Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE VIII

Dix jours sur un canal Chinois.

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 APRÈS un court séjour à Yang-chau, Mesdemoiselles Géraldine Guinness et Mary Reed quittèrent la Maison des Missions et ses vingt ou trente demoiselles élèves missionnaires, pour s'en aller à Tsing-Kiang-Pu, et de là gagner une ferme près d'Antong. Elles désiraient se trouver dans un milieu tout à fait chinois afin d'apprendre plus rapidement la langue et pénétrer davantage dans la vie intime du peuple de leur adoption. Mesdemoiselles Lottie Mac Farlane et Maggie Mackee qui pouvaient parler chinois, ainsi que San-sa, le jeune indigène chrétien dont il a été fait mention, les accompagnèrent dans leur voyage qui eut lieu par eau, sur une embarcation louée à leurs frais.


UAN-TEO, SUR LE GRAND CANAL, PROVINCE DE KIANG-SU.

Quatre grandes dames chinoises remorquées par sept vigoureux esclaves

 Vendredi, midi, 27 Avril.

Me voici toute seule dans notre joli bateau à la hauteur de Uan-teo, petite ville qui se trouve au bord du Grand Canal Impérial sur lequel nous voyageons maintenant. Cela me paraît si étrange ! Je viens d'avoir une heure tranquille passée en prières. Oh ! combien le Seigneur est près de moi !

« Mon âme, bénis l'Éternel, que tout ce qui est en moi bénisse le nom de Sa Sainteté. » Il nous rend « cent fois au delà » de ce que nous avons quitté. Vraiment c'est bien cent fois plus chaque jour, tant sont grandes les bénédictions qu'Il déverse sur nous.

Je suis seule maintenant parce que mes compagnes sont allées sur les bords du Canal, délivrer le message de vie que nous sommes venues apporter. Je n'ai pu me joindre à elles, parce qu'il fallait que l'une de nous restât à bord pour surveiller nos bagages. J'ai intercédé pour elles, et j'ai conscience qu'elles sont richement bénies de Dieu en ce moment même.

Voici des visites : une charmante paysanne et sa fille. J'ai essayé de leur dire quelques mots, - chères créatures, - mais je connais encore si peu de chinois ! Néanmoins elles sont contentes de me regarder écrire. Dans leur étonnement, elles s'appuient sur la table pour suivre les caractères mystérieux que forme ma plume ! Mais leur bateau s'en va .....
Quel bonheur ! Maggie est de retour, pleine de joie, elle amène sept dames et elles envahissent notre bateau. Mary et Lottie arrivent aussi ; elles ont été grandement bénies et sont rayonnantes de la joie du Seigneur.

Nos visiteuses sont assises en cercle autour de notre petite cabine. Lottie leur parle tandis que nous prions et que j'écris ces lignes. Une chère vieille dame d'environ soixante ans écoute avec la plus profonde attention. Elle nous assure avec beaucoup de calme et de sérieux qu'elle croit. « Je n'ai jamais, jamais entendu pareilles choses, dit-elle, mais je crois ! » Avec une figure radieuse elle explique à ses compagnes la vie du Sauveur, son amour et sa croix.

Une heure après.

Nos hôtesses viennent de partir. Plusieurs ont réellement compris notre message, j'en ai la conviction. Elles l'ont toutes écouté avec le plus grand intérêt. Nous leur avons aussi chanté un cantique et elles nous ont posé plusieurs questions. Deux d'entre elles, sont des femmes de Mandarins, venant de Canton, les autres vivent pour la plupart sur des bateaux avoisinants.

Maintenant nous les avons laissées et il n'y a personne pour prendre soin de leur âme ! Elles n'ont jamais entendu ce message jusqu'à maintenant ; aujourd'hui une courte visite, puis c'est tout ! Dieu soit béni de ce qu'elles ont entendu parler de Lui et de ce qu'elles ont cru en Lui ; et de ce que, bien qu'elles n'aient personne pour les instruire et les aider dans la suite, la Lumière divine demeure avec elles et les conduira dans toute la vérité. Nous les recommandons à Dieu, tandis que nous poursuivons notre route. Et Notre Père Céleste exauce nos prières. Oh ! quelle bénédiction d'être en contact permanent, journalier avec Lui, de demander et de recevoir, de chercher et de trouver, et de reposer avec assurance dans sa communion.

Même jour. 3 h. de l'après-midi.

Quel dîner amusant nous avons eu aujourd'hui ! Puisque Lottie et moi allons habiter, D. V., une vraie maison chinoise près d'Antong, et que notre désir est de nous conformer autant que possible aux coutumes du pays, nous pensons ne pouvoir mieux commencer notre nouvelle vie qu'en mangeant à la mode chinoise, c'est-à-dire avec des baguettes en guise de fourchettes. Aujourd'hui pour la première fois, nous nous en sommes servies. Je vous laisse à penser notre maladresse. Le repas lui-même était servi à la façon chinoise: sur la table sans nappe, quatre bols de riz, un bol de légumes au milieu, deux assiettes de poulets coupés en morceaux, à chaque extrémité, et enfin les huit fameuses baguettes. Je n'ai pas le temps de vous décrire la scène amusante qui a suivi. Nous nous en sommes très bien tirées, je crois, et nous recommencerons demain.




 Hier soir quand nous quittâmes la maison missionnaire, nous n'avions aucune intention de nous arrêter ici. Nous proposant de partir ce matin à l'aube du jour, nous vînmes à bord dès sept heures du soir. La chère miss Murray et plusieurs de nos bien-aimées soeurs nous accompagnèrent jusqu'au bateau, qui est grand, commode et beaucoup plus beau que nous ne nous y attendions et que nous ne le méritions. Après le départ de nos amies, il s'éleva une contestation entre les bateliers et nous, au sujet des accords faits pour notre voyage. Ceux-ci avaient promis de nous conduire à Tsing-Kiang-pu pour vingt-un francs soixante centimes ; il était convenu que le voyage durerait dix jours, bien qu'il ne fût que de 160 kilomètres, et que nous descendrions à terre pour évangéliser chaque fois que nous le désirerions. Mais voilà qu'hier soir le maître du bateau change d'avis et ne veut plus mettre que cinq jours pour aller à Tsing-Kiang-pu tout en exigeant le même prix. Et il s'emporta furieusement. Que faire, sinon avoir recours à notre Père céleste ? C'est ce que nous fîmes, et la réponse. ne se fit pas longtemps attendre. Avant le souper, l'affaire était arrangée ; l'homme revint aux premiers accords avec la promesse de notre part d'un supplément d'argent, si le voyage se prolongeait au-delà des dix jours convenus. Ce fut le premier de nos exaucements à bord ; j'en reçus d'autres non moins remarquables pendant la soirée ; mais je n'ai pas le temps de vous en parler.




 La soirée se passa agréablement à lire ensemble le remarquable ouvrage du Dr Pierson. « La Crise des Missions » et à prier au sujet du contenu de cet ouvrage si profondément intéressant. Nous étions si joyeuses et si reconnaissantes de pouvoir le lire dans les circonstances où nous nous trouvions : étant non-seulement des missionnaires, mais des pionniers qui s'avancent dans les lointaines et ténébreuses contrées où l'Évangile n'a jamais été prêché.


 Dimanche 29 avril.

Ce matin nous déjeunons de bonne heure afin d'avoir devant nous une journée de travail aussi longue que possible. Après notre petite réunion de prières en anglais et en chinois, nous montons au village devant lequel nous sommes arrêtés, afin d'y chercher des occasions d'annoncer le Sauveur. Quelle berge escarpée ! quelle muraille de boue ! et il nous faut monter là-haut ! Les marches creusées dans le sol sont si glissantes et si endommagées par la pluie que l'ascension nous en paraît presque impossible. Cependant nous la tentons. Nous nous couvrons de boue, mais enfin nous arrivons au haut de la berge où bon nombre de mains amies nous sont tendues pour nous aider à franchir le dernier mauvais pas. Quelle foule de visages aimables, bienveillants ! Il pleut, mais quelques femmes nous conduisent tout de suite dans une grande ferme ; elles nous font entrer dans une chambre agréable et spacieuse où une cinquantaine de personnes, sans compter les enfants, se réunissent pour nous écouter. L'auditoire est des plus attentifs. Le temps me manque pour vous parler de l'amabilité de ces chères âmes. Après une heure de réunion, une femme, nous prie instamment d'aller avec elle redire la même merveilleuse histoire dans sa propre demeure qui n'était pas éloignée. Nous nous empressons de la satisfaire et nous trouvons chez elle, comme dans la maison précédente, une vaste chambre remplie de gens qui écoutent avec la plus grande attention. Dans cette réunion trente ou quarante auditeurs doivent avoir entendu notre message. Nous leur avons laissé des évangiles et des traités. Douze à quinze d'entre eux étaient des hommes ; quelques-uns étaient des esprits supérieurs. Ils ont pris les évangiles en promettant de les lire.


LE VRAI BONHEUR
Publié par la Société chinoise des traité religieux

 Quatre ou cinq femmes ont paru particulièrement intéressées et nous avons bon espoir pour elles.
Avant le dîner nous avons visité trois autres maisons ; nous n'avions pas l'intention d'en visiter autant, mais ces chères gens nous ont contraints d'entrer chez eux.Lottie et San-sa ont eu aussi de bonnes réunions dans autant de maisons de l'autre côte de la ville ; de sorte qu'ensemble nous avons pu ce matin nous adresser à huit ou dix auditoires.




 FATIGUÉES, trempées par la pluie, couvertes de boue, nous revenons au bateau pour dîner et prendre une demi-heure de repos. Nos coeurs louent Dieu pour les bénédictions du matin et nous lui demandons ses directions pour le reste de la journée. Pendant notre repas nombre de gens, sur le rivage, surveillent nos moindres faits et gestes. Nous n'en sommes nullement surpris, mais ce qui nous étonne, c'est de voir tout à coup le visage souriant d'une femme surgir à la fenêtre de notre cabine du côté du canal. Debout dans un petit bateau près du nôtre, elle nous apprend qu'elle vient d'une île voisine.

En passant ce matin nous avions remarqué sur le lac cette île avec ses nombreuses habitations et nous avions exprimé le désir d'y porter la Parole de vie. Aussi demandons-nous à notre visiteuse inattendue de nous y conduire.

 D'abord un peu hésitante, elle finit par y consentir et, au moment où j'écris, Lottie et San-sa se dirigent vers cette île. C'est un lieu ravissant. D'ici je puis voir les petites maisons brunes à demi cachées sous les arbres dont les branches s'inclinent gracieusement sur les eaux. Que Dieu donne du succès à Lottie ! Qu'Il la ramène bientôt ainsi que San-sa, sans accident et avec de bonnes nouvelles !
Il est près de cinq heures. Voici déjà deux heures qu'ils sont partis. Je vais bientôt leur préparer une tasse de thé.


Une batelière chinoise avec ses enfants

 Comme notre vie sur ce bateau est étrange et agréable en même temps ! Nous allons, jour après jour, où Dieu nous appelle, ne vivant que pour proclamer son glorieux salut. Le Seigneur est si près de nous ! Nous nous attendons à lui à chaque heure ; et à chaque heure, Il est avec nous. Nous sommes faibles, sans protection, ignorantes, inexpérimentées, mais le Seigneur veut bien se servir même de nous, et il nous remplit de joie. Je suis la plus âgée de notre petite bande, Lottie la plus expérimentée, bien qu'il n'y ai que trois ans qu'elle est en Chine. Mais Dieu est notre guide, et tout va bien.

Nos amis viennent de rentrer. Comme leurs visages sont radieux ! Le Seigneur les a abondamment bénis. San-sa est débordant de joie et de reconnaissance ; il voudrait rester ici un jour de plus. Ils ont eu de nombreux auditoires, ils ont pu parler à des foules attentives composées d'hommes aussi bien que de femmes, et ils ont eu les occasions les plus bénies pour annoncer le Sauveur. Nous remercions Dieu tous ensemble de tout notre coeur. Lottie dépose, sur la table le chapelet qu'une femme lui a remis, cette après-midi même, lorsqu'elle s'est décidée à quitter Bouddha pour notre Sauveur bien-aimé.

 Même jour, 9 h. du soir.

Cette journée a été merveilleuse. Fatiguées, mais bénies dans notre âme, nous allons nous livrer au repos. Aucun missionnaire, à notre connaissance, n'avait jamais visité ces populations, mais aujourd'hui cinq cents personnes au moins ont entendu la Bonne Nouvelle du salut. En outre, des évangiles et des traités restent entre leurs mains. À toi, divin Maître, nous recommandons ces âmes précieuses ; ta Parole ne peut retourner à toi sans effet.
Demain au point du jour, nous repartirons, D. V., et nous laisserons derrière nous ces chères âmes comme des brebis qui n'ont point de berger.

 Lundi matin, 7 h. 30.

CE matin à cinq heures, nous avons repris notre course lente et tranquille vers le nord. Nous allions nous réunir pour prier ensemble, il y a quelques minutes, quand nous remarquâmes que nous étions devant une ville s'étendant sur les deux rives du canal. Mais nous n'avions pas l'intention de nous y arrêter, et nous glissions devant elle, quand nous découvrîmes à notre gauche sur la berge, un groupe de cinquante à quatre-vingts hommes, occupés à travailler au bord de l'eau. Nous ne pouvions négliger une si belle occasion d'annoncer l'Évangile, aussi fîmes nous mettre à l'ancre, et San-sa s'en alla sur le rivage avec des traités et des évangiles. Pendant que j'écris, je puis le voir au milieu d'un groupe de ces ouvriers, vendant ses évangiles et parlant avec la plus grande ardeur à ses auditeurs attentifs. Le voici de retour, il a vendu un bon nombre de ses petits livres, et a pu annoncer l'Évangile d'une manière complète à ceux qui se sont réunis autour de lui. Maintenant nous allons déjeuner et pour aujourd'hui nous aurons notre réunion de prières après le repas.

 Lundi après-midi, 3 h.

Nous venons d'atteindre la grande cité de Kao-Sin, et pendant de longues heures nous glissons doucement sous ses hautes murailles toutes garnies de tourelles. Des centaines de milliers d'habitants vivent dans leur immense enceinte ; et au milieu d'eux pas un seul missionnaire ! Dans une si grande obscurité, point de lumière pour montrer le Sauveur du monde ! Kao-Sin n'a jamais eu de missionnaire, mais Dieu soit béni, un évangéliste indigène doit venir cette semaine même s'installer dans la ville. Nous espérons qu'il pourra loger dans une auberge chinoise, gagner peu à peu la confiance du peuple, et préparer ainsi la voie à quelques-unes de nos soeurs qui viendront faire leur oeuvre parmi les femmes. Mais au point où en sont les choses en ce moment, aucune dame étrangère n'ayant encore été vue à Kao-Sin, nous ne pouvons nous aventurer sur le rivage. San-sa seul est descendu pour faire quelques emplettes et pour vendre nos livres. Notre embarcation vient de passer près de lui. Cher garçon ! je le vois, là, debout au milieu d'une foule d'hommes, offrant la Parole de vie et parlant avec ardeur.

Quelles murailles interminables ! il semble que nous n'en verrons jamais le bout. Les rives du canal sont animées par des bandes d'ouvriers qui réparent et doublent les digues, opération bien nécessaire. Les ouvriers que nous avons vus ce matin de bonne heure n'étaient qu'un premier détachement des centaines d'autres que nous avons dépassés depuis. Il paraît que beaucoup d'entre eux viennent de très loin. Les petits bateaux qui leur servent d'habitations sont amarrés en longues files des deux côtés du canal. D'ici on aperçoit les femmes et les enfants faire la cuisine, laver, s'amuser et souvent aussi seconder les hommes dans leur pénible travail. Ces Chinois semblent si sobres si travailleurs, si dignes de respect ! Je les aime vraiment. Mais ils sont terriblement pauvres. Pour toute demeure, ils n'ont que de misérables petits bateaux où tout se passe à ciel ouvert ; bateaux qui ont à peine un mètre et demi de largeur sur cinq de longueur. Une des extrémités est recouverte de deux ou trois nattes d'herbe à l'abri desquelles ils se glissent la nuit pour dormir. Rien de plus ! Souvent les deux tiers du bateau sont occupés par un gros chargement de boue destinée à l'endiguement ; la famille entière s'entasse dans l'espace resté libre et ne paraît pas s'en porter plus mal. Le salaire de ces ouvriers est ordinairement de quarante centimes par jour. Comment peuvent-ils vivre avec cela ? Je l'ignore. Ils paraissent cependant gais et bien portant. Pauvres âmes !


Et, pendant de longues heures, nous glissons sous les hautes murailles...



 Le canal forme une large rivière aux eaux brunes et courantes, à quatre ou cinq mètres au-dessous des digues qui lui servent de rives. Au delà des dignes, et de chaque côté, le sol est considérablement au-dessous du niveau du canal. Le terrain est cultivé ; à notre droite, se trouvent d'immenses champs de riz et des groupes de maisons brunes entourées d'arbres verts magnifiques ; et partout se trouvent de nombreuses chaussées étroites, qui sillonnent les champs couverts d'eau, et les divisent en bandes et en carrés réguliers. À notre gauche, tout est différent, mais également beau. Point de champs de riz, point de maisons, mais un lac paisible et bleu qu'on aperçoit à travers le feuillage vert tendre des arbres qui bordent le chemin de halage sur la rive opposée. Les bateaux et les vaisseaux lointains qu'on distingue sur le lac ajoutent à sa beauté. On ne voit aucune borne à cette immense nappe d'eau, on pourrait la prendre pour la mer par une radieuse et calme matinée d'été. Spectacle splendide des deux côtés ! Et, devant nous, c'est notre large canal tout entouré de verdure et se prolongeant à perte de vue vers le nord. Les teintes fraîches et vives du printemps réjouissent notre vue ; un brillant soleil de mai inonde toute la campagne ; une fraîche brise nous vivifie et nous remplit d'ardeur ; oh ! quelle délicieuse course !
Le bateau continue à avancer et nous laisse en arrière. Nous nous sommes attardées à parler aux groupes de personnes que nous rencontrons.

Parvenues à un petit village, nous distribuons promptement nos livres, et laissant Lottie et Mary s'adresser aux foules qui se rassemblent, Maggie et moi courons à la poursuite de notre esquif, suivies nous-mêmes d'une escorteconsidérable ! Nous le rattrapons à un kilomètre de là, arrêté devant un autre grand village. Une foule énorme nous y attend déjà. Nous allons chercher nos livres et nous revenons escortées encore de plus de cent personnes bien disposées à notre égard. Nous nous divisons en deux bandes, qui chacune de son côté, annonce la Bonne Nouvelle. San-sa, accompagné d'un des bateliers, tient une réunion plus loin dans la rue du village.

Je suis revenue sur le bateau pour envoyer encore des livres par un autre de nos bateliers. D'ici je puis voir deux de ces rassemblements sur la digue au-dessus de moi, et je puis presque entendre les voix qui annoncent le joyeux message. du salut.
De toutes parts comme ces gens accourent ! comme ils écoutent ! quelle attention ! Merveilleuses occasions ! Comment se fait-il qu'il n'y ait pas des milliers de voix pour dire aux païens que le nom de Dieu est « amour. » De tous côtés, les portes sont grandes ouvertes, les coeurs sont préparés, ils sont dans l'attente, ils ont soif de la Bonne Nouvelle. Ils attendent, ils attendent toujours et personne ne se présente pour leur apporter le message de vie !



UNE GRANDE APPRÉHENSION.

 1er Mai.

Le village que nous venons de laisser n'est qu'à un kilomètre et demi et en voici déjà un autre.
San-sa n'ayant pas quitté le rivage va y vendre les « livres du ciel. » Ici encore de nombreux groupes d'ouvriers sont occupés à consolider les barrières qui retiennent les eaux ; toits se montrent disposés à écouter la Bonne Nouvelle du salut et à converser sur ce sujet. Que de coeurs ouverts ! et combien de temps ces chères âmes attendront-elles ?

Ces populations sont en proie à une grande angoisse au sujet des eaux tumultueuses du redoutable Hoang-Ho (Fleuve Jaune), et tous ces travaux
Au milieu de circonstances si diverses, la vie spirituelle de nos chères missionnaires se développait de jour en jour, ainsi que cela ressort de la lettre suivante.

Quoique séparés par de si grandes distances, nous nous rencontrons en Celui par qui nous avons « la vie, le mouvement et l'être. » Quel glorieux privilège d'être séparés pour l'amour de Lui, et de sentir que vous, en Angleterre, et nous au coeur de la Chine, nous occupons la place que Dieu nous a assignée, travaillant et vivant pour le même but : sa gloire et l'avancement de son règne !

Nous sommes profondément convaincues que Dieu va accomplir des choses merveilleuses dans ce grand pays. Encore un peu de temps, et nous croyons qu'Il déversera des flots de bénédictions sur ce peuple. Quel privilège d'être « ouvrier, avec Lui » dans cette oeuvre glorieuse ! Cette oeuvre est digne de toutes les souffrances et de tous les sacrifices ! Béni soit Dieu de ce que nous y coopérons ! mais nous désirons ardemment être pleinement un « avec Lui, » de même que le Seigneur Jésus-Christ le fut dans son ministère terrestre.

Le soupir de notre âme est de n'avoir aucun désir, aucune affection, aucune pensée, aucun plan, aucun projet, aucune existence dans lesquels Il ne règne en souverain. Nos vies ont été trop souvent distinctes de la sienne. Nous avons eu des jouissances qu'Il n'a pas partagées, tant de pensées, tant de projets, d'affections où Il n'a pas occupé la première place. Nous voyons plus clairement chaque jour que notre vie ne doit consister qu'à suivre le Sauveur à n'importe quel prix, d'abord pour le bien de nos propres âmes, ensuite pour celui des pécheurs qui périssent autour de nous. Nous n'avons de temps et de force que pour cette seule chose : apprendre du Seigneur et le faire connaître.

Soyons de ceux qui, puissants en foi et en prière, font agir le bras de Dieu et amènent les fleuves d'eau vive sur la terre desséchée. Quelle responsabilité et quel glorieux privilège que d'avoir une part dans cette oeuvre ! Combien doit être sérieux celui qui est appelé à être ouvrier avec Dieu, et combien son coeur doit être pur et simple ! Sa vigilance doit être constante. Débarrassons-nous de toute entrave ! Nous le répétons à notre propre coeur : de toute entrave. Coupons notre main droite, s'il le faut, et sans hésitation rejetons tout ce qui pourrait ralentir notre course, « regardant à Jésus. »

Aidez-moi à remercier et à louer Dieu à jamais de ce qu'Il m'a amenée ici en Chine ! Dans ce pays lointain, Il se tient si près, si près de nous ! Quelle joie de trouver sa bonté infiniment plus grande que nous n'avons jamais pu le penser, même d'après les rapports de ceux de nos devanciers qui ont essayé de dire (mais sans y parvenir) la grandeur de sa puissance et de sa grâce. Que le Seigneur vous donne aussi la bénédiction spirituelle dont vous avez besoin dans l'oeuvre de votre maison, bien plus difficile à quelques égards que celle que nous faisons ici. D'ailleurs ces deux oeuvres sont les mêmes en principe. Nous ne sommes pas plus missionnaires ici, à aucun degré, que chacun de vous ne doit l'être en Angleterre. Les détails extérieurs de la vie peuvent différer, ce qui importe peu ; mais l'esprit doit être le même. Il faut que les chrétiens se le rappellent : ils sont tous appelés à être missionnaires tout autant que nous ; c'est notre seule affaire. Que le Seigneur nous donne de « déposer tout autre fardeau ! »

Nous le disons avec reconnaissance, le Seigneur nous a donné quelque succès dans l'étude du chinois. Il n'y a que trois semaines que nous sommes à l'oeuvre ; et dimanche dernier déjà, je pus dire quelques mots aux chères femmes que nous visitions, et je fus comprise ; imaginez quelle fut ma joie ! Nous sentons que vous priez pour nous et que tout succès vient directement de Dieu sans le secours de qui nous ne pourrions rien. Quel bonheur d'étudier cette langue, quelque difficile qu'elle soit, et de sentir que chaque jour nous rapproche du moment béni où nous pourrons proclamer sans difficulté les richesses insondables de Christ à ces âmes bien-aimées qui périssent. Mon coeur est rempli d'une joie solennelle et triomphante à la pensée de l'oeuvre que Dieu va accomplir en Chine ; je ne trouve point de mots pour l'exprimer même en priant. Notre ardent désir est de partager les souffrances et les triomphes du Sauveur, pour que son Royaume s'étende et que les plans de sa grâce s'accomplissent. N'est-ce pas là la félicité du ciel même ?


Haddon-Hall


CHAPITRE IX


La Maison Missionnaire de Tsing-kiang-pu.


 Tsing-kiang-pu, 4 Mai 1888.

C'est le soir maintenant ; tout est calme et tranquille. Il n'y a que quelques heures que nous sommes arrivées complètement étrangères dans cette grande ville et maintenant nous nous sentons tout à fait chez nous. Le Seigneur nous attendait ici et il nous a bénies au delà de tout ce que nous avions demandé et pensé. C'est parce qu'il est si près de nous, je pense, que nous nous sentons si bien chez nous et que cette localité nous est déjà chère.

Nous venons de lire tous ensemble le Psaume XCI ; paroles bénies qui nous remplissent d'espérance ! « Un bouclier et une cuirasse ! » c'est précisément ce que Dieu est pour nous. Chaque jour nous rencontrons « le filet de l'oiseleur, les terreurs des ténèbres, la flèche qui vole de jour, la peste qui marche la nuit ; » mais toutes ces choses ne sont là que pour rendre plus évidente la protection de notre Dieu. Nous ne pouvons pas avoir de la crainte ! Mon âme tressaille d'allégresse en Dieu.

TROIS minutes de marche nous ont amenées du canal jusqu'ici. Représentez-vous, dans une rue tranquille, une grande porte et une petite dans un grand mur blanc, et pour l''extérieur c'est tout ; car notre maison est une vraie maison chinoise, sans aucune prétention à la beauté intérieure.

La grande porte, qui est celle de la chapelle, était ouverte quand nous sommes arrivées ; c'était l'heure de la séance de l'après-midi, et des hommes, entraient et sortaient librement ; le bon évangéliste ou pasteur Jao Sien Sing était à l'intérieur s'entretenant avec tous ceux qui se présentaient.

La petite porte s'ouvrit bientôt pour nous et nous voici dans une cour d'environ dix mètres de longueur sur six de largeur. En face de la porte d'entrée est la salle de réception dont la porte est ouverte et dans laquelle nous nous empressons d'entrer. Tous nos bagages y sont déposés et nous pouvons examiner notre nouvelle demeure à loisir. La pièce où nous sommes, et que nous appelons « la chambre des femmes, » est haute et spacieuse, et bien qu'elle puisse se glorifier de n'avoir pas une seule fenêtre, étant tout à fait chinoise, elle ne manque ni d'air ni de lumière : son immense porte à deux battants est aussi grande que les portes cochères de nos hôtels et elle est toujours ouverte. Les parois sont en bois et très vieilles ; il en est de même du plafond qui est en même temps le plancher de la chambre qui est au dessus ; le sol est briqueté, mais les briques sont si éloignées les unes des autres que nous nous trouvons plutôt sur la terre que sur les briques. L'ameublement consiste en une table, une demi-douzaine de beaux fauteuils chinois, carrés, lourds, tout à fait monumentaux, plus deux ou trois bancs. À la muraille, quelques textes bibliques aux brillants caractères font le plus bel effet ; deux d'entre eux metouchent particulièrement : « Dieu est le Seigneur du ciel et de la terre, » dit le premier ; « le coeur de Dieu est donc amour, » dit le second qui est la traduction chinoise de 1 Jean IV, 8.

Notre petite cuisine ouvre sur un des côtés de la chambre ; de l'autre, c'est le grand escalier de la maison. D'autre part, ouvrant sur la cour, se trouvent les chambres occupées par l'évangéliste et sa famille.


Un coup d'oeil dans Haddon Hall

 Le mystérieux escalier nous attire et nous en faisons l'ascension qui n'est pas sans danger. La maison est extrêmement vieille ; plus nous montons, plus nous le voyons. C'est une vraie curiosité. Au haut de l'escalier, nous traversons un étroit palier et nous entrons dans un bizarre petit vestibule sur lequel ouvrent deux toutes petites chambres qu'on pourrait prendre pour de grandes armoires ; de ces deux chambrettes, nous passons dans trois autres chambres en enfilade, car ici la bonne vieille coutume veut que les chambres ouvrent l'une dans l'autre. Chacune de ces chambres a le plancher en bois et les parois blanchies à la chaux ; et chacune est éclairée par une fenêtre donnant sur la cour. Nous nous rendons dans la dernière ; il s'y trouve une table chinoise, une chaise et un lit de bois solide, propre, confortable ; nous y remarquons, en guise de sommier, un treillis formé de fibres brunes. L'avant-dernière chambre a deux chaises et une toute petite table ; la première possède une table, deux chaises et deux fauteuils.

Il nous semble être dans le château de Haddon Hall, en Angleterre, dans la partie qu'on ne montre pas au public, mais qui fait les délices des amateurs. Ce sont les mêmes vieilles portes, les mêmes boiseries brunes et vermoulues, les mêmes planchers raboteux et branlants, les mêmes petites fenêtres à treillis donnant sur une cour tranquille. Par ci par là une planche qui a cédé laisse au plancher une large ouverture par laquelle nous contemplons l'étage inférieur ; et quand nous marchons, les planches ondulent et craquent d'une façon peu rassurante. Les solives du toit, les poutres, les portes, toutes les boiseries enfin, sont tellement usées, vermoulues, noircies par le temps, qu'elles reportent fatalement ma pensée à ces chères vieilles masures de Haddon Hall qui faisaient mes délices autrefois.


UN RÉCURAGE A LA CHINOISE.

 Mais nous n'avons pas le temps de rêver ; une longue après-midi de rude travail nous attend si nous voulons que nos chambres soient propres ce soir, avant de nous y établir. Nos amis d'ici sont trop occupés pour pouvoir nous aider ; du reste, des mains chinoises ne nous seraient d'aucune utilité pour une telle besogne ; nous réunissons donc tout ce que nous pouvons trouver en fait d'engins utiles, et nous suppléons à leur insuffisance par notre entrain et notre bonne humeur. Le Chinois ne connaît ni la brosse, ni le balai ; il ne connaît que le chiffon et une sorte de touffe dont il se sert pour épousseter ; ces objets mêmes ne se vendent nulle part ; à chacun d'en fabriquer, s'il en veut ; notre chère amie, la femme du pasteur n'en possède aucun. Nous nous mettons donc à l'oeuvre avec une vieille brosse toute usée et un vieux panier à balayures, chinois, si abondamment pourvu de trous qu'il laisse échapper une grande partie de son contenu. Nous complétons notre balayage par des lavages à l'eau chaude, en nous servant de morceaux de flanelle arrachés à de vieux vêtements.

Le spectacle est amusant : de la chambre extérieure dont j'expulse des monceaux de balayures, j'aperçois à travers des nuages de poussière, Maggie lavant les fenêtres du haut d'une chaise chinoise et Lottie à genoux frottant vigoureusement le plancher avec ses flanelles et son eau chaude. Elle n'ont ni soude, ni savon, mais beaucoup de gaîté et de persévérance. Plus près, dans la chambre intermédiaire, c'est Mary, au milieu des meubles les plus étranges ; elle frotte les tables et les chaises et fait la guerre aux araignées qui fuient de toutes parts. Nos joyeux cantiques ne cessent de retentir : « Je suis un soldat de la croix, je marche sur les traces de l'Agneau. » « O Jésus ! je veux t'aimer, te servir. » « Je te donne tout mon coeur ; quoi qu'il arrive, je suis à ton service, etc., » Aussi les heures passent vite.

À la nuit notre tâche est finie ; nous mettons de côté nos engins et nous contemplons notre ouvrage : nos chambres nous paraissent reluisantes de propreté et tout à fait confortables ; bien que pour un oeil exercé, elles laisseraient encore à désirer.

SAN-SA vient nous dire que le thé est prêt en bas, dans la « chambre des femmes » qui est aussi notre salle à manger. Il nous y a, en effet, préparé un excellent repas auquel nous faisons le plus grand honneur. Nous avons ensuite une heure bénie de prières en anglais ; après cela, le culte chinois termine la journée.
Mlles Mary Reed et Maggie Mac-Kee restèrent dans cette maison pour y poursuivre l'oeuvre missionnaire, et Mlles Mac Farlane et Guinness se rendirent bientôt à la campagne, dans le district d'Antong.

La veille de la séparation, cette dernière écrit dans son journal :
Nous suivons le Seigneur. Il aplanira notre sentier, nous en avons l'assurance et nous demeurons dans le repos.
Quelle paix ont répandue dans nos coeurs les paroles bénies du Psaume XLVIII que nous avons lues ce soir ! Je me les suis redites tandis qu'appuyée sur le bord de ma fenêtre ouverte je contemplais la beauté du ciel étoilé :

« Dieu est notre Dieu éternellement ;
Il sera notre guide jusqu'à la mort. »


Promenade de Lady Dorothée à Haddon Hall

 

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