la
législation mosaïque une nouvelle
importance, en ordonnant, avec l'autorité
dont il fut revêtu, leur observation, nous ne
chercherons pas à le contester.
La Bible elle-même nous apprend que,
après les guerres terribles dont le Peuple
élu et la sainte Cité furent
victimes, certains Israélites avaient suivi
les moeurs et les coutumes des peuples voisins.
Cependant, parmi les prisonniers qui fuient
conduits dans les États du vainqueur, se
trouvaient des hommes dont la loi de Moïse
avait été la principale étude.
Artaxercès ne dédaigna pas de les
entendre. Lorsqu'il connut mieux
les institutions mosaïques, ce grand monarque
chargea Esdras de rétablir la loi, de la
faire observer par le peuple d'Israël.
Il ne s'agissait pas, pour Artaxercès et
pour Esdras, d'une loi nouvelle, d'une loi
corrigée, modifiée. Esdras ne
s'attribua jamais le mérite d'avoir
changé quelque chose à la loi et,
d'un autre côté, Artaxercès
savait bien quelle loi il chargeait Esdras de faire
observer, car, en lui donnant ses lettres patentes,
il parle ainsi de la loi des
Israélites : « La
loi de ton Dieu, laquelle tu as
en ta main. »
Lorsqu'on a des textes aussi formels, aussi clairs,
pourquoi se livrer à des conjectures,
à des hypothèses ? Pour
repousser l'inspiration divine, alors d'ailleurs
qu'on ne peut plus nier l'existence du texte dans
les temps les plus reculés de l'histoire du
monde, on est obligé de chercher des
explications vulgaires aux faits que les Livres
saints nous présentent comme surnaturels,
sans s'inquiéter si ces explications
elles-mêmes ne sont pas plus difficiles
à admettre que l'affirmation du fait, telle
que le lièvre la donne.
Si l'on ne veut accepter que ce qui se voit et se
démontre rigoureusement, si l'on veut que
tout fait puisse s'expliquer et se prouver comme
une proposition de géométrie, le
coeur, le sentiment, la
conscience ne deviennent plus qu'un froid
mécanisme ; il n'y a plus de place au
foyer de la vie intérieure pour les saints
enthousiasmes, pour les élans de
l'âme, pour les sublimes inspirations. La foi
n'est plus alors ce don de Dieu qui, de tout temps,
a enfanté des prodiges.
Quoiqu'on en puisse dire et sans mépriser la
valeur du syllogisme, la puissance de la raison,
nous croyons qu'il y a en l'homme d'autres
éléments de conviction tout aussi
dignes d'admiration et de confiance.
La lecture d'un chapitre de la Bible faite dans un
esprit sérieux et non pour y chercher des
difficultés ou des armes pour la critique,
procure à l'âme une assurance, une
confiance en la vérité de Dieu qui
sont aussi fortes que les raisonnements les plus
serrés. Ce cri de notre âme qui
répond à la voix du ciel, ce
mystérieux et saint rapport qui
s'établit entre Dieu et la conscience de
l'homme, réchauffent le coeur,
entraînent la conviction, et lui donnent une
force, une puissance de discernement et
d'activité que la plus exacte
démonstration mathématique ne saura
jamais produire. « Le coeur, dit Pascal,
a des raisons que ne comprend pas la
raison. »
Le prêt, chez les Israélites,
était purement un contrat de bienfaisance.
Le prêteur ne pouvait retirer aucun
intérêt ni pour l'argent, ni pour
les soins, ni pour quelque chose que ce soit qu'on
puisse prêter à
intérêt.
Il était permis cependant de retirer un
intérêt des choses
prêtées à l'étranger. Le
prêt n'était alors qu'une affaire de
trafic où le gain n'était pas
défendu. Il y avait, dans cette disposition,
un avantage commercial pour
l'Israélite ; mais le
législateur des Hébreux avait pour
but principal de rendre moins faciles les rapports
des étrangers avec le peuple de Dieu. Il
s'agissait, avant tout, de conserver la
pureté de la foi et d'empêcher
l'introduction des idées païennes en
Canaan.
Les lois de la Grèce permettaient le
prêt à intérêt ; les
lois romaines l'autorisaient à raison d'un
pour cent par mois (loi XXIe de la 3e Table). On
connaît les diverses théories
émises par les économistes sur
l'importante question de la fixation légale
du taux de l'intérêt. Jusqu'à
présent, notre législation
française autorise le prêt à
cinq pour cent par an en matière civile et
à six pour cent en matière
commerciale.
Le prêt, chez les Hébreux, pouvait
être assorti de certaines garanties afin
d'assurer la restitution des objets
prêtés. Le prêteur pouvait
demander un gage, mais il était
recommandé à l'Israélite de ne
pas se détourner de celui qui demandait
à emprunter, n'eût-il aucune garantie
à fournir.
Lors de l'année de relâche, -
c'est-à-dire tous les sept ans, - la dette
se trouvait éteinte ; le prêteur
perdait ses droits. Lorsqu'on demandait à
emprunter, l'Israélite ne devait pas
s'arrêter à considérer combien
il y avait de temps à courir jusqu'à
l'année de relâche. « Prends
garde à toi qu'il n'y ait cette
pensée dans ton coeur et que tu ne
dises : La septième année, qui
est l'année de relâche, approche, - et
que ton oeil, étant sans pitié envers
ton frère qui est pauvre, pour ne lui rien
donner, il ne crie contre toi
à l'Éternel et qu'il n'y ait en toi
du péché »
(Deut.,
XV, 9).
Le chapitre
XXIV du Deutéronome
nous donne une preuve de l'intérêt que
la loi de Moïse portait au sort de l'indigent.
Il nous fait connaître les devoirs de celui
qui prêtait sur gage : il ne devait pas
entrer dans la maison de l'emprunteur pour se
saisir lui-même du gage.
Ainsi se trouvaient évitées ces
luttes scandaleuses entre un débiteur
malheureux et un impitoyable créancier. Le
temps n'est pas encore bien éloigné
où il était reçu de mettre
à la porte le créancier qui venait
réclamer ce qui lui était dû,
ou de frapper l'agent de la loi chargé de
recouvrer la créance. Il n'y a rien
d'exagéré dans cette scène
où Chicaneau déclare ne
connaître d'autre procédé que
le bâton pour savoir si l'Intimé est
un véritable sergent !
« Tôt donc ! (s'écrie
l'Intimé) frappez ! j'ai quatre enfants
à nourrir. »
Mais si le créancier ne pouvait pas saisir
son gage dans la demeure du débiteur, la loi
faisait une obligation à celui-ci d'apporter
le gage dehors.
Cette garantie d'inviolabilité pour l'asile
de la famille est l'oeuvre d'une profonde sagesse.
La maison était comme un sanctuaire qu'il
n'était pas permis de profaner. Le
père de famille, respecté chez lui
par sa compagne, par ses enfants,
par ses serviteurs, par les étrangers et
même par ses créanciers, est
établi par la loi de Moïse comme le
conservateur de ces traditions patriarcales dont la
Bible nous offre, en plusieurs passages,
l'intéressant tableau.
Nous retrouvons ce respect de la maison dans la
législation romaine. Elle défendait
même d'entrer dans la demeure de l'adversaire
pour l'appeler en justice. L'appel en justice
était considéré comme une
action violente.
Notre législation française a
toujours autorisé l'agent de la loi à
entrer, pendant le jour, dans la maison du
père de famille pour l'appeler en justice,
mais non point pour le contraindre par corps pour
dettes. Il faut, pour ce dernier acte, l'assistance
d'un magistrat.
Le prêt sur gage était connu des
Romains. Le mot pignus, gage, venait, dit
Caïus, de pugnus, poing, parce que les
choses qui se donnaient de cette manière
étaient livrées de la main à
la main, quia res quae pignori dantur, manu
traduntur.
Chez les Hébreux, si le gage était un
objet essentiel à la vie, le
créancier devait le remettre lorsque son
usage devenait nécessaire au pauvre.
« Tu ne manqueras
pas de lui rendre le gage aussitôt que le
soleil sera couché, afin qu'il couche dans
son habit et qu'il te
bénisse. »
Nos lois de la procédure civile
déclarent insaisissables le coucher
nécessaire aux débiteurs, les habits
dont ils sont vêtus et couverts.
La loi de Moïse défendait au
créancier de se saisir, pour gage, des deux
meules, non pas même de la meule de dessus.
C'eût été prendre pour gage la vie de son prochain.
La prohibition correspondante, dans notre droit
français, s'applique aux outils
nécessaires à l'occupation
personnelle du débiteur, aux farines et
menues denrées nécessaires à
la consommation du débiteur et de sa famille pendant un mois.
Chaque Israélite
préparant la farine et le pain pour sa
famille, il était indispensable que les
meules restassent dans la maison.
Le vêtement de la veuve était chose
inaliénable et ne devait jamais être
donné en gage.
Toutes ces prescriptions sont empreintes d'un
cachet de justice, de sagesse et de profonde
charité que nous ne trouvons pas dans les
lois dures et impitoyables de l'antiquité
païenne.
L'amour de Dieu, le respect pour sa loi, l'amour du
prochain qu'il fallait traiter comme on
désirait être traité
soi-même, tels étaient les principes
fondamentaux de la loi de Moïse. Ces principes
sont admirablement résumés dans ces
commandements : « Tu
aimeras le Seigneur ton Dieu de
tout ton coeur, de toute ton âme et
de toute ta pensée. Tu
aimeras ton prochain comme
toi-même. »
Élevée sur d'aussi saintes bases, la
législation mosaïque ne devait pas
considérer le prêt comme pouvant
conduire, en cas d'inexécution de la
convention, à une peine corporelle. Les
sociétés païennes ne
conçurent pas non plus tout d'abord
l'idée que le corps du débiteur
pût être responsable d'une somme
empruntée ; mais bientôt la
grande loi de l'intérêt public
l'emporta sur les sains principes du juste et du
vrai et l'individu fut sacrifié à la
société.
Nous avons quelquefois entendu soutenir que le
mosaïsme était essentiellement
socialiste et s'occupait très peu de
l'individu. C'est là, à notre avis,
une grande erreur. Aucune législation ne
s'est plus intéressée à la
famille, à l'individu, que la loi de
Moïse.
Le sort de la veuve, de l'orphelin, de l'indigent,
fixe, à chaque page, l'attention. Le respect
pour le vieillard, la remise de la dette à
des époques déterminées, et
tant d'autres dispositions protectrices de
l'individu, démontrent suffisamment que le
reproche d'excessif socialisme adressé
à la loi de Moïse n'est pas
fondé.
Interest reipublicae, tel est le mobile qui
finit par prévaloir à Rome. Il
importe à la chose publique que le
débiteur se libère : dès
lors il y sera contraint par
tous les moyens possibles, même par
l'expropriation de sa personne, si l'on peut ainsi
dire ; il appartiendra corps et biens au
créancier.
On connaît la rigueur du droit romain
à l'égard du débiteur ;
il nous suffira de citer les dispositions
suivantes :
Loi XXIVe à la 3e Table :
« Si le débiteur refuse de payer
sa dette et que personne ne se présente pour
le cautionner, son créancier pourra
l'emmener chez lui, le lier par le cou et lui
mettre les fers aux pieds, pourvu que la
chaîne n'excède pas le poids de quinze
livres. »
Loi XXVIIe à la 3e Table :
« Si le débiteur est insolvable
à l'égard de plusieurs
créanciers, ils pourront, après le
troisième jour de marché, mettre son
corps en pièces et le partager
impunément en plus ou moins de parties, ou
bien les créanciers pourront vendre leur
débiteur aux étrangers qui habitent
au delà du Tibre. »
Ces lois si dures, introduites dans la
législation romaine, tenaient, selon de
graves autorités, à l'opposition que
faisaient les décemvirs à
l'établissement du principe
démocratique.
Ce n'est pas sans étonnement qu'on lit dans
Aulugelle la justification de ces prescriptions
barbares. Elles avaient pour résultat, dit
Cecilius, d'empêcher qu'on
n'empruntât au-dessus de ses
facultés.
Après avoir essayé d'excuser cette
loi cruelle, Cecilius met en doute qu'elle ait
jamais été appliquée. Selon
quelques jurisconsultes, ce partage du
débiteur à morceaux ne devait pas
s'entendre à la lettre : il n'aurait
signifié autre chose que la division entre
les créanciers du prix de la vente de leur
débiteur. Ce qui nous a été
conservé de la loi des Douze Tables ne
permet pas cette indulgente interprétation.
La loi qui permettait au père de tuer son
fils pouvait bien permettre au créancier de
disposer de la vie de son débiteur.
D'après Plutarque, Solon s'appliqua à
faire disparaître d'Athènes les
rigueurs exercées contre les
débiteurs insolvables. Il fit admettre dans
ses lois que personne ne serait poursuivi par corps
pour dettes civiles. (Plutarque, Vie de
Solon.)
N'y a-t-il pas encore dans la contrainte par corps,
toute modifiée qu'elle est par nos lois
françaises modernes, un reste du pouvoir
exorbitant donné au créancier sur la
personne du débiteur ?
La loi française, s'inspirant de plus en
plus des idées chrétiennes,
réforme, d'âge en âge,
l'économie de cette dure législation.
Il appartenait à un
gouvernement qui s'occupe avec tant de sollicitude
des affaires publiques, qui a édicté,
en quelques années, tant de lois
d'utilité pratique, d'apporter un nouveau
tempérament à l'exécution de
la contrainte par corps.
Le débiteur incarcéré, nourri
aux dépens de son créancier, ne
recevait qu'une allocation insuffisante. Une loi
récente a élevé le taux de la
consignation que doit effectuer le
créancier. Il est évident que la
contrainte par corps tend à
disparaître de nos institutions, mais on ne
saurait blâmer les sages précautions,
les ménagements qu'emploie le
législateur. Tout ce qui touche au
crédit public ne doit être
modifié qu'avec une prudente
réserve.
Ces lignes étaient depuis longtemps
écrites lorsque le discours de l'Empereur,
à l'ouverture de la session
législative de 1865, a fait connaître
l'intention généreuse du gouvernement
au sujet de la contrainte par corps en
matière civile et commerciale. La loi qui
élève le taux de la consignation
prépare à cette mesure. La contrainte
par corps pour dette civile et commerciale est peu
à peu abandonnée. Ses
résultats n'aboutissent, le plus souvent,
qu'à humilier le débiteur et sa
famille sans profit pour le créancier.
Dans le but de payer sa dette, le
débiteur israélite
avait la faculté de louer ses services, mais
seulement pour un temps déterminé par
la loi. Nous nous occuperons, dans le chapitre
suivant, de cet engagement et de la position que la
loi de Moïse faisait aux serviteurs.
L'une des causes les plus fécondes de
l'erreur, c'est assurément de vouloir juger
les idées, les lois et les usages des
siècles reculés, par les
idées, les usages et les lois du
siècle où nous vivons.
Tout le monde s'accorde à reconnaître
la sagesse, la haute raison, l'esprit
libéral de Montesquieu : cependant il
pensait, il écrivait qu'un prince ne pouvait
pas tolérer plusieurs religions dans ses
États. Il ne voulait pas être
accusé d'avoir dit qu'il ne fallait point
punir l'hérésie.
Profond philosophe et grand légiste, cet
homme illustre payait, lui aussi, son tribut aux
idées de son siècle, et nous serions
injustes si nous mesurions ses pensées
à la mesure de nos moeurs
actuelles.
Il ne faut pas non plus donner toujours aux
expressions employées autrefois le sens
qu'elles ont aujourd'hui. « À quoi
tiennent souvent les plus grandes erreurs !
s'écrie un philosophe. Un seul mot
négligé, une seule idée mal
démêlée, suffisent pour faire
tout le mal, en corrompant les sciences dans leur
source. »
Pour nous, l'esclave est cet être voué
à toutes les infortunes, qui est
traîné, comme le bétail, de
marché en marché, vendu au plus
offrant enchérisseur, qui subit fatalement
le sort auquel son acheteur veut le vouer et qui
meurt, avant le temps, accablé sous le poids
des plus durs travaux, s'il ne succombe pas sous
les coups de son cruel possesseur. Voilà
l'idée qu'on se fait, de nos jours, de
l'esclave. L'oncle Tom est le type de cette pauvre
créature à laquelle tant de gens
refusent encore le titre d'homme.
Cet esclavage dur, odieux, qui laisse
complètement le serviteur à la merci
de son maître, existait-il chez les
Hébreux ?
Nous n'en trouvons aucune trace dans la loi de
Moïse. Cette loi si humaine, si bonne envers
l'indigent, l'orphelin, la veuve, aurait-elle fait
divorce avec ces grands principes d'humanité
pour livrer, sans défense, le serviteur
à la cupidité, à la
méchanceté de son
maître ?
Moïse répond
à ces questions par ce solennel
avertissement adressé à son
peuple : « Qu'il
te souvienne que tu as
été esclave au pays d'Égypte
et que l'Éternel ton Dieu t'a
racheté ! »
Cependant l'esclavage existait dans la loi
mosaïque. Quelle était sa cause et
quelle était la condition de
l'esclave ?
Chaque Israélite devait faire fructifier, de
son mieux, le lot qui lui avait été
affecté dans le partage des terres ;
mais, pas plus sous la loi de Moïse que chez
les Romains, il ne fut possible de conserver
l'égalité de fortune et de position,
rêve de tant d'utopistes. Il y eut des
pauvres chez les Hébreux, il y en eut chez
tous les peuples. « Vous aurez toujours
des pauvres avec vous ! »
La loi de Moïse, qui plaçait, avec
raison, le travail au rang des premiers devoirs de
l'Hébreu, autorisa le débiteur
malheureux à se libérer honorablement
en vendant son travail pendant un certain nombre
d'années. Le vendeur entrait dans la maison
du maître et participait à ses
travaux, mais il était placé
là sous la protection de la loi. Ainsi, le
repos du septième jour était prescrit
pour le serviteur comme pour le maître :
« Tu ne feras
aucun travail
en
ce
jour-là, ni toi, ni ta femme, ni
ton
serviteur,
ni ta servante. »
Le maître n'était pas
propriétaire du
serviteur ; nous verrons
bientôt qu'il ne pouvait le retenir que
pendant un temps déterminé. S'il se
laissait emporter jusqu'à le frapper
rudement, le maître était puni par la
perte de son serviteur, car, s'il lui gâtait un oeil ou s'il
lui cassait
une dent, le serviteur, par ce fait, recouvrait
sa liberté ; le maître ne pouvait
plus le retenir ; le serviteur était
libéré, à moins qu'il
n'intervînt de nouvelles conventions entre
eux.
Le service de l'Israélite ne devait durer
que six ans. La septième année, il
avait le droit de sortir sans rien payer : sa
dette se trouvait soldée.
Si le serviteur était marié, sa femme
sortait de service en même temps que lui.
Ces dispositions, écrites au chapitre
XXI de l'Exode, suffisent
pour affirmer que, si l'esclavage était
autorisé chez les Hébreux, la
condition de l'esclave était loin
d'être aussi dure que chez les autres peuples
de l'antiquité. Ce n'était, en
réalité, qu'un louage de services
pour un temps.
Pendant les six années du louage, le
maître pouvait donner une femme à son
serviteur. Si, de cette union, naissaient des
enfants, ils appartenaient au maître, mais
l'esclave avait toujours, le droit de sortir, quand
arrivait la septième année. Cette
disposition se rattache aux principes posés
par la loi de Moïse quant au
mariage.
Ce n'était pas, nous l'avons vu, un contrat
indissoluble : le mari pouvait renvoyer sa
femme et rompre, à sa volonté, le
pacte conjugal. Si donc la femme qui avait
été donnée au serviteur ne lui
convenait pas, si la famille ne lui inspirait pas
d'affection, il pouvait sortir de la maison de son
maître à l'expiration des six
années de service.
Il arrivait souvent que le serviteur
préférait sa femme et ses enfants
à l'affranchissement. Il devait alors
s'attacher à eux et à son
maître par un contrat indissoluble. Ce
contrat se formait devant les juges et, pour qu'il
en restât un signe extérieur, le
maître perçait, avec une alêne,
l'oreille du serviteur. Celui-ci était,
dès ce moment, attaché pour toujours
à sa femme, à ses enfants, à
son maître.
Le père avait le droit de vouer sa fille au
service d'autrui. L'engagement ne se rompait pas,
de plein droit, à l'expiration de la
sixième année. Le maître devait
à la servante les plus grands égards.
Si elle déplaisait à son
maître, il pouvait la faire acheter par un
autre, jamais par un étranger ; elle
devait rester au sein du peuple hébreu.
Si le maître donnait sa servante pour
fiancée à son fils, il devait lui
remettre, en même temps, tout ce qu'il
était d'usage que le père de
famille israélite
donnât à sa fille. Prenait-il
lui-même une autre servante, la loi lui
imposait l'obligation de fournir à la
première la nourriture et les
vêtements, et de la traiter avec
affection.
Ces obligations devaient être exactement
remplies par le maître, sous peine de perdre
sa servante. Celle-ci avait le droit de sortir sans payer aucun
argent si son maître
ne lui fournissait pas la nourriture et les
vêtements nécessaires et n'avait pas
pour elle les égards que prescrivait la
loi.
« Le magistrat doit veiller, dit
Montesquieu, à ce que l'esclave ait sa
nourriture et son vêtement : cela doit
être réglé par la
loi. »
L'esclave athénien était
traité avec douceur. Les premières
lois romaines prescrivaient de traiter les esclaves
avec humanité ; mais ces
préceptes ne furent pas longtemps suivis
à Rome.
L'esclavage ne fut jamais dur chez les peuples qui
firent du travail de la terre leur principale
occupation. Lorsque le maître associe ses
serviteurs à ses travaux et leur fait
partager sa bonne comme sa mauvaise fortune, le
service n'a rien d'humiliant et
d'insupportable ; mais lorsque le maître
ne considère l'esclave que comme le jouet de
ses caprices, comme l'instrument de sa
vanité, le serviteur est toujours
tenté de se
révolter.
Il faut que la loi intervienne pour protéger
le maître. Aussi voit-on que, lorsque le luxe
se fut démesurément introduit chez
les Romains, il fallut édicter les lois les
plus sévères contre les esclaves.
Si le maître était tué, tous
les esclaves qui se trouvaient dans la maison
étaient condamnés à mort,
quand même ils auraient pu prouver leur
innocence.
Le maître était-il tué dans un
voyage, tous les esclaves qui étaient
restés avec lui et tous ceux qui
s'étaient enfuis étaient
condamnés à mort.
On sait à quelles terribles luttes ces lois
cruelles donnèrent lieu. Les esclaves
organisés et armés troublèrent
souvent la sûreté du peuple
romain.
L'histoire du peuple hébreu ne fournit aucun
trait de ce genre. On y voit, au contraire, la
preuve que le maître et le serviteur vivaient
en bonne intelligence et échangeaient de
bons rapports.
Montesquieu trouve bien rude la loi de Moïse
qui, tout en infligeant une punition au
maître quand l'esclave mourait sous ses
coups, le déclarait absous lorsque l'esclave
survivait un jour ou deux.
La loi mosaïque recherchait, avant tout, dans
un fait incriminé, l'intention. L'esclave
n'était pas livré au caprice du
maître, puisqu'il
recouvrait immédiatement sa liberté
lorsque le maître le traitait trop durement.
On ne pouvait pas supposer facilement que le
maître eût l'intention de tuer son
serviteur, puisqu'il se privait ainsi de services
qu'il avait achetés.
Si les coups étaient tellement forts que
l'esclave en mourût, le fait lui seul faisait
supposer l'intention ; mais si l'esclave
survivait quelque temps, on ne devait pas croire
que le maître eût voulu lui porter un
coup mortel.
Ces dispositions, du reste, n'étaient pas
exclusivement écrites pour le serviteur. On
voit au chapitre
XXI de l'Exode que, si un
Israélite rudement frappé ne mourait
pas sous les coups et pouvait se lever, marcher
avec un bâton, il n'y avait à infliger
à celui qui avait frappé d'autre
punition que des dommages-intérêts
envers la victime. La loi ne voyait encore
là que l'intention.
Quant à la réparation envers
l'esclave ou sa famille, la loi n'en accordait pas
puisque le travail du serviteur appartenait au
maître. Le temps de service
représentait l'argent prêté à l'esclave.
En résumé, le maître
était puni si le serviteur mourait sous ses
coups. En portant des coups moins violents, le
maître s'exposait à perdre son
serviteur, qui recouvrait sa liberté si son
oeil ou ses dents étaient endommagés.
Si le serviteur se relevait, il
n'y avait pas de punition proprement dite, parce
que le juge ne pouvait pas supposer que le
maître eût voulu se priver de son
serviteur, de son argent.
Le serviteur n'était donc pas un être
à part, fatalement voué au malheur,
exposé à subir pour toujours tous les
caprices du maître. Ce n'était pas
l'esclavage tel que nous nous le
représentons aujourd'hui.
Le serviteur devenait bien souvent l'ami, le
confident de la famille. La Bible nous en offre une
preuve bien touchante dans le choix que fit Jacob
de l'un de ses serviteurs pour lui confier le soin
d'amener une épouse à Isaac. Quel
témoignage de confiance de la part du
maître ! Quel dévouement, quelle
fidélité de la part
d'Eliézer !
Nous avons recherché et presque
codifié les principaux objets de transaction
dérivant des rapports des Israélites
entre eux. Nous sommes naturellement conduit
à rechercher maintenant de quelle
manière ces transactions étaient
constatées.
Le
XXXIIe chapitre de
Jérémie nous fournit, à
cet égard, les renseignements
nécessaires.
Pendant le siège de Jérusalem par les
troupes du roi de Babylone, Jérémie,
étant prisonnier dans la maison du roi de
Juda, vit arriver Hanaméel, fils de son
oncle, qui venait lui demander d'acheter son champ
d'Anathoth, dans le territoire de Benjamin, en
vertu de son droit de retrait lignager.
Jérémie accepta cette
proposition et commença
par peser, à la balance, l'argent qui
formait le prix de cette possession. Des
témoins furent appelés et
Jérémie écrivit, en leur
présence, le contrat d'acquisition. Ce titre
fut fait en double dont l'un resta ouvert et
l'autre fut cacheté. Les témoins
signèrent ces actes et, en présence
de Hanaméel, des témoins qui s'étaient souscrits dans le
contrat
et des autres Israélites assis dans la cour
de la prison, Jérémie remit les deux
doubles à une tierce personne chargée
de conserver avec soin ce dépôt.
Voici le commandement adressé à Baruc
en lui remettant ces titres :
« Prends ce contrat-ci, savoir, ce
contrat d'acquisition qui est cacheté et ce
contrat qui est ouvert, et mets-les dans un pot de
terre, afin qu'ils puissent se conserver
longtemps. »
Après ces formalités,
Jérémie adresse une prière
à Dieu, et, dans son acte d'adoration, il
rappelle que, malgré les menaces terribles
faites aux habitants de la Judée, on pourra
encore acheter des champs à prix d'argent,
« en écrire les contrats, les
cacheter et prendre des témoins. »
Lorsque la convention devait se continuer
jusqu'à une époque
éloignée, il fallait donc un contrat. Ce contrat était fait
en double, en présence de témoins qui y apposaient
leur signature.
Enfin le titre était remis à un tiers qui, se chargeait de le
conserver.
Un contrat, des témoins qui y assistent et
qui le signent, une rédaction faite en
double, le sceau ou cachet apposé à
l'acte, un dépositaire chargé de le
conserver, ont toujours été, depuis
la loi de Moïse, des formalités
essentielles à la preuve des
transactions.
Suétone nous apprend que, du temps de
Néron, tout acte pour lequel on n'avait pas
appelé de témoins et qui n'avait pas
été scellé avec de la cire,
n'avait aucune valeur et ne pouvait avoir aucun
effet.
Tout le monde sait que, aujourd'hui encore, la
présence de témoins est
nécessaire pour la validité des actes
notariés ; que les actes sous seing
privé doivent être faits en double
lorsqu'ils renferment des conventions
synallagmatiques ; que les copies des actes
notariés destinées à ramener
à exécution les conventions, doivent
être scellées du sceau de
l'État.
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