Les lois pénales transmises par Moïse au peuple d'Israël ne
sont, pas plus que les lois civiles, classées suivant une codification
régulière.
Les applications des grands principes du Décalogue surgissent, dans le
Pentateuque, en même temps que les faits divers qui durent éveiller
l'attention du législateur.
Après ce que nous avons déjà vu de la législation des Hébreux, on doit
comprendre que ce qui prédomine dans les observances sanctionnées par
une peine, c'est le respect pour Dieu, pour le culte, pour les
cérémonies de la loi.
Nous verrons quels châtiments terribles étaient réservés à celui qui
persistait à mépriser la loi de Dieu.
Les fautes légères, ce qu'on appelle, dans la langue du droit moderne,
les contraventions, étaient réparées par un sacrifice à l'Éternel.
C'était l'amende avec une consécration religieuse.
Cette sorte d'expiation s'exerce encore de nos jours. Il arrive
quelquefois que celui qui a été offensé ou qui a éprouvé un léger
dommage se contente d'exiger de la partie adverse une certaine somme
pour une oeuvre de charité.
Il était naturel que l'expiation de la faute se fît au moyen d'objets
que l'Israélite avait le plus à sa portée.
La punition de la faute légère a consisté plus tard en journées de
travail et ce mode s'est conservé dans nos lois jusqu'à la rédaction
du Code pénal qui a adopté la réparation pécuniaire comme plus en
harmonie avec nos moeurs. Cependant, dans les modifications apportées
récemment au Code forestier, le législateur a autorisé, pour certains
cas, le délinquant à se libérer de l'amende en journées de travail.
Les fautes commises par tout le peuple ou par une partie du peuple
devaient être lavées par un sacrifice spécial qui s'appelait l'offrande
pour le péché ; il différait du sacrifice appelé continuel
en ce que celui-ci était offert tous les jours à l'Éternel et se
faisait toujours avec deux agneaux d'un an, sans tare, tandis
que le premier était ordonné lorsque le peuple avait à se repentir
d'une faute particulière.
Les sacrifices par le feu sont appelés dans le Lévitique l'offrande pour
le délit.
Nous n'entrerons pas dans le détail minutieux des différentes espèces
de sacrifices et de toutes les prescriptions de la loi de Moïse à cet
égard.
La loi devait être fidèlement observée. Les commandements de l'Éternel
n'étaient jamais purement comminatoires. Il ne faut pas chercher
toujours la sanction pénale à côté de la prescription ou de la
défense. Une disposition générale avertit que la loi ne parle pas en
vain.
La sanction se trouve dans les sacrifices, dans les expiations pour le
péché que les anciens du peuple prononçaient, aidés, dans les cas
difficiles, par les lévites.
De grandes bénédictions étaient accordées à celui qui observait la loi
de Dieu et, par contre, de terribles malédictions pesaient sur les
Israélites rebelles.
La lecture du XXVIe
chapitre du Lévitique, rapprochée des événements qui forment
l'histoire des Hébreux, est bien de nature à faire impression sur
l'homme de bonne foi. Cette histoire n'est-elle
pas, selon la conduite de ce peuple, la réalisation tantôt des
promesses faites à sa fidélité, tantôt des menaces attachées à son
infidélité ?
La loi prescrivait le plus grand respect pour le juge.
Il était recommandé au juge de ne pas considérer la position de celui
qu'il était appelé à juger. Le sort du pauvre, quelque intéressant
qu'il lui parût, ne devait pas le déterminer dans son jugement.
Enfin, un grand principe, en matière de pénalité, devait guider le
juge, bien qu'il ne pût pas, dans toutes les circonstances, en faire
l'application. Ce principe est écrit dans le XXIe
chapitre de l'Exode, au verset 24 : oeil
pour oeil, dent
pour
dent, main pour main, pied pour pied.
Les lois de Solon avaient adopté cette règle pour fondement des
lois pénales : elles établissaient une parfaite égalité entre
l'offense et la punition. Celui qui avait cassé un bras ou brisé une
main devait donner bras pour bras ou main pour main. Les
décemvirs s'emparèrent de ces prescriptions, qui étaient encore en
vigueur du temps de Caton : « Si quis membrum rupit aut os
fregit, Talione proximus cognatus ulciscitur. » (Histoire
de la Jurisprudence romaine, page 148.)
En étudiant les lois de Moïse, on y reconnaît, bien distincts, trois
grandes classes de fautes et trois genres de pénalité :
1° La faute sans intention.
L'absence d'intention coupable n'absolvait pas complètement celui qui avait commis une faute. Il ne subissait cependant ni peine corporelle, ni peine pécuniaire proprement dite ; seulement il était tenu, pour se purifier, d'offrir des sacrifices à l'Éternel.
2° Le délit et ce que nous appelons, dans notre droit français, la contravention. La peine du simple délit était, comme dans toutes les législations postérieures, une amende, une réparation, soit en journées de travail, soit en objets mobiliers, soit en argent.
3° Enfin le crime entraînant une peine corporelle ou la privation de certains droits.
Nous suivrons cette classification qui nous permettra de mettre plus d'ordre dans cette étude.
La faute commise sans intention ne pouvait devenir une faute
aux yeux de l'Israélite que lorsqu'il en était averti ; il ne
portait pas le péché à cause de la faute elle-même, mais si,
connaissant son péché, sachant que son coeur était sous le coup d'une
faute, il ne l'expiait pas, il devenait coupable, « II y a du
péché, est-il dit au chapitre
cinquième du Lévitique ; certainement il s'est rendu
coupable contre l'Éternel. »
Le péché par erreur s'expiait par des sacrifices dont l'importance
variait suivant la qualité et la fortune du délinquant. Le
sacrificateur devait offrir un veau sans tare ; c'était aussi un
veau que devait sacrifier toute l'assemblée d'Israël
lorsqu'elle avait péché par erreur. Si la faute avait été commise par
l'un des principaux du peuple, il devait offrir un jeune bouc sans
tare. Enfin, s'il s'agissait d'une personne du commun peuple, la loi
avait égard à sa position de fortune : elle pouvait se dégager du
péché en offrant en sacrifice une jeune chèvre sans tâche ou un
agneau.
Pourvu que ces sacrifices fussent régulièrement accomplis, la
conscience de celui qui n'était coupable que par erreur était
purifiée, parce que, dit la loi, cela était arrive par erreur.
Le meurtre involontaire, lorsque le meurtrier ne pouvait être
considéré comme l'ennemi de la victime, n'était l'objet d'aucune
poursuite de la part de la société. Seulement, comme, chez les
Israélites, les parents de la victime avaient le droit de venger sa
mort, le meurtrier, pour échapper aux poursuites du vengeur du sang,
devait se rendre dans une ville de refuge. Là, il était à l'abri de
toute atteinte.
À la mort du souverain sacrificateur, l'auteur du meurtre involontaire
pouvait rentrer en sa demeure, et personne n'avait de droit sur lui.
Nous reviendrons sur cette institution du refuge, qui fut adoptée avec
diverses modifications et mise en pratique chez plusieurs peuples.
Dans notre législation française, l'homicide par imprudence,
maladresse, négligence, est puni d'un emprisonnement de trois mois à
deux ans, et d'une amende de cinquante francs à six cents francs. S'il
n'est résulté de la maladresse ou de l'imprudence que des blessures,
l'emprisonnement est de six jours à deux mois, et l'amende de seize
francs à cent francs.
L'Israélite qui se laissait emporter jusqu'à frapper son
serviteur, lui gâter l'oeil ou lui faire tomber une dent,
n'avait pas le droit de le retenir à son service. Dans ce cas, la
peine consistait en la perte du serviteur ; mais si celui-ci
succombait sous les coups du maître, le meurtrier devait être conduit
devant les juges et recevoir une punition.
Si les coups donnés à une femme enceinte entraînaient l'avortement, le
mari imposait lui-même l'amende que le coupable devait payer et les
juges ne pouvaient que confirmer cette réparation. Si la mort de la
femme s'ensuivait, vie pour vie.
L'article 317 de notre Code pénal punit de la réclusion celui qui,
par des violences, aura procuré l'avortement d'une
femme enceinte.
Les coups qui obligeaient l'une des parties à se mettre au lit
n'entraînaient aucune peine si le blessé pouvait se lever et sortir en
s'appuyant sur un bâton. Dans ce cas, celui qui avait frappé devait
dédommager son adversaire du temps de chômage qu'il lui avait
occasionné et lui faire donner des soins jusqu'à ce qu'il fût
complètement guéri.
Le Code pénal punit de la réclusion celui qui a usé de violences, s'il
en est résulté une maladie ou une incapacité de travail pendant plus
de vingt jours. Outre cette peine, des dommages-intérêts sont dus à
celui qui a été mis dans l'impossibilité de travailler. Celui qui a
jeté contre quelqu'un un corps dur, sans qu'il en soit résulté de
blessures, est puni d'une simple amende.
Chez un peuple dont la principale occupation était la culture des
champs, le soin et la conservation des animaux propres à l'agriculture
devaient être l'objet de la sollicitude du législateur. En prescrivant
une réparation équitable du mal ou du préjudice occasionné par un
boeuf, la loi de Moïse obligeait implicitement le cultivateur à
dompter de bonne heure le boeuf dont il devait se servir et à le
surveiller avec soin.
Si un boeuf connu pour heurter de la corne tuait un autre
boeuf, il était rendu boeuf pour boeuf.
Si c'était pour la première fois que le boeuf frappait de la corne et
tuait un autre boeuf, le boeuf mort et le boeuf qui l'avait tué
étaient vendus, et le prix en provenant était partagé entre les
propriétaires de ces animaux.
Le Code pénal punit d'une amende le propriétaire de l'animal qui a tué
ou blessé des bestiaux appartenant à autrui. La réparation pécuniaire
du dommage est toujours de droit.
Le boeuf qui avait tué un homme ou une femme était lapidé, sans
nulle exception.
Une loi de Dracon porte absolument la même disposition ; elle y
ajoute la faculté pour le juge de condamner l'animal à l'exil. On
conviendra qu'il aurait mieux valu s'en tenir simplement à la loi de
Moïse.
La lapidation du boeuf était la peine que le propriétaire de l'animal
encourait s'il n'avait pu empêcher l'événement, mais sa responsabilité
et sa punition devenaient bien plus graves s'il lui eût été possible
d'éviter ce malheur.
Un boeuf était-il connu pour frapper de la corne, si le maître, averti
de l'enfermer, ne l'avait pas fait, et que ce boeuf vînt à tuer
quelqu'un, non seulement les juges devaient faire périr l'animal,
mais ils pouvaient encore prononcer la peine de mort contre le
propriétaire.
Que si la famille de l'Israélite qui avait succombé sous les coups du
boeuf, consentait à laisser la vie au maître de l'animal, celui-ci
devait donner, pour rachat de sa vie, tout ce qui lui était imposé.
Nous avons vu que nos lois pénales ne sont pas aussi sévères pour
l'homicide par imprudence.
La conservation des récoltes devait être l'objet de l'attention du
législateur ; aussi était-il défendu de laisser du feu hors des
habitations. Si cette défense était violée et qu'une récolte sur pied
ou en meule fût incendiée, celui qui avait allumé le feu devait
l'entière réparation du dommage.
La loi de Moïse n'avait pas prévu le cas d'incendie volontaire :
elle ne parle que de la communication d'incendie aux récoltes par du
feu allumé hors des habitations. Cette omission a été remarquée, et
Terrasson l'explique en disant que la loi de Dieu ne présumait pas
assez de la méchanceté des hommes pour les croire capables
d'exciter, de propos délibéré, des incendies.
Notre Code pénal défend d'allumer des feux dans les champs à moins de
cent mètres des édifices, bois, meules, tas de grains, pailles, etc.,
etc., sous peine d'une amende de cinquante francs
au moins et de cinq cents francs au plus. Il punit de mort celui qui
aura volontairement mis le feu à des édifices, navires, magasins et
chantiers habités, et de la peine des travaux forcés à temps celui qui
aura mis le feu à des récoltes.
La loi romaine condamnait l'incendiaire à être brûlé vif après avoir
été d'abord emprisonné et fouetté.
Le dommage fait au champ d'autrui en y lâchant des bestiaux devait
être réparé par le propriétaire de ces bestiaux en donnant du meilleur
de son champ, du meilleur de sa vigne.
La loi romaine rapportée au commencement de la 7e Table,
portait : « Si une bête a causé du dommage dans un champ,
que le maître de la bête offre le dédommagement, sinon qu'il livre la
bête. » Cette dernière disposition était en usage dans l'ancien
droit : c'est ce qu'on appelait livrer la bête au dommage.
Les art. 471 et 479 du Code pénal appliquent une amende à ces
contraventions. Ils distinguent le cas où les animaux ont passé dans
le champ d'autrui par suite de la négligence du gardien, du cas où ils
auraient été conduits volontairement.
La loi romaine faisait aussi cette distinction : « Celui
qui mènera ses troupeaux dans la moisson d'autrui... »
C'est tout ce qu'il nous reste de la loi XLIX à la
7e Table, en sorte que nous ne pouvons savoir quelle était la peine
que les décemvirs avaient établie pour ce fait.
Si un Israélite tuait un animal domestique appartenant à autrui, il
devait lui en rendre un autre de même valeur. C'était l'application du
grand principe : fracture pour fracture, oeil pour oeil, dent
pour dent (Lévit.,
XXIV, 18-23).
Immédiatement après cette règle, la loi de Moïse, comme si elle
craignait que ses ordonnances à l'égard des étrangers n'eussent pas
été bien comprises, répète : « Vous rendrez un même jugement ;
vous traiterez l'étranger comme celui qui est né au pays. »
Ainsi, toutes les dispositions pénales que nous venons d'analyser
s'appliquaient aussi bien à l'étranger qu'à l'enfant d'Israël.
« Tu ne feras point de tort au mercenaire pauvre et indigent
d'entre tes frères, ou d'entre les étrangers habitant en ton
pays. »
Ces prescriptions en faveur des étrangers sont presque toujours
accompagnées d'un motif qui, en rappelant à l'Israélite le souvenir de
ses mauvais jours au pays d'Égypte, devait entretenir dans son coeur
des sentiments de justice et d'humanité : « Vous
savez ce que c'est que d'être étranger, parce que vous avez été
étrangers au pays d'Égypte » (Exode,
XXIII, 1-9).
Le droit de glaner et de grappiller, réservé à la veuve, à l'orphelin
et à l'étranger, a passé, sauf diverses modifications, dans la
législation de tous les peuples. Ce droit emportait l'obligation pour
l'Israélite de ne pas moissonner le bout de son champ ; de ne pas
glaner lui-même ce qui restera sur le sol après que la récolte aura
été enlevée ; de ne pas cueillir sur la vigne les grappes qui
auront échappé aux vendangeurs.
La récolte des olives devait être accompagnée des mêmes
précautions : les branches qui restaient éparses après la
cueillette appartenaient à l'étranger, à l'orphelin et à la veuve.
Le glanage est pratiqué dans presque toute la France. « Dans les
lieux où les usages de glaner, de râteler et de grappiller sont reçus,
portait le Code pénal de 1791, les glaneurs, râteleurs et grappilleurs
n'entreront dans les champs, prés et vignes récoltés et ouverts,
qu'après l'enlèvement entier des fruits. »
L'article 471 de notre Code pénal consacre implicitement l'usage de
glaner et de grappiller lorsqu'il punit d'une amende de 1 franc à 5
francs ceux qui auront glané, râtelé ou grappillé dans les champs non
encore entièrement dépouillés et vidés de leurs récoltes, ou avant
le moment du lever ou après celui du coucher du soleil.
Le propriétaire d'un champ soumis à l'usage du glanage avait autorisé
la fille de l'un de ses ouvriers à glaner dans ce champ en déduction
du salaire qu'il devait au père de la glaneuse. Investie de ce droit,
cette fille entre dans le champ et commence à glaner avant que la
récolte ne soit enlevée. Citée pour ce fait en justice, elle est
acquittée sur le motif que le propriétaire l'avait autorisée à agir
ainsi. Ce jugement a été cassé par la cour suprême parce que ce
privilège « priverait ainsi les indigents, en faveur desquels le
glanage a été établi, des ressources que l'humanité du législateur
leur a réservées. »
Cette sage décision, rendue par la cour de cassation le 6 novembre
1857, semble une interprétation de la loi des Hébreux.
Les prescriptions si souvent rappelées dans le Deutéronome de ne pas
jurer en mentant, de respecter le sourd et l'aveugle, de ne pas haïr,
de ne pas médire, de ne pas se venger soi-même, ont passé aussi, sous
des règles générales et avec des pénalités diverses, dans toutes les
législations.
Le chapitre
XIX du Deutéronome prescrit contre les faux témoins qui
cherchent à faire condamner leur prochain la même peine qu'ils
auraient voulu faire subir à l'accusé.
Les Grecs, quelque décriés qu'ils fussent sous le
rapport de la sincérité, avaient des peines très sévères contre le
faux témoignage. La loi condamnait le faux témoin à une amende
considérable et le déclarait infâme.
Les décemvirs édictèrent la peine de mort contre le faux témoignage.
Ce crime est sévèrement puni par nos lois modernes. La peine est des
travaux forcés ou de la réclusion suivant que le faux témoignage a été
fait en matière criminelle, en matière correctionnelle ou en matière
de simple police. Il y a là un rapport évident avec la loi de
Moïse : la peine du faux témoin est, chez nous comme chez les
Hébreux, proportionnée aux résultats que pouvait avoir le faux
témoignage.
En matière civile, le faux témoignage est puni de la dégradation
civique.
La loi mosaïque exigeait du vendeur d'objets qui se pèsent qu'il fît
usage de balances justes. Cette prescription, inscrite au chapitre
XIX du Lévitique, est rappelée comme règle importante au XXVe
chapitre du Deutéronome (versets
13, 14 et 15) : « Tu n'auras
point en ton sachet deux sortes de pierres pour peser, une grande et
une petite. Il n'y aura point aussi dans ta maison deux sortes
d'épha, un grand et un petit ; mais tu auras des pierres à
peser entières et justes ; tu auras aussi un
épha entier et juste ;... car quiconque fait cela, quiconque
fait cette iniquité est en abomination à l'Éternel ton Dieu. »
Les anciennes coutumes locales avaient, presque toutes, des
dispositions pénales d'une rigueur extrême contre les marchands qui
usent de poids et de mesures faux.
Notre Code pénal classe cette faute au rang des contraventions et lui
applique une amende de 11 à 15 fr. avec confiscation des poids et
mesures faux.
Le législateur du peuple d'Israël avait pris les moyens nécessaires
pour faire régner les bonnes moeurs parmi les Israélites.
Lorsque la réparation d'un fait de subornation d'une jeune fille ne
pouvait s'effectuer, les coupables encouraient des peines très
sévères. Toutes les fois que la faute pouvait être réparée sans
dommage pour la famille, sans scandale pour le peuple, la loi
prescrivait cette réparation.
On reproche quelquefois aux lois françaises de n'avoir pas tenu assez
compte de la possibilité de réparer une injure, en particulier de
s'être peu occupées du sort de la jeune fille qui a cédé aux instances
d'un adroit suborneur. Si la règle qui interdit, de la manière la plus
absolue, la recherche de la paternité entraîne quelquefois de graves
abus, il faut reconnaître aussi qu'elle évite une
foule de conflits et de contestations scandaleuses où la morale
perdrait plus que la famille ne gagnerait.
La peine du fouet était encourue par l'homme qui, dans sa maison,
avait séduit une esclave. La fille esclave qui n'avait pas résisté
à ces séductions subissait la même peine que l'homme.
L'outrage public à la morale n'échappe pas à la vindicte de nos lois
pénales ; mais, lorsque la subornation n'est pas accompagnée de
violences, lorsque l'ordre social n'a pas été troublé, la loi ne
sollicite aucune action et ne cherche pas à scruter les actes de la
vie privée.
Nous ne suivrons pas, dans ses diverses applications, le grand
principe de la loi de Moïse, oeil pour oeil, dent pour dent. Nous
l'avons déjà dit, il se retrouve dans la législation des divers
peuples de la Grèce ancienne. Les lois romaines l'avaient adopté en
plusieurs cas.
Dans la réparation civile d'un délit, d'un fait dommageable, c'est
toujours cette règle qui se reproduit sous des termes
différents : « Celui qui aura frappé une bête à mort, la
rendra vie pour vie » (chap.
XXIV du Lévitique). N'est-ce pas ce principe d'éternelle justice
qui a dicté ces dispositions de notre Code : « Les dommages
intérêts dus au créancier sont, en général, de la
perte qu'il a faite et du gain dont il a été privé. »
Dans la loi romaine et dans nos lois françaises, comme dans la loi de
Moïse, la réparation du fait dommageable est toujours de droit :
« Tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage,
oblige celui par la faute duquel il est arrivé, à le réparer. »
À côté de la réparation du dommage, il y a la réparation au point
de vue de la société.
Prenons pour exemple le fait que la loi de Moïse donne comme une
explication de la règle générale. Un homme frappe à mort un animal
utile qui appartient à autrui. Voilà d'abord un préjudice matériel
causé au propriétaire ; mais la société en souffre dans une
certaine mesure : le travail ne se fait pas, la richesse publique
en est atteinte. Un tel fait, lorsqu'il est le résultat de la haine,
de la méchanceté, ne se commet pas sans occasionner du désordre. La
loi pénale doit donc intervenir. Aussi, dans ce même cas, les articles
453 et 454 du Code pénal punissent le coupable de la peine de
l'emprisonnement plus ou moins long, suivant les circonstances au
milieu desquelles le fait s'est accompli.
Ce sont les mêmes principes qui sont posés dans la loi des
Hébreux ; seulement, comme le gouvernement du
peuple d'Israël était essentiellement théocratique et rapportait tout
à Dieu, l'offense résultant du délit était une injure à l'Éternel et
devait être effacée non point par une amende dont la société profitât,
mais par des oblations et des sacrifices à Dieu, tandis que le
préjudice matériel devait être largement réparé.
Cette règle générale s'applique à toutes sortes de délits et de
crimes. Les versets
6,7, 8 du chapitre V des Nombres nous en fournissent la preuve.
C'est l'Éternel qui parle à Moïse : « Si un crime a été
commis et que le coupable, homme ou femme, soit trouvé, il
devra :
1° confesser le péché ;
2° offrir le bélier de propitiation avec lequel on fera propitiation pour lui ;
3° enfin, restituer la somme totale de ce en quoi il aura été trouvé coupable en y ajoutant un cinquième en sus au profit de celui qui aura souffert du délit. »
On retrouve évidemment les mêmes dispositions dans :
1° l'amende honorable qui était prescrite par la législation criminelle antérieure à nos lois modernes et qui se faisait, le plus souvent, devant la principale porte de l'église ;
2° l'amende pour le délit ;
3° la réparation pécuniaire ou les dommages-intérêts.
S'il s'agissait du vol d'un boeuf, d'un agneau ou d'un chevreau
et que le voleur eût tué ou vendu l'animal, il
devait, d'après la loi des Hébreux, rendre cinq boeufs pour un, quatre
agneaux pour un, quatre chevreaux pour un.
Chez les Romains, avant la loi Porcia, le voleur surpris en
flagrant délit était battu de verges. Celui qui n'était découvert
qu'après la consommation du crime n'était condamné qu'à rendre le
double. Comment expliquer cette différence ? Il semble évident
que le principe de cette disposition étrange tient aux institutions de
Lacédémone.
Les Romains formèrent leur théorie sur le vol d'après les lois de
Lycurgue qui, dans le but de donner de l'adresse aux citoyens,
favorisaient le vol s'il était fait adroitement.
Les villes de Crète, au dire de Platon, avaient adopté des
dispositions semblables et c'était, ajoute-t-il, pour que les hommes
fussent plus propres à la guerre.
La loi Porcia supprima les coups de verges, mais conserva une
différence dans la pénalité. Le voleur qui réussissait dans son
entreprise et qui n'était découvert qu'après, ne rendait que le
double. Celui qui était surpris avant qu'il n'eût caché l'objet volé,
devait rendre le quadruple.
En terminant cette partie de notre travail qui occupe déjà, nous le
craignons, une trop large place dans cette étude, nous devons dire
quelques mots sur la chasse.
Un peuple qui avait pour mission de cultiver la terre assignée à ses
pères, vivant presque toujours au milieu des champs, devait trouver,
dans la chasse, à la fois un moyen de délivrer les récoltes de
destructeurs avides et une ressource pour son alimentation.
Chasser et tuer les animaux nuisibles était parfaitement permis ;
seulement, au point de vue de l'hygiène et à raison du climat, il
était défendu aux Israélites de manger certaines espèces de gibier.
Quant aux animaux qu'il était permis de manger, la loi veillait à ce
que les espèces ne s'en perdissent pas. On trouve dans ces
prescriptions les usages et les précautions adoptés par tous les
peuples civilisés : « Quand tu
rencontreras dans un chemin, sur quelque arbre ou sur la terre, un
nid d'oiseau, ayant des petits ou des oeufs, et la mère couvant des
petits ou des oeufs, tu ne prendras point la mère avec les petits,
tu ne manqueras point de laisser aller la mère. » (Deut.,
XXII, 6,7.)
Le respect pour la loi, l'obéissance aux chefs qui avaient
autorité sur le peuple, étaient, dans la société israélite, comme dans
toute nation fortement constituée, la condition fondamentale du pacte
social. Aussi voyons-nous, dans la Bible, que la rébellion de Coré
contre l'autorité de Moïse et d'Aaron fut punie des plus terribles
châtiments. Ces hommes, qui avaient voulu renverser les conducteurs du
peuple pour se mettre à leur place, furent d'abord avertis par Moïse.
Il voulut leur faire comprendre qu'ils devaient rester dans la
position où ils se trouvaient et se contenter de la place honorable
qui leur avait été assignée. Moïse leur avait dit : « Est-ce
trop peu de chose pour vous que le Dieu d'Israël
vous ait séparés de l'assemblée d'Israël en vous faisant approcher
de lui pour être employés au service du pavillon de l'Éternel et
pour assister devant l'assemblée, afin de la servir ? »
(Nomb.,
XVI.)
Peu touchés de ces avertissements, Coré et ses complices persévérèrent
dans leurs coupables projets ; ils furent engloutis :
« la terre ouvrit sa bouche et les engloutit avec leurs tentes,
ainsi que tous les hommes qui étaient à Coré et tout leur bien. »
Ce terrible châtiment rappelait au peuple tout ce que Dieu avait fait
pour sa délivrance et pour l'empêcher de s'unir aux rebelles.
Cet exemple n'arrêta point les séditieux. L'assemblée des enfants
d'Israël murmura encore contre Moïse et Aaron. Ils étaient accusés de
faire mourir le peuple, tandis que, obéissant aux ordres de Dieu, les
chefs de ce peuple accomplissaient, au prix des plus grands
sacrifices, l'oeuvre de délivrance et d'affranchissement du joug
étranger qui plaça les Israélites au rang des nations les plus
policées des anciens temps.
Cette nouvelle sédition fut punie par la mort de quatorze mille sept
cents hommes.
Cette histoire n'est-elle pas celle d'un grand nombre de
peuples ? L'homme ne veut pas ou ne sait pas
chercher la main de Dieu et s'abaisser simplement sous cette main
paternelle. Il veut diriger, à sa façon, sa destinée. Combien de fois
cependant ses projets, s'ils se fussent réalisés, ne l'auraient-ils
pas conduit à sa perte ? Combien de fois, au contraire, les
événements contre lesquels son orgueil, son ambition, son coeur
naturel se révoltaient, n'ont-ils pas contribué à son bonheur !
Nous le demandons, quel est l'homme qui, observant sérieusement sa
vie, n'ait pas fait ces expériences ? Combien de Corés dans
l'histoire des peuples comme dans celle des familles !
Le blasphème du nom de l'Éternel était puni de la peine de mort, tant
devait être grand le respect pour Jéhovah ! « Tu
aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur, de toute ton âme, de
toute ta pensée. »
L'idée de Dieu devait être dégagée de tout élément grossier et
charnel. Le second commandement de la loi défendait de faire des
images de Dieu et des choses du ciel et de la terre pour les adorer.
La première loi du code Papyrien portait la même disposition.
Plutarque affirme que Numa Pompilius en fut l'auteur. Voici en quels
termes le jurisconsulte Terrasson qui, le premier, a inséré cette loi
parmi celles du code Papyrien, nous la rapporte
dans son Histoire de la Jurisprudence romaine :
« On ne fera aucune statue ni aucune image de quelque forme que
ce puisse être pour représenter la Divinité et ce sera un crime de
croire que Dieu eût la figure soit d'une bête, soit d'un homme. »
Qui ne saisirait le rapport qui existe entre celte loi et celle de
Moïse !
L'autorité de Plutarque est d'un grand poids. Historien honnête,
consciencieux autant que judicieux et savant, Plutarque a tous les
caractères d'une autorité sérieuse. Voici textuellement le passage.
« Hic (Numa Pompilius) vetuit Romanis hominis vel bestiae formam
tribuere Deo, ne que fuit ulla apud eos antea vel picta vel ficta
imago Dei. » (Plutarque, Vie de Numa Pompilius, traduction
latine imprimée en 1599 à Francfort, texte grec à côté, tome 1er, page
65).
Cette prohibition de représenter la Divinité sous une forme humaine
paraît, ajoute Terrasson, « avoir été puisée dans la religion des
Juifs dont il n'est pas impossible que Numa et Pythagore aient eu
connaissance. »
Numa Pompilius était originaire d'Étrurie, pays où la religion et les
moeurs avaient quelque chose de grave et de sérieux qui s'accorde bien
avec l'idée d'un Dieu tellement grand, tellement
élevé au-dessus de l'humanité qu'aucune forme humaine ne pourrait le
représenter. Des savants, aussi recommandables par leur conscience
droite et scrupuleuse que par leurs connaissances, affirment que
l'écriture des Étrusques, qui allait de droite à gauche, a des
rapports avec les langues sémitiques bien plus qu'avec le grec. Les
statues antiques trouvées récemment sur le sol de l'ancienne Etrurie
présentent une analogie frappante avec celles qui nous restent de
l'ancien Orient, en sorte que tout semble confirmer cette assertion de
Sénèque : « Tuscos Asia sibi vindicat. » Numa et
Pythagore auraient bien pu, comme le dit l'auteur de la Jurisprudence
romaine, recevoir de l'Orient cette doctrine de l'adoration en
esprit d'un Dieu invisible qu'aucune figure terrestre ne peut
représenter.
Pendant les soixante et dix années qui suivirent la promulgation de la
loi attribuée à Numa, on ne vit à Rome ni images, ni statues
représentant la Divinité. C'est encore à Plutarque ( loco jam
citato) que nous empruntons cette remarquable
affirmation ; il la fait suivre de ce commentaire on ne peut plus
clair : « Nefas putantes angustiora exprimere humilioribus,
neque aspirari aliter ad Deum quàm mente posse » N'est-ce pas
manifestement la doctrine de Moïse, la foi du
peuple d'Israël lorsqu'il observe avec fidélité la loi de Dieu ?
Numa, que les données historiques les plus accréditées permettent de
considérer comme un roi philosophe et sincèrement pieux, avait, sans
doute, l'intention de combattre ces superstitions grossières que les
Égyptiens avaient mises en honneur et que le peuple hébreu avait été
si souvent tenté de reproduire au désert.
Dans son Dictionnaire philosophique, Voltaire fait dire à
Numa : « Je défendis qu'il y eût dans les temples aucun
simulacre, parce que la Divinité qui anime la nature ne peut être
représentée » (Verbo : Religion).
Il est difficile de maintenir dans le peuple cette simplicité de
culte, cette adoration en esprit d'un Dieu caché qu'aucune image ne
doit représenter. Les successeurs de Numa n'y réussirent pas. Aussi,
lorsque le christianisme pénétra dans l'empire romain, vit-on bientôt
les images du vrai Dieu confondues avec les idoles, en sorte que,
comme le dit un éminent jurisconsulte, Jésus-Christ semblait
seulement avoir été mis au rang des dieux.
Les images de la Divinité doivent avoir pour conséquence nécessaire de
matérialiser l'idée religieuse. Sans doute, les esprits élevés ne
descendent pas jusqu'à l'adoration de la matière,
mais le peuple qui a toujours les mêmes tendances, demande, comme
autrefois le peuple hébreu, qu'on lui fasse des dieux qui marchent
devant lui.
Ce commandement de ne point faire d'images représentant la Divinité
qui se trouve dans le Décalogue et aussi, selon Plutarque, dans les
premières lois de Rome, a été supprimé dans les commandements
généralement adoptés par l'Église catholique romaine.
Cette suppression s'explique parfaitement si l'on se reporte à la
lutte qui se prolongea, durant des siècles, entre le paganisme
expirant et le christianisme. Il y eut des concessions réciproques et,
les images de Jésus-Christ étant une fois admises dans les temples, on
recula devant la consécration d'une loi qui prohibait absolument les
images de la Divinité, loi qui, après tout, a-t-on dû dire,
appartenait à l'ancienne alliance et ne se retrouvait pas dans les
livres du Nouveau Testament.
On sait à quelles guerres acharnées l'admission ou l'exclusion des
statues et des images dans les Églises chrétiennes a donné lieu. Les
Églises protestantes réformées ont rétabli le commandement du
Décalogue qui se lit dans les principales cérémonies du culte et ont
proscrit de leurs temples les images, de crainte que ces figures ne
conduisissent insensiblement les masses à une
adoration qui les éloignât du culte en esprit et en vérité.
Hérodote et Xénophon signalent, dans le culte des Persans, l'absence
d'images et de statues représentant la Divinité et l'horreur
qu'inspirait à ce peuple les représentations du Dieu invisible.
« La religion de la lumière, dit quelque part M. Eugène Bersier,
réfléchit, bien qu'imparfaitement, les traits spirituels de celle des
Hébreux. »
Le jour du sabbat, consacré au repos et au culte de l'Éternel, devait
être observé sous peine de lapidation. Celui qui se permettait de
ramasser du bois, le jour du sabbat, tombait sous le coup de cette
loi. Toute l'économie de la loi de Moïse reposait sur cette double
base : l'amour de Dieu, le respect pour sa loi.
Il fallait que ces principes fussent consacrés par une forte sanction
pénale, afin que le peuple ne s'en écartât point. Qu'Israël abandonnât
l'Éternel pour retourner à Bahal, que le culte du vrai Dieu fût
méprisé, ses autels délaissés, et la loi perdait aussitôt sa force et
sa valeur, le peuple retombait dans l'idolâtrie quant au culte et dans
une complète licence quant aux moeurs.
Le chapitre
XXe du Lévitique punit de mort par la lapidation ceux qui auront
détourné leur postérité du culte du vrai Dieu, ceux qui
auront affligé la famille soit par des malédictions, de la part du
fils vis-à-vis de son père ou de sa mère, soit par l'adultère, soit
par des rapports incestueux. La souillure de l'homme avec une bête
était aussi punie de la même peine.
L'Israélite qui prenait une femme et la mère de cette femme commettait
une énormité. Il ne devait pas rester de trace d'une telle
infamie. Les femmes et l'homme coupables d'un tel crime devaient être,
tous ensemble, consumés par le feu.
L'enlèvement et le trafic d'un Israélite emportaient contre le
ravisseur la peine de mort.
Celui qui faisait métier de pronostiquer était aussi puni de mort. Il
était de l'essence d'une législation qui rapportait tout à Dieu de
prohiber des superstitions tendant à enlever à l'Éternel une partie de
sa prescience et de sa souveraine puissance. « Vous n'aurez point
de divinations et vous ne pronostiquerez point le temps est-il écrit
au chapitre XIXe du Lévitique.
« Ne vous détournez point auprès de ceux qui ont l'esprit de
Python, est-il dit plus loin, ni après les devins ; ne cherchez
point à vous souiller par eux ; je suis l'Éternel votre
Dieu. »
Si ces peines étaient terribles, n'oublions pas que ces crimes étaient
la plus grave atteinte qu'on pût porter à la puissance de Dieu.
« Tu ne laisseras point vivre la sorcière. »
(Exode,
XXII).
« Quiconque fait ces choses, ajoute
le Deutéronome,
au chapitre XVIIIe, est en abomination à
l'Éternel. »
C'est principalement à cause de ces abominations que
l'Éternel chasse les nations des pays que les Israélites vont
posséder.
Par les lois des Douze Tables, celui qui se servait de paroles
magiques pour nuire à quelqu'un était puni de mort.
Nous venons de voir que la loi de Moïse punissait la sorcellerie comme
outrageant la majesté de Dieu. C'est toujours le même principe qui se
retrouve dans tout le pacte fondamental des Hébreux.
Nos lois pénales, de même que les lois de Moïse et les lois des Douze
Tables, punissent aussi la sorcellerie, mais c'est au nom de l'ordre
social. Les articles 479 et 480 du Code pénal punissent d'une amende
et même, suivant les circonstances, de l'emprisonnement « les
gens qui font métier de deviner et pronostiquer, ou d'expliquer les
songes. »
Nos anciennes coutumes, empruntant à la loi de Moïse sa sévérité,
punissaient, presque toutes, la sorcellerie de la peine de mort par le
feu.
Une simple méchanceté, un acte de colère sans trop
de gravité. entraînaient la peine du fouet. Le coupable était jeté par
terre et frappé devant le juge d'un certain nombre de coups, suivant
l'importance de la faute. Le maximum de la peine était de quarante
coups, « de peur que, si l'on continuait à le battre au delà
de quarante coups, la plaie ne fût excessive. »
Le meurtre involontaire était, comme nous l'avons déjà dit, rangé dans
la classe des fautes sans intention. Les parents de la victime avaient
le droit de venger sa mort.
Moïse établit primitivement trois villes appelées de refuge pour
servir d'asile à celui qui avait involontairement donné la mort à
autrui, et il fut promis au peuple de lui accorder encore trois autres
villes de refuge si les limites du territoire venaient à s'étendre.
Là, celui qui avait, sans dessein, commis un meurtre, était en sûreté.
Mais si un meurtrier volontaire et par conséquent criminel venait à se
réfugier dans l'une de ces villes, les anciens du lieu devaient
s'empresser de le livrer à celui qui avait le droit de venger le sang
de la victime, afin que le coupable ne pût échapper à la punition.
Aucune rançon ne pouvait être acceptée pour délivrer le coupable
d'un meurtre volontaire ou pour lui permettre de fuir vers une ville
de refuge.
« Les lois de Moïse furent très sages, dit Montesquieu ;
les homicides involontaires étaient innocents, mais ils devaient être
ôtés de devant les yeux des parents du mort. »
Moïse ne voulut pas donner asile au meurtrier involontaire dans le
temple : il aurait pu troubler l'adoration. Il ne voulut pas non
plus l'exiler hors du pays, de crainte qu'il ne se vouât au culte des
dieux du paganisme.
Les Grecs accordèrent le droit d'asile dans les temples au meurtrier
involontaire, mais ils finirent par aller trop loin : ils
admirent au droit d'asile même les grands criminels. Tacite blâme cet
usage qui semblait protéger les crimes des hommes autant que les
cérémonies du culte.
Les lieux de refuge, asiles inviolables, sanctuaires,
existaient encore, au moyen âge, chez divers peuples. Quelques auteurs
ont même soutenu que leur institution ne remonte pas plus haut que
cette époque. Il nous paraît évident que les Églises chrétiennes
empruntèrent à la législation des Hébreux le droit de refuge. En
organisant l'abbaye de la Bataille, Guillaume le Conquérant voulut que
l'abbé eût le droit de faire grâce à tout condamné et que cette abbaye
fût un lieu de refuge.
Dans des Notes et recherches archéologiques publiées en
Angleterre, il est fait mention du siège de refuge d'Hexam, qu'on
conserve dans ce lieu comme un curieux monument
archéologique. On l'appelle Freedstol ou Fred-Stool, ce
qui signifie siège de paix. Un siège semblable existait dans
le monastère de Beverley. On y lisait l'inscription suivante :
« Haec sedes lapidea Freedstoll dicitur, id est pacis cathedra
ad quam reus, fugiendo perveniens, omnimodo habet
securitatem. »
D'après les lois de Dracon, chaque citoyen avait le droit de tuer le
meurtrier volontaire.
Ici se présente encore une occasion de faire remarquer un rapport
entre la loi de Moïse et le code Papyrien. Voici ce que porte la loi
XVII : « Quiconque aura tué un homme de guet-apens sera puni
de mort comme un homicide ; mais s'il ne l'a tué que par hasard
et par imprudence, il en sera quitte pour immoler un bélier par forme
d'expiation. »
C'était aussi, on se le rappelle, par un sacrifice expiatoire que la
faute involontaire était punie dans la loi de Moïse.
Les peines corporelles, qui consistaient, chez le peuple hébreu, en la
mort par la lapidation et par le feu, en l'application du fouet
jusqu'au maximum de quarante coups, ont été remplacées par la potence,
le billot, l'estrapade, la marque, la rupture des membres. Ces peines
furent en vigueur jusqu'à l'invention de la guillotine,
seul mode d'exécution à mort autorisé par nos lois pénales modernes
pour les criminels non enrôlés sous les drapeaux.
Le retranchement du peuple était considéré par les Hébreux
comme une peine très grave. Celui qui l'encourait perdait tous les
droits que la loi accordait à l'Israélite. Ses biens lui étaient
enlevés ; il était inhabile à succéder. Cette privation de droits
équivalait à peu près à ce que nos lois françaises appellent la
mort civile.
Il fut recommandé au peuple d'Israël de s'empresser, dès qu'il
serait en possession du pays que Dieu voulait lui donner, d'établir
des juges et des prévôts dans chaque ville.
La loi XV du code Papyrien prescrivait au peuple romain de se choisir
des magistrats.
Les juges des Hébreux devaient juger avec équité, sans jamais se
laisser corrompre par des présents.
Platon voulait que ceux qui recevaient des présents pour faire leur
devoir fussent punis de mort. « Il n'en faut prendre, disait-il,
ni pour les choses bonnes, ni pour les choses mauvaises. »
Les présents, dit avec une profonde sagesse et une
admirable simplicité la loi de Moïse, les présents aveuglent les
plus éclairés.
Le juge devait former son opinion à l'aide de ses propres
réflexions ; il ne devait pas se tourner du côté des autres pour
connaître leur avis. Cette règle fut empruntée à la législation
mosaïque par les lois grecques et romaines. Chaque juge devait donner
son opinion sans communiquer avec les autres. C'est, dit Montesquieu,
parce que le peuple jugeait ou était censé juger.
Tout Israélite avait le droit de conduire devant l'assemblée du peuple
un homme qui s'était rendu coupable d'un crime. Ce principe tenait à
la constitution même du peuple hébreu. Le crime souillait tout le
peuple, qui se sentait solidaire de la faute d'un seul : Israël
devait se conserver pur.
Dans les villes grecques et à Rome, il en était ainsi. Tout citoyen
pouvait se porter accusateur et appeler l'accusé devant les juges
chargés de la répression. Le citoyen agit, dans ce cas, au nom et pour
l'honneur de la patrie ; aussi ce principe est-il admis dans
toutes les républiques.
L'assemblée du peuple prononçait sur les crimes. Cet usage de faire
prononcer les simples citoyens dans le jugement des causes criminelles
importantes s'est maintenu chez tous les peuples
civilisés. Il existait à Athènes, à Rome ; il existait dans
plusieurs de nos anciennes coutumes de France. Les citoyens, appelés à
faire partie des cours d'assises, dans notre droit pénal moderne, ne
prononcent pas la peine ; ils déclarent seulement, par suite de
l'appréciation des faits, si l'accusé est ou n'est pas coupable, et se
prononcent aussi sur les circonstances qui ont accompagné le crime et
qui peuvent l'aggraver ou l'atténuer. C'est le juge qui applique à la
déclaration de culpabilité la peine édictée par la loi.
L'assemblée du peuple d'Israël devait rechercher avec soin tous les
faits qui se rattachaient au crime. Un seul témoin n'était pas
suffisant pour déterminer une condamnation, surtout lorsqu'il
s'agissait d'un crime emportant la peine de mort. Il fallait deux ou
trois témoins. Tout le monde sait que ce principe s'était conservé
dans le droit ancien sous cette rubrique : Testis imus,
testis nullus.
L'auteur de l'Esprit des lois appelle fatales à la liberté
les lois qui font périr un homme sur la déposition d'un seul témoin.
« Un témoin qui affirme et un accusé qui nie font un partage, et
il faut un tiers pour le vider. »
Les lois modernes laissent à la conscience du juge le soin d'apprécier
la valeur du témoignage.
Un seul témoin prouve quelquefois plus que deux, cela dépend non
seulement du degré de confiance qu'il inspire, mais des circonstances
dans lesquelles il s'est trouvé placé, de l'accord qui existe entre sa
déclaration et les présomptions que font naître soit les explications
des parties elles-mêmes, soit l'examen du théâtre du crime, en un mot
d'une foule de motifs qui entraînent et fixent la conviction du juge.
Les plus grandes précautions étaient prescrites pour assurer la bonne
administration de la justice. Le prévenu jouissait du droit de se
défendre et était toujours écouté ; les juges eux-mêmes
l'aidaient à fournir les explications nécessaires à sa défense.
Jusqu'au moment de l'exécution de la sentence, les juges pouvaient
demander à délibérer de nouveau.
L'instruction et le jugement qui précédèrent la mort de Jésus-Christ
ont donné lieu à une intéressante discussion entre deux hommes aussi
éminents par leur science que distingués par la noblesse de leurs
sentiments, MM. Salvador et Dupin aîné.
M. Salvador, dans un remarquable ouvrage sur les Institutions de
Moïse et les règles générales de l'administration de la justice
criminelle chez les Hébreux, examinant le procès de
Jésus-Christ, soutient que la procédure a été parfaitement
régulière et la condamnation parfaitement juste. Jésus-Christ, selon
M. Salvador, avait usurpé le nom de Dieu, la loi sur le blasphème lui
a donc été justement appliquée.
Cette appréciation ne doit pas être du goût des rationalistes modernes
qui, forcés de reconnaître en Jésus-Christ le plus grand de tous les
sages et ne voulant pas le surprendre en flagrant délit de mensonge,
prétendent que Jésus n'a jamais affirmé lui-même sa pleine divinité.
M. Salvador établit que c'est précisément à cause du crime de
blasphème, parce que Jésus avait pris le nom de Dieu, que la
peine capitale lui a été appliquée.
Voilà, pour le dire en passant, voilà bien nettement posé le dilemme
qu'on n'a jamais réfuté : ou Jésus est, comme il le dit lui-même,
un avec le Père, et alors sa pleine divinité ne peut être
contestée, ou Jésus, en affirmant sa divinité, cherche à tromper le
peuple, et alors ce n'est plus un sage, ce n'est plus celui que
doivent suivre des siècles d'adorateurs.
Les moyens termes ne peuvent raisonnablement se soutenir : ou
Jésus est Dieu, ou c'est un imposteur, et, dans ce dernier cas,
pourquoi lui consacrer des temples et prêcher sa doctrine ?
J'aime mieux Socrate ou Platon que ce. sage qui prétend, jusqu'au
moment de sa mort, disposer du royaume des cieux.
Dans une brochure intitulée Jésus devant Caïphe et Ponce-Pilate, M.
Dupin aîné examine avec soin les pièces du jugement de Jésus, et
combat très victorieusement, selon nous, les arguments de M. Salvador
en ce qui concerne la régularité de l'instruction.
Les Juifs cherchent à perdre Jésus ; ils lui adressent des
questions captieuses ; ils traitent avec Judas ; ils
arrêtent Jésus pendant la nuit, et le conduisent, non pas chez le
juge, mais chez Anne, beau-père du grand prêtre ; ils se moquent
de lui, le frappent, excitent les passions populaires.
Caïphe, celui-là même qui a déjà dit que la mort de Jésus était utile,
va instruire ce procès. Quel juge impartial ! Jésus, aux
questions que lui adresse Caïphe sur sa doctrine, sur ses disciples,
se contente de répondre qu'il n'a pas parlé en secret, et de demander
qu'on interroge des témoins. Caïphe s'efforce de le surprendre, et
enfin, - ce qui n'était pas permis chez les Juifs, - il déclare qu'il
n'est pas besoin de témoins, puisque Jésus s'est dit lui-même
Fils de Dieu. Est-ce là l'instruction sérieuse et grave à laquelle se
livraient ordinairement les Hébreux ?
Les Juifs étaient, à cette époque, un peuple conquis, sous la
dépendance du gouvernement romain ; or le droit de vie et de mort
fut, de tous les temps, à Rome comme ailleurs,
l'attribut de la souveraineté. Voilà pourquoi, sachant, comme ils le
dirent eux-mêmes, qu'il ne leur était permis de faire mourir
personne, les Juifs demandèrent à Pilate, gouverneur romain, de
condamner Jésus.
Pilate aurait voulu se dégager de cette terrible responsabilité. Les
accusateurs de Jésus comprennent bien vite qu'ils n'obtiendront pas de
condamnation capitale, s'ils persistent à soutenir que Jésus n'a fait
que violer leurs lois et leurs traditions. Pilate le leur a fait
suffisamment entendre en déclarant qu'il ne trouve rien qui puisse
motiver une condamnation. C'est alors que les Juifs, eux qui
supportent si impatiemment le joug des Romains, changent tout à coup
de système, et d'une accusation de sacrilège, de blasphème, dont
Pilate paraissait se moquer, font une accusation politique, un crime
d'État.
C'est ici, dit avec sa haute raison M. Dupin aîné, c'est ici le
noeud de la passion. Voilà les Juifs qui se préoccupent des
intérêts de l'empire romain. // a voulu se faire roi des
Juifs : or nous n'avons pas d'autre roi que César. Jésus
déclare, avec ce calme et cette sérénité admirables qui étonnent
Pilate, que son règne n'est pas de ce monde ; mais la
multitude est excitée, les passions populaires sont déchaînées.
Pilate, placé entre sa conscience et cette pression de la multitude
qu'il ne veut pas irriter, - voulant contenter le peuple, dit
l'évangéliste saint Marc, - craignant d'ailleurs de se compromettre en
présence de la nouvelle accusation de crime d'État imaginée contre
l'accusé, Pilate finit par céder et livre, à regret, Jésus pour le
crucifier.
Nous avons vu avec quelles précautions les juges hébreux devaient
procéder au jugement des questions capitales ; évidemment ici,
toutes les règles ordinaires ont été sacrifiées : c'est un coup
de parti habilement frappé ; ce n'est pas la décision de juges
sérieux, réfléchis, indépendants.
Comme garantie morale de la sincérité des témoins, la loi mosaïque
exigeait qu'ils fussent les premiers à mettre la main sur le condamné.
Les témoins devaient jeter la première pierre. Cette
prescription et la pensée qui l'a dictée sont éminemment remarquables
et font honneur au peuple qui a reçu cette loi.
Le législateur pensait que l'idée de frapper le premier ferait
impression sur le témoin, rendrait sa déposition plus sincère et plus
sérieuse, et arrêterait souvent le parjure. Voilà certes une grande et
noble pensée. C'est à ce sentiment de la responsabilité morale devant
Dieu et devant la conscience que Jésus-Christ
faisait appel lorsqu'il disait à ceux qui avaient conduit devant lui
la femme adultère : « que celui de vous qui est sans péché
jette la première pierre contre elle ! »
Si l'affaire à juger présentait de trop grandes difficultés, s'il y
avait, comme le dit la loi de Moïse elle-même, meurtre et meurtre,
cause et cause, plaie et plaie, si la solution à
donner ne se présentait pas clairement, si enfin il y avait procès
dans les portes d'Israël, l'assemblée devait monter vers les
sacrificateurs de la race de Lévi.
« Il n'est pas mal, dit Montesquieu, que, dans les cas douteux,
les juges consultent les ministres de la religion. » Les
sacrificateurs de la race de Lévi réunis au juge établi dans le pays
où le crime avait été commis, après avoir entendu l'assemblée et
l'accusé, devaient déclarer ce que porte le droit.
Cette décision était souveraine et il ne restait plus qu'à exécuter à
la lettre ce qui avait été déclaré.
Les témoins commençaient à tirer des pierres sur le condamné ou à le
frapper du fouet selon la condamnation qu'il avait encourue ; le
peuple frappait ensuite.
Telle était la loi, telles étaient les institutions de Moïse,
quelquefois sévères, dures même, il faut en convenir, toutes les fois
qu'il s'agissait de conserver la base du pacte social, mais pleines
d'humanité en ce qui concerne les êtres les plus dignes d'intérêt, le
pauvre, la veuve et l'orphelin.
Solon voulut donner aux Athéniens les meilleures lois qu'ils
pussent suivre (Plutarque, Vie de Solon, XXXIII).
Moïse, au nom du Dieu des Israélites, donna à ce peuple toujours prêt
à retourner à l'idolâtrie et à rejeter les sabbats de l'Éternel,
des statuts qui n'étaient pas bons, et des ordonnances par
lesquelles ils ne vivraient point (Ezéchiel,
XX,
25).
Ce n'était donc pas la perfection des lois civiles et pénales que
recherchait Moïse, mais bien la meilleure législation qui pût convenir
à ce peuple eu égard à ses moeurs et à son caractère national.
Ces lois reçurent ensuite des développements, des modifications, soit
dans les peines à infliger aux coupables, soit dans la constitution
des assemblées chargées de prononcer les jugements, mais ce sont là
des détails d'application pratique : les principes ne changèrent
pas.
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