Les longs ouvrages me font peur, a
dit le
bon Lafontaine. L'étude des lois de
Moïse aurait fourni la matière d'un long ouvrage, et nous
n'offrons au public
qu'une faible ébauche qui ne sera sans doute
signalée que par ses lacunes et ses nombreux
défauts. Quelques-uns y trouveront trop de
détails ; d'autres, au contraire, nous
reprocheront d'avoir légèrement
traité un aussi important sujet.
« Entre ces deux excès la route
est difficile. »
Si le plan que nous nous sommes tracé
pouvait attirer l'attention d'hommes plus
autorisés que nous et les
engager à reprendre cette étude, nous
accueillerions avec reconnaissance leur critique,
nous saurions respecter ce que nos maîtres
ont toujours respecté : reprehensionem doctorum atque
prudentium, tout en nous félicitant d'avoir
indiqué une mine abondante, jusqu'ici trop
négligée.
« O
Éternel ! j'ai vu un bout dans toutes
les choses les plus parfaites, mais ton
commandement est d'une très grande
étendue »
(Ps.
CXIX).
Tous les peuples de l'antiquité ont fait
remonter l'origine des lois à une
intelligence plus élevée que celle de
l'homme. Le plus illustre des orateurs romains
attribue l'origine des lois à la
Divinité. Cette opinion s'est maintenue
jusqu'à nos jours.
Domat, le célèbre auteur des lois
civiles, celui dont le chancelier d'Aguesseau a
dit que personne n'a mieux approfondi le
véritable principe de la
législation, Domat trouve toujours Dieu
à la base des grandes institutions
sociales.
Le savant Toullier, qui a été,
à juste titre, appelé le Pothier
moderne, rapporte à Dieu les
prescriptions d'où sont
dérivées les lois :
« C'est, dit-il, un de ces dogmes dont
l'importance a été sentie par tous
les législateurs tant anciens que modernes,
et par tous les vrais philosophes. »
Le Dieu créateur de l'univers, qui a
posé les lois fondamentales qui
régissent la matière, a aussi - tous
les jurisconsultes instruits et profonds le
reconnaissent - posé les principes
constitutifs de toute société
humaine.
Mais comment Dieu s'est-il fait connaître
à l'homme ?
Comment lui a-t-il révélé ces
principes fondamentaux de toute
législation ?
Est-ce par une sorte d'intuition, au moyen de cette
raison et de cette conscience dont il l'a
doué ?
Est-ce au moyen d'une révélation
directe et positive ?
En dehors de la Bible, les monuments manquent
absolument pour déterminer l'origine des
lois. Si l'on veut consulter les historiens
profanes, on ne trouve, avant la réunion des
Israélites en corps de nation, que nuages,
qu'incertitude. La guerre, la chasse, la
satisfaction des premiers désirs de la
nature humaine, un culte grossier déifiant
la matière et les animaux
à cause de l'utilité que l'homme en
retire, voilà tout ce qui semble occuper les
premières sociétés.
Les lois des Égyptiens sont très peu
connues. On comprend, dans une certaine mesure, ces
paroles de découragement
échappées à un historien,
à la suite de longues et infructueuses
études sur les moeurs et les lois des
Égyptiens : « Comment le
publiciste ne jette-t-il pas aux flammes
l'écrit où il expose des conjectures
sur un peuple dont l'origine et les
révolutions ne peuvent être
fixées même par les monuments qu'il a
élevés ! »
La Bible dit que Dieu se fit entendre
lui-même à Moïse, qu'il lui dicta
les lois destinées à régir le
peuple élu, que le fondement de ces lois,
les principes premiers de la législation
hébraïque furent tracés sur des
tables de marbre, au sommet du Sinaï.
Ces lois existent : leur respectable
antiquité n'est plus aujourd'hui
contestée. Où Moïse aurait-il
donc puisé ces prescriptions dont nous
aurons à faire remarquer l'admirable
sagesse ?
S'il ne les a pas reçues de Celui qui est la
sagesse éternelle, il est encore plus
difficile de croire qu'il ait, à cette
époque d'ignorance et de
préjugés de toutes sortes,
composé, tout d'une pièce, un corps
de lois si beau, si parfait, si peu en harmonie
avec les idées
grossières que l'homme se faisait de Dieu,
de la justice, de ses devoirs envers son semblable,
même dans des âges moins reculés
que les temps de Moïse.
Pour ôter à la Bible son cachet divin,
on a dit que Moïse avait emprunté aux
Égyptiens les institutions dont il dota son
peuple. Cette thèse s'appuie principalement
sur ce qu'il est dit dans la Bible que Moïse était instruit dans
la science
des Égyptiens. Et d'abord est-il bien
logique et de bonne discussion d'invoquer le
témoignage de la Bible pour le repousser
ensuite lorsqu'il déclare que Moïse
reçut de Dieu lui-même les lois du
peuple d'Israël ?
Ce système commode s'est étrangement
vulgarisé de nos jours ; mais, parce
qu'il est employé par beaucoup d'adversaires
de la divinité des Livres saints,
gardons-nous d'en conclure qu'il soit acceptable.
Si le législateur des Hébreux avait
puisé dans les lois égyptiennes les
prescriptions qu'il a données à son
peuple, on devrait constater des analogies. Sur
quels monuments, sur quels livres des
Égyptiens trouve-t-on quelque chose qui
ressemble aux principes fondamentaux des lois de
Moïse ? N'est-il pas, au contraire,
très facile de constater des
différences radicales entre ce que nous
connaissons des institutions de l'Égypte et
des institutions, des
Hébreux ?
Ce que l'on sait des lois égyptiennes, c'est
qu'elles faisaient incessamment appel à
l'orgueil humain. Les rois eux-mêmes
étaient placés sous l'empire de ce
mobile. Être privé ou être
honoré d'une glorieuse sépulture
était la punition ou la récompense
réservée à tous.
Les lois mosaïques mettent sans cesse l'homme
en présence de sa conscience et d'un Dieu
unique, sans emprunter jamais aucun
élément humain.
Les prêtres égyptiens étaient
investis d'une imposante autorité. Pour
augmenter leur influence, la loi leur accordait de
grands biens ; ils possédaient,
à eux seuls, le tiers des terres.
Les sacrificateurs et les lévites
d'Israël devaient s'occuper exclusivement de
la célébration des
cérémonies du culte. Ils ne devaient
intervenir dans les rapports des Israélites
entre eux que dans des cas exceptionnels, lorsque
survenaient des contestations très
difficiles ; ils étaient appelés
alors à aider le juge dans
l'appréciation des points de fait. Ils ne
devaient avoir aucune part dans les biens
distribués au peuple hébreu.
En Égypte, des lois sensuelles s'adressaient
aux instincts grossiers de l'homme naturel,
imposant à son adoration des figures et des
animaux.
Dans les institutions du peuple hébreu,
toute souillure est un crime
horrible, l'idolâtrie est
sévèrement condamnée ;
Dieu seul, un Dieu unique, personnel, Celui qui
est, doit être adoré.
Chez les Égyptiens, si nous en croyons le
savant auteur de l'Esprit des Lois, les
femmes étaient maîtresses dans la
maison, ce qui paraît à Montesquieu
une institution contre la raison et contre la
nature.
La loi de Moïse, tout en laissant à la
femme la place que lui avaient faite les moeurs
patriarcales, instituait, comme chef de la maison,
le père de famille.
Si l'on en excepte quelques règles de peu
d'importance se rapportant aux détails
journaliers de la vie matérielle, quelques
prescriptions sur l'hygiène, tout cela se
rattachant à des habitudes
contractées en Égypte et qui
pouvaient parfaitement convenir au peuple
hébreu dans son long voyage vers la terre de
Canaan, aucune des principales institutions de
l'Égypte n'a trouvé place dans la loi
mosaïque.
On chercherait vainement ailleurs des analogies. La
loi de Moïse restera toujours une oeuvre sans
précédent ; plus elle sera
étudiée, plus elle remplira
d'admiration et de respect ceux qui en
rechercheront les grandes lignes et les riches
détails.
« La loi par laquelle ce peuple est
gouverné, dit Pascal, en parlant du peuple
d'Israël, est tout ensemble
la plus ancienne loi du monde, la plus parfaite et
la seule qui ait toujours été
gardée sans interruption dans un
État. C'est ce que Philon, juif, montre en
divers lieux, et Josèphe admirablement,
contre Appion, où il fait voir qu'elle est
si ancienne que le nom même de loi n'a
été connu des plus anciens que plus
de mille ans après ; en sorte
qu'Homère, qui a parlé de tant de
peuples, ne s'en est jamais servi. »
« Je ne trouve aucun sujet de douter de
la vérité du livre qui contient
toutes ces choses, dit encore Pascal, car il y a
bien de la différence entre un livre que
fait un particulier et qu'il jette parmi le peuple,
et un livre qui fait lui-même un
peuple. »
Cette dernière observation est frappante de
vérité. La loi de Moïse a fait
le peuple d'Israël ; il s'est tellement
identifié avec elle qu'il a toujours
gardé avec amour, dans sa mauvaise comme
dans sa bonne fortune, dans ses jours d'affreux
revers comme dans ses jours de gloire, les livres
de la loi.
Les Égyptiens, même à
l'époque où écrivait Tacite,
nous sont représentés comme un peuple
changeant et superstitieux, ne respectant ni
magistrats, ni lois, superstitione ac lascivia
discordent et mobilem, insciam legum, ignaram
magistratuum.
Où l'Israélite avait-il donc
puisé ce respect pour la loi ? Ce n'est
pas que le législateur eût
cherché à flatter son peuple. Les
livres de la loi rappelaient, à chaque page,
à l'Israélite, son ingratitude ;
ils lui prédisaient sa dispersion au milieu
des Gentils ; ils lui annonçaient
l'événement qui devait le plus
irriter la nation élue : c'est que
Dieu, à cause de l'incrédulité
d'Israël, appellera son peuple celui qui
n'était point son peuple.
Ce grand amour d'Israël pour sa loi, cette
fidélité à la conserver,
à la remettre en honneur toutes les fois
qu'il échappe à la
persécution, toutes les fois qu'il revient
de l'exil, ont, il faut le reconnaître,
quelque chose de surnaturel qui n'a pas d'exemple
dans l'histoire du monde. Il y a là le
doigt de Dieu.
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