Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE III

Dans les mers de la Chine

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Penang. Singapore.



 Le nouveau bateau le « Deccan » que nous avons pris à Colombo (Ceylan) est loin d'être aussi agréable que celui que nous y avons laissé.
Nous y serons heureux quand même. Quelle bénédiction que d'être pleinement satisfait en tout lieu et en toute circonstance ! Dieu soit loué de ce qu'il nous donne de l'être.

Quoi qu'il advienne, nous pourrons toujours tout envisager avec calme. Nous ne voudrions pas retourner en arrière, ni être d'un seul jour plus près de vous et de la maison. Tout est si bien pour nous ! Nous avons lieu d'être les gens les plus reconnaissants du monde. Comptez cela non seulement pour de la joie, mais pour une joie parfaite, et unissons chaque jour nos voix pour louer Celui qui nous trouve dignes de la posséder.


 

 À PENANG, notre bateau a été inondé de Chinois.
Le pont de nos secondes classes en est couvert. Je m'échappe un moment pour vous l'annoncer. Ce sont tous des passagers de pont. On dit qu'à SINGAPORE nous en aurons un plus grand nombre. Notre petit pont en sera littéralement couvert. Je ne vois pas où ils pourront se coucher la nuit, et encore moins comment ils pourront se mouvoir le jour. Ce sont de vrais Chinois, avec la tête rasée, la longue queue de cheveux et la peau jaune, tous si étranges ! Ils causent beaucoup entre eux ils paraissent doux et aimables et nous regardent en souriant. Nous désirons tout d'abord les aimer. Nous avons été pris, a l'improviste, leur arrivée a été si soudaine !

Après, dîner, je montais tranquillement sur le pont, comptant m'y installer pour écrire, si toutefois la chaleur me le permettait, quand je me trouve en face de quarante Chinois, hommes, femmes, enfants, avec leurs bagages : lits, pipes, malles, paquets ; il y en avait partout ! Telle fut ma première rencontre avec le peuple de mon adoption.

Après, les avoir considérés pendant quelques minutes, agitée par des sentiments divers, je m'éloignai, et, m'appuyant sur la balustrade du bateau, je demandai à Dieu que son amour se répandit dans mon coeur maintenant

 Je me retournai et je vis près de moi une de ces pauvres créatures me regardant attentivement avec une figure épanouie. Je compris alors que c'était un privilège de pouvoir venir vers les Chinois se faire « tout à eux » et à n'importe quel prix « en gagner quelques-uns. » Priez pour que nous entrions pleinement dans l'esprit de notre Maître dont le coeur est ému de compassion envers ceux qui sont fatigués et chargés, quelque peu attrayants qu'ils puissent être.

Nous sommes dans le détroit de Malacca. Les eaux tranquilles de l'étroit canal sont animées par un chassé-croisé incessant de barques indigènes à la forme bizarre, aux agrès pittoresques, et de petits canots dirigés, par de joyeux garçons, prodiges d'agilité et de courages.

Nous voyons au nord l'île de Singapore, et à notre droite, se trouvent de charmantes petites îles gracieuses, inondées de lumière, ravissantes avec leur verdure toujours fraîche, et semblables à de magnifiques émeraudes se baignant dans une mer d'argent, Ça et là, sur les rives, ou au sommet des collines, au-dessus des grands palmiers, on aperçoit le toit rouge de jolies, petites maisons ; mais la plupart du temps ces sites enchanteurs, ne contiennent que des bois et des jungles silencieuses.


ÎLE DE SINGAPORE

 Les forêts tropicales qui entourent Singapore et qui même s'étendent dans la ville, sont magnifiques avec leur végétation si riche et si colorée, leur sol rouge et leurs palmiers aux cimes empanachées s'agitant sous le ciel bleu.
Ailleurs la mer entre dans les terres et forme des lagunes au milieu des forêts. On aperçoit alors maint village bâti sur pilotis.
Le sifflet du bateau se fait entendre. Nous, repartons. J'écrirai de nouveau après le thé...
... Le sifflet s'est vainement fait entendre, la machine a fait d'inutiles efforts ; nous n'avons pas pu repartir. La marée s'était retirée trop loin, le bateau était enfoncé dans la boue. Rien de plus drôle que l'air déconfit du capitaine et des autres officiers obligés de reconnaître que nous ne pouvons nous remettre en marche que demain matin à la marée montante.
La pendule marquait environ sept heures, quand Mary, M. Pigott et moi descendîmes à terre malgré l'obscurité.

Tout était silencieux et plein de mystère dans cette nuit noire au milieu de la jungle. Nous tenant solidement attachés les uns aux autres, nous nous engageâmes sur la route qui conduit à Singapore à travers les bois.

À peine étions-nous, au milieu de la jungle, que la lune se leva éclairant notre sentier. Je laissai aller mes compagnons vu avant et restai seule un moment dans le silence de la forêt. C'était saisissant. Je distinguais comme le bourdonnement de cette vie tropicale débordante que nous avions déjà observée ; et par de là les plus hauts palmiers et les nuages flottants, avec quel bonheur je contemplais les étoiles de Dieu !


 Le coeur est le même partout, pensais-je ; et il n'y a qu' « un Dieu, » qu' « une loi. »

Toujours, partout, dans la joie, dans la douleur, nous nous rencontrons en Lui.
Vous, dans votre tranquille demeure ou dans l'activité dévorante de notre métropole, et moi, voyageuse perdue au milieu d'une jungle silencieuse, séparés par des espaces immenses et dans des cadres si divers, nous nous rencontrons tous en Dieu qui est notre Père.
Mais je ne pouvais m'attarder à réfléchir. Sept ou huit kilomètres nous séparaient encore de la ville ; il fallait se hâter. La route était sombre ; ou n'y distinguait personne, pas une jinriksha, sorte de voiture que nous aurions louée avec tant de plaisir ! Nous continuâmes à marcher, captivés, par ce qui nous entourait, et espérant rencontrer un véhicule quelconque.

Les maisons dans ce pays sont tout à fait pittoresques. Élevées sur pilotis au-dessus, d'une eau noire, ces demeures étranges et obscures ressemblent plus à des cages à poulets qu'à des habitations humaines. Elles tentèrent ma curiosité ; je m'approchai de l'une d'elles, mais les portes étaient fermées par de grandes nattes, et l'on n'apercevait aucune lumière à l'intérieur ; en sorte que nous continuâmes notre route solitaire jusqu'au moment où apparurent les deux lanternes brillantes d'une jinriksha. En approchant, nous découvrîmes qu'elle était vide ; et le Chinois auquel elle appartenait nous offrit ses services, avec la plus grande politesse.

 

 Faire une course en jinriksha ! le pouvions-nous, l'osions-nous ? Quel véhicule étrange ! Nous avions déjà beaucoup vu de ces voitures tirées et maintenues en équilibre par un Chinois. Allions-nous maintenant nous mettre à la merci d'un être sur lequel nous ne pourrions avoir aucune action, à qui nous ne pourrions faire entendre un seul mot, ne sachant rien de la langue du pays ? Mais, le chemin est long, la nouveauté attrayante, : « Mary, si tu veux, allons ! » Et nous montâmes.

Représentez-vous, une voiture d'enfants, perchée sur deux roues hautes et légères et précédée de deux bras longs et minces se rejoignant en un demi-cercle. Le véhicule est traîné par un coolie vêtu d'un costume des moins embarrassants et est éclairé la nuit par deux lampes placées de chaque côté. C'est là la belle voiture chinoise, celle qui prévaut partout où le Chinois est en majorité.

Les bras de notre jinriksha furent abaissés jusqu'à ce que l'extrémité en touchât le sol. Nous y prîmes place ; et notre Chinois levant subitement les bras de dessus le sol, nous lança en arrière sans la moindre cérémonie. Il partit alors d'un pas si précipité que, malgré toutes ses représentations, M. Pigott eut grand-peine à lui tenir pied.




 Comme nous avons ri, cramponnées l'une à l'autre sur notre siège étroit !
Tout nous paraissait si étrange ! la figure épanouit, de celui qui nous conduisait, ses habits bleus flottants, son grand chapeau de paille tout plat et sa queue de cheveux, non pas gracieusement agitée, mais bien serrée sous, son large chapeau. Nous pouvions à peine croire que c'était réellement nous qui roulions sur cette route entre deux forêts de bananiers, et de palmiers, à la lueur de la lune et des étoiles.

Un peu plus loin nous rencontrâmes une autre jinriksha que M. Pigott se hâta de prendre pour son propre usage ; alors, rien n'entravant plus notremarche, nous nous dirigeâmes grand train vers les rues brillamment éclairées de Singapore. Une fois là, il fallut aller plus doucement : nous circulâmes au milieu de la foule affairée et des merveilles de cette ville étonnante. De jour cette cité doit être curieuse, mais à cette heure, à la lueur effacée et mystérieuse de mille lanternes, elle paraît plus étrange encore. Vu l'heure avancée, nous n'allâmes pas au delà du quartier chinois, qui est immense, puisqu'il compte cent mille habitants.

Il nous parut bien intéressant d'examiner ces multitudes d'hommes (on ne voyait point de femmes) à pied, en jinriksha ou dans de grandes voitures, découvertes, traînées par de vigoureux petits poneys.
La majorité des coolies ne portent presque pas de vêtements. Leur peau est légèrement brune comme celle des Arabes, d'Aden, mais leur type est loin d'avoir les proportions gracieuses de ces fils du désert. Ils sont plutôt petits, carrés, fortement membrés. Les Chinois que j'ai vus jusqu'à présent avaient l'air inculte et grossier, comparés aux Hindous et aux belles races malaises.
Cependant leur visage était souvent intelligent, leurs yeux, brillants et expressifs. Voyez maintenant Ceux qui remplissent presque toutes les jinrikshas dont les rues sont encombrées. Leur extérieur est distingué, je pense que ce sont des gentlemans. Ils sont habillés de soie aux pâles couleurs ; leur longue queue, entrelacée de cordons rouges ou bleus, est terminée par de superbes, glands. Ils causent d'une façon animée. Leur physionomie ne peut manquer d'intéresser le voyageur.

Nos coeurs sont attirés vers le peuple de notre adoption et nous pensons au moment où nous les aimerons comme nous ne pouvons le faire encore.

Hier, à bord, je fus témoin d'une scène intéressante. En entrant au salon, je remarquai un groupe de Chinois debout, absorbés par la lecture d'une brochure.
M'approchant sans être vue, je découvris que cette brochure n'était autre chose qu'un évangile de Marc que M. Pigott leur avait donné. L'un d'entre eux, un vieillard à cheveux blancs, lisait à haute voix, suivant chaque mot du doigt, taudis que les autres, tout près de lui, écoutaient avec une profonde attention.

Comme j'aurais voulu faire l'esquisse de ces figures ! Leur expression mêlée d'intérêt, d'étonnement et de crainte, était très remarquable. Au premier moment, les Chinois éprouvent toujours quelque crainte à la pensée des mauvaises influences que peut avoir la nouvelle doctrine. J'observai quelque temps ceux que j'avais devant moi, et je priai de tout mon coeur pour que la lumière d'En haut brillât sur eux.


EMPLETTES À LA CHINOISE.

 Il faut que je vous raconte nos premiers achats à la mode chinoise.
Ayant besoin d'un de ces paillassons réfrigérants dont ou se sert comme de couche et qu'on ne fabrique qu'à Singapore, nous donnâmes l'ordre à notre coolie de nous conduire où nous pourrions en faire l'emplette. Il nous fit parcourir des rues étranges, devant de longues rangées de boutiques dont les devantures, grandes ouvertes étaient surmontées de lanternes, chinoises avec de gros caractères rouges servant de réclame. Il s'arrêta enfin devant un sombre petit magasin où plusieurs chinois étaient installés. Nous descendîmes avec précaution de nos jinrikshas, et nous nous dirigeâmes vers, le marchand assis sur son comptoir, les jambes repliées, sous lui et la mine réjouie. Heureusement il comprenait le dialecte mandarin, le seul à notre usage. Avec force sourires affables, il étala sa marchandise et il fit complaisamment ressortir toutes les qualités. Les voisins et les amis se rassemblèrent du dedans et du dehors pour assister à cet assaut de paroles et en attendre l'issue. Il était curieux de voir l'intérêt que ces gens pouvaient mettre à cette opération.

Ici M. Pigott est très habile. Avec la meilleure humeur, il raillait le commerçant sur son désir de s'enrichir trop vite, et faisait rire tout le monde aux éclats. Le boutiquier, toujours perché sur son comptoir, dans, une position que vous ne pouvez vous figurer (je crois, vraiment qu'il se balançait sur un orteil), le boutiquier, dis-je, de l'air le plus innocent, réclamait toujours le prix extravagant qu'il nous avait fait tout d'abord. La patience néanmoins gagna la bataille ; après beaucoup de haussements d'épaules, desourires et de gestes presque désespérés, notre homme consentit au prix offert par M. Pigott.

Ensuite, désirant acheter quelques photographies pour vous les envoyer, nous tâchâmes de faire comprendre notre désir à notre coolie ; aussi le bonhomme arrêta-t-il bientôt notre jinriksha devant un escalier sombre et mystérieux. Tout en nous demandant où il pouvait bien conduire, nous le gravîmes et nous nous trouvâmes dans un magnifique atelier de portraitiste indigène. Le maître était là, tout entouré des merveilles de son art. Six ou Sept Chinois ses élèves assurément, s'y trouvaient. Nous apercevant que l'apparition de deux jeunes dames anglaise, accompagnées d'un gentleman les plongeait dans l'étonnement le plus profond, nous battîmes en retraite au plus tôt. Au bas de l'escalier nous entendions encore les exclamations de surprise .....

Nous reprîmes le chemin du port, encore éclairés par la lune, et nous, arrivâmes sains et saufs sur notre bon Deccan toujours retenu dans la boue.





 Jeudi 11, Mars.

 Nous partons ! Cette fois c'est la réalité ! Il est environ six heures. Une brise matinale souffle délicieusement. Comme la nature paraît ravissante et fraîche au lever du soleil ! Les hautes falaises rouges des îles voisines, couronnées de palmiers, se mirent dans les eaux où de petits esquifs indigènes glissent çà et là avec leurs longues voiles pointues, leurs toits d'herbes et leurs personnages aux costumes éclatants. Le tout est enveloppé des brumes légères de cette radieuse matinée. Vus à travers ce voile, les fiers vaisseaux de la flotte britannique à l'ancre en ce moment dans la baie de Singapore, n'en paraissent que plus imposants. Bien loin vers l'est, un de ces bâtiments semble surgir du lieu même où le soleil se lève. Sa mâture se détache, noire comme la nuit, sur l'horizon embrasé.

Nous glissons si rapidement entre les petites vagues vertes que nous l'atteignons tandis que j'écris encore. Le voilà à notre gauche ; puis, loin derrière nous. Maintenant les rayons glorieux du soleil l'inondent. Quelle transformation ! Plus de teintes sombres, mais une blancheur éclatante qui le rend semblable à un bel oiseau aux larges ailes d'argent, porté sur la brise du matin.
N'est-ce pas ainsi que la glorieuse lumière de Dieu produit la transformation de notre coeur dans la mesure où nous l'acceptons et la réfléchissons ?
« Dans ta lumière nous verrons la lumière. »
Oh ! priez pour que nous marchions toujours joyeuses dans la lumière de Dieu !



CHAPITRE IV.

Hong-Kong.


 Par un magnifique coucher de soleil, nous entrons dans le canal qui sépare la province de Canton d'un groupe de ravissantes petites îles qui se trouvent devant nous et à notre droite, et dont Hong-Kong (1) est la principale.
Elles forment autour de nous un vaste amphithéâtre de hautes collines qui s'inclinent rapidement vers la mer, et dont les cimes paraissent toutes rouges dans le brouillard du soir. Derrière, au nord, les montagnes du continent se détachent hardiment sur le ciel. Les eaux du canal sont animées par de nombreuses embarcations chinoises, de curieuses jonques, larges, massives, les voiles carguées pour la plupart. Quelques-unes, cependant, voguent avec une rapidité merveilleuse.
Que ces collines en terrasse sont jolies ! Et ces constructions européennes avec leur toit en belvédère !

Presque tous les passagers de première classe quittent le « Deccan » à Hong-Kong pour prendre d'autres bateaux. L'un de ces voyageurs est venu nous faire ses adieux. Nous en avons profité pour l'engager encore à croître dans la connaissance du Seigneur. Là dessus, me serrant la main, il me dit avec solennité, : « Je vous remercie de ce que vous m'avez montré cette « Lumière de la vie. » - « Montrer cette Lumière » quelle vocation bénie !

Plusieurs de nos compagnons de route ont paru profondément intéressés par les paroles que le Seigneur nous a rendus capables de leur dire. Bien des fois j'ai été surprise et touchée de leur reconnaissance et de leur empressement à rechercher des entretiens avec nous. Priez que Dieu bénisse notre travail et lui fasse porter des fruits permanents.

Nous voici en vue de Victoria, une jolie ville, située sur les rochers, et ombragée d'une verdure luxuriante. Nombre de Chinois montés sur leurs petites chaloupes à vapeur, s'approchent de notre bateau pendant que nous nous dirigeons vers le quai. Quelques-uns sont pleins de gaîté, cela nous encourage. Ils diffèrent absolument des pauvres coolies que nous avions à bord de Penang à Singapore. Ils sont vraiment attrayants. Voyez par exemple celui qui s'approche de nous. Il est grand, bien droit, propre, très bien habillé ; avec goût, je vous prie de le croire ; ses vêtements sont de soie grise, Ses bas sont blancs et sa chaussure est de satin noir magnifiquement brodé. Pour le moment, il nous paraît être un Chinois joyeux, intelligent, capable et actif, un délicieux Chinois. Il ne peut pas être un fumeur d'opium, comme beaucoup de ceux qui voyageaient avec nous, j'en suis sûre.

Mais voici que nous longeons déjà la jetée ... Maintenant nous voilà à l'ancre, le long du quai en bois. Les grandes portes qui séparent ce quai de la ville sont encore fermées, et une foule de Chinois en attend l'ouverture avec impatience. Oh ! quelle scène : On ouvre les portes ; et, semblables à un torrent, ils se précipitent, envahissent la jetée et grimpent de tous côtés sur notre bateau. Si vous aviez pu les voir ! les uns criant, hurlant, saisissant les bagages, emportant les malles, déchargeant la cargaison, les autres vendant leurs rafraîchissements et leurs bibelots ! Quelle foule ! vrais, vrais Chinois, ceux-ci, et de toutes les sortes. En voici un corpulent, majestueux, vêtu d'un splendide costume du bleu le plus vif, et chaussé de souliers vert de mer ! Ce doit être un personnage officiel. Il a l'air si digne, si important !

La plupart de nos envahisseurs sont des coolies, c'est dire qu'ils sont peu embarrassés par leur costume. Le seul vêtement qu'ils possèdent semble être en calicot bleu-gris, souvent lavé et raccommodé. Leurs queues sont, pour la circonstance, toutes relevées et nouées, quelquefois empaquetées de la façon la plus comique.


 Au delà de cette scène animée, la ville s'étage sur les collines abruptes, dans les brouillards du soir. Au dessus de la première rangée de boutiques ouvertes et de maisons de commerce, se trouve le quartier chinois. Plus haut s'éparpillent de charmantes villas européennes, et beaucoup d'autres demeures qui défient toute description. On en voit dans tous les coins et recoins, au milieu des arbres et des jardins, jusqu'au pied du grand rocher rouge qu'on appelle le Pic Victoria et qui est la pointe la plus élevée de l'île. Sur cette pointe flotte notre cher pavillon britannique.
Nos voyageurs débarquèrent le lendemain de bonne heure et passèrent une grande journée à Victoria.

Nous cheminons à travers des rues montantes et remplies de monde, rencontrant à chaque pas des merveilles sans nombre. Oh ! ces boutiques ! sans portes ni fenêtres, grandes ouvertes aux passants ; ces bazars féeriques, cette foule d'acheteurs et de vendeurs de toutes sortes, ces nuées d'enfants si comiques ! petits yeux noirs pleins de gaîté, avec des accoutrements d'un risible ! figurez-vous ces petites têtes, chauves avec de longues queues comme celles des hommes ! Étonnés, nous grimpons sur la colline, et nous voici au-dessus des foules, dans les rites plus calmes que forment les résidences européennes.

Ces rues courent le long de la côte abrupte et rocailleuse, et s'élèvent en circuits gracieux pendant plusieurs kilomètres. Elles sont bordées d'arbres et offrent çà et là d'admirables échappées sur la baie, ses îles sans nombre et les montagnes de la province de Canton. Là se trouvent les maisons anglaises, chacune entourée d'un jardin frais et spacieux. Nous apercevons l'église du quartier, l'hôpital, l'asile des enfants trouvés et la cathédrale dans le lointain. Cette vue accroît l'intérêt de notre promenade qui nous amène enfin à la Maison missionnaire du Dr. Chalmers.

 Nous entrons sous une grande véranda où Mme Chalmers et ses deux filles nous reçoivent avec beaucoup de cordialité. Elles nous introduisent dans un beau salon dont les fenêtres dominent la baie, et elles nous offrent à goûter.

Le Dr. Chalmers nous entretient longuement de l'activité missionnaire en Chine. Lui-même est dans ce pays depuis 1852. Il nous parle des progrès de l'oeuvre dans Hong-Kong même, surtout de ceux de la Société Missionnaire de Londres, dont il est un des plus anciens, agents. La Société possède dans la grande et belle ville de Victoria trois maisons européennes bâties dans un vaste enclos sur la colline. Une dame anglaise, Miss Roc, seconde M. Chalmers dans son travail ; elle occupe une de ces habitations avec M. et Mme Bonfield. Le docteur n'a pas d'autres compagnons d'oeuvre. À ma grande joie, M. Bonfield connaît parfaitement East-End (2) et notre institut d'Harley House.

Le docteur Chalmers et Miss Roe ont la surveillance de dix-neuf écoles chinoises dans la ville et dans le reste de l'île. Ces écoles sont soutenues par le gouvernement, qui accorde une gratification aux enfants dès qu'ils sont arrivés à un certain degré d'instruction. Les instituteurs sont tous chrétiens, et la Bible est régulièrement enseignée. Cinq de ces écoles sont également des stations missionnaires; leurs instituteurs combinent l'oeuvre de l'évangélisation avec leurs autres devoirs. Un service a lieu à la fin de chaque journée. Les convertis de toutes ces stations et d'autres encore se réunissent dans une église centrale, et sont maintenant au nombre de deux cent soixante et dix.

Outre la Société Missionnaire de Londres, trois sociétés ont aussi des agents à Hong-Kong : La Société Missionnaire de l'Église Anglicane à laquelle se rattache une école importante dirigée par deux darnes anglaises, sous les auspices de la Société d'Éducation française ; et deux sociétés de missions allemandes, celle de Berlin et celle de Bâle.
Après le goûter chez le Dr, Chalmers, nous allâmes voir M. Austin de la Société Missionnaire de l'Église Anglicane ; malheureusement il était absent.

L'évêque Burdon est à la tête de l'oeuvre pour le Sud de la Chine. Il réside également à Hong-Kong, au collège, près de la cathédrale. Nous regrettâmes de ne pouvoir aller chez lui ; mais nous eûmes la joie de faire une visite à M. et à Mme Bender, de la Mission de Bâle, qui sont des plus aimables. Voici vingt-cinq ans qu'ils travaillent en Chine. La province de Canton est un des centres d'opérations de cette excellente Société qui possède, en Chine, quinze missionnaires, trente-huit églises avec mille neuf cent soixante membres, et de nombreuses écoles. Le quartier-général de l'oeuvre est à Victoria. M. Roise, collègue de M. Bender, en est le secrétaire. M. et Mme Bender ont laissé leurs six enfants chez eux en Allemagne. Je fus heureuse d'apprendre qu'ils partaient le mois prochain pour les rejoindre, avant obtenu un congé d'un an.

Le soir, après avoir pris à la hâte un repas à bord, nous nous rendîmes au « Home des Marins » où l'évangéliste M. Goldsmith avait convoqué une réunion de tempérance. Nous trouvâmes là une heureuse assemblée de soixante à quatre-vingts robustes marins, assis dans une salle brillante et confortable, et chantant avec entrain les hymnes de Sankey. Il faisait bon voir leur air attentif et intelligent, ainsi que le cordial intérêt qu'ils portaient à tout ce qui leur était dit. C'était tout à fait comme dans notre chère salle de Bremley à Londres.

Je ne pus m'empêcher de leur dire que, depuis mon départ d'Angleterre, je ne m'étais jamais sentie autant chez moi qu'en ce moment au milieu d'eux ; et quand je leur demandai si quelques-uns ne venaient pas de l'Est de Londres, plusieurs mains calleuses et brunes se levèrent pour me dire que oui.
À la première réunion en succéda une seconde où beaucoup restèrent pour prier. Cinq d'entre eux parurent tout particulièrement touchés.




(1) Hong-Kong appartient aux Anglais. Sa capitale est Victoria. (T. E.)

(2) East-End, à Londres, quartier populeux et misérable où la famille Guinness dirige une oeuvre missionnaire.
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