Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

II.

IDÉES GÉNÉRALES SUR LA TRANSMISSION DES LOIS MOSAÏQUES AUX PEUPLES DE L'ANTIQUITÉ - PLAN DE CETTE ÉTUDE.

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 Dépositaire d'un code de loi précieux, la nation juive l'a communiqué, malgré elle, malgré sa sainte jalousie, par la force des événements auxquels elle a pris part, à divers peuples de l'antiquité.

Faisons nos réserves d'abord. Nous ne voulons pas dire que toutes les lois anciennes dérivent nécessairement de la loi mosaïque : cette opinion serait insoutenable. Les rapports qui s'établissent entre les sociétés ou entre les individus varient essentiellement suivant le caractère, le climat et une foule de circonstances dont il faut tenir compte. Ce qui convenait aux Israélites pouvait et devait ne pas convenir, en tout, aux autres peuples. En pareille matière, il ne faut pas se créer d'avance un système auquel on ramène forcément toutes ses recherches. Nous nous rappellerons, dans cette étude, ces mots de l'un de nos littérateurs et de nos philosophes chrétiens les plus distingués : « Rien n'est terrible comme un système : il trouble la vue et passe gaiement au-dessus des faits. C'est un merveilleux magicien et le plus grand créateur de chimères qui soit au monde. »

Nous voulons examiner avec attention, coordonner, rapprocher les diverses dispositions qui peuvent présenter des analogies. La parenté doit ressortir d'elle-même d'un pareil travail quand il est fait consciencieusement.

Les Israélites, tantôt vainqueurs, tantôt vaincus et emmenés en captivité, puis rétablis dans le pays de leurs pères, eurent occasion de faire connaître leurs lois et leurs traditions.

Dix siècles se placent entre Moïse ou la loi écrite, et la rédaction des Douze Tables de la loi romaine, et, dans ces mille années, que de luttes, que d'événements mettent les Hébreux en communication avec d'autres peuples !
À l'époque de la fondation de Rome, les rois d'Assyrie connaissaient déjà le chemin de la terre sainte. Babylone menaçait de devenir maîtresse de toute la terre. Les Juifs, dispersés parmi les peuples païens, erraient de lieu en lieu, emportant, avec eux, comme le plus précieux souvenir de la patrie, leurs lois et leurs traditions.

Daniel et ses illustres compagnons étonnent, par leur sagesse et leur haute intelligence, le roi de Babylone.
Les puissants monarques de l'Orient étendaient au loin leur domination. De toutes les parties du monde alors connu, les philosophes et les sages se recommandaient à eux et recherchaient leur protection. N'est-il pas permis de croire que les vertus austères et la science des jeunes Israélites, qui eurent bientôt gagné l'affection de ceux qui les tenaient en captivité, firent aussi l'admiration des sages et des philosophes du paganisme ?

Nous voyons, l'an 281 de Rome, ce même Artaxercès Longue-Main qui permit aux Israélites de rebâtir Jérusalem, entrer en relation avec le Grec Thémistocle. Artaxercès avait étudié les lois de Moïse et en avait apprécié les sages dispositions lorsqu'il commanda au sacrificateur Esdras d'ordonner des magistrats et des juges selon la sagesse de son Dieu, pour qu'ils fissent justice à tous ceux qui connaissent les lois de Dieu et pour qu'on les enseignât à celui qui ne les savait pas.

« Soit que les colonies juives eussent été conduites, en vertu des lois de la guerre, dans les États des conquérants de la Palestine, dit M. le docteur Karl Hase dans son histoire de l'Église (traduction de M. A. Flobert), ou que bon nombre de Juifs se fussent expatriés pour les besoins du commerce, à l'époque de Jésus, des corporations juives, ayant des destinées très diverses, étaient dispersées par tout l'empire romain. Avec l'esprit subtil et l'infatigable activité de leur peuple, elles avaient acquis, par le commerce, la richesse, et, par la richesse, l'indépendance et des privilèges. Elles vivaient selon les lois de leurs pères et vénéraient dans la hiérarchie de Jérusalem leur suprême autorité. »

Les fêtes de Jérusalem attiraient les étrangers de toutes nations. Toutes les grandes idées qui se rattachaient au monothéisme, toutes les découvertes que les philosophes de la Grèce communiquaient au monde intelligent avaient cours dans la capitale de la Judée et se discutaient publiquement au milieu de ces assemblées de gens de toutes nations qui soient sous le soleil.

Lorsque, renonçant à tous les avantages que lui assurait sa naissance, Lycurgue quitta sa patrie et entreprit de longs voyages pour rapporter à Sparte les lois des nations civilisées, il visita l'Égypte, où les Israélites avaient laissé des traditions, l'Île de Crète, où, suivant Terrasson (Histoire de la Jurisprudence romaine), « les gouverneurs du peuple avaient institué des lois empruntées, en partie, aux Hébreux. »

Zoroastre, dont les lois furent suivies chez les Perses pendant plus de onze cents ans, était, de l'avis de plusieurs historiens, disciple de Daniel, auprès duquel il s'instruisit parfaitement des lois judaïques. (Voyez encore Terrasson, Histoire de la Jurisprudence romaine, page 14, édition de 1750.)

L'Égypte, plusieurs cités grecques, une partie considérable de l'Asie Mineure, connurent les usages et les lois des Hébreux et purent leur emprunter ce qui ne contrariait pas trop ouvertement les idées païennes, tout ce qui ne se rattachait pas trop directement aux idées monothéistes et au système théocratique du peuple juif.
Les Israélites, au contraire, n'empruntèrent rien aux lois et aux usages des autres peuples. Ils gardent toujours leurs lois intactes ; on les voit rétablir leurs autels, renouer le fil de la tradition interrompue, dès qu'il leur est permis de rentrer dans leur patrie. Sur la terre étrangère même, les colonies juives vivaient suivant la loi de leurs pères. Elles forment aujourd'hui encore, partout où la chose leur est possible, une communauté à part. Il y a dans cet amour des Israélites pour leurs lois, poussé quelquefois jusqu'au fanatisme, une indication manifeste de la volonté de Dieu.

Lorsque le judaïsme se trouva sérieusement en contact avec la Rome païenne, le vieux culte des idoles avait perdu toute influence morale. La religion païenne était insuffisante, les philosophes s'en moquaient ouvertement et les prêtres eux-mêmes ne pouvaient plus sérieusement célébrer le culte. À toutes les divinités que l'homme s'était imposées et dont il reconnaissait l'impuissance, le judaïsme opposait un Dieu unique, vivant, personnel, un Dieu qui a dit que la terre soit ! et la terre fut.
À la vieille mythologie pleine d'anecdotes et d'allusions, quelquefois fines et délicates, mais sans force morale, sans puissance régénératrice, le Juif opposait sa grande loi écrite, les sublimes enseignements du mosaïsme.

L'origine des lois romaines n'est plus sérieusement contestée. On s'accorde généralement à reconnaître que, vers l'an 300 de Rome, des députés furent envoyés dans les principales villes de la Grèce pour y recueillir les lois qui régissaient ces peuples. Dix magistrats, decem viri, reçurent la mission de colliger ces lois et de les rapporter à Rome.
Les principes fondamentaux de la législation mosaïque avaient été divisés en dix ordonnances ; ceux de la législation romaine furent rédigés en dix tables. Deux autres tables furent ajoutées plus tard, lorsque le pouvoir des décemvirs eut été prorogé.
Dans ce qui nous a été conservé des dix premières tables des lois romaines, comme dans les dix commandements de la loi des Hébreux, on trouve comme base des institutions sociales :

 1° L'autorité paternelle et le respect dont cette autorité doit être entourée ;
 2° La pureté des moeurs ;
 3° Le respect pour la personne et pour la propriété d'autrui ;
 4° La sincérité dans le témoignage.

 Le respect et l'amour pour l'Éternel Dieu, commandés au peuple d'Israël par les dix commandements, ont, dans la loi des Douze Tables, leurs prescriptions correspondantes dans le respect et l'amour pour la patrie, amour et respect dont la violation doit entraîner les plus grandes peines.

Chez les Israélites, l'État, le gouvernement, c'est Dieu ; dans la Grèce, à Rome, c'est cette puissance morale à laquelle le citoyen doit tout son dévouement, la chose publique.

Les Israélites devaient s'appliquer, dès leurs jeunes années, à l'étude de la loi de Dieu. « Tu les inculqueras à tes enfants et tu en parleras dans ta maison » (Deut., VI, 7).
Les premiers législateurs de Rome prescrivirent ce commandement. Le savant Heinneccius, s'appuyant sur des auteurs anciens très estimés, enseigne que l'étude de la loi des douze Tables fut longtemps ordonnée à la jeunesse de Rome : « pueris ediscendae erant hae tabulae. »

Dirait-on que ce sont des emprunts faits par le législateur des Hébreux aux législations étrangères ? L'histoire de Moïse et de son peuple repousse cette opinion, qui a d'ailleurs contre elle le sentiment de tous les savants. On interrogeait un docte rabbin sur le moment où il convenait d'enseigner aux enfants la sagesse grecque : « à l'heure qui n'est ni le jour ni la nuit, répondit-il, parce qu'il est dit de la loi : » tu l'étudieras jour et nuit. »

Les dix commandements de la loi de Dieu étaient le sommaire de toutes les lois du peuple d'Israël. Les dix tables ou les douze tables furent considérées par les jurisconsultes romains comme le sommaire et la source du droit public et privé : « hae sunt illae tabulae fons wiiversi, publici, privatique juris. »

Après l'introduction du christianisme dans l'empire romain et par suite de l'influence qu'exercèrent les évêques, les lois de Moïse furent souvent consultées. Les empêchements en matière de mariage, respectés par les Israélites furent reconnus par la loi romaine et étendus même jusqu'à la parenté spirituelle.

Émanant de Dieu même, les lois du peuple d'Israël devaient régler les rapports existant entre le peuple et son libérateur, entre le peuple hébreu et les nations voisines, enfin les rapports des Israélites entre eux.

L'Éternel Dieu était à la base de ces institutions. L'exhortation à suivre fidèlement les ordonnances de l'Éternel revient à chaque page des livres de Moïse ; et partout on trouve, mêlées aux prescriptions qui se rapportent aux devoirs sociaux, les règles et les ordonnances du service divin.

En s'appropriant quelques-unes des lois de Moïse, les peuples de l'antiquité, adonnés à l'idolâtrie, ont dû les dégager de tous les préceptes religieux qui forment la substance première, l'élément principal de la législation hébraïque. Selon Plutarque, les premières lois de Rome portèrent cependant quelque chose de ces prescriptions : notamment la défense de faire des images de la Divinité. Nous reviendrons sur cet intéressant sujet.

Il n'entre pas dans notre plan de parler des prescriptions cérémonielles commandées au peuple d'Israël. Les cérémonies consistaient principalement en des purifications et des sacrifices se rattachant à l'idée du péché. Des fêtes nombreuses étaient destinées à rappeler au peuple élu ses devoirs de reconnaissance envers l'Éternel.

Notre étude aura pour objet : le Décalogue ou les dix commandements, véritable charte du peuple d'Israël, base de toutes les lois mosaïques ; la conduite des Israélites à l'égard des nations voisines et des étrangers ; le droit civil et le droit pénal du peuple hébreu.

Le droit des gens résulte de l'histoire du peuple juif bien plus que de ses institutions écrites. Il est simple, parce que les rapports des Israélites comme nation, avec les autres peuples, loin d'être encouragés et déterminés, étaient prohibés par la loi.

Le droit civil se trouve mêlé et confondu, dans les lois de Moïse, avec les prescriptions relatives au culte. Pour rechercher ce droit, la méthode qui nous paraît la plus simple consiste à suivre, comme l'ont fait les lois de la Grèce, les lois romaines et les lois modernes, les différents rapports de l'homme avec ses semblables, les différentes phases de l'état de société : le mariage, le divorce, la puissance paternelle, la possession, les droits héréditaires, etc.

Les lois pénales chez les Hébreux se classent facilement en trois grandes divisions :

 1° la faute sans intention ;
 2° le simple délit, appelé, dans notre droit pénal moderne, la contravention ;
 3° les crimes emportant une peine corporelle ou une peine grave.

 On arrive ainsi à une sorte de codification qui permet de mieux apprécier, dans leur ensemble, les lois d'Israël, et de mieux saisir les rapports ou les différences qu'elles présentent avec les lois des autres peuples.

Si la littérature hébraïque a fourni à de grands poètes leurs plus sublimes inspirations, si l'on retrouve dans les chefs-d'oeuvre de notre littérature, les suaves mélodies de la harpe de David, pourquoi ce fond de grandeur morale, de justice, de dignité humaine, de compassion envers les déshérités de ce monde, qui se détache si sublime et si vrai des lois de Moïse, n'aurait-il pas exercé une grande influence sur la législation et les moeurs des principaux peuples qui ont passé sur la scène de la vie après le grand législateur des Hébreux ?




III.

LE DÉCALOGUE OU LES DIX COMMANDEMENTS.


 Le premier monument de législation bien ordonnée que nous trouvions dans l'histoire des anciens peuples, est, sans contredit, le Décalogue ou les dix Commandements. Son antiquité ne fait plus l'objet d'un doute, la grandeur et la sagesse de ses prescriptions ne se démontrent pas, il suffit de le lire. Un auteur non suspect d'exaltation religieuse, M. Proudhon, appelle le Décalogue la Genèse admirable des phénomènes moraux, l'échelle des devoirs et des crimes, fondée sur une analyse savante et merveilleusement développée.

Rapprochez de chaque loi du Décalogue les crimes et les délits, les vertus et les devoirs qui s'y rapportent, et vous serez forcé de vous écrier avec le même auteur : « Quel magnifique symbole ! Cherchez dans tous les devoirs de l'homme et du citoyen quelque chose qui ne se ramène point à cela, vous ne le trouverez pas. »

En lisant avec attention le Décalogue, on voit en effet se dérouler, sous ses préceptes clairs et concis, les éléments de la législation la plus complète. Tous les grands principes sont posés avec une sagesse, une grandeur et aussi, comme les oeuvres de Dieu, avec une simplicité qui commandent l'admiration et le respect.

Moïse affirme qu'il a reçu cette loi de Dieu. La critique moderne qui tient essentiellement à ce que l'homme se doive tout à lui-même, conteste à Moïse cette affirmation et croit en démontrer la fausseté par une contradiction qu'elle trouve dans les déclarations de la Bible.
Le livre de l'Exode dit, au chapitre XXIV, verset 12, que les Tables du Décalogue ont été écrites par Dieu ; et au chapitre XXXIV, verset 27, que Moïse a écrit les Tables de la Loi sous la dictée de l'Éternel. Voilà l'argument dans toute sa force, voilà ce qui prouve, on ne peut plus logiquement, que le Décalogue n'est pas l'oeuvre de Dieu.

Cette contradiction existe-t-elle réellement ? Sera-t-on fondé à contester à un auteur la propriété de son oeuvre parce qu'il aura dit quelque part qu'il l'a dictée ? Que le législateur dise qu'il a écrit telle loi ou qu'il l'a dictée, n'est-ce pas toujours à lui qu'en reviendra le mérite ? Qui pourrait donc voir sérieusement une contradiction dans des expressions qui disent, au fond, la même chose ?

Dans toutes les langues, le mot écriture signifie très souvent la composition même. Les critiques modernes qui soutiennent que les livres de la Bible ont été composés, revus et corrigés à diverses époques, doivent supposer bien peu d'intelligence aux correcteurs si, dans la même partie du livre, ils ont laissé passer une contradiction qu'il était si facile de faire disparaître. Sur un point aussi essentiel, ils auraient employé les mêmes expressions s'ils n'avaient pas vu, comme nous voyons nous-mêmes, sous ces deux manières de s'exprimer, un même sens, un même fait.
Cette considération prend encore plus d'importance si l'on veut bien remarquer que, dans le verset 27 du chapitre XXXIV, l'Éternel dit à Moïse : « Écris ces paroles. » Et dans le verset suivant : « L'Éternel écrivit sur les Tables les paroles de l'Alliance, c'est-à-dire les dix paroles. »

L'auteur de l'Exode aurait-il contredit, au verset 28 ce qu'il venait de dire au verset 27 ?
Évidemment, ces deux versets expriment le même fait, la même pensée, l'institution de la Loi par Dieu lui-même.
Ce n'est pas que nous voulions rabaisser le mérite de la critique. Nous nous empressons de reconnaître qu'elle a rendu de grands services à la foi religieuse aussi bien qu'à la science. Ses investigations ont dégagé plusieurs points de doctrine d'une foule d'arguments qui, auparavant, dans le siècle précédent et au commencement du nôtre, avaient cours jusque parmi les savants. Nous devons lui savoir gré de ces travaux, même quand, dominée par des préoccupations qui tiennent souvent à la direction donnée à l'intelligence dans les études premières, à la prépondérance qu'on laisse prendre à la raison sur toutes les autres facultés dont le Créateur nous a honorés, elle ne sait pas voir Dieu au milieu des insondables difficultés que présente la métaphysique, comme il faut nécessairement le voir à travers les mystères qu'on rencontre, à chaque pas, dans l'étude des phénomènes de la nature.

La critique moderne s'accorde cependant à reconnaître comme principe fondamental de la législation mosaïque, l'idée de Dieu formulée par Moïse d'une manière plus spiritualiste et plus complète qu'elle ne l'était dans les temps antérieurs à la loi écrite. Le législateur des Hébreux donne un nouveau nom au Créateur et ce nom emporte avec lui une sublime révélation. Le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, Elohim, est bien le même que celui de Moïse, Jéhovah, et par là le mosaïsme se rattache directement à l'ancien monothéisme hébraïque ; mais Elohim désignait aussi souvent l'autorité, les rois, les princes. Elohim se montre lui-même dans les temps antérieurs à Moïse ; il se montre à Adam, à Abraham, aux anciens patriarches, Jéhovah ne se montre jamais à l'homme sous une forme sensible, aucun homme ne peut voir la face de l'Éternel. Celui qui est ne peut être représenté par aucun être qui naît et qui meurt, car il est l'existence même, aussi le nom de l'Éternel lui est-il exclusivement réservé.

Cette grande conception de la Divinité appartient au mosaïsme : c'est un pas immense vers le spiritualisme dont Jésus-Christ viendra plus tard poser les larges assises. Jéhovah, voilà le principe et la base de la législation mosaïque, comme du gouvernement politique du peuple d'Israël.

Un récent ouvrage de M. le professeur Michel Nicolas, remarquable autant par la franchise de la discussion que par les savantes recherches dont il donne les résultats, met en lumière ces traits caractéristiques de la législation de Moïse. Tout, en effet, dans cette législation, se rattache à l'Être, à Jéhovah, Jahveh, le Ens.
« La notion de Dieu, dit M. Nicolas, dans son Examen critique de la Bible (Ancien Testament, page » 145), la notion de Dieu exprimée dans le mot Jéhovah, offre une originalité évidente ; elle se produit, pour ainsi dire, d'un seul coup, armée de toutes pièces, et au même moment suivie de toutes les conséquences qu'elle comporte. Quand elle se présente pour la première fois dans la famille d'Israël, elle est déjà la base solide d'une législation qui s'appuie tout entière sur elle. »

On a voulu trouver dans les lois ou dans les religions de l'Égypte et de la Phénicie cette belle définition de l'Être éternel qui est, en réalité, la base du Décalogue comme de toute la loi mosaïque : « Je suis Celui qui suis. »
Dans un temple de Sais, ville de la basse Égypte, existait, disent quelques auteurs, une inscription ainsi conçue : « Je suis ce qui a été, ce qui est et ce qui sera. Nul mortel n'a levé jusqu'ici le voile qui me couvre. »
Rien n'est plus contestable que cette prétendue découverte. Platon, qui connaissait bien l'Égypte et les Égyptiens, n'en dit rien ; il est certes loin de supposer à ce peuple un spiritualisme aussi élevé, car il ne lui croit d'aptitude que pour les intérêts de la vie matérielle. Plutarque est le premier qui parle de cette inscription ; Proclus en parle ensuite, mais, comme le fait remarquer M. Nicolas, dans une savante discussion pleine d'intérêt, de Plutarque à Proclus l'inscription a changé de place et a varié dans les termes. Proclus y ajoute ces mots : « Le fruit que j'ai enfanté a été le soleil. » Cette phrase, dit le savant professeur de Montauban, est telle qu'aurait pu le désirer le néoplatonisme dans l'intérêt de ses théories sur la mythologie.
D'après Plutarque, l'inscription était gravée sur le frontispice du temple ; Proclus affirme qu'elle était dans l'intérieur de l'édifice et qu'elle formait l'un des ornements du sanctuaire.
On peut varier sur des interprétations, mais quand il s'agit d'un fait et qu'il est rapporté de deux manières si différentes, il est prudent de ne pas y ajouter grande confiance.

Ce qui nous a été conservé des monuments et des traditions des Égyptiens ne nous permet pas de supposer à ce peuple une tendance spiritualiste. Tout, au contraire, chez eux, se rapporte aux intérêts matériels. Platon ne vante pas les Égyptiens sous le rapport de leur intelligence et de leur savoir, et il nous paraît bon juge en cette matière.

Les Hébreux ont eu de fréquents rapports avec les Phéniciens, mais faudrait-il en conclure qu'ils ont emprunté à la Phénicie l'idée de l'Être éternel, de Jéhovah ? Les Phéniciens représentaient la Divinité sous diverses formes ; les Israélites, attachés à la loi de Moïse, ne pouvaient représenter Dieu sous une forme quelconque.
« Le mot Jahveh, dit M. Nicolas, paraît d'ailleurs inconnu à la langue phénicienne ; on ne l'a trouvé sur aucun monument. Les noms phéniciens des dieux rappellent, comme ceux de l'élohisme, la force, la puissance, l'élévation de la Divinité ; ils ne dérivent pas de l'idée de son existence nécessaire. »
En Égypte, en Phénicie, en Grèce, partout, l'idée de la Divinité différait essentiellement de la conception mosaïque de Jéhovah : Celui qui est.

Plusieurs peuples de l'antiquité attribuaient à la Divinité des passions grossières qui plaçaient les dieux au-dessous du niveau moral du peuple. Quelle influence ces idées pouvaient-elles avoir sur les lois ?

Le Décalogue reste donc une oeuvre à part, une oeuvre grande et magnifique, un sommaire admirable d'où sortiront, à mesure que le peuple d'Israël se développera, des lois pleines de douceur, d'humanité, des lois telles qu'on chercherait en vain, parmi les autres peuples d'une antiquité reculée, un code aussi parfait.

La critique moderne accepte, en général, cette affirmation. Comme science positive, elle ne va pas plus loin, et il est évident qu'on ne peut pas l'exiger d'elle. C'est déjà une grande victoire qu'elle a remporté, à force de labeurs et d'études, sur l'esprit profondément sceptique du dernier siècle. Elle s'accorde à reconnaître que c'est Moïse ou de grandes individualités travaillant avec lui à constituer le peuple d'Israël qui ont donné le Décalogue.

Nous croyons qu'il faut faire un pas de plus, même en ne consultant que la raison. N'est-on pas naturellement porté à se demander où ces grandes individualités ont puisé les éléments de ces prescriptions si sages et si parfaites ? Il est impossible de ne pas voir, à la simple lecture du Décalogue, qu'il est l'oeuvre d'un seul auteur, qu'une même pensée a présidé à sa constitution. Même esprit, même but, même rédaction.

D'où vient, au milieu de la profonde idolâtrie qui régnait alors sur toute la terre, cette voix annonçant à un peuple encore enfant le Dieu vivant, le Dieu esprit et vie, le Dieu qui ne peut souffrir aucune souillure, le Dieu qui relève si noblement l'homme en le plaçant sous sa suprême direction et lui demandant, avant tout, son coeur : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur »
Le Dieu plein de miséricorde pour ceux qui l'invoquent, le Dieu qui dresse si admirablement la table des devoirs de l'homme envers son Dieu, envers sa famille, envers son prochain, envers lui-même ? L'homme aurait-il pu créer ainsi, de toutes pièces, un code à la fois aussi simple et aussi complet ? Ne serait-ce pas la voix de l'Éternel ?

Nous l'avons déjà dit, avec les autorités les plus compétentes et les mieux autorisées, on ne trouve, avant Moïse, ni dans les lois, ni dans les coutumes des anciens peuples, rien qui ressemble aux dix Commandements, rien qui prépare aussi sûrement le coeur humain pour l'accomplissement de ses devoirs.
Moïse n'hésite pas à nous dire que Dieu lui-même est l'auteur du Décalogue et, parce qu'on ne voit plus l'action directe, immédiate, de la Providence sur nos institutions, on accuse Moïse de mensonge.

Lorsque, à plus de cent lieues de la mer, nous rencontrons des montagnes de coquillages marins, nous ne pouvons pas contester le fait, mais si nous voulions déterminer ce qui a dû se passer dans les premiers âges du monde par ce que nous voyons s'accomplir tous les jours sous nos yeux, comment expliquerions-nous l'amoncellement de ces mollusques à une aussi grande distance de l'Océan ?
La science observe, constate, compare, mais a-t-elle jamais donné une explication suffisante et sans conteste des faits de ce genre ? Lorsqu'elle se trouve en présence de ces phénomènes qui portent encore l'empreinte de révolutions extraordinaires, elle doit bien reconnaître son impuissance pour en déterminer les causes d'après les données de l'expérience et de la raison de l'homme, d'après les faits que nous voyons s'accomplir régulièrement sous nos yeux.

Ne faisons pas comme ce roi de Siam dont Laromiguière, dans ses savantes leçons de philosophie, nous rapporte l'amusante colère. Il s'entretenait avec un Hollandais sur les merveilles des Pays-Bas, ce dernier s'avisa de dire qu'il y avait une saison de l'année où les habitants de ce pays marchaient sur l'eau à pied sec. « Je n'aime pas les imposteurs, s'écria le roi de Siam, qui n'avait jamais vu l'eau que dans un état de fluidité ; c'en est assez, retirez-vous ! »

En résumé, Moïse, toute la Bible affirment que l'Éternel Dieu a donné lui-même aux Israélites les lois qui ont régi ce peuple durant un si grand nombre de siècles, nous ne pouvons découvrir aucune autre origine à cette grande législation, il n'est pas juste, il n'est pas logique d'accuser de mensonge les assertions de ce livre que nous sommes d'ailleurs forcés d'admirer.




IV.

QUELQUES MOTS SUR LE DROIT DES GENS DES ISRAÉLITES.


 Le droit des gens des Israélites fut appliqué par le législateur lui-même, qui donnait ainsi à son peuple le meilleur des préceptes, l'exemple.
Avant de mettre le pied sur le territoire du roi d'Edom, Moïse envoya vers lui des ambassadeurs chargés de raconter les malheurs du peuple d'Israël dans le pays d'Égypte et la délivrance miraculeuse que l'Éternel, le Dieu d'Israël, avait accordée au peuple élu.

Moïse ne veut pas, en présence d'un roi idolâtre, cacher sa foi ; il n'use pas de ces ménagements, de cette réserve que la prudence humaine appelle sagesse, qu'elle conseille trop souvent, mais qu'une conscience droite et sévère désapprouve. Il attribue à l'Éternel, son

Dieu, la grande délivrance du peuple hébreu. Au nom de ce Dieu, auquel il rend hommage et qui est la base et le couronnement de toute la loi mosaïque, le chef du peuple d'Israël demande au roi de passer dans le pays d'Edom.
Les ambassadeurs sont chargés de déclarer que le peuple, dans sa marche, ne s'écartera pas du droit chemin, que les champs et les puits des Édomites seront scrupuleusement respectés, que le peuple d'Israël paiera exactement tout ce qu'il lui sera nécessaire de se procurer pendant son trajet sur ce territoire.
Le roi d'Edom ne permit pas le passage : il craignit d'attirer sur lui la colère des Égyptiens ; le peuple d'Israël se détourna de ce pays.

Arrivé dans la vallée de Moab, au sommet de Pisga, Moïse envoie aussi des ambassadeurs au roi des Amorrhéens pour lui demander le passage sur ses terres. Cette demande est faite aussi avec la promesse de respecter les possessions du roi Sihon. « Tu me feras distribuer des vivres pour de l'argent ; tu me donneras de l'eau pour de l'argent, afin que je boive ; permets seulement que je passe » (Deut., II, 28). Du reste, Moïse déclare que sa troupe suivra le grand chemin, sans se détourner.
Le roi ne se contente pas de refuser le passage sur son territoire, il marche contre les Israélites.
Cette entreprise offensive fut punie : Sinon fut battu et son royaume tomba au pouvoir des Israélites.
Nous pourrions citer plusieurs autres faits de ce genre témoignant du respect qu'avait le législateur des Hébreux pour les possessions des peuples voisins.

Le peuple d'Israël ne devait pas commencer les hostilités sans avoir épuisé les moyens pacifiques. Si ses propositions conciliantes n'étaient pas acceptées, il devait combattre sans crainte, quel que fût le nombre des ennemis.

Si le droit des gens des Hébreux ne nous a pas été conservé comme institution écrite, on peut cependant le trouver dans les faits, dans la conduite des conducteurs du peuple à l'égard des autres nations. Ces faits, cette conduite constituent un usage, une jurisprudence équivalant à la loi écrite.
Nous verrons, en examinant les lois civiles de Moïse, que, si le législateur eut pour principe d'éviter, autant que possible, des rapports entre l'étranger, en pays étranger, et l'Israélite, il voulut aussi que l'étranger, établi au milieu du peuple hébreu, y fût traité avec les plus grands égards, y jouit des mêmes droits et de la même protection que l'Israélite lui-même.

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