La législation des Israélites ne
permettait, il est vrai, de rapports avec
l'étranger, en pays étranger, que
sous des conditions fort onéreuses ;
mais, en revanche, elle était empreinte,
à l'égard de l'étranger qui
venait habiter au milieu du peuple hébreu,
d'un caractère de liberté,
d'humanité, qu'on chercherait vainement dans
les lois des autres nations.
Les peuples modernes parlent - sous plusieurs
rapports avec juste raison - de progrès, de
rapprochement des nationalités, et
cependant aucun n'a pu se
déterminer à adopter franchement
l'étranger et à lui donner les droits
dont jouissent les habitants du pays.
Le système de réciprocité qui
a prévalu dans nos lois françaises
est bien un progrès remarquable sur les
peuples de l'antiquité, pour lesquels
l'étranger était un barbare, un homme
à qui l'on ne devait ni respect, ni
protection ; mais il y a loin du principe qui
n'accorde à l'étranger, en France,
que ce qu'accorde au Français la nation
à laquelle appartient cet étranger,
au principe si large, si libéral,
écrit dans plusieurs livres de la loi des
Hébreux : « L'étranger
qui demeure avec
vous sera
comme
celui qui est né
parmi
vous et vous l'aimerez comme vous-même. »
- « Vous rendrez
à l'étranger la
même justice
qu'à
celui
qui est né au
pays. »
L'homme calcule, pèse, mûrit et
déduit avec soin ses raisons, prévoit
des obstacles et refoule souvent le premier
élan de son coeur de crainte de compromettre
la sécurité publique ou sa
sûreté personnelle. Il établit
ses lois d'après ces calculs et en vue de
ces appréhensions. L'inspiration divine
s'avance plus sûrement et d'une
manière plus hardie.
Les lois de Gratien, de Valentinien, de
Théodose prescrivent de prendre avec
finesse aux étrangers ce qu'ils
possèdent.
Les hommes pensaient, comme le dit Montesquieu,
« que les étrangers ne leur
étant unis par aucune communication du droit
civil, ils ne leur devaient, d'un
côté, aucune sorte de justice, et, de
l'autre, aucune sorte de
pitié. »
Suivant les anciennes ordonnances, les
étrangers ne pouvaient occuper, en France,
ni offices, ni bénéfices ; ils
ne pouvaient pas même être fermiers du
roi, de l'Église, ni exercer la banque. Un
étranger était également
incapable de recueillir aucune succession en France
et ne pouvait recevoir la moindre
libéralité, soit de parents
résidant en France, soit d'autres habitants.
Il ne pouvait pas disposer à cause de mort
et n'avait d'autre héritier que le roi. Ces
ordonnances avaient encore force obligatoire au
moment de la Révolution de 1789.
Notre législation moderne admit, pendant
quelque temps, l'étranger à jouir, en
France, des mêmes droits que le
Français et cela sans aucune condition de
réciprocité.
Ce principe fut savamment discuté par les
rédacteurs de nos Codes, la prudence humaine
fit adopter le système de
réciprocité.
« Il faut distinguer, disait l'un des
orateurs du tribunat au corps législatif, il
faut distinguer le cas où une nation
règle les
intérêts de ses
propres citoyens de celui où elle statue sur
ses rapports avec les nations
étrangères.
Quand elle s'occupe de ses propres citoyens, quand
elle travaille sur elle-même, elle peut, sans
péril, s'abandonner aux vues les plus
libérales. Plus elle élève
l'âme de ses citoyens, plus elle
s'élève elle-même ; tout
ce qu'elle fait pour les porter à la
grandeur et à la gloire, elle le fait pour
sa propre grandeur et pour sa propre gloire. Mais
quand elle règle ses rapports avec les
autres peuples, sa générosité
avec eux serait souvent ou danger pour
elle-même, ou injustice pour les habitants de
son territoire. »
De nombreux textes de la loi de Moïse se
référant aux étrangers
disposent que l'étranger, résidant au
milieu du peuple d'Israël, a droit à la
même justice et doit être
protégé par les mêmes lois que
l'Israélite. (Voyez notamment : Lévit.,
XIX, 33, 34 ; XXIV,
22.
-
Nomb., XV, 29.)
De nos jours, l'étranger jouit en France
« des mêmes droits civils que ceux
qui sont ou seront accordés aux
Français par les traités de la nation
à laquelle cet étranger
appartiendra. » (article 11 du code
Napoléon.)
Mais, en demandant l'autorisation d'établir
son domicile en France, il exerce tous les droits
civils tant qu'il continue d'y
résider.
S'il n'est pas autorisé à demeurer en
France, l'étranger ne peut pas plaider sans
donner caution ; il est inhabile à
succéder, à recevoir un legs,
à disposer, en un mot à user des
droits civils.
La situation de famille était
réglée, chez les Israélites,
avec un soin tout particulier.
Moïse et Aaron furent d'abord chargés
par l'Éternel de faire enregistrer tous les
enfants d'Israël. Pour cette opération,
ils s'adjoignirent un homme de chaque tribu. Toute l'assemblée
était
convoquée et on enregistrait chacun
selon sa famille, selon la maison de ses
pères, les comptant nom par nom, depuis l'âge de vingt
ans et au-dessus, chacun par tête.
La nation d'Israël s'était
entièrement renouvelée lorsqu'il fut
fait, par Moïse et Éléazar le
Sacrificateur, un nouveau dénombrement, aux
campagnes de Moab, près du Jourdain, vers
Jérico. Ce dernier enregistrement donna pour
résultat six cent un mille sept cent trente
hommes capables de porter les
armes et ayant part à la division des
terres.
Les lévites furent comptés depuis
l'âge d'un mois et au-dessus, mais ils ne
furent pas compris dans le dénombrement, car
ils ne devaient pas avoir d'héritage entre
les enfants d'Israël et ne devaient pas porter
les armes.
L'usage de ces dénombrements se retrouve
chez tous les peuples de l'antiquité. C'est
à un tel travail ordonné par
César-Auguste, avant la naissance du
Sauveur, que nous devons la preuve que
Jésus-Christ était de la maison et de
la famille de David
(Luc,
II).
C'était là l'état civil du
peuple d'Israël et cet état se gardait
précieusement dans les familles. Les
généalogies se conservaient avec soin
et se rappelaient dans les actes de la vie civile.
Au nom de chaque individu se rattachaient toujours
les noms de ses auteurs.
Ainsi que nous l'avons déjà dit, les
sacrificateurs étaient chargés de
faire le dénombrement avec un homme de
chaque tribu. Le sacrificateur n'entrait que pour
partie dans ce travail. Presque chez tous les
peuples, l'état civil a été
confié aux prêtres. Telle a
été notre législation
jusqu'à la loi du 28 pluviôse an VII
qui charge les maires et les adjoints de tenir les
registres de l'état civil.
On ne trouve dans la Bible l'indication
d'aucune
cérémonie ordonnée pour la
célébration du mariage. Cependant,
bien que la loi écrite ne prescrivît
aucune formalité, il existait certains
usages fidèlement observés dans les
familles pieuses. La Bible nous a conservé
quelques-unes de ces traditions.
Lorsque les parents de la fille donnaient leur
consentement à celui qui venait, au nom de
l'époux, proposer le mariage, il y avait, de
la part de l'époux, distribution de
présents ; on faisait de grandes
fêtes et de somptueux festins ; mais
tout cela se passait dans le sein de la
famille.
Raguël prit Sara par la main et la donna
à Tobie pour femme, en
disant : « Prends-la selon la loi
de Moïse. » Il prit des
tablettes, fit le contrat et le scella ; puis
on se mit à manger. Il y avait aussi des
voeux de la part des assistants pour la
prospérité du mariage, des
bénédictions prononcées sur
les époux par les parents, des actions de
grâces à l'Éternel.
« Le Dieu miséricordieux vous
fasse prospérer en tout
bien ! »
Dans tous les pays et dans tous les temps, on a
fait intervenir la religion dans les mariages. Elle
vient légitimer, sous de certaines
conditions de moralité, l'union de l'homme
et de la femme et lui ôter tout
caractère d'impureté.
La loi civile, vient, à son tour,
sanctionner cette union, la régler, en
déterminer les effets et quant aux
époux eux-mêmes et quant à la
famille qu'ils sont appelés à former
et à diriger.
Chez les Étrusques, chez les anciens
Romains, le mariage civil se faisait moyennant un
prix payé par l'époux aux parents de
l'épouse. Les Hébreux appelaient ce
don, ce prix, mohar, mot qui a beaucoup
d'analogie avec le mot bohari, employé par certaines
peuplades du sud
de l'Afrique pour désigner les dons
livrés aux parents de l'épouse. Nous
aurons bientôt occasion de signaler des
rapports encore plus frappants entre les usages de
ces peuples, descendants de Cham, et les traditions
des Hébreux.
Les mariages dont il est parlé dans la
Genèse prouvent toute la faveur que les
Israélites accordaient à des unions
entre personnes déjà liées par
la parenté.
Nous avons à examiner quelles furent les
règles établies par les lois de
Moïse, non pour solenniser le mariage, - nous
avons vu que c'était l'affaire de coutumes
traditionnellement conservées dans les
familles, - mais pour l'autoriser et le rendre
valable devant Dieu et devant le peuple.
Déterminer le point où
s'arrêtent les lois de la nature et où
doivent commencer les lois civiles, fut, pour tous
les législateurs, une question très
délicate et très difficile.
Le principe qui doit dominer la prohibition des
mariages entre parents, c'est, comme le dit, avec
tant d'autorité et de raison, le judicieux
auteur de l'Esprit des Lois,
« la conservation de la pudeur
naturelle dans la maison. » Le fils
doit à sa mère un respect profond. Le
père, chef de la famille, est le gardien des
bonnes moeurs sous son toit ; il doit
empêcher toute séduction entre les
enfants, séduction horrible entre personnes
qui sont élevées, depuis leur
enfance, dans la même maison.
La loi de Moïse est exactement basée
sur ces principes. Ses prescriptions, à cet
égard, se trouvent
mêlées à des commandements
concernant la pureté de moeurs qu'il voulait
faire régner en Israël.
Le chapitre
XVIII du Lévitique
règle les prohibitions d'union pour cause de
parenté.
Il était défendu :
1° Au fils de prendre sa mère ou la fille de son père ou la femme de son père ;
2° Au frère de prendre sa soeur, fussent-ils de différents lits ;
3° Au grand-père de prendre sa petite-fille ;
4° Au fils de prendre la soeur de son père ou de sa mère ;
5° Au neveu de prendre sa tante ;
6° Au beau-père de prendre sa belle-fille.
Il était aussi défendu de prendre une femme et sa fille, ou la fille de son fils ou de sa fille.
Là s'arrêtaient les prohibitions de
mariage pour cause de parenté.
Quelques auteurs ont prétendu que la
prohibition s'étendait, chez les
Israélites, au beau-frère et à
la belle-soeur. Leur argumentation repose sur
l'interprétation du verset
16e du chapitre XVIII au
Lévitique, mais il s'agit dans ce verset
de la femme du frère et non de la
veuve. Le législateur sait bien distinguer
entre ces deux expressions, et quand il veut parler
de la veuve, il emploie bien le
mot consacré par sa langue
à cette désignation, ainsi, par
exemple, au verset
14 du chap. XXI du même
livre, ainsi, au chap.
XXIV du Deutéronome, la
veuve est parfaitement distinguée de la
femme mariée.
Si une telle prohibition avait existé dans
la loi ou dans les coutumes des Israélites,
comment expliquerait-on l'obligation imposée
au frère, dans le chap.
XXV du Deutéronome,
d'épouser la veuve de son
frère ? Quel que fût le motif
social qui dût favoriser cette union, si ce
mariage eût été, au fond, une
chose mauvaise, la loi de Moïse ne l'aurait
pas prescrit et l'Évangile n'aurait pas pris
texte de cette prescription de la loi de Moïse
pour parler de l'état des êtres qui
passent dans la vie des cieux.
L'explication que nous venons de donner de la
prohibition portée
au
verset 16, chap. XVIII du
Lévitique, trouve sa confirmation dans
le verset
18 du même chapitre.
Ici, l'argumentation n'est plus nécessaire.
Si le verset 18 défend de prendre une femme avec sa soeur,
il
donne
aussitôt le motif de la prohibition :
c'est pour ne pas affliger la femme pendant sa
vie. Qui pourrait douter qu'il ne s'agisse bien
ici de la défense de prendre pour
épouse la soeur de la femme pendant la vie
de celle-ci, c'est-à-dire pendant que dure
le mariage ?
Qu'on ne dise pas que cette explication ne saurait
être admise parce que, dans ce cas, il aurait
été permis à
l'Israélite d'avoir deux femmes : nous
répondrions que, si l'on ne trouve dans la
loi de Moïse, aucune règle concernant
la polygamie, il est certain cependant qu'elle
était tolérée :
« Quand un homme
aura deux femmes, l'une aimée, l'autre
haïe... »
(Deut.,
XXI.)
Nous avons déjà cité
Montesquieu ; qu'il nous soit encore permis
d'invoquer cette autorité si
puissante : « Il n'est point d'un
usage nécessaire, dit-il (Esprit des
Lois, livre XXVI, » chap. 14), que le
beau-frère et la belle-soeur habitent dans
la même maison. Le mariage n'est donc pas
défendu entre eux pour conserver la
pudicité dans la maison, et la loi qui le
défend ou le permet n'est point la loi de la
nature, mais une loi civile... Les lois de
Moïse, ajoute-t-il, permettent le
mariage entre le beau-frère et la
belle-soeur... La nouvelle épouse
devient la mère des enfants de la soeur et
il n'y a point d'injuste
marâtre. »
Pourquoi ne dirions-nous pas avec le savant
Laromiguière : « Qu'on est
heureux de trouver quelque rapport entre ses
pensées et les pensées de
Montesquieu ! » ?
Notre législation française a
tantôt autorisé, tantôt
prohibé le mariage entre beau-frère
et belle-soeur. La loi du 20
septembre 1792, de même que la loi de
Moïse, n'avait prohibé le mariage
qu'entre les ascendants et les descendants et les
alliés dans la même ligne, et entre le
frère et la soeur. Elle ne défendait
pas, comme la loi des Hébreux, l'union entre
le neveu et la tante.
Le code Napoléon prohiba le mariage entre le
beau-frère et la belle-soeur, la tante et le
neveu, mais cette prohibition ne fut votée
qu'après de longs débats. La section
de législation, dit de Maleville,
était elle-même partagée. (De
Maleville, Analyse du code Napoléon, sur l'article 161 et les
suivants.)
Cette disposition prohibitive,
édictée dans le but d'éviter,
dans le sein de la famille, de graves
désordres, a été
modifiée par le législateur moderne.
La nouvelle loi autorise le mariage moyennant des
dispenses.
Enfin nous trouvons, dans le chapitre
VII du Deutéronome,
la prohibition imposée à tout
Israélite d'épouser une
Cananéenne. Celte défense n'avait
d'autre but que de conserver, chez les enfants
d'Israël, la pureté de la foi et
d'empêcher que ceux-ci ne se
détournassent du culte du vrai
Dieu.
Le mariage ne formait pas, chez les
Israélites, un lien indissoluble.
L'autorité du mari était si grande,
que, s'il découvrait en la femme qu'il avait
prise quelque chose d'infâme, il pouvait, de
sa propre volonté, la renvoyer de sa maison.
Il suffisait pour cela qu'il lui mît dans la
main la lettre de divorce. Nous devons
à l'obligeance d'un honorable rabbin la
communication de la formule de la lettre de
divorce. Voici comment cette lettre était
conçue :
« Aujourd'hui, mercredi, troisième
jour du mois de Nissan, l'année cinq mille
trois cent quarante, selon la création du
monde, comme nous comptons ici, à... ville
située près du fleuve... moi
(nom et prénoms), domicilié
à... ? je renvoie et
je répudie, de mon propre gré et sans
y être contraint par aucune violence, toi, ma
femme (nom et prénoms) domiciliée
à... qui as été
légalement ma femme. Je te répudie de
manière que tu auras la faculté de te
remarier à qui bon te semblera et sans que
personne puisse t'en empêcher depuis
maintenant à jamais.
En foi de quoi, je te donne cette lettre de divorce
selon la loi de Moïse et
d'Israël. »
La femme, ainsi répudiée, pouvait
contracter un second mariage, mais si son nouveau
mari venait à la haïr et qu'il lui
remît, lui aussi, la lettre de divorce, ou
bien si le second mari décédait, le
premier qui l'avait eue pour femme ne pouvait la
reprendre.
L'article 295 du code Napoléon porte une
disposition presque semblable :
« Les époux qui divorceront pour
quelque cause que ce soit, ne pourront plus se
réunir. »
Les lois de Romulus qui font partie du code
Papyrien, donnaient au mari une autorité
plus grande encore : elles l'autorisaient
à faire mourir sa femme après avoir
pris l'avis de la famille, et cela pour cause
d'adultère, pour tentative d'empoisonnement
et même pour avoir bu du vin. Ces lois
autorisaient le divorce. Le mari congédiait
sa femme, lui rendait ce qu'elle
avait apporté dans le ménage et
reprenait les clés de la maison. La loi de
Romulus n'accordait pas à la femme la
faculté de répudier son mari. Elle
était, en cela, conforme à la loi de
Moïse.
Plus tard, après l'adoption des lois des
Douze Tables, le droit de répudiation fut
accordé à la femme comme au mari. Ces
dispositions avaient été
puisées dans les lois des
Athéniens.
Le divorce, admis d'abord dans nos lois
françaises, ne pouvait cependant avoir lieu
par la volonté d'un seul. Il fallait un
consentement mutuel ou des causes très
graves que les tribunaux étaient
chargés de constater et d'apprécier.
La répudiation proprement dite,
c'est-à-dire la faculté
accordée à l'un des époux de
rompre à son gré, le lien du mariage
ne fut jamais adoptée par nos lois
françaises.
Dans la discussion du projet de loi sur le divorce,
lors de la rédaction de nos codes, plusieurs
orateurs exprimèrent l'avis que le mariage
ne fût résolu que pour cause
d'adultère. Cette opinion, qui trouva de
nombreux et éloquents défenseurs,
n'était que la reproduction du
précepte de Jésus-Christ
rapporté par saint Matthieu
(Chap.
V, 31, 32). « Il a été dit :
Si quelqu'un répudie sa femme, qu'il lui
donne la lettre de divorce, mais, moi, je
vous dis que quiconque
répudiera sa femme, si
ce n'est pour
cause d'adultère, il
l'expose
à devenir adultère, et que quiconque
se mariera à la femme qui aura
été répudiée, commettra
un adultère. »
On s'est demandé si, par le mot répudiation, Jésus-Christ a
entendu parler du divorce proprement dit, avec
toutes ses conséquences, si, en un mot, il a
entendu consacrer, dans le cas d'adultère,
la résolution complète de l'union
conjugale.
Jésus-Christ, dans les versets qui
précèdent celui que nous citons,
rappelle l'institution du mariage, son
indissolubilité ; il défend de
séparer ce que Dieu a joint. Les pharisiens
lui opposent aussitôt la loi de Moïse,
qui permet le divorce. - C'est à cause de la
dureté de votre coeur, répond le
Sauveur, que Moïse a autorisé la répudiation, mais, au
commencement,
il n'en était pas ainsi.
Au commencement, lorsque Dieu donna à
l'homme une compagne, le péché
n'existait pas dans le monde. C'est par suite de la
corruption des moeurs que la rupture du lien
conjugal pour cause d'adultère fut
établie. Cette rupture peut être
comparée, dit Thomas Scott, à
l'amputation d'un membre gangrené. Le
mariage est l'union intime de l'homme et de
la femme ; ils ne font
plus qu'une seule chair ; mais
l'adultère attaque cette union dans son
principe, dans son essence, dans son but : il
rompt le mariage.
Jésus-Christ n'a-t-il pas consacré
cette rupture dans le verset que nous
examinons ? Il reconnaît
l'indissolubilité du mariage, si ce n'est
pour cause d'adultère : donc, selon
le Sauveur, l'adultère, par exception
à la règle générale,
rompt le lien conjugal. Tout ce que dit le
Maître dans cet enseignement nouveau sur la
sainteté et l'indissolubilité du
mariage, il le dit sauf le cas
d'adultère.
On ne saurait voir dans cette solennelle
déclaration un mode de séparation
différent de celui consacré par la
loi de Moïse, une sorte de rupture partielle
ayant quelque analogie avec la séparation de
corps de la loi française ; car, dans
la loi de Moïse, les mots divorce et répudiation signifient
une même
chose. Le terme de répudiation est
toujours employé dans ce sens dans la loi de
Moïse et on le retrouve dans le modèle
de lettre de divorce que nous avons textuellement
rapporté plus haut.
L'indissolubilité du mariage, sauf le cas
d'adultère, est donc formellement
établie par Jésus-Christ ; mais
le divorce, pour cette cause unique, est aussi
positivement autorisé.
Ces paroles s'adressaient à un peuple
élevé dans des principes tout
différents. La femme n'était qu'un
être bien inférieur à
l'homme ; elle devait rester sous la
domination de celui-ci. Ces graves enseignements
ont cependant porté leurs fruits. La femme
ne peut plus être répudiée
selon le caprice du mari ; elle a pris chez
nous, dans l'institution du mariage, la place que
le Sauveur lui assigna il y a dix-huit
siècles.
L'autorité paternelle, sagement
réglée, est la base de l'ordre
social. Si les enfants n'ont pas de respect pour
leur père et leur mère, qui
respecteront-ils ? S'ils ne leur sont pas
soumis, à qui obéiront-ils plus
tard ?
Tous les législateurs ont compris que cette
partie de la constitution civile d'un peuple devait
être soigneusement
élaborée.
« La puissance paternelle (De Maleville, Analyse du code
Napoléon, page 380)
est dans la famille ce que le gouvernement est dans
la société ; l'une gouverne par
les moeurs et l'autre par les lois. Si le maintien
de l'ordre social dépend de la force du
gouvernement, le maintien de l'ordre domestique
tient à
l'efficacité de la puissance
paternelle ; et, comme l'état n'est que
la réunion des familles, il ne peut
être heureux et tranquille qu'autant que les
familles particulières le sont aussi, quod foris est regnum, id
domi patria
potestas. »
Le respect pour le père et la mère,
l'autorité du père et de la
mère sur leurs enfants sont prescrits, de la
manière la plus formelle, dans la loi de
Moïse.
L'Éternel Dieu, en faisant annoncer à
son peuple ses commandements, accompagna d'une
promesse le respect pour le père et la
mère : « Honore ton
père et ta mère, afin que tes jours
soient prolongés dans le pays que
l'Éternel ton Dieu te donne. »
Dans le chapitre
XIX du Lévitique, la
première prescription que Dieu fait donner
à son peuple en l'invitant à se
sanctifier, c'est de craindre chacun « sa mère et son
père. »
Celui qui maudissait son père ou sa
mère était puni de mort.
L'autorité paternelle n'allait pas
cependant, comme chez d'autres peuples d'une
antiquité moins reculée,
jusqu'à donner au père et à la
mère le droit de vie et de mort sur leurs
enfants ; l'Israélite ne pouvait
infliger à ses enfants d'autre peine
corporelle qu'une simple
correction.
La peine capitale ne pouvait être
prononcée que par les anciens de la ville
où résidaient le père et la
mère.
Lorsque, après avoir châtié
leur enfant, les parents le trouvaient encore rebelle et méchant,
n'obéissant
pas à la voix de son père ni à
la voix de sa mère, ils avaient le droit
de le conduire devant les anciens de la ville qui,
après avoir entendu les plaintes du
père et de la mère, faisaient lapider
l'enfant pour ôter le méchant du
milieu d'Israël, afin qu'Israël l'entende
et qu'il craigne (Deut.,
XXI).
Ce n'était certes pas là, ainsi qu'on
l'a voulu dire, le droit absolu de vie et de mort
du père sur son enfant, droit qui, dans un
moment de fureur, pourrait être si funeste
à la famille. Pour faire prononcer contre un
enfant méchant et rebelle la
peine capitale, il fallait le conduire devant les
anciens de la ville. Cela demandait du temps ;
il fallait expliquer les motifs qui
déterminaient les parents à provoquer
une mesure aussi grave. Les anciens de la ville
n'auraient-ils pas énergiquement
blâmé un père et une
mère qui, sans motifs assez sérieux,
auraient osé réclamer publiquement
contre leur enfant une peine capitale ?
Il y avait évidemment, dans cette sorte de
procédure criminelle, des garanties pour
l'enfant.
La loi romaine autorisa, pendant longtemps, le
père à prononcer jugement contre son
enfant. Les lois de Romulus donnaient au
père de famille un pouvoir tel qu'il avait
le droit de vendre ses enfants comme esclaves et de
les faire mourir. Le fils qui avait battu son
père ou l'un de ses parents, était
voué aux dieux infernaux.
La loi 26 du Code Papyrien, ordonnait au
père, lorsqu'il lui naissait un enfant
difforme, de le tuer dès sa naissance.
Les Romains se félicitaient d'avoir, sur la
puissance paternelle, des institutions qui
dépassaient de beaucoup, en
sévérité, les lois des autres
peuples. « Nulli enim alii sunt homines,
inquit imperator, qui talem in liberos habeant
potestatem qualem nos habemus. »
Plus tard, il fallut, comme chez les
Hébreux, recourir aux magistrats pour
prononcer jugement contre l'enfant. C'était
encore une simple formalité, car les
magistrats étaient tenus de suivre la
volonté du père. Cependant, en de
telles circonstances, c'était quelque chose
que d'avoir à remplir une formalité
et d'observer forcément des délais.
L'irritation pouvait se calmer, les magistrats
pouvaient exercer une bonne influence sur la
détermination du père de famille.
À la longue, le pouvoir du magistrat
l'emporta sur celui du père ; celui-ci
ne retint que le droit de
châtier modérément son enfant.
Le magistrat seul put prononcer des peines
sévères contre les enfants.
Le premier article du titre de nos Codes qui se
réfère à la puissance
paternelle, résume parfaitement les
commandements du Décalogue et du
Lévitique : « L'enfant,
à tout âge, doit honneur et respect à ses père et
mère » (Art. 371 code
Napoléon).
D'après nos lois françaises, le
père a le droit de faire emprisonner,
pendant un mois au plus, son fils âgé
de moins de seize ans commencés. Il n'a
qu'à s'adresser au magistrat qui doit, sur sa demande,
délivrer l'ordre
d'arrestation. Si l'enfant a plus de seize ans
commencés, le magistrat peut refuser l'ordre
d'arrestation lorsque les motifs
allégués ne lui paraissent pas
suffisants.
Ainsi, dans la loi romaine, dans nos lois
françaises, comme dans la législation
des Hébreux, c'est devant les juges qu'il
faut venir avant d'infliger à l'enfant un
grave châtiment.
La fille israélite qui, encore dans la
maison de son père, prenait un engagement,
faisait une promesse, était tenue de
l'exécuter, à moins que le
père, ayant entendu la promesse, ne la
désavouât le jour même où
il l'avait entendue.
Le père devait veiller sur la conduite de
ses enfants. Il était marqué
d'infamie s'il laissait déshonorer sa fille
(Lévit.,
XIX).
Pendant que les enfants étaient dans la
maison paternelle, ils ne possédaient rien
en propre, tant était grande
l'autorité du chef de la famille.
Nous n'avons pas, dès lors, à nous
occuper des effets de la puissance paternelle quant
aux biens : cette puissance était
absolue et exclusive de toute espèce de
droits de la part des enfants.
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