C'est Dieu qui produit en vous et la volonté et l'exécution, selon son bon plaisir.
La faculté humaine la plus étonnante, c'est la volonté. On peut dire
d'elle plus encore que de la langue, qu'elle se vante de grandes
choses ; donnez-lui un point fixe, et elle sera le levier
qui soulèvera l'univers.
La volonté est le siège de l'individualité ; c'est elle qui
constitue le fond du caractère, car chacun montre ce qu'il est, non
par ce qu'il pense ni par ce qu'il sent, mais par ce qu'il veut
et par ce qu'il fait.
C'est aussi dans la volonté que se concentre la force du péché :
les vices, les crimes, tout le mal qui se fait dans le monde s'exécute
au moyen de la volonté. Il est donc bien évident que notre volonté
actuelle n'est plus la volonté qui nous avait été primitivement
donnée. Dieu ne nous a pas créés avec des impatiences, avec de
l'opiniâtreté, avec un esprit de résistance et de rébellion. Ce serait
un blasphème que de soutenir une pareille thèse, et si l'Écriture ne
la démentait pas, notre conscience la démentirait. Nous sentons fort
bien que nous sommes responsables de nos actes. Ceux qui prétendent
que Dieu nous a créés ainsi, et que notre mauvaise volonté vient de
notre faiblesse naturelle, n'ont jamais pu le croire assez fermement
pour donner par cette excuse la paix à leur conscience inquiète.
Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres ; l'oeuvre, devant
Dieu, commence dans la pensée et dans les intentions du coeur :
elle s'achève, elle devient visible par un acte de
la volonté. Aussi est-ce contre elle qu'il est surtout pénible de
combattre. Celui que Dieu a rendu capable de briser sa volonté, est
capable aussi des plus grandes vertus. Mais cette victoire est
au-dessus des forces de l'homme laissé à lui-même ; à Dieu, à
Dieu seul il appartient de la vaincre !
La volonté propre est ce qu'il y a de plus résistant ; on a beau
être brisé par la maladie, par des épreuves, par des infortunes, il
faut encore qu'une force supérieure s'unisse à ses forces naturelles,
pour opérer en nous le changement de la volonté ; heureusement ce
changement nous est promis, si nous travaillons à notre salut avec
crainte et tremblement.
Notre texte nous dit que c'est Dieu qui produit en nous la
volonté et l'exécution selon son bon plaisir. Celte parole nous
place entre notre état de chute et notre état de conversion. Dieu
n'aurait pas besoin de créer en nous une volonté nouvelle, si
notre volonté primitive était encore intacte ; mais puisqu'il est
nécessaire que notre volonté soit changée, nous pouvons comprendre par
cela à quel point elle est pervertie. Remarquez que Dieu ne parle pas
de la corriger ni de l'améliorer ; il la rejette pour en produire
une nouvelle, comme le potier que vit Jérémie, et qui jeta le vase
gâté et en refit un autre.
Comment Dieu opère-t-il ce changement ? et de quelle manière
notre volonté déchue arrive-t-elle à un état de renouvellement ?
Pour répondre à cette question, nous allons faire une étude d'analyse,
et prendre la volonté dans trois états différents. Mettons en
parallèle : la volonté primitive, la volonté déchue et la
volonté convertie. Ce sera voir à la fois la volonté dans son
état normal, puis dans son état de déviation et d'enchaînement au mal,
enfin dans son état de renouvellement, quand le bon plaisir de Dieu
nous a délivrés de notre rébellion, et qu'il nous a
rendus pleins de bonne volonté au jour de sa puissance.
La volonté primitive se compose de deux facteurs. Le premier
est un principe actif, que nous appelons la spontanéité ; le
second est un principe passif, que nous appelons la soumission.
C'est de la spontanéité que vient tout ce qui est mouvement
propre, caractère personnel ou résolution. La soumission au contraire
est l'acceptation d'une volonté étrangère qui n'a point pris naissance
en nous. L'homme primitif pouvait avec une égale facilité se
déterminer librement et se soumettre sans répugnance à la volonté de
Dieu. Il avait tout à la fois l'esprit créateur et l'obéissance d'un
enfant ; ces deux principes étaient en lui, dans une parfaite
harmonie. Si la volonté primitive n'avait eu que la spontanéité,
l'homme n'aurait pas eu besoin de Dieu, il aurait
été Dieu lui-même, car Dieu seul fait librement ce qui lui
plaît ; de même aussi, si la volonté primitive s'était réduite à
une soumission continuelle, elle n'aurait point eu l'élan qu'elle
devait avoir, et l'homme n'aurait connu qu'une passivité sans
activité.
Toutes les créations de Dieu ont un principe actif qui produit, et un
principe passif qui reçoit. L'activité entretient la joie, elle amène
le développement. La capacité de recevoir rétablit les forces
dépensées pendant l'action, et prépare une activité nouvelle, comme
l'huile qu'on verse dans la lampe entretient la flamme qui, sans cela,
s'éteindrait.
L'équilibre qui existait dans la volonté primitive entre la
spontanéité et la soumission, produisait un état que nous appelons la
liberté. L'homme primitif était libre, et c'était son plus beau
privilège ; cette liberté faisait partie de l'image de Dieu. Son
organisme spirituel n'était point dans un état de gêne ni
d'asservissement ; sa volonté répondait à
l'intention du Créateur, car il avait autant de bonheur à produire
lui-même qu'à recevoir de Dieu, à se déterminer de son chef qu'à se
soumettre à la volonté divine. Nous pouvons nous faire une idée de cet
état, en nous rappelant cette parole de Jésus-Christ : Mon
Père agit jusqu'à présent, et j'agis aussi ; le Fils ne peut
rien faire de lui-même, à moins qu'il ne le voie faire au
Père ; car tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait
pareillement.
Jésus-Christ agissait librement ; tout ce qu'il faisait, il le
faisait spontanément ; ce qu'il pensait, ce qu'il disait, venait
de son coeur, et portait l'empreinte de la vérité et de la liberté.
Cependant c'était en même temps le Père qui agissait dans le
Fils ; la volonté de Jésus-Christ n'était pas seulement au
service de son Père, elle était pénétrée de sa volonté. Non seulement
il lui était parfaitement soumis, mais sa volonté était devenue la
sienne propre, tellement qu'il trouvait dans l'obéissance
l'aliment de sa vie terrestre, sa liberté et son bonheur. Au premier
abord, il semble que la spontanéité exclut la soumission, et que la
soumission exclut la spontanéité ; mais la vie de Jésus-Christ
nous montre que les deux principes peuvent parfaitement exister
ensemble et même s'harmoniser si bien, que la sainteté et l'énergie de
la volonté n'y perdent rien. Malheureusement cette harmonie n'existe
plus. La volonté primitive a été dénaturée par la chute. Voyons ce
qu'elle est devenue depuis qu'elle est déchue.
Notre volonté actuelle est une faculté tronquée : Satan a
détruit un des deux principes qui la composaient ; il nous a ôté
la soumission, et ne nous a laissé que la spontanéité. Mais cette
spontanéité elle-même n'est plus, sans la soumission qui la modérait,
qu'une faculté déviée, qui porte bien encore le nom
de ce qu'elle était, mais qui, au fond, n'est plus ce qu'elle était
primitivement. En effet, la spontanéité sans la soumission rend la
volonté captive, elle la retient dans un état d'esclavage.
Le serpent disait à Eve : « Si vous vous émancipez, vous
serez comme des dieux ; » mais il n'avait garde, de lui dire
que la liberté, en dehors de la volonté de Dieu, devient
nécessairement une servitude. Voyez, en effet, ce qui arrive à l'homme
déchu. Il fait spontanément beaucoup de choses, sans consulter Dieu et
sans se soumettre à sa loi, mais il ne fait rien, il ne peut rien
faire que dans les étroites limites que l'égoïsme, la mondanité et le
péché tracent autour de lui. Son indépendance a péri, puisqu'il est
enfermé dans des bornes et qu'il a à subir le joug d'un maître. Il
importe peu, vous le comprenez, que ce maître soit un autre ou
lui-même. Et l'on peut même dire que l'esclavage est d'autant plus
complet, qu'il est subi par un captif qui le nie,
parce qu'il est lui-même son propre geôlier et son propre bourreau.
Ce n'est certainement pas un état digne d'envie, que celui dont on est
obligé de dire, une fois qu'on l'a discerné : « Misérable
que je suis ! qui m'en délivrera ? » On ne peut
voir, sans ressentir de la pitié, la gêne qui accompagne les
mouvements d'un pauvre amputé. Mais qu'est-ce que la perte d'un membre
et l'incommodité qui en résulte, en comparaison du malheur
qu'occasionné une volonté tronquée ? D'où viennent nos
misères ? Qu'est-ce qui nous rend malheureux, mécontents,
inquiets ? C'est notre volonté qui refuse de plier, qui se
révolte au lieu de se soumettre, ou qui, ne rencontrant aucun
obstacle, fait tout ce qui lui plaît, et se rend misérable par les
choses mêmes qui lui plaisent.
Car il ne faut pas nous le dissimuler, l'orgueil et la dureté de coeur
dirigent toujours du plus au moins la spontanéité
qui nous reste. Notre volonté propre n'est plus que l'expression de
l'idolâtrie de nous-mêmes, - oui, de l'adoration de cette grande idole
de jalousie, le MOI, le JE, notre personne enfin. Voilà ce que Satan
nous a laissé en détruisant en nous le principe de la soumission.
Notre volonté est malade, elle est sans paix, elle erre dans des lieux
arides, elle se trouve mal partout, dans l'opulence comme dans le
besoin, dans les jours de santé comme dans les heures de
souffrance ; toujours elle désire et toujours elle est déçue.
Ah ! pauvre volonté humaine, quand seras-tu rassasiée de
souffrances ? quand consentiras-tu à connaître les choses qui
regardent ta paix ?
Mais avant de chercher un remède dans une conversion réelle, on essaie
toutes sortes de moyens de guérison. Il y a des gens qui sont mal avec
eux-mêmes, qui portent le mécontentement écrit sur leur visage, qui
soupçonnent bien que leur volonté n'est pas dans l'ordre,
mais qui laissent aller les choses telles quelles, et vivent dans ce
manque de paix habituel sans jamais se décider à un changement.
D'autres, après être tombés dans des péchés patents qui les ont
humiliés, se modèrent ou s'amendent sur un point et s'imaginent, à
cause de cela, que leur volonté s'est améliorée par sa propre
puissance.
D'autres comptent sur leurs résolutions, sur un changement de
circonstances, sur l'âge qui, disent-ils, rend plus raisonnable ;
mais c'est en vain : la volonté qui gouverne leur vie, reste la
même, ou si elle change avec le temps, c'est pour s'endurcir
davantage.
L'homme peut fendre des rochers, dompter des bêtes sauvages, mais il
est hors de sa puissance de fléchir sa volonté et de la tourner vers
Dieu. Les caractères les plus durs ont pourtant de temps à autre de
bons mouvements, qui donneraient quelque espérance s'ils étaient
accompagnés de prière, mais c'est ce qui manque presque
toujours ; or l'âme qui ne prie pas, non
seulement n'a pas de sérieux, mais elle n'a point d'action
progressive ; elle vivrait des siècles qu'il n'y aurait rien de
changé en elle. Elle souffre, elle veut se corriger, elle se promet de
fléchir, elle sent qu'elle ne peut plus vivre ainsi ; mais au
moment même où il faudrait tuer le vieil homme et tenir les
résolutions qu'on a prises contre lui, la volonté déchue dit :
« Non, » et l'on continue le même train.
Une nouvelle volonté est le plus grand miracle de la puissance de
Dieu ; mais Dieu est disposé à faire ce miracle, et heureusement
sa force est plus grande que l'énergie de l'homme. Notre texte nous
dit que Dieu produit en nous la volonté et l'exécution selon son
bon plaisir.
Parlons donc maintenant de la volonté renouvelée. Comment ce
miracle de grâce s'opère-t-il ? Cela ne vient ni de celui qui
veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. La
volonté convertie est comme toute l'oeuvre du salut, un don de
Dieu, afin que personne ne se glorifie, Remarquons, cependant,
que tout ce que Dieu produit dans l'homme, il le produit avec la
coopération de l'homme.
Dieu convertit et l'homme se convertit ; Dieu crée
un nouveau coeur et l'homme se fait un nouveau coeur en
ôtant de sa chair le coeur de pierre ; ces deux choses
sont également vraies. Oui, il restera éternellement vrai que la
création d'une volonté nouvelle est un miracle de Dieu dans l'homme,
et ce sera toujours aussi un sujet de condamnation, et une faute
imputée à l'homme, si ce miracle ne s'est pas accompli en lui. Ce sont
là deux faits de conscience qu'il n'est pas facile d'expliquer ;
mais si l'on admet l'un, on est forcé d'admettre l'autre. Saint Paul
nous dit comment on arrive à ce miracle. C'est en travaillant à
son salut avec crainte et tremblement ; c'est-à-dire en
faisant du salut l'affaire capitale de la
vie ; ensuite c'est à Dieu à rompre les portes d'airain et à
mettre en pièces les barres de fer. Réveillez-vous, et Dieu se
réveillera ; ne vous opposez pas à l'action de Dieu, et vous
serez étonné de voir comment il sait incliner les volontés et
faire d'un loup un agneau, d'un léopard un chevreau. Il met
sa main sur les montagnes, et elles fument, sur une volonté, et elle
plie. Ce n'est point par force ni par armée que ces choses se
font, c'est par l'Esprit de Dieu et sous son influence.
On se sent peu à peu dans une disposition nouvelle que Dieu a formée
par un travail silencieux qui a atteint la volonté propre. L'homme
qui, il y a peu de temps, était inabordable, a subi en quelques jours
une transformation. Vous le trouvez pensif, prêt à vous écouter :
il est manifeste qu'un autre vent souffle dans cette âme ; sa
volonté, jusque là si opiniâtre, fléchit décidément. Vous n'auriez pas
cru que cela fût possible, et cependant vous verrez de plus grandes
choses encore. Renouvelez vos visites, et cet homme ira bientôt
jusqu'à vous serrer la main, car il commence à vous comprendre ;
son coeur s'est ouvert, il trouvera bientôt des larmes, comme il n'en
avait jamais versées.
Jésus, le Roi des coeurs, le Prince de la paix, a fait son entrée en
lui ; les ombres s'enfuient, l'hiver est passé, les fleurs
paraissent sur la terre et la voix de la tourterelle se fait
entendre dans la contrée. Alors il pourra prier librement, car
il pourra aimer ; il pourra renoncer à lui-même, car sa volonté a
passé avec lui de la mort à la vie, et de la puissance de Satan aux
richesses impérissables de Christ. L'oeuvre primitive de Dieu a été
rétablie en lui ; sa volonté convertie n'est plus une faculté
tronquée ; il a retrouvé, avec la soumission qui lui manquait, la
volonté primitive, et avec elle aussi la liberté. Le péché ne
régnera donc plus dans son corps mortel ; toutes choses seront
à lui, le monde et les événements, les bons et les mauvais
jours ; il saura être dans la pauvreté et dans l'abondance,
il pourra tout par Christ qui le fortifie.
Il y a cependant, entre la volonté primitive et la volonté convertie,
cette différence-ci : c'est que l'une se soumettait sans travail
ni combat, tandis que l'homme nouveau, semblable en cela au Fils de
Dieu qui est son chef, apprend l'obéissance par les choses
qu'il est appelé à souffrir. Portant en lui la chair et ses
convoitises, et l'Esprit de Dieu qui veut la sainteté et les progrès,
il sent la lutte de ces deux natures opposées qui convoitent l'une
contre l'autre, de sorte que la soumission est pour lui une conquête à
faire chaque jour : il y a et il y aura toujours lutte.
Le premier Adam suivait une pente en se soumettant à Dieu, l'homme
converti en remonte une en faisant la même oeuvre ; mais il a
aussi un avantage que n'avait pas le premier homme : c'est celui
de pouvoir recourir à la grâce et au pardon de son
Dieu. Il a senti l'amour de Dieu dans une plus profonde mesure que le
premier couple et même que les anges du ciel. Oui, un pauvre pécheur
en sait plus qu'un ange sur la miséricorde de Dieu, car il en a fait
une expérience que n'ont pas faite les mille milliers qui entourent le
trône de Dieu. Il n'y a qu'un pécheur qui puisse se dire :
« J'étais mort et je suis revenu à la vie ; j'étais perdu
et j'ai été retrouvé. Je ne sais pas comment ces choses se sont
faites, mais ce que je sais, c'est que Dieu a produit en
moi la volonté et l'exécution selon son bon plaisir. »
Ce serait méconnaître le but de l'étude que nous venons de faire, si,
en la terminant, nous ne nous demandions pas : « Quel est
actuellement l'état de ma volonté ? de quel fonds viennent mes
désirs, mes impulsions, mes espérances ? Ma volonté est-elle la
volonté nouvelle, celle qui est une production de Dieu, ou n'est-elle
encore que la volonté naturelle, celle qui vient de
la chair et du sang ? »
Entrons pleinement dans les intentions de Dieu à notre égard, et nous
éprouverons bientôt que la volonté la plus docile devant lui est aussi
la plus énergique.
Cultivons la soumission, ce sera du même coup rétablir la spontanéité
dans son intégrité ; soumettons-nous à la volonté de Dieu, et
notre volonté sera d'acier trempé quand il s'agira de résister aux
attaques du monde et des événements. Nous serons comme une colonne de
fer quand nous pourrons plier devant Dieu et lui amener nos pensées
captives. Nous aurons la véritable fermeté, la véritable persévérance.
L'énergie naturelle s'élève à une puissance surhumaine quand c'est Dieu
qui produit en nous la volonté et l'exécution selon son bon plaisir.
Nous n'aurons pas à craindre alors de tomber dans un christianisme
d'imitation ; bien au contraire ; ce ne sera que lorsque
notre volonté fléchira devant Celui qui pour l'amour de nos âmes
s'abaissa jusqu'à nous servir, que nous aurons une
véritable originalité, un type personnel. Il est dit de Jésus qu'il
a été obéissant jusqu'à la mort : c'est ce qui l'a rendu
indépendant jusqu'à la mort. Que celle obéissance si spontanée et
pourtant si soumise devienne donc la nôtre. Apprenons de lui à faire
de la volonté de Dieu la nôtre ; alors nous serons forts et
invincibles, libres et joyeux, et notre personnalité sera ce qu'elle
doit être devant Dieu et devant les hommes.
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