APRÈS un court séjour à Yang-chau, Mesdemoiselles Géraldine Guinness et Mary Reed quittèrent la Maison des Missions et ses vingt ou trente demoiselles élèves missionnaires, pour s'en aller à Tsing-Kiang-Pu, et de là gagner une ferme près d'Antong. Elles désiraient se trouver dans un milieu tout à fait chinois afin d'apprendre plus rapidement la langue et pénétrer davantage dans la vie intime du peuple de leur adoption. Mesdemoiselles Lottie Mac Farlane et Maggie Mackee qui pouvaient parler chinois, ainsi que San-sa, le jeune indigène chrétien dont il a été fait mention, les accompagnèrent dans leur voyage qui eut lieu par eau, sur une embarcation louée à leurs frais.
Vendredi, midi, 27 Avril.
Me voici toute seule dans notre
joli
bateau à la hauteur de Uan-teo, petite ville
qui se trouve au bord du Grand Canal
Impérial sur lequel nous voyageons
maintenant. Cela me paraît si
étrange ! Je viens d'avoir une
heure tranquille passée en
prières. Oh ! combien le Seigneur est
près de moi !
« Mon âme,
bénis l'Éternel, que tout ce qui est
en moi bénisse le nom de Sa
Sainteté. » Il nous rend
« cent fois au delà » de
ce que nous avons quitté. Vraiment c'est
bien cent fois plus chaque jour, tant sont grandes
les bénédictions qu'Il déverse
sur nous.
Je suis seule maintenant parce
que
mes compagnes sont allées sur les bords du
Canal, délivrer le message de vie que nous
sommes venues apporter. Je n'ai pu me joindre
à elles, parce qu'il fallait que l'une de
nous restât à bord pour surveiller nos
bagages. J'ai intercédé pour elles,
et j'ai conscience qu'elles sont richement
bénies de Dieu en ce moment
même.
Voici des visites : une
charmante paysanne et sa fille. J'ai essayé
de leur dire quelques mots, - chères
créatures, - mais je connais encore si peu
de chinois ! Néanmoins elles sont
contentes de me regarder écrire. Dans leur
étonnement, elles s'appuient sur la table
pour suivre les caractères mystérieux
que forme ma plume ! Mais leur bateau s'en va
.....
Quel bonheur ! Maggie
est de
retour, pleine de joie, elle amène sept
dames et elles envahissent notre bateau. Mary et
Lottie arrivent aussi ; elles ont
été grandement bénies et sont
rayonnantes de la joie du Seigneur.
Nos visiteuses sont assises en
cercle autour de notre petite cabine. Lottie leur
parle tandis que nous prions et que j'écris
ces lignes. Une chère vieille dame d'environ
soixante ans écoute avec la plus profonde
attention. Elle nous assure avec beaucoup de calme
et de sérieux qu'elle croit. « Je
n'ai jamais, jamais entendu pareilles choses,
dit-elle, mais je crois ! » Avec une
figure radieuse elle explique à ses
compagnes la vie du Sauveur, son amour et sa croix.
Une heure après.
Nos hôtesses viennent de
partir. Plusieurs ont réellement compris
notre message, j'en ai la conviction. Elles l'ont
toutes écouté avec le plus grand
intérêt. Nous leur avons aussi
chanté un cantique et elles nous ont
posé plusieurs questions. Deux d'entre
elles, sont des femmes de Mandarins, venant de
Canton, les autres vivent pour la plupart sur des
bateaux avoisinants.
Maintenant nous les avons
laissées et il n'y a personne pour prendre
soin de leur âme ! Elles n'ont jamais
entendu ce message jusqu'à maintenant ;
aujourd'hui une courte visite, puis c'est
tout ! Dieu soit béni de ce qu'elles
ont entendu parler de Lui et de ce qu'elles ont cru
en Lui ; et de ce que, bien qu'elles n'aient
personne pour les instruire et les aider dans la
suite, la Lumière divine demeure avec elles
et les conduira dans toute la vérité.
Nous les recommandons à Dieu, tandis que
nous poursuivons notre route. Et Notre Père
Céleste exauce nos prières. Oh !
quelle bénédiction d'être en
contact permanent, journalier avec Lui, de demander
et de recevoir, de chercher et de trouver, et de
reposer avec assurance dans sa communion.
Même jour. 3 h. de
l'après-midi.
Quel dîner amusant nous avons
eu aujourd'hui ! Puisque Lottie et moi allons
habiter, D. V., une vraie maison chinoise
près d'Antong, et que notre désir est
de nous conformer autant que possible aux coutumes
du pays, nous pensons ne pouvoir mieux commencer
notre nouvelle vie qu'en mangeant à la mode
chinoise, c'est-à-dire avec des baguettes en
guise de fourchettes. Aujourd'hui pour la
première fois, nous nous en sommes servies.
Je vous laisse à penser notre maladresse. Le
repas lui-même était servi à la
façon chinoise: sur la table sans nappe,
quatre bols de riz, un bol de légumes au
milieu, deux assiettes de poulets coupés en
morceaux, à chaque extrémité,
et enfin les huit fameuses baguettes. Je n'ai pas
le temps de vous décrire la scène
amusante qui a suivi. Nous nous en sommes
très bien tirées, je crois, et nous
recommencerons demain.
Hier soir quand nous quittâmes la maison missionnaire, nous n'avions aucune intention de nous arrêter ici. Nous proposant de partir ce matin à l'aube du jour, nous vînmes à bord dès sept heures du soir. La chère miss Murray et plusieurs de nos bien-aimées soeurs nous accompagnèrent jusqu'au bateau, qui est grand, commode et beaucoup plus beau que nous ne nous y attendions et que nous ne le méritions. Après le départ de nos amies, il s'éleva une contestation entre les bateliers et nous, au sujet des accords faits pour notre voyage. Ceux-ci avaient promis de nous conduire à Tsing-Kiang-pu pour vingt-un francs soixante centimes ; il était convenu que le voyage durerait dix jours, bien qu'il ne fût que de 160 kilomètres, et que nous descendrions à terre pour évangéliser chaque fois que nous le désirerions. Mais voilà qu'hier soir le maître du bateau change d'avis et ne veut plus mettre que cinq jours pour aller à Tsing-Kiang-pu tout en exigeant le même prix. Et il s'emporta furieusement. Que faire, sinon avoir recours à notre Père céleste ? C'est ce que nous fîmes, et la réponse. ne se fit pas longtemps attendre. Avant le souper, l'affaire était arrangée ; l'homme revint aux premiers accords avec la promesse de notre part d'un supplément d'argent, si le voyage se prolongeait au-delà des dix jours convenus. Ce fut le premier de nos exaucements à bord ; j'en reçus d'autres non moins remarquables pendant la soirée ; mais je n'ai pas le temps de vous en parler.
La soirée se passa agréablement à lire ensemble le remarquable ouvrage du Dr Pierson. « La Crise des Missions » et à prier au sujet du contenu de cet ouvrage si profondément intéressant. Nous étions si joyeuses et si reconnaissantes de pouvoir le lire dans les circonstances où nous nous trouvions : étant non-seulement des missionnaires, mais des pionniers qui s'avancent dans les lointaines et ténébreuses contrées où l'Évangile n'a jamais été prêché.
Dimanche 29 avril.
Ce matin nous déjeunons de
bonne heure afin d'avoir devant nous une
journée de travail aussi longue que
possible. Après notre petite réunion
de prières en anglais et en chinois, nous
montons au village devant lequel nous sommes
arrêtés, afin d'y chercher des
occasions d'annoncer le Sauveur. Quelle berge
escarpée ! quelle muraille de
boue ! et il nous faut monter
là-haut ! Les marches creusées
dans le sol sont si glissantes et si
endommagées par la pluie que l'ascension
nous en paraît presque impossible. Cependant
nous la tentons. Nous nous couvrons de boue, mais
enfin nous arrivons au haut de la
berge où bon nombre de
mains amies nous sont tendues pour nous aider
à franchir le dernier mauvais pas. Quelle
foule de visages aimables, bienveillants ! Il
pleut, mais quelques femmes nous conduisent tout de
suite dans une grande ferme ; elles nous font
entrer dans une chambre agréable et
spacieuse où une cinquantaine de personnes,
sans compter les enfants, se réunissent pour
nous écouter. L'auditoire est des plus
attentifs. Le temps me manque pour vous parler de
l'amabilité de ces chères âmes.
Après une heure de réunion, une
femme, nous prie instamment d'aller avec elle
redire la même merveilleuse histoire dans sa
propre demeure qui n'était pas
éloignée. Nous nous empressons de la
satisfaire et nous trouvons chez elle, comme dans
la maison précédente, une vaste
chambre remplie de gens qui écoutent avec la
plus grande attention. Dans cette réunion
trente ou quarante auditeurs doivent avoir entendu
notre message. Nous leur avons laissé des
évangiles et des traités. Douze
à quinze d'entre eux étaient des
hommes ; quelques-uns étaient des
esprits supérieurs. Ils ont pris les
évangiles en promettant de les lire.
D'abord un peu hésitante, elle finit par
y consentir et, au moment où j'écris,
Lottie et San-sa se dirigent vers cette île.
C'est un lieu ravissant. D'ici je puis voir les
petites maisons brunes à demi cachées
sous les arbres dont les branches s'inclinent
gracieusement sur les eaux. Que Dieu donne du
succès à Lottie ! Qu'Il la
ramène bientôt ainsi que San-sa, sans
accident et avec de bonnes
nouvelles !
Il est près de cinq heures.
Voici déjà deux heures qu'ils sont
partis. Je vais bientôt leur préparer
une tasse de thé.
Comme notre vie sur ce bateau est étrange
et agréable en même temps ! Nous
allons, jour après jour, où Dieu nous
appelle, ne vivant que pour proclamer son glorieux
salut. Le Seigneur est si près de
nous ! Nous nous attendons à lui
à chaque heure ; et à chaque
heure, Il est avec nous. Nous sommes faibles, sans
protection, ignorantes,
inexpérimentées, mais le Seigneur
veut bien se servir même de nous, et il nous
remplit de joie. Je suis la plus âgée
de notre petite bande, Lottie la plus
expérimentée, bien qu'il n'y ai que
trois ans qu'elle est en Chine. Mais Dieu est notre
guide, et tout va bien.
Nos amis viennent de rentrer.
Comme
leurs visages sont radieux ! Le Seigneur les a
abondamment bénis. San-sa est
débordant de joie et de
reconnaissance ; il voudrait rester ici un
jour de plus. Ils ont eu de nombreux auditoires,
ils ont pu parler à des foules attentives
composées d'hommes aussi bien que de femmes,
et ils ont eu les occasions les plus bénies
pour annoncer le Sauveur. Nous remercions Dieu tous
ensemble de tout notre coeur. Lottie dépose,
sur la table le chapelet qu'une femme lui a remis,
cette après-midi même, lorsqu'elle
s'est décidée à quitter
Bouddha pour notre Sauveur bien-aimé.
Même jour, 9 h. du soir.
Cette journée a
été merveilleuse. Fatiguées,
mais bénies dans notre âme, nous
allons nous livrer au repos. Aucun missionnaire,
à notre connaissance, n'avait jamais
visité ces populations, mais aujourd'hui
cinq cents personnes au moins ont entendu la Bonne
Nouvelle du salut. En outre, des évangiles
et des traités restent entre leurs mains.
À toi, divin Maître, nous recommandons
ces âmes précieuses ; ta Parole
ne peut retourner à toi sans
effet.
Demain au point du jour, nous
repartirons, D. V., et nous laisserons
derrière nous ces chères âmes
comme des brebis qui n'ont point de berger.
Lundi matin, 7 h. 30.
CE matin à cinq heures, nous
avons repris notre course lente et tranquille vers
le nord. Nous allions nous réunir pour prier
ensemble, il y a quelques minutes, quand nous
remarquâmes que nous étions devant une
ville s'étendant sur les deux rives du
canal. Mais nous n'avions pas l'intention de nous y
arrêter, et nous glissions devant elle, quand
nous découvrîmes à notre gauche
sur la berge, un groupe de cinquante à
quatre-vingts hommes, occupés à
travailler au bord de l'eau. Nous ne pouvions
négliger une si belle occasion d'annoncer
l'Évangile, aussi fîmes nous mettre
à l'ancre, et San-sa s'en alla sur le rivage
avec des traités et des évangiles.
Pendant que j'écris, je puis le voir au
milieu d'un groupe de ces ouvriers, vendant ses
évangiles et parlant avec la plus grande
ardeur à ses auditeurs attentifs. Le voici
de retour, il a vendu un bon
nombre de ses petits livres, et a pu annoncer
l'Évangile d'une manière
complète à ceux qui se sont
réunis autour de lui. Maintenant nous allons
déjeuner et pour aujourd'hui nous aurons
notre réunion de prières après
le repas.
Lundi après-midi, 3 h.
Nous venons d'atteindre la
grande
cité de Kao-Sin, et pendant de longues
heures nous glissons doucement sous ses hautes
murailles toutes garnies de tourelles. Des
centaines de milliers d'habitants vivent dans leur
immense enceinte ; et au milieu d'eux pas un
seul missionnaire ! Dans une si grande
obscurité, point de lumière pour
montrer le Sauveur du monde ! Kao-Sin n'a
jamais eu de missionnaire, mais Dieu soit
béni, un évangéliste
indigène doit venir cette semaine même
s'installer dans la ville. Nous espérons
qu'il pourra loger dans une auberge chinoise,
gagner peu à peu la confiance du peuple, et
préparer ainsi la voie à
quelques-unes de nos soeurs qui viendront faire
leur oeuvre parmi les femmes. Mais au point
où en sont les choses en ce moment, aucune
dame étrangère n'ayant encore
été vue à Kao-Sin, nous ne
pouvons nous aventurer sur le rivage. San-sa seul
est descendu pour faire quelques emplettes et pour
vendre nos livres. Notre embarcation vient de
passer près de lui. Cher
garçon ! je le vois, là, debout
au milieu d'une foule d'hommes, offrant la Parole
de vie et parlant avec ardeur.
Quelles murailles
interminables ! il semble que nous n'en
verrons jamais le bout. Les rives du canal sont
animées par des bandes d'ouvriers qui
réparent et doublent les digues,
opération bien nécessaire. Les
ouvriers que nous avons vus ce matin de bonne heure
n'étaient qu'un premier détachement
des centaines d'autres que nous avons
dépassés depuis. Il paraît que
beaucoup d'entre eux viennent de très loin.
Les petits bateaux qui leur servent d'habitations
sont amarrés en longues files des deux
côtés du canal. D'ici on
aperçoit les femmes et les enfants faire la
cuisine, laver, s'amuser et souvent aussi seconder
les hommes dans leur pénible travail. Ces
Chinois semblent si sobres si travailleurs, si
dignes de respect ! Je les aime vraiment. Mais
ils sont terriblement pauvres. Pour toute demeure,
ils n'ont que de misérables
petits bateaux où tout se
passe à ciel ouvert ; bateaux qui ont
à peine un mètre et demi de largeur
sur cinq de longueur. Une des
extrémités est recouverte de deux ou
trois nattes d'herbe à l'abri desquelles ils
se glissent la nuit pour dormir. Rien de
plus ! Souvent les deux tiers du bateau sont
occupés par un gros chargement de boue
destinée à l'endiguement ; la
famille entière s'entasse dans l'espace
resté libre et ne paraît pas s'en
porter plus mal. Le salaire de ces ouvriers est
ordinairement de quarante centimes par jour.
Comment peuvent-ils vivre avec cela ? Je
l'ignore. Ils paraissent cependant gais et bien
portant. Pauvres âmes !
Le canal forme une large rivière aux eaux
brunes et courantes, à quatre ou cinq
mètres au-dessous des digues qui lui servent
de rives. Au delà des dignes, et de chaque
côté, le sol est
considérablement au-dessous du niveau du
canal. Le terrain est cultivé ;
à notre droite, se trouvent d'immenses
champs de riz et des groupes de maisons brunes
entourées d'arbres verts
magnifiques ; et partout se trouvent de
nombreuses chaussées étroites, qui
sillonnent les champs couverts d'eau, et les
divisent en bandes et en carrés
réguliers. À notre gauche, tout est
différent, mais également beau. Point
de champs de riz, point de maisons, mais un lac
paisible et bleu qu'on aperçoit à
travers le feuillage vert tendre des arbres qui
bordent le chemin de halage sur la rive
opposée. Les bateaux et les vaisseaux
lointains qu'on distingue sur le lac ajoutent
à sa beauté. On ne voit aucune borne
à cette immense nappe d'eau, on pourrait la
prendre pour la mer par une radieuse et calme
matinée d'été. Spectacle
splendide des deux côtés ! Et,
devant nous, c'est notre large canal tout
entouré de verdure et se prolongeant
à perte de vue vers le nord. Les teintes
fraîches et vives du printemps
réjouissent notre vue ; un brillant
soleil de mai inonde toute la campagne ; une
fraîche brise nous vivifie et nous remplit
d'ardeur ; oh ! quelle délicieuse
course !
Le bateau continue à avancer
et nous laisse en arrière. Nous nous sommes
attardées à parler aux groupes de
personnes que nous rencontrons.
Parvenues à un petit village,
nous distribuons promptement nos livres, et
laissant Lottie et Mary s'adresser aux foules qui
se rassemblent, Maggie et moi courons à la
poursuite de notre esquif, suivies nous-mêmes
d'une
escorteconsidérable !
Nous le rattrapons à un kilomètre de
là, arrêté devant un autre
grand village. Une foule énorme nous y
attend déjà. Nous allons chercher nos
livres et nous revenons escortées encore de
plus de cent personnes bien disposées
à notre égard. Nous nous divisons en
deux bandes, qui chacune de son côté,
annonce la Bonne Nouvelle. San-sa,
accompagné d'un des bateliers, tient une
réunion plus loin dans la rue du
village.
Je suis revenue sur le bateau
pour
envoyer encore des livres par un autre de nos
bateliers. D'ici je puis voir deux de ces
rassemblements sur la digue au-dessus de moi, et je
puis presque entendre les voix qui annoncent le
joyeux message. du salut.
De toutes parts comme ces gens
accourent ! comme ils écoutent !
quelle attention ! Merveilleuses
occasions ! Comment se fait-il qu'il n'y ait
pas des milliers de voix pour dire aux païens
que le nom de Dieu est
« amour. » De tous
côtés, les portes sont grandes
ouvertes, les coeurs sont préparés,
ils sont dans l'attente, ils ont soif de la Bonne
Nouvelle. Ils attendent, ils attendent toujours et
personne ne se présente pour leur apporter
le message de vie !
1er Mai.
Le village que nous venons de
laisser n'est qu'à un kilomètre et
demi et en voici déjà un
autre.
San-sa n'ayant pas quitté le
rivage va y vendre les « livres du
ciel. » Ici encore de nombreux groupes
d'ouvriers sont occupés à consolider
les barrières qui retiennent les eaux ;
toits se montrent disposés à
écouter la Bonne Nouvelle du salut et
à converser sur ce sujet. Que de coeurs
ouverts ! et combien de temps ces
chères âmes
attendront-elles ?
Ces populations sont en proie
à une grande angoisse au sujet des eaux
tumultueuses du redoutable Hoang-Ho (Fleuve Jaune),
et tous ces travaux
Au milieu de circonstances si
diverses, la vie spirituelle de nos chères
missionnaires se développait de jour en
jour, ainsi que cela ressort de la lettre
suivante.
Quoique séparés par de
si grandes distances, nous nous rencontrons en
Celui par qui nous avons « la vie, le
mouvement et l'être. » Quel
glorieux privilège d'être
séparés pour l'amour de Lui, et de
sentir que vous, en Angleterre, et nous au coeur de
la Chine, nous occupons la place que Dieu nous a
assignée, travaillant et vivant pour le
même but : sa gloire et l'avancement de
son règne !
Nous sommes profondément
convaincues que Dieu va accomplir des choses
merveilleuses dans ce grand pays. Encore un peu de
temps, et nous croyons qu'Il déversera des
flots de bénédictions sur ce peuple.
Quel privilège d'être
« ouvrier, avec Lui » dans
cette oeuvre glorieuse ! Cette oeuvre est
digne de toutes les souffrances et de tous les
sacrifices ! Béni soit Dieu de ce que
nous y coopérons ! mais nous
désirons ardemment être pleinement un
« avec Lui, » de même que
le Seigneur Jésus-Christ le fut dans son
ministère terrestre.
Le soupir de notre âme est de
n'avoir aucun désir, aucune affection,
aucune pensée, aucun plan, aucun projet,
aucune existence dans lesquels Il ne règne
en souverain. Nos vies ont été trop
souvent distinctes de la sienne. Nous avons eu des
jouissances qu'Il n'a pas partagées, tant de
pensées, tant de projets, d'affections
où Il n'a pas occupé la
première place. Nous voyons plus clairement
chaque jour que notre vie ne doit consister
qu'à suivre le Sauveur à n'importe
quel prix, d'abord pour le bien de nos propres
âmes, ensuite pour celui des pécheurs
qui périssent autour de nous. Nous n'avons
de temps et de force que pour cette seule
chose : apprendre du Seigneur et le faire
connaître.
Soyons de ceux qui, puissants en
foi
et en prière, font agir le bras de Dieu et
amènent les fleuves d'eau vive sur la terre
desséchée. Quelle
responsabilité et quel glorieux
privilège que d'avoir une part dans cette
oeuvre ! Combien doit être
sérieux celui qui est appelé à
être ouvrier avec Dieu, et
combien son coeur doit être
pur et simple ! Sa vigilance doit être
constante. Débarrassons-nous de toute
entrave ! Nous le répétons
à notre propre coeur : de toute
entrave. Coupons notre main droite, s'il le faut,
et sans hésitation rejetons tout ce qui
pourrait ralentir notre course,
« regardant à
Jésus. »
Aidez-moi à remercier et
à louer Dieu à jamais de ce qu'Il m'a
amenée ici en Chine ! Dans ce pays
lointain, Il se tient si près, si
près de nous ! Quelle joie de trouver
sa bonté infiniment plus grande que nous
n'avons jamais pu le penser, même
d'après les rapports de ceux de nos
devanciers qui ont essayé de dire (mais sans
y parvenir) la grandeur de sa puissance et de sa
grâce. Que le Seigneur vous donne aussi la
bénédiction spirituelle dont vous
avez besoin dans l'oeuvre de votre maison, bien
plus difficile à quelques égards que
celle que nous faisons ici. D'ailleurs ces deux
oeuvres sont les mêmes en principe. Nous ne
sommes pas plus missionnaires ici, à aucun
degré, que chacun de vous ne doit
l'être en Angleterre. Les détails
extérieurs de la vie peuvent
différer, ce qui importe peu ; mais
l'esprit doit être le même. Il faut que
les chrétiens se le rappellent : ils
sont tous appelés à être
missionnaires tout autant que nous ; c'est
notre seule affaire. Que le Seigneur nous donne de
« déposer tout autre
fardeau ! »
Nous le disons avec
reconnaissance,
le Seigneur nous a donné quelque
succès dans l'étude du chinois. Il
n'y a que trois semaines que nous sommes à
l'oeuvre ; et dimanche dernier
déjà, je pus dire quelques mots aux
chères femmes que nous visitions, et je fus
comprise ; imaginez quelle fut ma joie !
Nous sentons que vous priez pour nous et que tout
succès vient directement de Dieu sans le
secours de qui nous ne pourrions rien. Quel bonheur
d'étudier cette langue, quelque difficile
qu'elle soit, et de sentir que chaque jour nous
rapproche du moment béni où nous
pourrons proclamer sans difficulté les
richesses insondables de Christ à ces
âmes bien-aimées qui périssent.
Mon coeur est rempli d'une joie solennelle et
triomphante à la pensée de l'oeuvre
que Dieu va accomplir en Chine ; je ne trouve
point de mots pour l'exprimer même en priant.
Notre ardent désir est de partager les
souffrances et les triomphes du Sauveur, pour que
son Royaume s'étende et que les plans de sa
grâce s'accomplissent. N'est-ce pas là
la félicité du ciel même ?
Tsing-kiang-pu, 4 Mai 1888.
C'est le soir
maintenant ; tout
est calme et tranquille. Il n'y a que quelques
heures que nous sommes arrivées
complètement étrangères dans
cette grande ville et maintenant nous nous sentons
tout à fait chez nous. Le Seigneur nous
attendait ici et il nous a bénies au
delà de tout ce que nous avions
demandé et pensé. C'est parce qu'il
est si près de nous, je pense, que nous nous
sentons si bien chez nous et que cette
localité nous est déjà
chère.
Nous venons de lire tous
ensemble le
Psaume XCI ; paroles bénies qui nous
remplissent d'espérance !
« Un bouclier et une
cuirasse ! » c'est
précisément ce que
Dieu est pour nous. Chaque jour nous rencontrons
« le filet de l'oiseleur, les terreurs
des ténèbres, la flèche qui
vole de jour, la peste qui marche la
nuit ; » mais toutes ces choses ne
sont là que pour rendre plus évidente
la protection de notre Dieu. Nous ne pouvons pas
avoir de la crainte ! Mon âme tressaille
d'allégresse en Dieu.
TROIS minutes de marche nous ont
amenées du canal jusqu'ici.
Représentez-vous, dans une rue tranquille,
une grande porte et une petite dans un grand mur
blanc, et pour l''extérieur c'est
tout ; car notre maison est une vraie maison
chinoise, sans aucune prétention à la
beauté intérieure.
La grande porte, qui est celle
de la
chapelle, était ouverte quand nous sommes
arrivées ; c'était l'heure de la
séance de l'après-midi, et des
hommes, entraient et sortaient librement ; le
bon évangéliste ou pasteur Jao Sien
Sing était à l'intérieur
s'entretenant avec tous ceux qui se
présentaient.
La petite porte s'ouvrit
bientôt pour nous et nous voici dans une cour
d'environ dix mètres de longueur sur six de
largeur. En face de la porte d'entrée est la
salle de réception dont la porte est ouverte
et dans laquelle nous nous empressons d'entrer.
Tous nos bagages y sont déposés et
nous pouvons examiner notre nouvelle demeure
à loisir. La pièce où nous
sommes, et que nous appelons « la chambre
des femmes, » est haute et spacieuse, et
bien qu'elle puisse se glorifier de n'avoir pas une
seule fenêtre, étant tout à
fait chinoise, elle ne manque ni d'air ni de
lumière : son immense porte à
deux battants est aussi grande que les portes
cochères de nos hôtels et elle est
toujours ouverte. Les parois sont en bois et
très vieilles ; il en est de même
du plafond qui est en même temps le plancher
de la chambre qui est au dessus ; le sol est
briqueté, mais les briques sont si
éloignées les unes des autres que
nous nous trouvons plutôt sur la terre que
sur les briques. L'ameublement consiste en une
table, une demi-douzaine de beaux fauteuils
chinois, carrés, lourds, tout à fait
monumentaux, plus deux ou trois bancs. À la
muraille, quelques textes bibliques aux brillants
caractères font le plus bel effet ;
deux d'entre eux metouchent
particulièrement : « Dieu est
le Seigneur du ciel et de la terre, » dit
le premier ; « le coeur de Dieu est
donc amour, » dit le second qui est la
traduction chinoise de 1 Jean IV, 8.
Notre petite cuisine ouvre sur
un
des côtés de la chambre ; de
l'autre, c'est le grand escalier de la maison.
D'autre part, ouvrant sur la cour, se trouvent les
chambres occupées par
l'évangéliste et sa famille.
Mais nous n'avons pas le temps de
rêver ; une longue après-midi de
rude travail nous attend si nous voulons que nos
chambres soient propres ce soir, avant de nous y
établir. Nos amis d'ici sont trop
occupés pour pouvoir nous aider ; du
reste, des mains chinoises ne nous seraient
d'aucune utilité pour une telle
besogne ; nous réunissons donc tout ce
que nous pouvons trouver en fait d'engins utiles,
et nous suppléons à leur insuffisance
par notre entrain et notre bonne humeur. Le Chinois
ne connaît ni la brosse, ni le balai ;
il ne connaît que le chiffon et une sorte de
touffe dont il se sert pour
épousseter ; ces objets mêmes ne
se vendent nulle part ; à chacun d'en
fabriquer, s'il en veut ; notre chère
amie, la femme du pasteur n'en possède
aucun. Nous nous mettons donc à l'oeuvre
avec une vieille brosse toute usée et un
vieux panier à balayures, chinois, si
abondamment pourvu de trous qu'il laisse
échapper une grande partie de son contenu.
Nous complétons notre balayage par des
lavages à l'eau chaude, en nous servant de
morceaux de flanelle arrachés à de
vieux vêtements.
Le spectacle est
amusant : de
la chambre extérieure dont j'expulse des
monceaux de balayures, j'aperçois à
travers des nuages de poussière,
Maggie lavant les fenêtres
du haut d'une chaise chinoise et Lottie à
genoux frottant vigoureusement le plancher avec ses
flanelles et son eau chaude. Elle n'ont ni soude,
ni savon, mais beaucoup de gaîté et de
persévérance. Plus près, dans
la chambre intermédiaire, c'est Mary, au
milieu des meubles les plus étranges ;
elle frotte les tables et les chaises et fait la
guerre aux araignées qui fuient de toutes
parts. Nos joyeux cantiques ne cessent de
retentir : « Je suis un soldat de la
croix, je marche sur les traces de
l'Agneau. » « O
Jésus ! je veux t'aimer, te
servir. » « Je te donne tout
mon coeur ; quoi qu'il arrive, je suis
à ton service, etc., » Aussi les
heures passent vite.
À la nuit notre tâche
est finie ; nous mettons de côté
nos engins et nous contemplons notre ouvrage :
nos chambres nous paraissent reluisantes de
propreté et tout à fait
confortables ; bien que pour un oeil
exercé, elles laisseraient encore à
désirer.
SAN-SA vient nous dire que le
thé est prêt en bas, dans la
« chambre des femmes » qui est
aussi notre salle à manger. Il nous y a, en
effet, préparé un excellent repas
auquel nous faisons le plus grand honneur. Nous
avons ensuite une heure bénie de
prières en anglais ; après cela,
le culte chinois termine la
journée.
Mlles Mary Reed et Maggie
Mac-Kee
restèrent dans cette maison pour y
poursuivre l'oeuvre missionnaire, et Mlles Mac
Farlane et Guinness se rendirent bientôt
à la campagne, dans le district
d'Antong.
La veille de la séparation,
cette dernière écrit dans son
journal :
Nous suivons le Seigneur. Il
aplanira notre sentier, nous en avons l'assurance
et nous demeurons dans le
repos.
Quelle paix ont répandue dans
nos coeurs les paroles bénies du Psaume
XLVIII que nous avons lues ce soir ! Je me les
suis redites tandis qu'appuyée sur le bord
de ma fenêtre ouverte je contemplais la
beauté du ciel étoilé :
« Dieu est notre Dieu éternellement ;
Il sera notre guide jusqu'à la mort. »
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