Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XII

Fin du séjour à la ferme.

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Encore des malades. Antong. Une maison aristocratique. Grandes bénédictions.

 Dimanche 20 mai.

JE suis seule dans une petite chaumière chinoise, soignant une chère malade nommée Chang-nai-nai. Un petit Chinois (tout à fait comique, cela va sans dire) arrive de la cuisine qui est de l'autre côté de la cour; il est armé de baguettes et porte son dîner dans un grand bocal. Il s'assied tout près de moi sur la grande pierre qui sert à moudre le blé, et maniant habilement ses instruments, il fait rapidement disparaître les longs rubans de macaroni dont il a fait provision.

Ma patiente est sa grand'mère, et c'est l'une des trois seules chrétiennes du grand district dans lequel je me trouve maintenant. Chère femme! quoique âgée de plus de soixante-dix ans, elle a été baptisée à Tsing-kiang-pu, il y a quelques semaines, après avoir fait profession de sa foi en Jésus-Christ. Elle est toute rayonnante et heureuse dans le Seigneur; je viens de lui demander s'il ne lui tardait pas de le voir et elle m'a répondu vivement : « Si di, si di, » - oui, oui!

Je crains qu'elle ne soit très malade. Elle a une fièvre ardente, elle est très faible et souffre de vertiges. Son pouls marque plus de 140 pulsations par minute et sa température dépasse 40° centigrades. Je ne sais trop ce qu'elle a; tout ce que je puis faire, c'est de lui donner de l'aconit, de prier pour elle et d'attendre. Je suis restée avec elle toute la matinée, depuis le moment où son fils est venu me chercher.

La maison est bien sale, et si obscure ! La seule petite fenêtre que nous avons ne mesure pas plus de quinze centimètres de chaque côté. Heureusement qu'elle se trouve juste au-dessus du lit de la chère Chang-nai-nai, de sorte qu'un peu d'air arrive jusqu'à elle de temps en temps. Sur une table boiteuse près de moi se trouve ma petite pharmacie, un peu de lait condensé, de l'extrait de viande, une éponge, un essuie-mains, quelques parfums, tout autant de merveilles pour ceux qui viennent voir ma chère malade. Sa belle-fille, la mère du petit vorace, revient de la cuisine. Elle est très occupée à retourner et à nourrir ses vers à soie qui rampent et se tordent dans des paniers situés dans un des coins de la chambre. Le mari, Chang-sing-sing, est allé chez nous assister au culte du dimanche matin. C'est réjouissant de penser qu'il y a enfin un service divin dans cette contrée. Une fois ou deux quelques-unes de nos soeurs ont passé ici quelques jours et depuis lors il se trouve trois ou quatre chrétiens disséminés dans le district. Par la bonté du Seigneur nous avons maintenant une jolie salle de réunion qui est un centre pour ces personnes et pour tous ceux qui s'intéressent à l'Évangile. C'est aujourd'hui le premier dimanche que nous nous en servons. Nous espérons continuer les réunions aussi longtemps que nous serons à la ferme et nous avons la confiance qu'à notre départ la petite église sera suffisamment établie pour les continuer régulièrement sans nous.

 Vendredi matin, 7 h. 30 ; 22 Mai.

Nous voici encore auprès du lit de notre chère Chang-nai-nai ; elle s'en va paisiblement, dans quelques heures elle sera dans la gloire, en présence du Roi. Quinze ou vingt personnes remplissent la maison et parlent à haute voix sans jamais s'arrêter un moment. Nous sommes obligées de n'intervenir que le moins possible, mais la conduite de ces païens est vraiment pénible auprès de ce lit de mort chrétien. Ils envisagent la mort avec tant de légèreté ! riant sans aucune retenue pour la moindre bagatelle ; à notre demande ils viennent enfin de cesser leur conversation sur les vêtements que devra porter la défunte dans son cercueil. Le monde s'entasse de plus en plus dans la maison, et les voici maintenant qui se mettent à fumer, les femmes aussi bien que les hommes. Oh ! comme ils sont loin de se douter de l'aurore glorieuse qui va poindre pour notre chère soeur ! Elle a été une chrétienne rayonnante de bonheur et de joie pendant six mois. Nous chantons doucement la traduction chinoise du cantique : « Prends-moi tel que je suis, » et elle murmure faiblement : « Je le remercie pour sa grâce. »

Même Jour, 1 h. après-midi.

Chang-nai-nai décline rapidement, elle est presque sans connaissance. Nous l'avons arrangée aussi confortablement que nous avons pu ; et quand elle nous reconnaît et qu'elle peut parler ou sourire, elle se montre des plus reconnaissantes. Je viens de lui lire 1 Cor. XV au milieu de son étrange entourage. Oh ! si je pouvais vous dire tout ce que je ressens ! Cette petite chaumière de boue est une misérable butte ne contenant qu'une pièce partagée en deux par une natte d'herbes sèches, le sol est tout en fondrières, les murs tombent en ruines ; et le pauvre Chang et sa mère qui sont les seuls chrétiens de la localité sont maintenant, en face de la mort, en butte aux reproches et aux sarcasmes de toute leur parenté. « Maintenant que tu es si pauvre, dit-on à Chang, il te faut tirer en bas ta baraque et tu feras un cercueil à ta mère avec les poutres du toit. »


ANTONG

 2 Juin.

Nous revenons d'Antong, la « Hien » (1) cité de la contrée où nous sommes, ville entourée de hautes murailles, place fort importante qui est le centre de toutes les villes et de tous les villages du district, aussi avions-nous le plus grand désir d'y pénétrer.

Aucun missionnaire, ni étranger n'avait encore, que nous sachions, été vu dans cette ville, sauf M. Copp de notre institut de Harley House ; il y vint comme agent de la Société biblique et y passa une nuit il y a quatre ans. À plus forte raison, aucune dame étrangère n'avait-elle jamais été vue à l'intérieur des hautes murailles, et l'on pouvait craindre au sujet de la réception qu'on ferait à celles qui s'y aventureraient pour la première fois. Cependant nous sentions que nous devions y aller, car nous croyons que le Seigneur veut y faire pénétrer l'Évangile ; aussi, après avoir bien réfléchi et prié spécialement à ce sujet, nous avons commandé les brouettes pour hier, nous arrangeant pour partir immédiatement après la grande chaleur.

La plus grande difficulté était que nous ne pouvions pas revenir le même jour et qu'il nous fallait trouver un logis pour la nuit. Nous ne connaissions personne à Antong ; et même en admettant qu'on nous reçût dans une auberge, ce qui n'était nullement certain, serait-ce un endroit sûr et convenable pour des femmes jeunes, inexpérimentées, et sans autre escorte (visible) que notre garçon chinois San-sa ? Mais, comme vous pensez bien, nous ne nous arrêtâmes pas à cette difficulté et ne fîmes aucun projet.

Notre bonne hôtesse, Shen-nai-nai, nous dit ensuite qu'il y avait à Antong une auberge où des femmes pouvaient loger en toute sécurité ; c'était une bonne nouvelle, et quand, au dernier moment, Chang-sien-seng s'offrit pour nous accompagner, nous eûmes le sentiment que tout allait pour le mieux et nous partîmes pleines de courage.

Mais comment vous dire la chaleur suffocante de cette journée et la fatigue que nous éprouvâmes sur nos brouettes, cahotées à travers la poussière et les fondrières du chemin, brûlées par le soleil, consumées par la soif ? Comme nous fûmes contentes quand nous aperçûmes la grande pagode qui nous annonçait la fin de notre course !


 Les fermes et les hameaux deviennent plus nombreux et nous voici bientôt dans les faubourgs de la ville ; nous traversons un petit pont très escarpé et la cité se présente à nos regards. Encore quelques centaines de mètres et nous sommes sous les hautes murailles ; nous nous engageons dans l'immense porte toute garnie de tourelles ; quelle ombre épaisse ! mais voici de nouveau l'ardeur diu soleil, avec le cahotement effroyable du pavé : nous sommes dans la ville. Quelle ville affairée ! Voici la foule qui se rassemble, l'inévitable foule sans laquelle on ne peut faire un pas en Chine, du moins d'après mon expérience.

Mais ces gens ont tous l'air bon et amical ; avec cela, prodigieusement curieux et étonnés. Nous nous dirigeons droit vers l'auberge, mais nous sommes suivies, de plus de deux cents personnes, hommes la plupart. L'aubergiste voudra-t-il nous recevoir avec une pareille suite ? Chang-sien-seng le connaît un peu ; nous nous arrêtons et il entre pour expliquer qui nous sommes et ce que nous voulons.

 Pendant ce temps nous vendons nos livres, et la foule ne fait que grandir. Au bout de peu de temps, Dieu soit béni ! Chang nous dit qu'on veut bien nous recevoir et voici les gens de l'auberge qui nous invitent à entrer dans la cour, ce que nous faisons, brouettes et personnes, espérant trouver un peu de repos et de rafraîchissement avant de nous engager de nouveau dans la rue pour le travail du soir.

Du repos ? vain espoir ! Rien n'arrête la foule ; elle envahit la cour. Pendant une demi-heure, Lottie s'efforce de parler, mais le bruit est si grand que quelques-uns seulement peuvent entendre. Enfin Chang-sien-seng nous dit que nous devons sortir, si possible, et nous montrer dans les rues car la foule qui s'y trouve et qui ne peut pénétrer jusqu'à nous est extrêmement désireuse de nous voir. En conséquence, nous nous recommandons au Seigneur, et nous nous frayons à grand'peine un chemin jusque dans la rue étroite ; puis nous circulons dans la ville, ayant soin d'éviter les quartiers les plus populeux, jusqu'à ce que l'obscurité, nous force à regagner notre auberge hospitalière. Nulle part nous ne pouvons stationner longtemps à cause de la foule considérable qui se rassemble aussitôt ; mais nous arrêtant, de temps en temps au coin des rues ou sur les places, nous pouvons parler un peu aux femmes. Plusieurs d'entre elles sont très aimables. L'une, entre autres, femme d'âge mûr à la physionomie ouverte, me prend les mains et les tient dans les siennes tout le temps que nous lui parlons, et quand la foule devient houleuse, elle me les presse doucement comme pour me dire : « N'ayez pas peur ! »

À notre grande, surprise, quand nous atteignons l'auberge et que nous disons à la foule combien nous sommes fatiguées et combien nous soupirons après un petit moment de repos, elle se retire aussitôt et nous laisse entrer seules ; nous promettons alors de revenir après souper. Les femmes de l'auberge nous reçoivent avec la plus grande cordialité et nous conduisent dans une pièce située au fond de la cour. Remplies de reconnaissance, nous nous jetons à genoux auprès de la table dressée pour nous, et nous bénissons Dieu pour tous ses soins, particulièrement pour le moment de repos qu'Il nous donne. Mais ce moment est court ; nous sommes encore à genoux quand la foule envahit la pièce où nous sommes et nous entoure si bien qu'il nous semble impossible de prendre notre repas. Lottie parle constamment aux visiteurs qui se renouvellent sans cesse et nous vendons beaucoup d'évangiles.

Enfin une des femmes de l'auberge nous dit à l'oreille de la suivre dans une autre salle ; nous ne savons pourquoi, mais comme elle nous presse, nous la suivons dans l'obscurité ; nous traversons la cour (où l'air frais de la nuit nous paraît délicieux après l'atmosphère suffocante d'où nous sortons, et où nous saluent les radieuses étoiles d'un ciel splendide) ; sur les pas donc de notre amie, nous arrivons dans une salle située à l'autre extrémité des bâtiments qui composent l'auberge et notre hôtesse nous y barricade aussitôt. Enfin ! À la faible et vacillante lueur d'une lampe chinoise, nous distinguons les physionomies bienveillantes de trois ou quatre femmes de l'auberge qui nous souhaitent la bienvenue ; le repas est servi et elles nous invitent à y faire honneur. Comme elles sont ravies ces chères et bonnes femmes quand nous les remercions de leurs soins et que nous leur disons combien nous sommes contentes de trouver enfin du repos et de la nourriture ! Pendant que nous mangeons notre riz, notre pain et nos fruits, Lottie leur annonce l'Évangile. Nos hôtesses ouvrent alors la porte pour faire entrer un bon nombre de femmes qui sont venues pour nous voir, et la salle est bientôt remplie d'un auditoire des plus attentifs.

Ces braves femmes écoutent très longtemps ; l'une d'elles, à cheveux blancs, la physionomie ouverte et intelligente, fait beaucoup de questions et de remarques pleines de sens, de sorte que l'intérêt est maintenu jusqu'à la fin. Cette vieille est assise aux pieds de Lottie et vraiment elle boit toutes ses paroles, laissant échapper de continuelles exclamations de joie et d'admiration. C'est vraiment délicieux de voir et d'entendre ces femmes ! aussi sommes-nous toutes tristes quand on vient réclamer la salle pour les hommes qui veulent se coucher. Nous partons, suivies des femmes et de beaucoup d'hommes, et l'on nous écoute longtemps encore jusqu'à ce qu'il soit fort tard. Avant de partir, notre chère vieille veut apprendre une prière à faire à notre bien-aimé Sauveur. Finalement, nous sommes obligées d'inviter nos auditeurs à se retirer ; et nous sommes reconnaissantes autant que surprises de voir les hommes le faire aussitôt.


 Notre lit est dans la chambre commune, nous nous empressons de le gagner ; mais quel est notre étonnement et notre effroi quand nous voyons le fils de la maison, un homme d'environ trente ans, s'établir sur la porte fumant sa pipe et observant tous nos mouvements. Nous continuons calmement à lire et à prier, attendant la délivrance...
Une des femmes dit alors quelques mots au jeune homme qui se retire fumant toujours et nous laissant en paix. Nous sommes bientôt dans notre lit, ne nous faisant aucun souci de la porte qui reste grande ouverte sur la cour et des pas qui se font entendre de temps en temps dans l'obscurité. Quel repos que de contempler alors ces chères étoiles qui brillent sur nos têtes ! mais le sommeil nous gagne, et nous ne nous réveillons qu'au jour, à trois heures du matin.

Quelques femmes ont dormi dans la même chambre que nous, et la première chose dont je suis témoin au point du jour, c'est la toilette sommaire de l'une d'elles. Elle a dormi sur un banc et deux chaises, rien de plus, et dans son costume ordinaire. Quand les bruits du dehors la réveillent, ainsi que moi, elle se lève, pauvre femme, se secoue un peu, remet les chaises à leur place, et s'en va à ses occupations. Nous suivons bientôt son exemple.


En venant à Antong nous voulions surtout voir s'il y avait là un champ d'action qui pût nous convenir, mais nous n'avions guère pu voir la ville le soir précédent, aussi décidâmes-nous de sortir de très bonne heure et de faire une tournée d'exploration avant que les rues fussent pleines de monde. À quatre heures et demie, nous étions en route, et Chang-sien-seng nous conduisit à travers les principaux quartiers jusque sur les remparts ; là nous eûmes une vue générale de la ville, et comme je suivais du regard le cercle immense que forme la muraille de briques toute garnie de tourelles, je priais de toute mon âme pour cette cité où nulle voix ne proclame le salut qui est en Jésus, et où des milliers et des milliers vivent et meurent sans aucune lumière. L'ancien lit du Fleuve Jaune se trouve devant la porte du sud, il forme une immense vallée horizontale d'environ cinq cents mètres de largeur, toute couverture de champs de blé, d'arbres et de jardins.

À notre retour à l'auberge, nous trouvons de nombreux visiteurs qui nous attendent ; nous leur parlons pendant une heure ou deux ; puis nous ressortons pour vendre les livres qui nous restent ; nous allons pour cela dans les rues, les plus fréquentées, aussi notre vente est-elle bientôt faite ; si nous avions eu plus de livres nous en aurions vendu davantage. Mais il faut nous hâter, car le soleil commence à être chaud. Nous passons devant la grande pagode et nous entrons pour voir les idoles. Naturellement, la foule qui nous suit entre avec nous et nous avons bientôt un nombreux auditoire dans la vaste enceinte du temple.




 Deux prêtres viennent s'entretenir avec nous, et l'entretien se change bientôt en une prédication accomplie de l'Évangile que tous écoutent avec la plus profonde attention. Lottie n'a pas d'autre texte qu'une colossale statue de Bouddha devant laquelle nous nous trouvons. La divinité est endormie, couchée dans un lit gigantesque et couverte d'une couverture de soie très sale. « Ça ! un dieu ! » s'écrie Lottie, et pendant qu'elle leur montre avec beaucoup de clarté et d'à-propos combien il est absurde de prier et d'adorer un pareil objet, personne n'élève la voix pour défendre le pauvre Bouddha, les prêtres eux-mêmes acquiescent tacitement à tout ce que nous leur disons. Plusieurs hommes semblent très intéressés et font beaucoup de questions ; une brave femme apporte des bancs ; nous nous asseyons, et pendant plus d'une demi-heure, en plein sanctuaire et à la face des idoles, nous leur annonçons l'Évangile avec une entière liberté.

Nous sommes émerveillées de voir comme les portes sont ouvertes de tous côtés à la prédication de l'Évangile. Partout le peuple semble dans l'attente du salut. Ce qui est certain, c'est que dans la contrée où nous sommes, tout au moins, le peuple est sans religion et qu'il attend la lumière de la vie.

 2 Juin, soir.

SEULE en Chine pour la première fois ! La chère Lottie vient de partir pour passer la nuit chez notre amie Ten-nai-nai, et je suis restée à la ferme pour présider le culte du soir. J'ai accompagné mon amie pendant quelques minutes et lorsque j'ai repris le chemin de la ferme à travers les champs de blé, il m'a semblé si étrange de me trouver absolument seule dans cet immense pays. Seule, mais non pas isolée. Solitaire, mais jamais abandonnée. « Voici je suis toujours avec vous. »


NA-IN-CHUANG. UNE GRANDE MAISON CHINOISE.

 16 Juin.

À quatre heures et demie ce matin, nous sommes réveillées par la voix amicale de Shen-nai-nai. Cette bonne et chère femme est là sur notre porte, passant la tête à travers notre rideau, nous appelant et nous annonçant dans le plus grand étonnement que deux hommes, avec deux brouettes, sont devant la maison et nous attendent pour nous transporter à Na-in-Chuang.
Elle n'y comprend rien, nous non plus.
Cependant Lottie, se frottant les yeux, se rappelle qu'elle a fait hier une visite dans ce village, qu'elle y a vu la dame du château, que cette dame était dans la plus grande angoisse au sujet de sa chère petite fille malade ; qu'elle, Lottie, lui a promis de revenir le lendemain matin, accompagnée de moi et de ma pharmacie, pour tâcher de faire du bien à la petite. La dame a répondu qu'elle enverrait les hommes et les brouettes ; et les voici, à 4 h. 30 !

Nous faisons nos préparatifs de départ avec autant de hâte que possible, mais à 5 h. arrivent deux femmes qui viennent de fort loin implorer notre assistance médicale. Le diagnostic qu'elles nous ont fait de la maladie à traiter était obscur, aussi je crains bien que le meilleur remède que nous ayons pu leur donner ait été notre sympathie. Nous leur avons parlé de l'amour et de la puissance du vrai Médecin pour lequel aucun cas n'est désespéré.

À 6 h. nous sommes en route à travers des campagnes qui sont comme de vrais parcs. Nous passons dans un hameau où Lottie a visité hier une pauvre jeune fille terriblement malade. Bien que ses souffrances soient extrêmes et qu'elle soit mourante, elle écoute Lottie et dit qu'elle la comprend. Je crains, que nous ne puissions rien faire pour elle ; elle est couverte d'ulcères et tout son corps n'est qu'une immense plaie vive. Oh ! que ces pauvres gens souffrent !

À travers l'air transparent du matin nous apercevons au loin le lieu de notre destination ; la maison de maîtres, avec toutes celles de la ferme, les huttes et les dépendances de toute espèce nous apparaissent clairement. La maison principale, comme toutes les grandes maisons chinoises, ne présente rien de remarquable, ce n'est qu'un cube de maçonnerie avec une porte d'entrée sans prétention, ouvrant au midi.

À l'entrée, nous sommes reçues par la maîtresse de maison accompagnée de sa fille et de plusieurs servantes. Ces dames nous conduisent très poliment à travers un vrai labyrinthe de cours et de bâtiments de toute espèce jusqu'à la maison principale qui est, à ce que nous croyons d'abord, celle où demeure la dame.


 On nous a raconté quelque chose de l'histoire tragique de la famille, aussi étions-nous préparées à trouver désolée et abandonnée la grande maison, témoin de tant de scènes terribles ; mais l'état de ruine et d'abandon dans lequel nous la trouvons surpasse notre attente. Cette demeure était autrefois belle autant que grande, mais maintenant tout y est en ruine ; ce ne sont que piliers d'albâtre brisés, débris de pierres sculptées, murs renversés, restes de boiseries magnifiquement ouvragées ; et dans quelques-unes de ces nombreuses chambres désertes qui attestent encore la splendeur passée, les toits effondrés laissent entrer le soleil, la poussière et la pluie.

Nous voyons tout ceci en passant, pendant que notre hôtesse nous conduit à la maison la plus intérieure, entourée par la cinquième cour, et qui, celle-là, a bien l'air habitée. Notre premier soin est d'examiner la petite fille malade, et nous constatons qu'elle a une forte coqueluche. La mère est très inquiète à son sujet, car d'une famille de cinq enfants elle est la seule qui reste, tous les autres ont été emportés par des affections de la gorge où de la poitrine. Nous faisons tout ce que nous pouvons en fait de soins médicaux, puis nous nous agenouillons tous ensemble pour implorer Celui qui seul peut guérir.

 Pendant ce temps les gens arrivent en foule ; c'est une multitude de malades qui viennent à nous pour être guéris. Hélas ! la plupart sont des cas tout à fait au dessus de notre portée ; nous en sommes bien tristes, mais nous devons le dire à ces pauvres gens. Il y a cependant quelques malades que nous pouvons soulager ; par exemple le petit garçon de l'intendant. Il a sur la tête un abcès considérable qui a été complètement négligé ; nous le pansons ; et nous faisons de même pour d'autres malades. Quel plaisir et quel privilège que d'aider celui qui est dans la peine ! La foi de ce peuple en notre puissance est tout à fait merveilleuse. Ils prennent nos médecines sans le moindre doute sur leur efficacité, et c'est à peine si nous pouvons les convaincre que nous ne pouvons pas guérir toujours.

Tout récemment on m'amena un garçon qui était dans un état effrayant ; il était possédé d'un démon, me disait-on, et l'on me priait de chasser ce démon promptement. Il paraît que ces pauvres gens avaient entendu Chang-sien-seng parler des démoniaques guéris par Jésus-Christ, et ils n'avaient aucun doute que nous n'eussions le même pouvoir. C'était un cas d'épilepsie horrible au plus haut degré. Hélas ! nous ne pûmes pas faire grand chose, si ce n'est prier.

Après avoir soigné nos malades et pendant qu'on prépare le déjeuner, notre hôtesse nous prend pour nous faire faire un « wang-wang, » c'est-à-dire une visite dans toute sa propriété. Je fus extrêmement intéressée par cette visite de la première grande maison chinoise dans laquelle je fusse jamais entrée. Notre bonne dame nous dit qu'avant ses derniers malheurs plus de quarante personnes vivaient dans la grande maison ; et cela ne m'étonne pas, car elles pouvaient y être fort à leur aise. L'édifice renferme six cours, sans compter les vestibules et les antichambres ; et sur chacune d'elles ouvre toute une série de salles magnifiques.


Ornements de jardin dans une grande maison chinoise

 À côté de la maison sont les jardins, avec une maison d'été, vaste pavillon ouvert, de fort bon goût, où quarante personnes peuvent prendre le thé à leur aise. Mais les cours sont désertes, remplies d'herbes et de buissons ; et les appartements sont vides et exposés à toutes les intempéries. L'appartement où s'est passée la dernière tragédie, il n'y a pas longtemps, porte toujours les traces évidentes de la lutte acharnée qui s'engagea entre les deux frères et qui se termina par la mort du plus jeune ; la femme et l'enfant de ce dernier moururent des émotions qu'ils en éprouvèrent. Et maintenant de la nombreuse famille qui remplissait la maison ne restent absolument que la pauvre dame et sa petite fille malade que nous sommes venu soigner. Le meurtrier qui est son mari a dû s'enfuir et ne peut rentrer chez lui. Quant a elle, elle est encore jeune et d'un extérieur agréable ; triste vie cependant que la sienne ! Elle ne sort jamais, ou presque jamais.

TOUT près des murailles de cette grande mais lugubre demeure, se trouve la petite ville commerçante et industrielle de Na-in-Chuang. Nous l'avons traversée en venant et nous désirions ardemment pouvoir y passer quelque temps pour annoncer l'Évangile à ses habitants qui ne l'ont jamais entendu. Notre bonne hôtesse nous invite à venir demeurer avec elle, un peu plus tard, quand les grandes chaleurs rendront nos courses impossibles. Peut-être ferons-nous bien d'accepter ; nous aurons ainsi la population de la petite ville à notre porte, tout en jouissant d'une demeure fraîche et tranquille.

Mais le déjeuner est servi et nous nous mettons à table avec notre hôtesse et sa petite fille. Une foule considérable de gens bienveillants ne se lassent pas de nous examiner ; mais nous n'y faisons guère attention, vu que nous sommes maintenant parfaitement rompues à l'usage des baguettes ainsi qu'à tous les autres usages de la table chinoise. Le déjeuner terminé, Lottie profite de l'occasion pour annoncer l'Évangile à toutes ces bonnes gens. Mais le soleil est presque au zénith et nous n'osons pas retarder notre départ ; nous promettons de revenir sous peu, et nous sommes heureuses de laisser derrière nous trois évangiles que nos amis achètent, impatients qu'ils sont de les lire.

Nous quittons facilement la grande maison ; quant à la petite ville, c'est autre chose. Une foule de malades viennent à nous pour être guéris. Une pauvre femme est si malade que je suis obligée de la soutenir et de la conduire chez elle, où nous constatons qu'elle a une fièvre ardente occasionnée par une grave attaque de diphtérie ; et l'on nous appelle pour deux autres cas semblables. Pauvres gens ! que de souffrances !

Quand enfin nous nous mettons en route, le ciel est couvert et la chaleur est supportable. Deux fois en pleine campagne nous sommes arrêtées par des malades qui viennent implorer notre secours. Une troisième fois, nous nous arrêtons pour vendre des livres ; deux hommes à l'air intelligent nous achètent des évangiles, à notre grande joie. Lottie annonce clairement l'Évangile à ceux qui l'entourent, pendant que je donne des remèdes dans les maisons voisines. Nous apprenons la mort de la jeune fille couverte d'ulcères que nous avons visitée hier ; elle est morte quelques heures après notre visite ; pour la première et la dernière fois de sa vie, elle avait entendu, de notre bouche, parler de l'amour de son Sauveur.

Les gens meurent chaque jour par milliers autour de nous. La moisson est mûre dans toute cette immense contrée, mais qu'il y a peu d'ouvriers ! Et partout, partout des tombes ! elles pullulent dans les champs comme les fourmilières dans certaines contrées. Oh ! comme leur vue transperce notre coeur !

Vous allez avoir vos grandes assemblées religieuses.... Nous prions pour vous ; est-ce peu de chose ? je ne le crois pas. Y a-t-il un plus grand pouvoir dans le monde que celui de la prière de la foi ? Ce que dit à ce sujet Stevenson, dans sa Vie de John Evangelist Gossner, m'a beaucoup frappée il y a quelques jours, parlant des difficultés sans nombre que rencontra cet homme de Dieu dans ses entreprises missionnaires :
« Quel est l'homme qui, livré à ses propres forces, eût pu y suffire ? dit-il ; quelle est l'intelligence qui ne se fût pas égarée au milieu de tant de difficultés inextricables ? Les calculs les plus habiles n'eussent-ils pas été souvent déjoués ?....

Mais il y a un Royaume dans lequel les enfants seuls entrent, dans lequel les enfants jouent avec des forces infinies, dans lequel le petit doigt d'un enfant est plus puissant que le monde entier ; Royaume infini dans lequel le monde n'existe que par la douleur qu'il y occasionne ; Royaume auquel le développement et les lois de ce monde sont à jamais subordonnés ; Royaume au sein duquel le monde n'est autre chose qu'un mensonge insensé... Gossner avait été amené dans ce Royaume par un chemin long et pénible ; et toute l'opposition du monde, toutes les difficultés et toutes les impossibilités qu'il rencontrait n'étaient rien pour lui ; il lui suffisait de pouvoir plier le genou et prier. »
Que Dieu nous garde toujours petits enfants dans ce royaume, dans la foi de Gossner, manoeuvrant les puissances infinies !


BÉNÉDICTIONS

 Quinze jours se sont écoulés depuis la dernière lettre de Mlle Guinness. Pendant ce temps des changements sont survenus. Mlle Lottie Mac Farlane a dit quitter la ferme pour se rendre à Ts'ing-Kiang-p'u et Mlle Mary Reed doit venir prendre sa place. Mlle Guinness, qui se trouve donc seule, écrit les lignes suivantes :

Dès, les premiers jours de notre arrivée ici, nous avons senti la nécessité de prier au sujet d'un pauvre homme, entièrement privé de raison, qui avait conçu une violente haine contre Lottie. Il avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour soulever le voisinage contre nous, et nous nous attendions à des ennuis. En réponse à nos prières, le Seigneur nous garda dans une parfaite paix; et, bien que cet homme pût arriver à chaque instant, nous n'entendîmes plus parler de lui et ne le vîmes plus jusqu'à dimanche dernier. Mais ce jour-là, il arriva plein de rage et jeta tous nos amis dans l'angoisse et la terreur. Il menaçait Lottie de la mort la plus horrible si elle ne lui restituait pas immédiatement tout l'or et les perles qu'elle avait pris, disait-il, dans sa maison! Il resta longtemps dans la ferme et revint le jour suivant plus furieux que jamais.

Ces scènes nous amenèrent à décider le départ de Lottie, comme du reste il en avait été déjà question; et hier, le dernier jour qu'elle passa ici, nous avions quelque crainte qu'elle ne pût pas faire en paix les visites d'adieu qu'elle désirait faire; aussi nous mîmes-nous en prières demandant au Seigneur qu'il tînt cet homme éloigné, si c'était selon sa volonté, et, au grand étonnement de tout le monde ici, il ne parut pas. Nous, nous savions qu'il ne paraîtrait pas, aussi ne fûmes-nous pas étonnées; mais tous nos amis ici en éprouvèrent un étonnement extrême; car nous leur dîmes que c'était la réponse du Seigneur à nos prières. Après le départ de Lottie, le pauvre homme reparut aussi furieux que jamais, mais quand il vit qu'elle était partie, il se retira. Quant à moi, je n'ai rien à craindre, car il ne me connaît pas ; du reste, je ne me mets en peine de rien :

Oh ! qu'elle est bien gardée, en paix et heureuse, l'âme qui se confie en Toi ! »

 28 Juin.

Quand il fut décidé que Lottie s'en irait pour quelque temps, je pensai d'abord qu'en conséquence l'oeuvre de la prédication au dehors ne pourrait qu'être interrompue jusqu'à son retour. Je jugeais que tout ce que nous pourrions faire, Mary et moi, serait de continuer à enseigner un peu les enfants et peut-être poursuivre l'oeuvre médicale qui prend tout à fait les proportions d'une mission spéciale ; et je me disais qu'après cela nous ne pourrions pas faire grand'chose si ce n'est étudier. Mais bientôt, avec un amour infini, le Seigneur me remit en mémoire cette glorieuse vérité que l'oeuvre est la sienne, pas du tout la nôtre, que son Esprit peut se servir de toutes sortes de moyens, même des plus faibles, et qu'Il ne dépend pas de nous. Et je fus conduite à demander au Seigneur qu'il voulût bien se servir même de nous, présentement, pour la conversion des âmes ; qu'il se servît des quelques mots que nous pouvons bégayer ou même de notre silence, et surtout qu'il se servit de notre vie journalière au milieu de ce peuple pour se glorifier et sauver les âmes.

Or, ma chère Lottie est partie hier matin de bonne heure, me laissant seule, car Mary n'arrive que demain, et depuis hier matin, je ne le dis qu'à la gloire de Dieu, six femmes ont fait profession de croire en notre Sauveur, et, ce qui n'est pas ordinaire, du moins à ma connaissance, chacune d'elles a voulu le prier elle-même et a montré qu'elle comprenait bien la portée de la décision qu'elle prenait. Fait également encourageant, les femmes de la maison qui étaient déjà croyantes, se sont déclarées hautement et joyeusement pour Jésus, la vieille Na-Ma (Shen-nai-nai) et ses filles tout particulièrement. Mon incapacité à parler semble les avoir grandement poussées à payer de leur personne ; elles ont évidemment senti l'importance qu'il y avait à ce qu'elles fissent tous leurs efforts pour suppléer à mon insuffisance. C'était délicieux de les entendre plaider la cause du Sauveur, insister auprès de chaque personne pour qu'elle se donnât à Lui, puis prier avec elle et pour elle. Comme nous nous sommes réjouies ensuite toutes ensemble de l'exaucement que Dieu nous a accordé !

Des six femmes au sujet desquelles nous rendons grâce maintenant, trois étaient des étrangères venues de loin ; les autres habitent dans le voisinage et avaient déjà entendu l'Évangile, mais elles ne l'avaient jamais pris pour elles-mêmes. Le Seigneur est miséricordieux. Nous lui recommandons ces âmes. L'attention qu'elles prêtaient à nos faibles paroles et l'intérêt qu'elles témoignaient étaient merveilleux ; les trois étrangères surtout nous ont fait beaucoup de questions qui nous ont encouragées au plus haut point.

 Samedi soir, 30 Juin.

Mary est arrivée hier et nous avons eu la joie, après notre longue séparation, de passer ensemble en prières les dernières heures de la journée, celles qui étaient les dernières des « Mildmay Conférences. (2»

 Dimanche, 1er Juillet.

Journée merveilleuse ! Dès ce matin, de bonne heure, les gens ont commencé à arriver en foule ; et le jour n'était pas écoulé que trois cents personnes étaient venues nous voir. Nous avons eu cinq réunions pendant la journée ; et, pendant les heures qui les séparaient, j'ai dû voir quatre-vingts malades, au moins. Pour beaucoup d'entre eux, nous n'avons rien pu faire ; mais Dieu soit béni, nous avons pu en soulager plusieurs.

Dans la réunion de l'après-midi pour les femmes, les témoignages des chrétiennes ont été magnifiques ; il y avait là environ soixante femmes ; ce fut une heure délicieuse.

Nous sommes à la veille de quitter cette ferme, notre premier home chinois. Je regarde presque pour la dernière fois ces chambres qui nous ont connues si longtemps. Il me semble qu'il y a huit mois et non pas huit semaines que nous passions ici cette première soirée désolée où nous étions plongées dans l'obscurité et le silence au milieu de ces étrangers qui sont maintenant de si chers amis. Oui ! c'est bien la même salle avec son sol et ses vieilles murailles de boue, à l'aspect si désolé ; et de chaque côté, ce sont bien les deux mêmes mystérieuses chambres dont l'entrée se voile sous de vieux rideaux fanés. Ce sont bien toujours les mêmes choses ; mais comme tout est différent maintenant que la lumière et l'amour d'En-Haut ont été allumés dans les coeurs et y brûlent à jamais.




(1) Chef-lieu de district (T. E.).

(2) Assemblées religieuses annuelles à Londres (T. E.) 
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