Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE V

De Hong-Kong à Yangchau.

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Shangaï. Chinkiang, Une nuit dans un ponton.


 NOUS voici de nouveau en mer avec un tangage assez fort. Nous poursuivons notre route jour et nuit, sans trêve ni repos, en suivant la côte de cette immense contrée ; nous l'avons longée toute la journée d'hier et toute celle d'aujourd'hui, et pourtant nous sommes encore à des centaines de milles de l'embouchure du Yang-Tsé-Kiang, qui n'est elle-même qu'à la moitié du chemin de Canton à Péking.
Quel vaste empire que cette Chine ! Dans un jour ou deux, nos pieds toucheront ce rivage qui nous est inconnu à tous. C'est un moment si solennel, que j'éprouve le besoin de le passer en prière, seule avec Dieu. Quels seront les résultats de notre arrivée en Chine ? que nous apportera l'avenir ? Dieu le sait.
Pour Lui, il n'y a ni mystère, ni obscurité, niais un sentier clairement tracé, tout brillant de lumière.
Oh ! que Celui qui a tracé ce sentier devant nos pas, nous prépare à y marcher sans regarder en arrière.


SUR LES EAUX BRUNES DU YANG-TSÉ-KIANG.

 Nous venons de quitter le « Deccan. » Il s'éloigne toujours plus derrière nous à mesure que notre nouveau bateau, le Wang-Poo, avance vers Shangaï. Réunis dans le joli petit salon, tout en causant nous regardons s'enfuir les rives du fleuve. Rien de très remarquable dans ce qui se présente à nos yeux. L'eaubrune est encaissée par un sol bas et brun, sur lequel croissent une herbe rare et brune, et des arbres également bruns, semblables aux saules de nos pays en hiver. Parmi ces arbres sont disséminés les villages indigènes aux toits de chaume. Au-dessus s'étend un ciel bleu avec des nuages comme des flocons blancs ; le soleil brille d'un éclat radieux, la journée est délicieuse. Cela ne ressemble pas à la Chine ; vraiment cela pourrait être la Tamise ! Cependant un regard sur les bateaux qui couvrent le fleuve nous ramène vite à la réalité ; en effet, les jonques aux peintures éclatantes, les sampans et les beaux bateaux de rivière que nous voyons pour la première fois et qui nous entourent de toutes parts, ont un aspect assez étrange pour qu'on ne puisse s'y tromper.

Enfin nos amis arrivent à SHANGAÏ, première station de la China Inlang Mission, où ils quittent leurs vêtements européens pour prendre le costume national chinois. Ils se dirigent ensuite vers Yangchau, ville de trois cent mille habitants.


DE SHANGAÏ A CHINKIANG.

 QUELLE singulière émotion nous éprouvâmes dans nos chaises à porteurs, au milieu de la nuit silencieuse et étoilée, descendant les rues tortueuses, traversant les ponts et les carrefours de la grande ville de Shangaï, vêtus pour la première fois de l'étrange costume qui paraît convenir si bien au peuple étonnant qui nous entoure. M. Stevenson marchait près de nous, mais il avait bien de la peine à suivre les coolies qui nous emportaient d'un pas rapide. Quinze minutes de cette marche nous amenèrent sur le quai le long duquel plusieurs vaisseaux attendaient l'heure du départ. Le nôtre s'y trouvait en destination pour Hankau. Tout à côté un navire mettait à la voile pour le Japon.


Géraldine Guiness

 Nous dîmes adieu à ce bon M. Stevenson qui nous avait accompagnés si loin, et nous nous installâmes pour la nuit dans les cabines de notre bateau, le Fuh-ho, nom qui signifie : Heureuse Harmonie. Naturellement nous voyageons à la manière du pays, (nous en portons le costume, ne l'oubliez pas) nous sommes donc à l'arrière du navire, avec tous les autres passagers chinois. Nous nous tenons aussi tranquilles que possible afin de ne pas attirer l'attention et de ne choquer personne. En fait, c'est un tort aux yeux des Chinois que nous voyagions ainsi, cela est même interdit sur certaines ligues, car au seul point de vue pécuniaire la chose n'est pas indifférente. De Shangaï à Chinkiang le passage de première classe, destiné aux Européens, coûte plus de huit dollars, tandis que nous, Chinois, n'en payons qu'un et demi. Pour de pauvres missionnaires, cette différence est grande. Mais pour nous ce n'est pas seulement une question d'argent, c'est une question de principe. Quoique très simple, la manière de voyager des Chinois est assez confortable. Ils ont d'abord une cabine avec un nombre plus ou moins grand de filets servant de lits ; une lampe, qui, bien qu'un peu fumeuse, éclaire suffisamment ; une copieuse ration de riz, trois fois par jour, et de l'eau chaude à volonté ; en outre, certaines délicatesses indigènes, décoctions pour mêler avec le riz, etc., dont nous n'usons pas.

Notre cabine à bord du Fuh-ho est grande, longue du moins. Elle est pourvue de douze filets, et l'espace du milieu suffit pour que deux personnes de moyenne taille y passent de front. Huit passagers pourraient s'y tenir debout les uns à côté des autres, à condition de ne pas bouger. Nous ne sommes que quatre, aussi nous trouvons-nous à l'aise. Mais comment pourrait-on y vivre dans les brûlantes journées de l'été, si chaque filet était occupé par une dame chinoise fumant son opium du matin au soir ? Quelques-unes de nos missionnaires ont eu à supporter de pareils ennuis ; heureusement que Dieu proportionne sa grâce aux difficultés !

Pour nous, le voyage est charmant, grâce à la bonté et à la longue expérience de notre compagnon de route, le missionnaire Mac Carthy. Il a improvisé une sorte de table avec des malles, et nous a rendu tout si facile qu'il nous semble faire un voyage d'agrément. Nous, avons apporté de la literie et des provisions de bouche qui nous dispensent d'avoir recours à la nourriture du bord. Au moment du repas, nous nous faisons une règle de laisser la porte ouverte à moins que nos compagnons de voyage qui nous admirent et ne cessent de s'émerveiller à notre sujet, ne se pressent en trop grande foule à l'entrée de notre cabine. Après le repas nous chantons, lisons, écrivons et prions ensemble. Pendant ce temps nous glissons rapidement sur les eaux brunes de l'immense Yang-Tsé-Kiang.


CHINKIANG.

 APRÈS vingt-quatre heures de trajet, nous arrivâmes à Chinkiang dans la nuit. De là nous devions poursuivre notre route jusqu'à Yangchau sur un petit bateau de canal ; et des dames de la maison missionnaire devaient prendre nos places sur le Fuh-ho qui continuait sa route sur le grand fleuve. Ce fut une rencontre étrange que nous fîmes avec ces chères amies par une nuit sombre et froide, au milieu de l'agitation et de la hâte d'un changement de bateau. Nous eûmes juste le temps de nous saluer et de nous dire un rapide, mais bien cordial : Dieu vous bénisse !

Nous, de notre côté, nous allâmes sur le débarcadère flottant de Chinkiang, comptant nous installer à bord de notre nouveau bateau pour le reste de la nuit ; car les bateaux de canal ne voyagent plus dès qu'il fait sombre. Pendant une heure ou deux nous attendîmes sur notre ponton, assis sur nos bagages, enveloppés de couvertures et de châles, avec un sommeil accablant. Bientôt nous apprîmes que nous devions rester jusqu'au matin à la place où nous étions.

Notre seul espoir fut alors de trouver sur notre débarcadère flottant quelque cabine servant aux voyageurs surpris par la nuit. Mais un meilleur sort, auquel nous ne songions guère, nous attendait.
Un vieux monsieur suédois, une sorte de Peggotty, (1) vrai coeur d'or, employé des Compagnies de navigation, faisait sa demeure dans notre ponton. Il vivaitcomme un prince dans son île flottante, carcasse d'un vieux vapeur qui avait cessé depuis longtemps de fendre les eaux de l'Océan. Durant notre longue attente nous avions bien vu ce personnage parler d'une façon amicale avec M. Mac Carthy, mais nous étions loin de supposer ses intentions à notre égard.
Grande fut donc notre surprise quand il nous pria d'aller nous reposer dans son « humble demeure. »

Tout heureux, nous acceptâmes son invitation et le suivîmes dans son bureau. Là il ouvrit une porte et nous introduisit dans - était-ce possible ? - une superbe salle à manger richement meublée, spacieuse et brillamment éclairée. Il s'y trouvait des oiseaux, des livres, des fleurs et une grande table avec un tapis vert. Puis un domestique chinois, d'une apparence des plus respectables, portant de brillantes lampes, nous fit signe de le suivre dans un autre appartement ouvrant sur celui-ci.

Quant à notre hôte, il avait disparu. Nous traversâmes une première chambre, et nous voilà dans un vrai salon, propre, splendide, luxueux, tout garni de glaces aux cadres dorés, qui réfléchissaient candidement nos chinoises personnes. Des sofas, des chaises longues, des fauteuils, des tables de salon, d'élégants tabourets, beaucoup de livres, des objets d'art disposés avec goût, enfin tous ces bibelots qu'on trouve dans un salon anglais et, je pense, dans un salon suédois. Nous pouvions à peine en croire nos yeux. Nous nous installons délicieusement. Il nous semblait être dans un conte de fée, et nous nous demandions si nous n'allions pas nous réveiller dans la nuit froide et sombre, condamnés à grelotter sur notre ponton, juchés sur nos bagages jusqu'au matin, quand notre hôte apparaît de nouveau, et nous voici dans la salle à manger où le souper venait d'être servi .... du thé bien chaud, un délicieux gâteau anglais. Puis, après souper, nous prions tous ensemble ; et nous allions nous retirer à notre place précédente, dans le salon, quand notre Peggotty nous déclare que nous prendrons sa chambre à coucher « telle qu'elle est ! » et le voilà qui nous entraîne ; nous traversons le salon et arrivons à la dernière pièce de l'appartement : elle était plus belle que toutes les autres ! Grande chambre à coucher magnifiquement meublée, occupant tout l'arrière. du navire, avec un immense lit à quatre places, des plus confortables, et tout ce qu'il était possible de désirer. Laissées seules, Mary et moi, vous pouvez penser comme nous en profitâmes ; oh ! comme nous dormîmes !

Le lendemain matin, notre excellent hôte nous fit servir à déjeuner, il était heureux de se dépenser pour nous ; aussi fut-ce avec une vive reconnaissance que nous prîmes congé de lui avant de poursuivre notre voyage.




 Les êtres chéris qui restent à la maison ne peuvent connaître que bien peu de chose de ce que ressent le missionnaire sur la terre étrangère. Vous ne pouvez vous représenter ce que nous ressentîmes en débarquant pour la première fois dans une grande cité chinoise et en nous voyant transportées à travers les foules qui remplissaient ses rues étroites et tortueuses, et vous ne pouvez vous représenter ce que nous éprouvons maintenant en voyageant pour la première fois sur un canal chinois.


 Oui, maintenant nous sommes en Chine, il n'est plus possible d'en douter. Mais nous ne sommes pas encore complètement chinoises, comme nous voudrions l'être ; la gêne que nous fait éprouver notre costume et le peu de goût qu'il nous inspire suffiraient à nous en convaincre.

Occupés à écrire sur le pont de notre bateau, nous sommes sans cesse dérangés par nos compagnons de route. Ils ne reviennent pas de l'étonnement qu'ils éprouvent à notre sujet. Beaucoup m'entourent et poussent des exclamations de surprise à la vue des caractères mystérieux que je trace si rapidement. Je suspens ma lettre pour leur montrer mon encrier à ressort, ma merveilleuse plume en or et mon porte-crayon dont la mine paraît et disparaît à volonté. L'étonnement redouble. Une femme, une vraie dame chinoise aux petits pieds, semble si alarmée du spectacle, qu'elle se retire vivement et ne s'aventure plus auprès de moi. Ces braves amis échangent toutes sortes de plaisanteries. Comme ils rient et secouent les épaules !

Les curieux deviennent si nombreux qu'il faudra nous retirer si nous voulons être un peu tranquilles. Pourtant ces hommes paraissent bons et aimables, avec leur accoutrement si comique, leurs têtes chauves et leurs longues queues.
Je me demande s'ils ont deviné que nous parlons d'eux dans nos lettres.

Comme il nous tarde de pouvoir nous exprimer assez couramment dans leur langue pour leur annoncer la glorieuse nouvelle que nous leur apportons de si loin !


CHAPITRE VI.

Premières journées dans le « Pays des fleurs »

(2)

Yang-chau. La Maison Missionnaire.

 

 23 Mars 1888.

 YANG-CHAU, ville de 300,000 habitants, située sur le Grand Canal qui va du Yang-Tsé-Kiang à Pékin, n'est qu'à vingt-quatre kilomètres de Chinkiang ; et cependant on met ordinairement près d'une journée pour aller d'une de ces villes à l'autre. Quant à nous, le vent nous fut si favorable que, partis à neuf heures du matin, nous étions à Yang-chau à trois heures de l'après-midi.

Nous arrivâmes au milieu d'une foule de bateaux qu'il fallut traverser pour aborder. Une planche fut jetée entre notre bateau et un retrait du sol à mi-hauteur de la berge raide et glissante, et nous dûmes nous frayer prudemment un passage à travers une foule de curieux sales et déguenillés. Oh ! ces figures, ces physionomies, quels airs misérables, méchants, malheureux, désespérés ! Il avait plu, et partout la boue et la saleté dépassaient tout ce que je pourrais dire ; tandis que la pauvreté et le dénûment des pauvres créatures, qui nous entouraient étaient au-dessus de tout ce que j'avais jamais pu concevoir. Au premier moment, je fus douloureusement frappée par cette scène, surtout par cette expression de désespoir et d'abrutissement que je remarquais sur les visages. Heureusement que tous ne sont pas ainsi ! le souvenir de la charmante batelière que nous venions de quitter nous encouragea, ainsi que celui de beaucoup d'autres.
Des chaises couvertes nous attendaient au haut de la berge. Nous fûmes bientôt enlevées sur les épaules de nos robustes coolies qui semblaient ne pas s'apercevoir de notre poids.

Oh ! quelles rues que celles par lesquelles nous passâmes ! je ne puis vous dire quel en fut mon étonnement : étroites, tortueuses, bondées de gens affairés ; rues, indescriptibles, interminables, enchevêtrées les unes dans les autres et nous réservant des surprises à chaque détour ! Il semble toujours, qu'on doive arriver à un endroit plus large, plus ouvert ; mais non, c'est toujours une rue de quatre, cinq, six pieds de largeur, pas davantage. Je n'en ai pas encore vu une à Yang-chan mesurant plus de trois mètres et demi de largeur, et l'on m'a assuré qu'il n'y en a pas. Parfois nos chaises touchaient presque les murs des deux côtés.

Enfin nos porteurs firent halte devant une petite porte percée dans un mur blanc, attenant à une mignonne chapelle, que nous devinâmes sans peine être la Jésus Hall ou Pi-shi-kai. Le délicieux accueil que nous y reçûmes nous remplit de joie. Quelques instants après nous étions assis autour de la table commune, ne nous sentant plus étrangers sur la terre étrangère.

AU moment de notre arrivée, la chère Maison Missionnaire de Yang-chau était bien troublée par la sérieuse maladie de Mlle Dawson. Elle n'était en Chine que depuis cinq semaines, étant une des dernières des « cent, (3» et il y avait quinze jours qu'elle souffrait de la fièvre typhoïde. J'eus le privilège de la voir le soir même de notre arrivée. Jamais je n'oublierai sa figure radieuse ni la bénédiction qu'elle me donna de la part du Seigneur. Sa paix et sa joie étaient parfaites. Elle eut pour nous tous des messages extrêmement remarquables, si saisissants, si encourageants et si bien appropriés aux circonstances de chacun ! Elle languit encore pendant deux nuits, et dimanche matin, de bonne heure, elle entra en présence de son Maître. Sa courte vie dans ce pays éloigné, sa mort glorieuse et paisible ont été en bénédiction à tous ceux qui l'ont approchée. Pour moi, je ne serai jamais assez reconnaissante d'avoir été en contact avec elle, quoique pendant un temps bien court.

Les mots me manquent pour vous faire comprendre l'atmosphère solennelle, sérieuse et pourtant sereine, qui remplit la maison depuis lors. Cinq de nos soeurs venaient de nous quitter quand Mlle Dawson a été rappelée par Dieu ; et maintenant grand nombre d'autres sont à la veille d'abandonner notre paisible demeure, obéissant à un ordre du Maître, mais pour un service différent. Quinze d'entre elles vont partir pour le nord, le midi et l'ouest de ce vaste empire.

Nos coeurs se sont intimement liés, et nous avons été rapprochées de Jésus. Au sein de cette grande cité païenne, nous sentons plus que jamais la rapidité du temps, la grandeur de notre oeuvre, ainsi que la présence, adorable et la toute-puissance de Celui qui supplée à notre faiblesse.

Le lundi et le mardi furent absorbés par les préparatifs, des longs voyages de nos amies. Le mercredi, tous les paquets terminés, nous nous réunîmes dans la Pi-shi-Kai pour nous recommander mutuellement au Seigneur et passer la dernière soirée ensemble en Sa présence. Nous étions trente-cinq soeurs missionnaires, rassemblées autour de la table, vêtues du costume simple du pays, avec d'heureux visages témoignant de coeurs non moins heureux.

Après le thé, nous restâmes longtemps au crépuscule à chanter les cantiques favoris qui avaient retenti si souvent dans cette heureuse demeure. On alluma les lampes, puis vint le moment de la réunion. Pendant que la petite assemblée se formait, j'étendis une carte de la Chine sur la table afin d'y tracer exactement, pour chacune de nos soeurs, l'itinéraire de l'immense voyage qu'elle avait à faire.

Mlle Hainge, Mlle, Cutt et Mlle Eland se dirigent vers Yunnan-fu, dans la grande province méridionale de Yunnan. Leur voyage durera quatre mois, trois mois en bateau et un mois sur terre.

Mlle Ramsay et Mlle Hooke voyageront deux mois, jour et nuit, sur l'immense Yang-Tsé-Kiang, avant d'atteindre Chun-King, leur destination dans la province de Sz-chuen.

Mlle Williams, et Mlle Hauburg iront rejoindre M. et Mme Cassles qui travaillent à Panning, dans la province de Sz-chuen également ; elles seront deux mois et demi en route.

Mlle Bastone les accompagnera peut-être. Quel délicieux voyage en une telle société !

Mlle Holine et Mlle Fryer iront ensemble à Hanchung ; elles remonteront la rivière Han en compagnie de M. et Mme Hunt, qui sont venus d'Angleterre avec nous sur le Kaisar-I-Hind et sur le Deccan. Leur voyage par eau durera trois mois.

Mlle Waldie fera route avec eux pour aller à Fanchung, dans l'Hupch, et son voyage durera de même trois mois. Dans cette ville, le groupe des voyageurs qui doivent aller plus loin sera rejoint, si tout va bien, par Mlle Mac Quillan qui accompagne

Mlle Sutherland et nos chers Ellise à Sining, dans la province de Kan-suh. Tous ceux-ci continueront à remonter la rivière Han, puis voyageront sur terre jusqu'à Lanchau, où ils laisseront M. et Mme Hunt et Mlle Graham Brown qui auront voyagé sans s'arrêter pendant quatre mois. Plus loin que Lanchau et à plusieurs longues journées de voyage encore, s'élève Sining que nos amis espèrent atteindre cinq mois après leur départ qui a lieu demain.
Quel vaste champ d'action ! que les besoins sont immenses ! Il est difficile d'en mesurer l'étendue.

Et maintenant nous voici toutes dans cette tranquille Chambre Haute pour recommander à Dieu la petite cohorte de soeurs qui part si joyeusement et avec tant de courage, se confiant en Lui pour porter la lumière du glorieux Évangile dans de profondes ténèbres. Ce ne sont que de faibles femmes, jeunes, sans secours en face, des nombreux dangers qu'elles sont appelées à rencontrer ; sans beaucoup d'instruction et sans grande expérience de la vie dans cet étrange pays ; n'ayant ni force, ni pouvoir, ni richesses, ni sagesse, si ce n'est en Dieu.


 

 TOUT est tranquille, et bien des prières silencieuses montent vers le Seigneur en attendant le cher M. Mac Carthy qui doit présider ce simple culte. Au dehors, dans la rue étroite, nous entendons le son de cloches qui passent, des bruits de pas, tandis que de temps en temps le gong jette ses notes sombres dans les cours du grand temple qui contient dix mille idoles et qui est en face de notre maison.
Dix mille idoles ! Et ce n'est qu'un des nombreux temples de cette grande cité !


Deux, trois, quatre voyages par eau...

 La table du Seigneur a été dressée au milieu de nous par notre chère et honorée Mlle Murray. En contemplant tous ces visages sereins et radieux, en entendant l'hymne de louange qui s'élève doucement en l'honneur de Celui dont la divine présence est si profondément sentie, par nous toutes, j'éprouve qu'il fait bon, d'être ici - et je désire ardemment que nous ne soyons plus seulement quelques dizaines, mais des centaines pour représenter cette Église rachetée par le sang de Jésus-Christ, dont elle a reçu l'ordre de porter la Bonne Nouvelle à toute créature. Comment se fait-il, oh ! dites-le moi, que nous soyons en si petit nombre au milieu de tant de millions qui périssent ?

Comment se fait-il que les chrétiens ne voient pas le privilège béni qu'ils possèdent de pouvoir combattre avec Dieu contre la puissance des ténèbres ? Ce n'est pas qu'en fin de compte l'oeuvre de Dieu puisse être anéantie ; cette oeuvre s'accomplira qu'on lui aide ou non, mais comment ne comprend-on pas les bénédictions, les grâces, l'honneur, la joie dont se privent ceux qui pourraient venir et qui ne le font pas, ceux qui pourraient donner leurs enfants et qui ne les donnent pas ? Quelques heures seulement passées dans ce petit cercle saint et heureux, suffiraient pour apprendre que le sentier de la bénédiction est celui de l'obéissance, quelque douloureux qu'il puisse paraître, et que si nous voulons être instruits par Christ, il nous, faut suivre Christ, en prenant la croix qu'Il porta avant nous.

Venez en Chine, si le Maître vous y appelle, et vous recevrez une bénédiction spirituelle si abondante que, eussiez-vous compté sur la promesse du Seigneur qui vous garantit « cent fois plus que tout ce que vous auriez quitté, » vous n'en seriez pas moins obligé « d'abattre vos greniers pour en élever de plus grands. » Mais une telle bénédiction, une telle joie naît de la douleur ; il faut que la semence soit mise en terre et meure avant de donner une riche moisson.

Les paroles affectueuses, convaincues et solennelles de M. Mac Carthy nous rappelèrent ces grands principes du Royaume.

Voici encore quelques-unes des pensées qu'il exprima et qui sont restées gravées dans mon coeur :
« Ce n'est pas une chose facile que d'amener les âmes au salut. Nous devons pour cela livrer en sacrifice notre propre vie. C'est la loi du Royaume ; ç'a été la loi pour Jésus-Christ et c'est aussi la loi pour nous.

Si nous voulons revenir avec des gerbes abondantes, nous devons jour après jour abandonner notre propre vie. Nous n'avons pas besoin de notre moi. Si nous le gardons, n'attendons, aucun fruit de notre travail.

Encourageons-nous les uns les autres à marcher dans le sentier de la crucifixion. Quant aux moyens de cette crucifixion, c'est le Seigneur qui les indiquera ; toujours est-il que nous devons être crucifiés. Sa vie est le modèle de la nôtre ; or elle commence par la crèche et finit par la croix, ne l'oublions jamais !

En prenant la sainte cène, mémorial de cet amour qui est allé jusqu'à la mort de la croix, nous entendions chanter à l'étage inférieur le cantique bien connu : « Combien le nom de Jésus est doux à celui qui croit ! » Oh ! oui, il est doux. Il ne l'avait peut-être jamais été plus qu'à ce moment-là, où il nous arrivait porté par les cantiques de nos chers chrétiens indigènes qui célébraient leur culte au-dessous de nous.

Nos prières s'élevèrent ensuite vers le Seigneur, et nos coeurs étaient émus à la pensée que notre prochaine rencontre aurait lieu dans sa présence, dans ses belles demeures qui peuvent ne pas être bien éloignées. Un silence suivit, après quoi la voix de M. Mac Carthy reprit doucement : « Le Seigneur Jésus-Christ dit Lui-même, Il le dit surtout à ceux qui vont nous, quitter : « Toute puissance m'est donnée dons le ciel et sur la terre ; c'est pourquoi allez ! Voici, je suis avec vous la fin du monde. »

« De temps en temps le gong jette ses notes sombres dans les cours du grand temple qui contient
dix mille idoles et qui est en face de notre maison.
Dix mille idoles ! Et ce n'est qu'un des nombreux temples de cette grande cité »

 C'est ainsi que notre première communion sur cette terre lointaine fut à la fois solennelle et joyeuse.
Et nous nous séparâmes pour ne plus nous revoir qu'à sa Venue.... Qui peut dire qu'Il ne viendra pas bientôt pour quelqu'un d'entre nous ? L'essentiel, c'est d'être trouvé prêt comme celle qui nous a quittés et qui se repose de ses travaux.

Le lendemain matin nos soeurs partirent de bonne heure. M. Mac Carthy les accompagna. Il emmenait les restes de notre amie Thérèse Dawson qu'on devait déposer dans le cimetière anglais de Chinkiang en attendant la glorieuse résurrection. Nos chers voyageurs assistèrent aux funérailles, puis reprirent leur route avec une foi paisible et un joyeux courage.

Que Dieu les bénisse et les soutienne, et qu'Il envoie beaucoup d'ouvriers dans la grande moisson ! Nous prions pour qu'Il appelle et prépare à cette oeuvre, si telle est sa volonté, des centaines de femmes, à la foi ardente, aux coeurs aimants et sympathiques, prêtes à se dépenser à son service. Ici, il y a place pour elles. Quel accueil elles recevraient, non seulement de notre part, mais de la part de Celui qui cherche des ouvriers pour travailler avec Lui !


10 Avril.

«La moisson est grande et il y a peu d'ouvriers
Priez donc...Allez donc!»

 Je suis seule à écrire dans ma tranquille chambrette. Mes fenêtres ouvertes laissent arriver jusqu'à moi le bruit incessant de la grande cité. Au dedans de ces hautes et larges murailles, de ces portes fermées maintenant à cause de la nuit, vivent trois cent mille âmes précieuses que le Sauveur aime et pour lesquelles Il est mort. À l'exception des gens de notre maison, nul ne peut leur parler de son amour : cinq personnes seulement pouvant s'exprimer en chinois, y compris M. Mac Carthy et le pasteur indigène ! Mais il y a bien plus.

La population est si dense autour de Yangchau, que, partant chaque jour de cette ville, on peut visiter en une seule semaine des villes et des bourgs dont la population totale s'élève à dix millions d'âmes.

 Oh ! pensez-y, dix millions d'âmes qu'on pourrait facilement atteindre, et parmi ces multitudes, pas un seul missionnaire, point de lumière, absolument point !... Pourtant, Kiang-su est une province maritime d'un accès facile, qui compte déjà quelques ouvriers ; le climat en est bon, en somme, et très agréable maintenant ; on peut s'y procurer le confort auquel nous sommes habitués en Europe ; chaque semaine la poste y vient de Shangaï.

Beaucoup de ceux qui ne pourraient supporter les rudes fatigues d'un voyage dans l'intérieur du pays vivraient ici presque aussi commodément que chez eux, et y trouveraient des occasions nombreuses et pressantes de déployer leur activité. Oh ! si les chrétiens pouvaient comprendre le besoin qu'ont ces âmes d'entendre la Bonne Nouvelle, et la joie inexprimable d'une vie missionnaire, ils crieraient à Dieu du plus profond de leur coeur : « Seigneur, me voici, envoie-moi ! »

Tout autour de moi, à ma portée, dix millions d'âmes sans Dieu, sans espérance au monde, sans la moindre lumière ! Oh ! combien nous désirons voir des ouvriers venir s'établir au milieu de tant de gens ! tous ceux qui arrivent ici ont à repartir immédiatement pour des stations lointaines où ou les attend, ce qui fait qu'on ne peut guère mettre à part qu'un ouvrier ou deux pour Yang-chau même. Une de nos soeurs nous a quittés ce matin pour se rendre dans la province éloignée de Kiang-si. Son voyage durera un mois. Elle ne connaît presque rien de la langue du pays et serait restée volontiers quelque temps ici afin d'en poursuivre l'étude ; mais l'appel était pressant. Il fallait quelqu'un, et notre amie était la seule qui pût être envoyée.

Le télégramme nous est parvenu hier soir, et ce matin elle est partie. J'aime cela. « Les affaires du roi sont pressantes, » et quand nous entendons son appel, nous devons le suivre promptement. Mais hélas ! combien de chrétiens dans notre patrie qui ont entendu et entendent encore le cri de supplication des païens, ainsi que la voix qui crie toujours ! « Qui enverrai-je, qui ira pour nous ? » et qui n'accordent que peu ou point d'attention à cet appel ! Ils sont occupés de leurs propres affaires. Au près et au loin le cri est incessant : il monte toujours vers Dieu. Oh ! puisse-t-il se faire entendre avec une force cent fois plus grande au milieu de nos églises chrétiennes ! Le temps est court, et la moisson est toute blanche.




 C'EST le soir. Le culte vient de finir. Je suis encore dans ma petite chambre occupée à vous écrire.
En bas, dans la salle de réunion, quelques chrétiens indigènes sont assemblés pour leur culte de la semaine. Je les entends chanter dans leur langue étrange les hymnes qui consolent et fortifient leur coeur comme elles ont consolé et fortifié le nôtre.

Le travail de la journée est terminé ; la maison est tranquille, mais je puis à peine rassembler mes idées pour vous écrire, tant j'ai le coeur déchiré par les pleurs et les gémissements qui se font entendre dans la rue. Depuis plus d'une heure il en est ainsi, sans que nous y puissions rien.

Une mendiante avec un petit enfant sont assis sur le seuil de notre porte et crient et gémissent sans relâche pour exciter la pitié des passants. Nous n'osons leur accorder aucun secours. Il paraît qu'elle fait partie d'une vraie légion de mendiants, de profession qui habitent Yang-chau. L'expérience a prouvé qu'il était inutile autant que dangereux de leur donner de l'argent ou même des bons de riz. Les passants ne font pas plus attention à cette femme que si elle n'existait pas. Nous avons essayé de la consoler et de la ramener à son logis : elle a refusé.

..... Cette femme est toujours là. Voici maintenant deux heures et demie qu'elle pousse des cris à fendre l'âme. Bien qu'il soit tard, je ne pourrai jamais dormir avec ces sanglots déchirants à mes oreilles. Parfois ces mendiantes, ainsi que les pleureurs des cérémonies funèbres, crient et pleurent jusqu'à en perdre complètement la vue. Dernièrement, un homme à qui cela était arrivé vint auprès de Mlle Mac Farlane pour être guéri. Que Dieu leur vienne en aide !

Ces existences sans Dieu, sans espoir, dans cet immense pays païen, sont tristes au delà de toute expression. Oh ! que ce continuel cri de détresse puisse atteindre le coeur des chrétiens d'Europe et le transpercer comme les cris de la pauvre femme transpercent le mien, et qu'il ne laisse ni paix ni repos, dans leurs demeures à ceux qui pourraient venir secourir leurs frères, et qui ne le font pas !

Les cris lamentables, les sanglots désespérés de cette pauvre créature sont pour moi le cri de détresse de toutes les femmes de ce pays qui assurément afflige le coeur de Dieu. Soeurs chrétiennes de nos pays bénis qui êtes heureuses en Celui qui satisfait les ardentes aspirations de nos coeurs, puissiez-vous connaître ce qui se passe ici ! puisse quelque voix atteindre votre coeur et vous parler des vies sans espoir et sans joie qui, chaque jour et par milliers ont pour fin une mort plus désolée encore !

Jamais, à la maison, je n'ai goûté la paix de Pieu et ne me suis réjouie dans sa connaissance comme je le fais ici. Il se montre infiniment plus précieux au milieu de besoins infiniment plus grands. Que le cri désespéré qui retentit sans cesse : « Viens, viens nous secourir ! » se joigne dans vos coeurs à la voix tendre et suppliante qui vous dit : « Va ! pour l'amour de moi et de l'Évangile. » Rappelons-nous qu'Il a promis dès ici-bas une mesure « cent fois plus grande » de ses grâces à ceux qui sacrifient quelque chose pour Lui.

IL est très tard. La ville est devenue silencieuse. Je n'entends plus que les sanglots incessants de la pauvre créature, les pas précipités de quelque passant attardé dans notre étroite rue, et de temps en temps le son lugubre du gong de notre grand temple, ou de quelque tambour lointain appelant les prêtres et les fidèles à la prière.
Prière morne, sans vie et sans espoir, qui n'attend ni exaucement ni réponse !
Dans les pays chrétiens on ne se figure pas les misères effroyables du paganisme. La vie est ici un fardeau écrasant que beaucoup ne peuvent supporter. Constamment nous le voyons !

La semaine passée, dans cette seule ville, il n'y eut pas moins de cinq cas d'empoisonnement volontaire par l'opium qui parvinrent à notre connaissance ! Ce sont des gens qui préfèrent boire la drogue mortelle plutôt que de poursuivre leur lugubre existence ! On vient réclamer notre aide, mais souvent c'est trop tard. Cinq suicides dans une semaine, ce n'est pas extraordinaire pour nous. Ce sont des femmes pour la plupart, fréquemment de jeunes personnes, même des fillettes. La semaine dernière, une jeune femme avait bu l'opium fatal, ne pouvant plus supporter l'existence infernale qui lui était faite en sa maison ; nous apportâmes le contrepoison à temps, mais elle le refusa. Chaque jour il en est ainsi autour de nous.

Pensez aux dix millions d'individus qui peuplent notre banlieue, et pour lesquels il n'y a qu'une seule station missionnaire, un seul centre de lumière et de bénédiction.
« Cher Sauveur, Soleil de justice !... » Oui, chantez cela et réjouissez-vous, mais je vous en supplie, souvenez-vous de ceux qui gémissent dans les ténèbres, et, pour l'amour de Lui, faites ce que vous pouvez pour que la lumière leur parvienne. Oh ! comme ils la reçoivent joyeusement, avec quelle attention ils écoutent ! nous en sommes profondément touchés.

TOUT est silencieux maintenant. La pauvre mendiante a fini par s'en aller pour regagner probablement le hangar qu'elle appelle sa maison. Je ne pourrais trouver aucune expression pour vous dire la misère et la saleté de ces bouges. Le pauvre peuple les élève sur les grandes places des villes ou dans les coins inoccupés des rues. Je n'oublierai jamais la première fois que je les vis. Je ne pouvais croire qu'ils servissent d'habitations à des êtres humains. Construits en herbe sèche, avec des morceaux de bambou, on dirait que le moindre vent d'orage va les emporter. La pluie y entre librement à travers toits et murailles, et dans les grandes chaleurs, les rayons du soleil y pénètrent sans difficulté et les chauffent terriblement. Ils sont établis sur la boue et n'ont ni cheminée ni porte. Une natte d'herbe sèche en ferme l'ouverture pendant la nuit.

Ces misérables demeures varient de grandeur. Les unes sont divisées en deux eu trois parties ; d'autres sont extrêmement petites et ne mesurent que six pieds sur neuf ou cinq sur huit ; un seul individu les remplirait presque complètement et cependant elles abritent des familles entières ! Des centaines de familles sont ainsi logées dans cette ville, car on voit partout de ces huttes, on les rencontre ordinairement en groupe d'une vingtaine, parfois davantage.


UNE RÉUNION DE MÈRES DE FAMILLE.

15 Avril. Dimanche après-midi.

 Je reviens de la réunion de femmes qui a lieu toutes les semaines dans la grande et agréable salle consacrée aux dames chinoises qui nous visitent. Il y avait là beaucoup de chères femmes qui écoutaient avec le plus vif intérêt la Bonne Nouvelle qui leur était annoncée. La pluie avait retenu bon nombre de nos habituées ; nous avons cependant compté une trentaine de personnes de tout âge et de toute condition.

En entrant dans la salle, grande fut ma surprise d'y voir une épaisse fumée. Aucune de nos soeurs n'en paraissant étonnée, je conclus qu'il n'y avait pas lieu de s'en mettre en peine, et je m'installai dans un coin d'où je pouvais suivre tout ce qui se passait. On entonna le cantique « O Toi Jésus qui es au ciel ... »
Qu'il me, tarde de pouvoir parler librement cette langue difficile !

En face de moi, une chère femme, âgée et très pauvre, écoute attentivement ; il est évident qu'elle boit à longs traits la vérité qui lui est présentée avec amour par nos soeurs. C'est la première fois qu'elle entend parler de Dieu, n'ayant jamais assisté à aucune réunion. Elle a l'air bon et intelligent, quoique son visage soit tout ridé et cicatrisé par l'âge et les luttes de la vie. La réunion étant destinée aux entretiens, les assistants font leurs réflexions en toute liberté.
Au premier rang se trouvent deux Taï Taï (dames de haut rang) intelligentes et attentives. L'une explique aux autres femmes ce qu'elles ne comprennent pas, et toutes répondent à tout ce qui leur est dit par de bruyantes exclamations d'assentiment.


Deux grandes dames

 Figures gaies et bien étranges que ces dames avec leurs ruar-tsi noirs vêtement extérieur) garnis de larges bandes de couleur et de lan-kan éclatants (rubans multicolores qui servent de bordure) ; leur teint est olivâtre ; leur chevelure noire et lustrée est artistement arrangée et toute parsemée d'ornements sans nombre : épingles d'or et d'ambre vert, fleurs artificielles multiples, merveilleux objets en filigrane, pierres précieuses éclatantes, etc., au surplus, longues et lourdes boucles d'oreille en or qui pendent jusque sur les épaules, gros bracelets, massives chaînes d'or, etc. Lune d'elles tient dans sa main une canne mince et longue de quatre pieds dont la partie supérieure est magnifiquement garnie en argent....

 La lumière se fait dans mon esprit ; je comprends d'où vient la fumée qui remplit la salle. Cette canne n'est autre chose qu'une pipe. La petite main qui la tient est chargée de lourdes bagues d'or, et les longs ongles, en sont soigneusement entretenus. Une jeune servante tient.... le tabac, à ce que je suppose, et les allumettes ; elle se penche sur le sol et souffle la flamme.
Quant à la jeune maîtresse, elle se livre complaisamment à son exercice sans interrompre ses commentaires et ses réflexions sur ce qui est dit. Étrange tableau ! Cette façon d'agir ne trouble cependant en rien la réunion qui continue tranquillement comme s'il n'y avait rien là d'extraordinaire. Une pauvre femme, enhardie par l'exemple de la grande dame, allume aussi son humble pipe sans détourner pour cela les yeux de la figure radieuse de la personne qui parle.

 Après plusieurs courtes allocutions, on se réunit par groupes pour causer plus intimement. Nos amies ne se retirent qu'avec peine ; la réunion a pourtant duré plus d'une heure. La pauvre femme, venue pour la première fois, a prêté la plus profonde attention à l'histoire de Jésus qu'une de nos soeurs lui a racontée avec patience et amour.



(1) Personnage de David Copperfield, un des principaux romans de Charles Dickens. (T. E.)

(2) La Terre des fleurs, l'Empire fleuri, la Fleur du Milieu, etc., noms que les Chinois donnent à leur patrie (Trad. Ed.)

(3) Hudson Taylor avait demandé à Dieu et à l'Église de lui donner cent missionnaires dans le courant de l'année, et il les avait obtenus. (Trad. Éd.)
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