Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

DEUXIÈME PARTIE.

Lois civiles.

I.

DES ÉTRANGERS

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 La législation des Israélites ne permettait, il est vrai, de rapports avec l'étranger, en pays étranger, que sous des conditions fort onéreuses ; mais, en revanche, elle était empreinte, à l'égard de l'étranger qui venait habiter au milieu du peuple hébreu, d'un caractère de liberté, d'humanité, qu'on chercherait vainement dans les lois des autres nations.
Les peuples modernes parlent - sous plusieurs rapports avec juste raison - de progrès, de rapprochement des nationalités, et cependant aucun n'a pu se déterminer à adopter franchement l'étranger et à lui donner les droits dont jouissent les habitants du pays.

Le système de réciprocité qui a prévalu dans nos lois françaises est bien un progrès remarquable sur les peuples de l'antiquité, pour lesquels l'étranger était un barbare, un homme à qui l'on ne devait ni respect, ni protection ; mais il y a loin du principe qui n'accorde à l'étranger, en France, que ce qu'accorde au Français la nation à laquelle appartient cet étranger, au principe si large, si libéral, écrit dans plusieurs livres de la loi des Hébreux : « L'étranger qui demeure avec vous sera comme celui qui est né parmi vous et vous l'aimerez comme vous-même» - « Vous rendrez à l'étranger la même justice qu'à celui qui est né au pays. »

L'homme calcule, pèse, mûrit et déduit avec soin ses raisons, prévoit des obstacles et refoule souvent le premier élan de son coeur de crainte de compromettre la sécurité publique ou sa sûreté personnelle. Il établit ses lois d'après ces calculs et en vue de ces appréhensions. L'inspiration divine s'avance plus sûrement et d'une manière plus hardie.

Les lois de Gratien, de Valentinien, de Théodose prescrivent de prendre avec finesse aux étrangers ce qu'ils possèdent.
Les hommes pensaient, comme le dit Montesquieu, « que les étrangers ne leur étant unis par aucune communication du droit civil, ils ne leur devaient, d'un côté, aucune sorte de justice, et, de l'autre, aucune sorte de pitié. »

Suivant les anciennes ordonnances, les étrangers ne pouvaient occuper, en France, ni offices, ni bénéfices ; ils ne pouvaient pas même être fermiers du roi, de l'Église, ni exercer la banque. Un étranger était également incapable de recueillir aucune succession en France et ne pouvait recevoir la moindre libéralité, soit de parents résidant en France, soit d'autres habitants. Il ne pouvait pas disposer à cause de mort et n'avait d'autre héritier que le roi. Ces ordonnances avaient encore force obligatoire au moment de la Révolution de 1789.

Notre législation moderne admit, pendant quelque temps, l'étranger à jouir, en France, des mêmes droits que le Français et cela sans aucune condition de réciprocité.
Ce principe fut savamment discuté par les rédacteurs de nos Codes, la prudence humaine fit adopter le système de réciprocité.
« Il faut distinguer, disait l'un des orateurs du tribunat au corps législatif, il faut distinguer le cas où une nation règle les intérêts de ses propres citoyens de celui où elle statue sur ses rapports avec les nations étrangères.
Quand elle s'occupe de ses propres citoyens, quand elle travaille sur elle-même, elle peut, sans péril, s'abandonner aux vues les plus libérales. Plus elle élève l'âme de ses citoyens, plus elle s'élève elle-même ; tout ce qu'elle fait pour les porter à la grandeur et à la gloire, elle le fait pour sa propre grandeur et pour sa propre gloire. Mais quand elle règle ses rapports avec les autres peuples, sa générosité avec eux serait souvent ou danger pour elle-même, ou injustice pour les habitants de son territoire. »

De nombreux textes de la loi de Moïse se référant aux étrangers disposent que l'étranger, résidant au milieu du peuple d'Israël, a droit à la même justice et doit être protégé par les mêmes lois que l'Israélite. (Voyez notamment : Lévit., XIX, 33, 34 ; XXIV, 22. - Nomb., XV, 29.)

De nos jours, l'étranger jouit en France « des mêmes droits civils que ceux qui sont ou seront accordés aux Français par les traités de la nation à laquelle cet étranger appartiendra. » (article 11 du code Napoléon.)
Mais, en demandant l'autorisation d'établir son domicile en France, il exerce tous les droits civils tant qu'il continue d'y résider.

S'il n'est pas autorisé à demeurer en France, l'étranger ne peut pas plaider sans donner caution ; il est inhabile à succéder, à recevoir un legs, à disposer, en un mot à user des droits civils.




II.

DE L'ÉTAT CIVIL.


 La situation de famille était réglée, chez les Israélites, avec un soin tout particulier.
Moïse et Aaron furent d'abord chargés par l'Éternel de faire enregistrer tous les enfants d'Israël. Pour cette opération, ils s'adjoignirent un homme de chaque tribu. Toute l'assemblée était convoquée et on enregistrait chacun selon sa famille, selon la maison de ses pères, les comptant nom par nom, depuis l'âge de vingt ans et au-dessus, chacun par tête.

La nation d'Israël s'était entièrement renouvelée lorsqu'il fut fait, par Moïse et Éléazar le Sacrificateur, un nouveau dénombrement, aux campagnes de Moab, près du Jourdain, vers Jérico. Ce dernier enregistrement donna pour résultat six cent un mille sept cent trente hommes capables de porter les armes et ayant part à la division des terres.
Les lévites furent comptés depuis l'âge d'un mois et au-dessus, mais ils ne furent pas compris dans le dénombrement, car ils ne devaient pas avoir d'héritage entre les enfants d'Israël et ne devaient pas porter les armes.

L'usage de ces dénombrements se retrouve chez tous les peuples de l'antiquité. C'est à un tel travail ordonné par César-Auguste, avant la naissance du Sauveur, que nous devons la preuve que Jésus-Christ était de la maison et de la famille de David (Luc, II).

C'était là l'état civil du peuple d'Israël et cet état se gardait précieusement dans les familles. Les généalogies se conservaient avec soin et se rappelaient dans les actes de la vie civile. Au nom de chaque individu se rattachaient toujours les noms de ses auteurs.

Ainsi que nous l'avons déjà dit, les sacrificateurs étaient chargés de faire le dénombrement avec un homme de chaque tribu. Le sacrificateur n'entrait que pour partie dans ce travail. Presque chez tous les peuples, l'état civil a été confié aux prêtres. Telle a été notre législation jusqu'à la loi du 28 pluviôse an VII qui charge les maires et les adjoints de tenir les registres de l'état civil.




III.

DU MARIAGE.


 On ne trouve dans la Bible l'indication d'aucune cérémonie ordonnée pour la célébration du mariage. Cependant, bien que la loi écrite ne prescrivît aucune formalité, il existait certains usages fidèlement observés dans les familles pieuses. La Bible nous a conservé quelques-unes de ces traditions.

Lorsque les parents de la fille donnaient leur consentement à celui qui venait, au nom de l'époux, proposer le mariage, il y avait, de la part de l'époux, distribution de présents ; on faisait de grandes fêtes et de somptueux festins ; mais tout cela se passait dans le sein de la famille.

Raguël prit Sara par la main et la donna à Tobie pour femme, en disant : « Prends-la selon la loi de Moïse. » Il prit des tablettes, fit le contrat et le scella ; puis on se mit à manger. Il y avait aussi des voeux de la part des assistants pour la prospérité du mariage, des bénédictions prononcées sur les époux par les parents, des actions de grâces à l'Éternel. « Le Dieu miséricordieux vous fasse prospérer en tout bien ! »

Dans tous les pays et dans tous les temps, on a fait intervenir la religion dans les mariages. Elle vient légitimer, sous de certaines conditions de moralité, l'union de l'homme et de la femme et lui ôter tout caractère d'impureté.
La loi civile, vient, à son tour, sanctionner cette union, la régler, en déterminer les effets et quant aux époux eux-mêmes et quant à la famille qu'ils sont appelés à former et à diriger.

Chez les Étrusques, chez les anciens Romains, le mariage civil se faisait moyennant un prix payé par l'époux aux parents de l'épouse. Les Hébreux appelaient ce don, ce prix, mohar, mot qui a beaucoup d'analogie avec le mot bohari, employé par certaines peuplades du sud de l'Afrique pour désigner les dons livrés aux parents de l'épouse. Nous aurons bientôt occasion de signaler des rapports encore plus frappants entre les usages de ces peuples, descendants de Cham, et les traditions des Hébreux.

Les mariages dont il est parlé dans la Genèse prouvent toute la faveur que les Israélites accordaient à des unions entre personnes déjà liées par la parenté.
Nous avons à examiner quelles furent les règles établies par les lois de Moïse, non pour solenniser le mariage, - nous avons vu que c'était l'affaire de coutumes traditionnellement conservées dans les familles, - mais pour l'autoriser et le rendre valable devant Dieu et devant le peuple.

Déterminer le point où s'arrêtent les lois de la nature et où doivent commencer les lois civiles, fut, pour tous les législateurs, une question très délicate et très difficile.
Le principe qui doit dominer la prohibition des mariages entre parents, c'est, comme le dit, avec tant d'autorité et de raison, le judicieux auteur de l'Esprit des Lois, « la conservation de la pudeur naturelle dans la maison. » Le fils doit à sa mère un respect profond. Le père, chef de la famille, est le gardien des bonnes moeurs sous son toit ; il doit empêcher toute séduction entre les enfants, séduction horrible entre personnes qui sont élevées, depuis leur enfance, dans la même maison.

La loi de Moïse est exactement basée sur ces principes. Ses prescriptions, à cet égard, se trouvent mêlées à des commandements concernant la pureté de moeurs qu'il voulait faire régner en Israël.
Le chapitre XVIII du Lévitique règle les prohibitions d'union pour cause de parenté.
Il était défendu :

 1° Au fils de prendre sa mère ou la fille de son père ou la femme de son père ;
 2° Au frère de prendre sa soeur, fussent-ils de différents lits ;
 3° Au grand-père de prendre sa petite-fille ;
 4° Au fils de prendre la soeur de son père ou de sa mère ;
 5° Au neveu de prendre sa tante ;
 6° Au beau-père de prendre sa belle-fille.
 Il était aussi défendu de prendre une femme et sa fille, ou la fille de son fils ou de sa fille.

 Là s'arrêtaient les prohibitions de mariage pour cause de parenté.
Quelques auteurs ont prétendu que la prohibition s'étendait, chez les Israélites, au beau-frère et à la belle-soeur. Leur argumentation repose sur l'interprétation du verset 16e du chapitre XVIII au Lévitique, mais il s'agit dans ce verset de la femme du frère et non de la veuve. Le législateur sait bien distinguer entre ces deux expressions, et quand il veut parler de la veuve, il emploie bien le mot consacré par sa langue à cette désignation, ainsi, par exemple, au verset 14 du chap. XXI du même livre, ainsi, au chap. XXIV du Deutéronome, la veuve est parfaitement distinguée de la femme mariée.

Si une telle prohibition avait existé dans la loi ou dans les coutumes des Israélites, comment expliquerait-on l'obligation imposée au frère, dans le chap. XXV du Deutéronome, d'épouser la veuve de son frère ? Quel que fût le motif social qui dût favoriser cette union, si ce mariage eût été, au fond, une chose mauvaise, la loi de Moïse ne l'aurait pas prescrit et l'Évangile n'aurait pas pris texte de cette prescription de la loi de Moïse pour parler de l'état des êtres qui passent dans la vie des cieux.

L'explication que nous venons de donner de la prohibition portée au verset 16, chap. XVIII du Lévitique, trouve sa confirmation dans le verset 18 du même chapitre. Ici, l'argumentation n'est plus nécessaire. Si le verset 18 défend de prendre une femme avec sa soeur, il donne aussitôt le motif de la prohibition : c'est pour ne pas affliger la femme pendant sa vie. Qui pourrait douter qu'il ne s'agisse bien ici de la défense de prendre pour épouse la soeur de la femme pendant la vie de celle-ci, c'est-à-dire pendant que dure le mariage ?

Qu'on ne dise pas que cette explication ne saurait être admise parce que, dans ce cas, il aurait été permis à l'Israélite d'avoir deux femmes : nous répondrions que, si l'on ne trouve dans la loi de Moïse, aucune règle concernant la polygamie, il est certain cependant qu'elle était tolérée : « Quand un homme aura deux femmes, l'une aimée, l'autre haïe... » (Deut., XXI.)

Nous avons déjà cité Montesquieu ; qu'il nous soit encore permis d'invoquer cette autorité si puissante : « Il n'est point d'un usage nécessaire, dit-il (Esprit des Lois, livre XXVI, » chap. 14), que le beau-frère et la belle-soeur habitent dans la même maison. Le mariage n'est donc pas défendu entre eux pour conserver la pudicité dans la maison, et la loi qui le défend ou le permet n'est point la loi de la nature, mais une loi civile... Les lois de Moïse, ajoute-t-il, permettent le mariage entre le beau-frère et la belle-soeur... La nouvelle épouse devient la mère des enfants de la soeur et il n'y a point d'injuste marâtre. »

Pourquoi ne dirions-nous pas avec le savant Laromiguière : « Qu'on est heureux de trouver quelque rapport entre ses pensées et les pensées de Montesquieu ! » ?
Notre législation française a tantôt autorisé, tantôt prohibé le mariage entre beau-frère et belle-soeur. La loi du 20 septembre 1792, de même que la loi de Moïse, n'avait prohibé le mariage qu'entre les ascendants et les descendants et les alliés dans la même ligne, et entre le frère et la soeur. Elle ne défendait pas, comme la loi des Hébreux, l'union entre le neveu et la tante.

Le code Napoléon prohiba le mariage entre le beau-frère et la belle-soeur, la tante et le neveu, mais cette prohibition ne fut votée qu'après de longs débats. La section de législation, dit de Maleville, était elle-même partagée. (De Maleville, Analyse du code Napoléon, sur l'article 161 et les suivants.)
Cette disposition prohibitive, édictée dans le but d'éviter, dans le sein de la famille, de graves désordres, a été modifiée par le législateur moderne. La nouvelle loi autorise le mariage moyennant des dispenses.

Enfin nous trouvons, dans le chapitre VII du Deutéronome, la prohibition imposée à tout Israélite d'épouser une Cananéenne. Celte défense n'avait d'autre but que de conserver, chez les enfants d'Israël, la pureté de la foi et d'empêcher que ceux-ci ne se détournassent du culte du vrai Dieu.




IV.

DU DIVORCE.


 Le mariage ne formait pas, chez les Israélites, un lien indissoluble. L'autorité du mari était si grande, que, s'il découvrait en la femme qu'il avait prise quelque chose d'infâme, il pouvait, de sa propre volonté, la renvoyer de sa maison. Il suffisait pour cela qu'il lui mît dans la main la lettre de divorce. Nous devons à l'obligeance d'un honorable rabbin la communication de la formule de la lettre de divorce. Voici comment cette lettre était conçue :

« Aujourd'hui, mercredi, troisième jour du mois de Nissan, l'année cinq mille trois cent quarante, selon la création du monde, comme nous comptons ici, à... ville située près du fleuve... moi (nom et prénoms), domicilié à... ? je renvoie et je répudie, de mon propre gré et sans y être contraint par aucune violence, toi, ma femme (nom et prénoms) domiciliée à... qui as été légalement ma femme. Je te répudie de manière que tu auras la faculté de te remarier à qui bon te semblera et sans que personne puisse t'en empêcher depuis maintenant à jamais.
En foi de quoi, je te donne cette lettre de divorce selon la loi de Moïse et d'Israël. »

La femme, ainsi répudiée, pouvait contracter un second mariage, mais si son nouveau mari venait à la haïr et qu'il lui remît, lui aussi, la lettre de divorce, ou bien si le second mari décédait, le premier qui l'avait eue pour femme ne pouvait la reprendre.

L'article 295 du code Napoléon porte une disposition presque semblable : « Les époux qui divorceront pour quelque cause que ce soit, ne pourront plus se réunir. »

Les lois de Romulus qui font partie du code Papyrien, donnaient au mari une autorité plus grande encore : elles l'autorisaient à faire mourir sa femme après avoir pris l'avis de la famille, et cela pour cause d'adultère, pour tentative d'empoisonnement et même pour avoir bu du vin. Ces lois autorisaient le divorce. Le mari congédiait sa femme, lui rendait ce qu'elle avait apporté dans le ménage et reprenait les clés de la maison. La loi de Romulus n'accordait pas à la femme la faculté de répudier son mari. Elle était, en cela, conforme à la loi de Moïse.
Plus tard, après l'adoption des lois des Douze Tables, le droit de répudiation fut accordé à la femme comme au mari. Ces dispositions avaient été puisées dans les lois des Athéniens.

Le divorce, admis d'abord dans nos lois françaises, ne pouvait cependant avoir lieu par la volonté d'un seul. Il fallait un consentement mutuel ou des causes très graves que les tribunaux étaient chargés de constater et d'apprécier. La répudiation proprement dite, c'est-à-dire la faculté accordée à l'un des époux de rompre à son gré, le lien du mariage ne fut jamais adoptée par nos lois françaises.

Dans la discussion du projet de loi sur le divorce, lors de la rédaction de nos codes, plusieurs orateurs exprimèrent l'avis que le mariage ne fût résolu que pour cause d'adultère. Cette opinion, qui trouva de nombreux et éloquents défenseurs, n'était que la reproduction du précepte de Jésus-Christ rapporté par saint Matthieu (Chap. V, 31, 32). « Il a été dit : Si quelqu'un répudie sa femme, qu'il lui donne  la lettre de divorce, mais, moi, je vous dis que quiconque répudiera sa femme, si ce n'est pour cause d'adultère, il l'expose à devenir adultère, et que quiconque se mariera à la femme qui aura été répudiée, commettra un adultère. »

On s'est demandé si, par le mot répudiation, Jésus-Christ a entendu parler du divorce proprement dit, avec toutes ses conséquences, si, en un mot, il a entendu consacrer, dans le cas d'adultère, la résolution complète de l'union conjugale.
Jésus-Christ, dans les versets qui précèdent celui que nous citons, rappelle l'institution du mariage, son indissolubilité ; il défend de séparer ce que Dieu a joint. Les pharisiens lui opposent aussitôt la loi de Moïse, qui permet le divorce. - C'est à cause de la dureté de votre coeur, répond le Sauveur, que Moïse a autorisé la répudiation, mais, au commencement, il n'en était pas ainsi.

Au commencement, lorsque Dieu donna à l'homme une compagne, le péché n'existait pas dans le monde. C'est par suite de la corruption des moeurs que la rupture du lien conjugal pour cause d'adultère fut établie. Cette rupture peut être comparée, dit Thomas Scott, à l'amputation d'un membre gangrené. Le mariage est l'union intime de l'homme et de la femme ; ils ne font plus qu'une seule chair ; mais l'adultère attaque cette union dans son principe, dans son essence, dans son but : il rompt le mariage.

Jésus-Christ n'a-t-il pas consacré cette rupture dans le verset que nous examinons ? Il reconnaît l'indissolubilité du mariage, si ce n'est pour cause d'adultère : donc, selon le Sauveur, l'adultère, par exception à la règle générale, rompt le lien conjugal. Tout ce que dit le Maître dans cet enseignement nouveau sur la sainteté et l'indissolubilité du mariage, il le dit sauf le cas d'adultère.

On ne saurait voir dans cette solennelle déclaration un mode de séparation différent de celui consacré par la loi de Moïse, une sorte de rupture partielle ayant quelque analogie avec la séparation de corps de la loi française ; car, dans la loi de Moïse, les mots divorce et répudiation signifient une même chose. Le terme de répudiation est toujours employé dans ce sens dans la loi de Moïse et on le retrouve dans le modèle de lettre de divorce que nous avons textuellement rapporté plus haut.
L'indissolubilité du mariage, sauf le cas d'adultère, est donc formellement établie par Jésus-Christ ; mais le divorce, pour cette cause unique, est aussi positivement autorisé.

Ces paroles s'adressaient à un peuple élevé dans des principes tout différents. La femme n'était qu'un être bien inférieur à l'homme ; elle devait rester sous la domination de celui-ci. Ces graves enseignements ont cependant porté leurs fruits. La femme ne peut plus être répudiée selon le caprice du mari ; elle a pris chez nous, dans l'institution du mariage, la place que le Sauveur lui assigna il y a dix-huit siècles.




V.

DE LA PUISSANCE PATERNELLE.


 L'autorité paternelle, sagement réglée, est la base de l'ordre social. Si les enfants n'ont pas de respect pour leur père et leur mère, qui respecteront-ils ? S'ils ne leur sont pas soumis, à qui obéiront-ils plus tard ?

Tous les législateurs ont compris que cette partie de la constitution civile d'un peuple devait être soigneusement élaborée.
« La puissance paternelle (De Maleville, Analyse du code Napoléon, page 380) est dans la famille ce que le gouvernement est dans la société ; l'une gouverne par les moeurs et l'autre par les lois. Si le maintien de l'ordre social dépend de la force du gouvernement, le maintien de l'ordre domestique tient à l'efficacité de la puissance paternelle ; et, comme l'état n'est que la réunion des familles, il ne peut être heureux et tranquille qu'autant que les familles particulières le sont aussi, quod foris est regnum, id domi patria potestas. »

Le respect pour le père et la mère, l'autorité du père et de la mère sur leurs enfants sont prescrits, de la manière la plus formelle, dans la loi de Moïse.

L'Éternel Dieu, en faisant annoncer à son peuple ses commandements, accompagna d'une promesse le respect pour le père et la mère : « Honore ton père et ta mère, afin que tes jours soient prolongés dans le pays que l'Éternel ton Dieu te donne. »
Dans le chapitre XIX du Lévitique, la première prescription que Dieu fait donner à son peuple en l'invitant à se sanctifier, c'est de craindre chacun « sa mère et son père. »
Celui qui maudissait son père ou sa mère était puni de mort.

L'autorité paternelle n'allait pas cependant, comme chez d'autres peuples d'une antiquité moins reculée, jusqu'à donner au père et à la mère le droit de vie et de mort sur leurs enfants ; l'Israélite ne pouvait infliger à ses enfants d'autre peine corporelle qu'une simple correction.

La peine capitale ne pouvait être prononcée que par les anciens de la ville où résidaient le père et la mère.
Lorsque, après avoir châtié leur enfant, les parents le trouvaient encore rebelle et méchant, n'obéissant pas à la voix de son père ni à la voix de sa mère, ils avaient le droit de le conduire devant les anciens de la ville qui, après avoir entendu les plaintes du père et de la mère, faisaient lapider l'enfant pour ôter le méchant du milieu d'Israël, afin qu'Israël l'entende et qu'il craigne (Deut., XXI).

Ce n'était certes pas là, ainsi qu'on l'a voulu dire, le droit absolu de vie et de mort du père sur son enfant, droit qui, dans un moment de fureur, pourrait être si funeste à la famille. Pour faire prononcer contre un enfant méchant et rebelle la peine capitale, il fallait le conduire devant les anciens de la ville. Cela demandait du temps ; il fallait expliquer les motifs qui déterminaient les parents à provoquer une mesure aussi grave. Les anciens de la ville n'auraient-ils pas énergiquement blâmé un père et une mère qui, sans motifs assez sérieux, auraient osé réclamer publiquement contre leur enfant une peine capitale ?
Il y avait évidemment, dans cette sorte de procédure criminelle, des garanties pour l'enfant.

La loi romaine autorisa, pendant longtemps, le père à prononcer jugement contre son enfant. Les lois de Romulus donnaient au père de famille un pouvoir tel qu'il avait le droit de vendre ses enfants comme esclaves et de les faire mourir. Le fils qui avait battu son père ou l'un de ses parents, était voué aux dieux infernaux.
La loi 26 du Code Papyrien, ordonnait au père, lorsqu'il lui naissait un enfant difforme, de le tuer dès sa naissance.

Les Romains se félicitaient d'avoir, sur la puissance paternelle, des institutions qui dépassaient de beaucoup, en sévérité, les lois des autres peuples. « Nulli enim alii sunt homines, inquit imperator, qui talem in liberos habeant potestatem qualem nos habemus. »

Plus tard, il fallut, comme chez les Hébreux, recourir aux magistrats pour prononcer jugement contre l'enfant. C'était encore une simple formalité, car les magistrats étaient tenus de suivre la volonté du père. Cependant, en de telles circonstances, c'était quelque chose que d'avoir à remplir une formalité et d'observer forcément des délais. L'irritation pouvait se calmer, les magistrats pouvaient exercer une bonne influence sur la détermination du père de famille.
À la longue, le pouvoir du magistrat l'emporta sur celui du père ; celui-ci ne retint que le droit de châtier modérément son enfant. Le magistrat seul put prononcer des peines sévères contre les enfants.

Le premier article du titre de nos Codes qui se réfère à la puissance paternelle, résume parfaitement les commandements du Décalogue et du Lévitique : « L'enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère » (Art. 371 code Napoléon).

D'après nos lois françaises, le père a le droit de faire emprisonner, pendant un mois au plus, son fils âgé de moins de seize ans commencés. Il n'a qu'à s'adresser au magistrat qui doit, sur sa demande, délivrer l'ordre d'arrestation. Si l'enfant a plus de seize ans commencés, le magistrat peut refuser l'ordre d'arrestation lorsque les motifs allégués ne lui paraissent pas suffisants.
Ainsi, dans la loi romaine, dans nos lois françaises, comme dans la législation des Hébreux, c'est devant les juges qu'il faut venir avant d'infliger à l'enfant un grave châtiment.

La fille israélite qui, encore dans la maison de son père, prenait un engagement, faisait une promesse, était tenue de l'exécuter, à moins que le père, ayant entendu la promesse, ne la désavouât le jour même où il l'avait entendue.
Le père devait veiller sur la conduite de ses enfants. Il était marqué d'infamie s'il laissait déshonorer sa fille (Lévit., XIX).

Pendant que les enfants étaient dans la maison paternelle, ils ne possédaient rien en propre, tant était grande l'autorité du chef de la famille.
Nous n'avons pas, dès lors, à nous occuper des effets de la puissance paternelle quant aux biens : cette puissance était absolue et exclusive de toute espèce de droits de la part des enfants.

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