Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XIII

La volonté primitive, la volonté déchue et la volonté convertie.

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Phil., II, 13.

 C'est Dieu qui produit en vous et la volonté et l'exécution, selon son bon plaisir.



La faculté humaine la plus étonnante, c'est la volonté. On peut dire d'elle plus encore que de la langue, qu'elle se vante de grandes choses ; donnez-lui un point fixe, et elle sera le levier qui soulèvera l'univers.
La volonté est le siège de l'individualité ; c'est elle qui constitue le fond du caractère, car chacun montre ce qu'il est, non par ce qu'il pense ni par ce qu'il sent, mais par ce qu'il veut et par ce qu'il fait.
C'est aussi dans la volonté que se concentre la force du péché : les vices, les crimes, tout le mal qui se fait dans le monde s'exécute au moyen de la volonté. Il est donc bien évident que notre volonté actuelle n'est plus la volonté qui nous avait été primitivement donnée. Dieu ne nous a pas créés avec des impatiences, avec de l'opiniâtreté, avec un esprit de résistance et de rébellion. Ce serait un blasphème que de soutenir une pareille thèse, et si l'Écriture ne la démentait pas, notre conscience la démentirait. Nous sentons fort bien que nous sommes responsables de nos actes. Ceux qui prétendent que Dieu nous a créés ainsi, et que notre mauvaise volonté vient de notre faiblesse naturelle, n'ont jamais pu le croire assez fermement pour donner par cette excuse la paix à leur conscience inquiète.

Dieu rendra à chacun selon ses oeuvres ; l'oeuvre, devant Dieu, commence dans la pensée et dans les intentions du coeur : elle s'achève, elle devient visible par un acte de la volonté. Aussi est-ce contre elle qu'il est surtout pénible de combattre. Celui que Dieu a rendu capable de briser sa volonté, est capable aussi des plus grandes vertus. Mais cette victoire est au-dessus des forces de l'homme laissé à lui-même ; à Dieu, à Dieu seul il appartient de la vaincre !

La volonté propre est ce qu'il y a de plus résistant ; on a beau être brisé par la maladie, par des épreuves, par des infortunes, il faut encore qu'une force supérieure s'unisse à ses forces naturelles, pour opérer en nous le changement de la volonté ; heureusement ce changement nous est promis, si nous travaillons à notre salut avec crainte et tremblement.

Notre texte nous dit que c'est Dieu qui produit en nous la volonté et l'exécution selon son bon plaisir. Celte parole nous place entre notre état de chute et notre état de conversion. Dieu n'aurait pas besoin de créer en nous une volonté nouvelle, si notre volonté primitive était encore intacte ; mais puisqu'il est nécessaire que notre volonté soit changée, nous pouvons comprendre par cela à quel point elle est pervertie. Remarquez que Dieu ne parle pas de la corriger ni de l'améliorer ; il la rejette pour en produire une nouvelle, comme le potier que vit Jérémie, et qui jeta le vase gâté et en refit un autre.

Comment Dieu opère-t-il ce changement ? et de quelle manière notre volonté déchue arrive-t-elle à un état de renouvellement ? Pour répondre à cette question, nous allons faire une étude d'analyse, et prendre la volonté dans trois états différents. Mettons en parallèle : la volonté primitive, la volonté déchue et la volonté convertie. Ce sera voir à la fois la volonté dans son état normal, puis dans son état de déviation et d'enchaînement au mal, enfin dans son état de renouvellement, quand le bon plaisir de Dieu nous a délivrés de notre rébellion, et qu'il nous a rendus pleins de bonne volonté au jour de sa puissance.


I.

 La volonté primitive se compose de deux facteurs. Le premier est un principe actif, que nous appelons la spontanéité ; le second est un principe passif, que nous appelons la soumission.
C'est de la spontanéité que vient tout ce qui est mouvement propre, caractère personnel ou résolution. La soumission au contraire est l'acceptation d'une volonté étrangère qui n'a point pris naissance en nous. L'homme primitif pouvait avec une égale facilité se déterminer librement et se soumettre sans répugnance à la volonté de Dieu. Il avait tout à la fois l'esprit créateur et l'obéissance d'un enfant ; ces deux principes étaient en lui, dans une parfaite harmonie. Si la volonté primitive n'avait eu que la spontanéité, l'homme n'aurait pas eu besoin de Dieu, il aurait été Dieu lui-même, car Dieu seul fait librement ce qui lui plaît ; de même aussi, si la volonté primitive s'était réduite à une soumission continuelle, elle n'aurait point eu l'élan qu'elle devait avoir, et l'homme n'aurait connu qu'une passivité sans activité.

Toutes les créations de Dieu ont un principe actif qui produit, et un principe passif qui reçoit. L'activité entretient la joie, elle amène le développement. La capacité de recevoir rétablit les forces dépensées pendant l'action, et prépare une activité nouvelle, comme l'huile qu'on verse dans la lampe entretient la flamme qui, sans cela, s'éteindrait.
L'équilibre qui existait dans la volonté primitive entre la spontanéité et la soumission, produisait un état que nous appelons la liberté. L'homme primitif était libre, et c'était son plus beau privilège ; cette liberté faisait partie de l'image de Dieu. Son organisme spirituel n'était point dans un état de gêne ni d'asservissement ; sa volonté répondait à l'intention du Créateur, car il avait autant de bonheur à produire lui-même qu'à recevoir de Dieu, à se déterminer de son chef qu'à se soumettre à la volonté divine. Nous pouvons nous faire une idée de cet état, en nous rappelant cette parole de Jésus-Christ : Mon Père agit jusqu'à présent, et j'agis aussi ; le Fils ne peut rien faire de lui-même, à moins qu'il ne le voie faire au Père ; car tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait pareillement.

Jésus-Christ agissait librement ; tout ce qu'il faisait, il le faisait spontanément ; ce qu'il pensait, ce qu'il disait, venait de son coeur, et portait l'empreinte de la vérité et de la liberté. Cependant c'était en même temps le Père qui agissait dans le Fils ; la volonté de Jésus-Christ n'était pas seulement au service de son Père, elle était pénétrée de sa volonté. Non seulement il lui était parfaitement soumis, mais sa volonté était devenue la sienne propre, tellement qu'il trouvait dans l'obéissance l'aliment de sa vie terrestre, sa liberté et son bonheur. Au premier abord, il semble que la spontanéité exclut la soumission, et que la soumission exclut la spontanéité ; mais la vie de Jésus-Christ nous montre que les deux principes peuvent parfaitement exister ensemble et même s'harmoniser si bien, que la sainteté et l'énergie de la volonté n'y perdent rien. Malheureusement cette harmonie n'existe plus. La volonté primitive a été dénaturée par la chute. Voyons ce qu'elle est devenue depuis qu'elle est déchue.


II.

 Notre volonté actuelle est une faculté tronquée : Satan a détruit un des deux principes qui la composaient ; il nous a ôté la soumission, et ne nous a laissé que la spontanéité. Mais cette spontanéité elle-même n'est plus, sans la soumission qui la modérait, qu'une faculté déviée, qui porte bien encore le nom de ce qu'elle était, mais qui, au fond, n'est plus ce qu'elle était primitivement. En effet, la spontanéité sans la soumission rend la volonté captive, elle la retient dans un état d'esclavage.
Le serpent disait à Eve : « Si vous vous émancipez, vous serez comme des dieux ; » mais il n'avait garde, de lui dire que la liberté, en dehors de la volonté de Dieu, devient nécessairement une servitude. Voyez, en effet, ce qui arrive à l'homme déchu. Il fait spontanément beaucoup de choses, sans consulter Dieu et sans se soumettre à sa loi, mais il ne fait rien, il ne peut rien faire que dans les étroites limites que l'égoïsme, la mondanité et le péché tracent autour de lui. Son indépendance a péri, puisqu'il est enfermé dans des bornes et qu'il a à subir le joug d'un maître. Il importe peu, vous le comprenez, que ce maître soit un autre ou lui-même. Et l'on peut même dire que l'esclavage est d'autant plus complet, qu'il est subi par un captif qui le nie, parce qu'il est lui-même son propre geôlier et son propre bourreau.

Ce n'est certainement pas un état digne d'envie, que celui dont on est obligé de dire, une fois qu'on l'a discerné : « Misérable que je suis ! qui m'en délivrera ? » On ne peut voir, sans ressentir de la pitié, la gêne qui accompagne les mouvements d'un pauvre amputé. Mais qu'est-ce que la perte d'un membre et l'incommodité qui en résulte, en comparaison du malheur qu'occasionné une volonté tronquée ? D'où viennent nos misères ? Qu'est-ce qui nous rend malheureux, mécontents, inquiets ? C'est notre volonté qui refuse de plier, qui se révolte au lieu de se soumettre, ou qui, ne rencontrant aucun obstacle, fait tout ce qui lui plaît, et se rend misérable par les choses mêmes qui lui plaisent.

Car il ne faut pas nous le dissimuler, l'orgueil et la dureté de coeur dirigent toujours du plus au moins la spontanéité qui nous reste. Notre volonté propre n'est plus que l'expression de l'idolâtrie de nous-mêmes, - oui, de l'adoration de cette grande idole de jalousie, le MOI, le JE, notre personne enfin. Voilà ce que Satan nous a laissé en détruisant en nous le principe de la soumission. Notre volonté est malade, elle est sans paix, elle erre dans des lieux arides, elle se trouve mal partout, dans l'opulence comme dans le besoin, dans les jours de santé comme dans les heures de souffrance ; toujours elle désire et toujours elle est déçue. Ah ! pauvre volonté humaine, quand seras-tu rassasiée de souffrances ? quand consentiras-tu à connaître les choses qui regardent ta paix ?

Mais avant de chercher un remède dans une conversion réelle, on essaie toutes sortes de moyens de guérison. Il y a des gens qui sont mal avec eux-mêmes, qui portent le mécontentement écrit sur leur visage, qui soupçonnent bien que leur volonté n'est pas dans l'ordre, mais qui laissent aller les choses telles quelles, et vivent dans ce manque de paix habituel sans jamais se décider à un changement.
D'autres, après être tombés dans des péchés patents qui les ont humiliés, se modèrent ou s'amendent sur un point et s'imaginent, à cause de cela, que leur volonté s'est améliorée par sa propre puissance.
D'autres comptent sur leurs résolutions, sur un changement de circonstances, sur l'âge qui, disent-ils, rend plus raisonnable ; mais c'est en vain : la volonté qui gouverne leur vie, reste la même, ou si elle change avec le temps, c'est pour s'endurcir davantage.

L'homme peut fendre des rochers, dompter des bêtes sauvages, mais il est hors de sa puissance de fléchir sa volonté et de la tourner vers Dieu. Les caractères les plus durs ont pourtant de temps à autre de bons mouvements, qui donneraient quelque espérance s'ils étaient accompagnés de prière, mais c'est ce qui manque presque toujours ; or l'âme qui ne prie pas, non seulement n'a pas de sérieux, mais elle n'a point d'action progressive ; elle vivrait des siècles qu'il n'y aurait rien de changé en elle. Elle souffre, elle veut se corriger, elle se promet de fléchir, elle sent qu'elle ne peut plus vivre ainsi ; mais au moment même où il faudrait tuer le vieil homme et tenir les résolutions qu'on a prises contre lui, la volonté déchue dit : « Non, » et l'on continue le même train.
Une nouvelle volonté est le plus grand miracle de la puissance de Dieu ; mais Dieu est disposé à faire ce miracle, et heureusement sa force est plus grande que l'énergie de l'homme. Notre texte nous dit que Dieu produit en nous la volonté et l'exécution selon son bon plaisir.


III.

 Parlons donc maintenant de la volonté renouvelée. Comment ce miracle de grâce s'opère-t-il ? Cela ne vient ni de celui qui veut ni de celui qui court, mais de Dieu qui fait miséricorde. La volonté convertie est comme toute l'oeuvre du salut, un don de Dieu, afin que personne ne se glorifie, Remarquons, cependant, que tout ce que Dieu produit dans l'homme, il le produit avec la coopération de l'homme.
Dieu convertit et l'homme se convertit ; Dieu crée un nouveau coeur et l'homme se fait un nouveau coeur en ôtant de sa chair le coeur de pierre ; ces deux choses sont également vraies. Oui, il restera éternellement vrai que la création d'une volonté nouvelle est un miracle de Dieu dans l'homme, et ce sera toujours aussi un sujet de condamnation, et une faute imputée à l'homme, si ce miracle ne s'est pas accompli en lui. Ce sont là deux faits de conscience qu'il n'est pas facile d'expliquer ; mais si l'on admet l'un, on est forcé d'admettre l'autre. Saint Paul nous dit comment on arrive à ce miracle. C'est en travaillant à son salut avec crainte et tremblement ; c'est-à-dire en faisant du salut l'affaire capitale de la vie ; ensuite c'est à Dieu à rompre les portes d'airain et à mettre en pièces les barres de fer. Réveillez-vous, et Dieu se réveillera ; ne vous opposez pas à l'action de Dieu, et vous serez étonné de voir comment il sait incliner les volontés et faire d'un loup un agneau, d'un léopard un chevreau. Il met sa main sur les montagnes, et elles fument, sur une volonté, et elle plie. Ce n'est point par force ni par armée que ces choses se font, c'est par l'Esprit de Dieu et sous son influence.

On se sent peu à peu dans une disposition nouvelle que Dieu a formée par un travail silencieux qui a atteint la volonté propre. L'homme qui, il y a peu de temps, était inabordable, a subi en quelques jours une transformation. Vous le trouvez pensif, prêt à vous écouter : il est manifeste qu'un autre vent souffle dans cette âme ; sa volonté, jusque là si opiniâtre, fléchit décidément. Vous n'auriez pas cru que cela fût possible, et cependant vous verrez de plus grandes choses encore. Renouvelez vos visites, et cet homme ira bientôt jusqu'à vous serrer la main, car il commence à vous comprendre ; son coeur s'est ouvert, il trouvera bientôt des larmes, comme il n'en avait jamais versées.
Jésus, le Roi des coeurs, le Prince de la paix, a fait son entrée en lui ; les ombres s'enfuient, l'hiver est passé, les fleurs paraissent sur la terre et la voix de la tourterelle se fait entendre dans la contrée. Alors il pourra prier librement, car il pourra aimer ; il pourra renoncer à lui-même, car sa volonté a passé avec lui de la mort à la vie, et de la puissance de Satan aux richesses impérissables de Christ. L'oeuvre primitive de Dieu a été rétablie en lui ; sa volonté convertie n'est plus une faculté tronquée ; il a retrouvé, avec la soumission qui lui manquait, la volonté primitive, et avec elle aussi la liberté. Le péché ne régnera donc plus dans son corps mortel ; toutes choses seront à lui, le monde et les événements, les bons et les mauvais jours ; il saura être dans la pauvreté et dans l'abondance, il pourra tout par Christ qui le fortifie.
Il y a cependant, entre la volonté primitive et la volonté convertie, cette différence-ci : c'est que l'une se soumettait sans travail ni combat, tandis que l'homme nouveau, semblable en cela au Fils de Dieu qui est son chef, apprend l'obéissance par les choses qu'il est appelé à souffrir. Portant en lui la chair et ses convoitises, et l'Esprit de Dieu qui veut la sainteté et les progrès, il sent la lutte de ces deux natures opposées qui convoitent l'une contre l'autre, de sorte que la soumission est pour lui une conquête à faire chaque jour : il y a et il y aura toujours lutte.

Le premier Adam suivait une pente en se soumettant à Dieu, l'homme converti en remonte une en faisant la même oeuvre ; mais il a aussi un avantage que n'avait pas le premier homme : c'est celui de pouvoir recourir à la grâce et au pardon de son Dieu. Il a senti l'amour de Dieu dans une plus profonde mesure que le premier couple et même que les anges du ciel. Oui, un pauvre pécheur en sait plus qu'un ange sur la miséricorde de Dieu, car il en a fait une expérience que n'ont pas faite les mille milliers qui entourent le trône de Dieu. Il n'y a qu'un pécheur qui puisse se dire : « J'étais mort et je suis revenu à la vie ; j'étais perdu et j'ai été retrouvé. Je ne sais pas comment ces choses se sont faites, mais ce que je sais, c'est que Dieu a produit en moi la volonté et l'exécution selon son bon plaisir. »

Ce serait méconnaître le but de l'étude que nous venons de faire, si, en la terminant, nous ne nous demandions pas : « Quel est actuellement l'état de ma volonté ? de quel fonds viennent mes désirs, mes impulsions, mes espérances ? Ma volonté est-elle la volonté nouvelle, celle qui est une production de Dieu, ou n'est-elle encore que la volonté naturelle, celle qui vient de la chair et du sang ? »
Entrons pleinement dans les intentions de Dieu à notre égard, et nous éprouverons bientôt que la volonté la plus docile devant lui est aussi la plus énergique.
Cultivons la soumission, ce sera du même coup rétablir la spontanéité dans son intégrité ; soumettons-nous à la volonté de Dieu, et notre volonté sera d'acier trempé quand il s'agira de résister aux attaques du monde et des événements. Nous serons comme une colonne de fer quand nous pourrons plier devant Dieu et lui amener nos pensées captives. Nous aurons la véritable fermeté, la véritable persévérance.
L'énergie naturelle s'élève à une puissance surhumaine quand c'est Dieu qui produit en nous la volonté et l'exécution selon son bon plaisir. Nous n'aurons pas à craindre alors de tomber dans un christianisme d'imitation ; bien au contraire ; ce ne sera que lorsque notre volonté fléchira devant Celui qui pour l'amour de nos âmes s'abaissa jusqu'à nous servir, que nous aurons une véritable originalité, un type personnel. Il est dit de Jésus qu'il a été obéissant jusqu'à la mort : c'est ce qui l'a rendu indépendant jusqu'à la mort. Que celle obéissance si spontanée et pourtant si soumise devienne donc la nôtre. Apprenons de lui à faire de la volonté de Dieu la nôtre ; alors nous serons forts et invincibles, libres et joyeux, et notre personnalité sera ce qu'elle doit être devant Dieu et devant les hommes.


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