Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XII

Le silence.

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Jean, XIX, 9.

 Pilate dit à Jésus : D'où es-tu ?
 Et Jésus ne lui fît aucune réponse.


IL est souvent plus difficile de se taire que de parler. Qui de nous, dans une situation comme celle où se trouvait Jésus, eût consenti à rester bouche close ? En effet, ce n'est pas au moment où l'on est injustement accusé, où l'on est en présence de faux témoins et devant un juge prévenu contre nous, qu'il semble opportun de se taire. Qui donc plaiderait notre cause mieux que nous-mêmes ? Qui pourrait éprouver la même indignation, et trouver ces paroles véhémentes qui confondent l'injustice et qui sont comme autant de coups d'épées sur la face de l'adversaire ? Aussi Jésus-Christ ne demeure-t-il pas dans un silence absolu. Il parle quand cela est nécessaire.
Quand Pilate l'interroge ironiquement sur sa royauté, le Sauveur, bien loin de se taire, lui déclare hautement et sérieusement, qu'en effet, il est roi, né pour cela, mais que son règne n'est pas de ce monde. C'était là une vérité qu'il importait à Pilate de connaître pour son propre salut, et Jésus se garde bien de la lui taire ; sur lui, comme sur les Pharisiens, retombe cette parole : Si je n'étais point venu et que je ne leur eusse pas parlé, ils n'auraient point de péché, mais maintenant ils n'ont point d'excuse de leur péché.

Mais après avoir parlé en temps opportun, Jésus trouve que le moment de se taire est venu quand Pilate lui demande : D'où es-tu ? ou plus exactement : « De quels parents descends-tu ? » Les Juifs venaient de dire au gouverneur que Jésus-Christ s'arrogeait le titre de Fils de Dieu. Cette incrimination parut étrange à Pilate, et soit qu'elle n'éveillât en lui qu'un simple mouvement de curiosité moqueuse, soit que, plus superstitieux qu'il n'osait se l'avouer, il prît Jésus-Christ pour un de ces demi-dieux que le paganisme vénérait en si grand nombre, il voulut savoir de Jésus-Christ lui-même, quelle était son extraction, a fin de juger si l'assertion de ses ennemis était fondée. - Mais Jésus ne lui fit aucune réponse. Il ne crut pas qu'il fût utile de satisfaire la vaine curiosité d'un homme qui avait haussé les épaules en lui entendant prononcer cette parole : Quiconque est pour la vérité écoute ma voix, et qui avait répondu, avec une indifférence sceptique : Qu'est-ce que la vérité ? Jésus pensa, et avec raison, qu'il valait mieux laisser Pilate sous le coup de sa dernière parole et ne pas l'aider à se distraire par d'autres pensées. Il arrive souvent en effet, qu'en ajoutant à ce qu'on a déjà dit, on affaiblit l'impression des paroles précédentes, et il est hors de doute que le silence de Jésus fit plus d'effet sur la conscience de Pilate que n'aurait pu le faire un cours d'apologétique.

L'arme du silence, employée à propos vis-à-vis d'un adversaire à qui l'on a dit tout ce qu'il avait besoin de savoir, peut devenir un jugement de Dieu. Le bruit des paroles étourdit. Le silence, en le laissant à lui-même, peut venir en aide à la vérité. D'ailleurs, si après avoir eu des paroles pour témoigner en sa faveur, on se tait quand il ne s'agit que de se disculper soi-même, il y a nécessairement là une preuve de la puissance inconnue du Saint-Esprit qui se fait sentir avec plus d'efficacité qu'une multitude de paroles.
Si nous généralisons cette réflexion, nous serons amenés à considérer l'influence du silence sur la vie, et nous verrons qu'elle est considérable. On dirait, au premier coup-d'oeil, que le silence est une chose entièrement négative, mais il arrive, au contraire, dans des moments importants de la vie, qu'il devient, par les choses qu'il renferme, un fait parfaitement positif. L'action du silence peut nous venir de trois côtés, selon l'espèce de silence qui nous entoure. Il y a un silence de la nature, un silence de l'âme et un silence de Dieu : ce sont ces trois états que nous voudrions examiner de plus près pour en sentir la portée.


I.

 Le silence qui agit sur nous, peut être le silence de la nature. Le calme d'une campagne, la solitude d'une forêt, l'air pur qui nous entoure sur le haut d'une montagne a quelque chose qui repose le corps et l'âme, et qui contraste singulièrement avec le bruit des villes, avec l'agitation de notre sphère d'activité, et avec toutes ces voix diverses qui arrivent à nous dans notre vie habituelle. L'homme d'affaires, l'homme de cabinet, tous ceux dont le travail est un travail régulier et soutenu, ont besoin de raviver leurs forces en cherchant, par intervalles, une retraite dans le sein de la nature. Le silence qui nous entoure alors, nous aide à nous retrouver nous-mêmes ; non seulement il repose le corps, mais il rafraîchit l'âme et la dispose à une nouvelle activité. Une simple promenade a souvent une action salutaire sur l'âme par le silence qu'on trouve autour de soi.
Le meilleur moyen pour échapper à d'inutiles rêveries, à des soucis qui nous poursuivent ou à la fatigue de la réflexion, c'est bien souvent de prendre son chapeau et de s'en aller parcourir les champs au hasard. Laissez alors reposer vos yeux sur la verdure des prés, plongez-les dans l'azur des cieux, ou bien regardez les montagnes qui bornent l'horizon ; interdisez-vous de penser aux choses qui vous travaillent, et vous verrez que le silence de la nature vous fera du bien. Chose singulière ! on a souvent le jugement plus juste, quand ou ne se tourmente pas à réfléchir, et les pensées viennent d'elles-mêmes, quand on ne court pas après. La variété des oeuvres de Dieu et le spectacle de ses oeuvres est un grand bien. Il y a dans cette société quelque chose de si tranquille, je dirai presque de si rassurant, que ce silence du dehors dissipe les nuages de l'esprit et nous délivre de ces mille et mille occupations qui, comme des mouches, nous tourmentent si souvent entre les quatre murs de nos demeures.

Mais il y a dans le silence de la nature quelque chose de plus grave et de plus solennel encore. Dans son état actuel, elle témoigne à la fois de son assujettissement à la vanité et de la nécessité de la restauration finale qui lui est promise. Il y a dans la chute des feuilles, dans le dépérissement d'un arbre ou dans la vue d'une ruine un langage muet qui rend triste et mélancolique. L'homme est obligé de s'arrêter et de se dire : « C'est pourtant moi qui ai entraîné dans ma chute les oeuvres de mon Créateur. » Mais s'il examine une de ces belles contrées, où la nature déploie toutes sa richesse et sa parure, une voix semble lui dire alors : Ce que nous serons, n'a pas encore été manifesté ! Le repos des champs fait penser avec bonheur à cet autre repos qui reste pour le peuple de Dieu. Ce soleil qui a un pavillon dans les cieux et qui fournit sa carrière comme un époux qui sort de sa chambre nuptiale, cet astre, aujourd'hui indispensable, ne nous fait-il pas rêver au temps où il ne sera plus nécessaire, parce que l'Éternel sera notre lumière, et que notre Dieu sera notre gloire ?
Le silence de la nature a quelque chose de prophétique. Que celui qui n'a pas d'ami pour recueillir ses larmes, que le chrétien qui sent son espérance languir, s'entoure des oeuvres de son Dieu. Elles lui parleront, elles le consoleront. Il n'y a en elles ni langage, ni parole, et toutefois leur voix est entendue.


II.

 Mais il y a un autre silence, plus expressif encore que le silence de la nature ; c'est celui de l'âme.
Notre âme est dans le silence quand elle repose en Dieu et que Dieu repose en nous. Le silence intérieur est cette atmosphère divine, qui nous élève pardessus les choses de la terre, et nous place devant Dieu comme devant le bien réel et permanent.
Le monde ne peut donner ce silence-là, pas plus qu'il ne peut donner la paix.
Le coin le plus solitaire ne peut communiquer son repos à l'âme troublée ou courbée sous l'esclavage du péché.

Dieu, seul est notre repos et notre haute retraite. Mais il s'agit d'entrer dans ce repos, et voilà le point difficile. Nos communications avec lui sont ordinairement si courtes et si traversées ! Une âme tranquille est bien rare. Le fond de notre être est naturellement comme une mer mouvante ; ce n'est qu'avec effort que nous parvenons à obtenir un peu de silence intérieur. C'est cependant l'état le plus nécessaire, non seulement pour prier, mais aussi pour vivre selon le monde. Quand le fond de notre âme est dans un état de préoccupation, nous n'avons point le jugement libre, nous pouvons devenir le jouet de nos passions, et souvent on commet des fautes graves, uniquement parce qu'on n'a pas eu l'âme tranquille. Il faut pouvoir couper court à tout ce qui nous enlève la présence de Dieu ; il faut sentir jusqu'au fond de l'âme que nous détourner de lui c'est nous détourner après des choses du néant, qui ne nous apportent aucun profit et qui ne nous délivrent point, parce que ce sont des choses de néant.
Un grand nombre de personnes ont le malheur de ne pouvoir réaliser ce silence intérieur ; cela vient de ce que Dieu n'est pas encore leur intérêt suprême. Ce qui pèse, va au fond. Quand Dieu dominera enfin leur nature, elle fera silence devant lui. Pour cela approchez-vous de Dieu, toujours mieux et toujours plus souvent. Notre fatigue vient de notre éloignement de Dieu. Le coeur où Dieu n'est pas, est agité ; c'est là ce qui fatigue. Dieu seul est le principe du recueillement et du silence. Tous les délassements du monde ne sont que de nouvelles manières de se fatiguer ; on peut dire la même chose de toutes les rêveries qui égarent l'esprit comme dans un labyrinthe et qui ne l'amènent point en la présence de Dieu. Il y a même des retours sur soi et des examens de conscience qui épuisent à la longue et qui n'ont aucun résultat, uniquement parce qu'on les fait à distance de Dieu, pour se rechercher soi-même, au lieu de le rechercher, lui. De cette manière on manque encore de silence et l'on n'avance point dans la sanctification.

Le profit de ce silence est immense, parce qu'il tient continuellement Dieu à nos côtés. Il n'y a qu'une âme tranquille qui puisse prier. S'il n'y a point en vous de silence, votre prière ne sera qu'une mer de distractions. C'est ce même silence qui vous donne la présence d'esprit dans les cas difficiles. Il vous préserve de l'entraînement au mal, vous met en garde contre la véhémence et la colère, vous rend capable de répondre avec dignité à un homme qui vous attaque, et vous fait conserver dans toutes les situations pénibles ce saint équilibre qu'on perd si facilement quand on s'éloigne de Dieu et qu'on s'abandonne à soi-même.
Nos heures les plus heureuses sont celles où notre âme a du silence ; c'est l'état le plus sûr et le plus béni ; dans cet état on peut prier, on peut travailler, on peut souffrir ; on a conscience qu'une seule chose est nécessaire, et que si notre chair et notre coeur défaillent, Dieu est le rocher de notre coeur et notre partage à toujours.


III.

 Mais le silence le plus solennel, c'est le silence de Dieu ; essayons d'en dire quelque chose.
Dieu peut se taire, et nous voyons alors ce que nous devenons. Quand il n'y a point de souffle dans l'air et que par une de ces chaleurs d'été qui précèdent les orages, la nature autour de nous est morne et immobile, nous sommes saisis d'un sentiment d'anxiété ; il en est de même, et bien plus encore, quand Dieu se tait et qu'il nous livre quelque temps à nous-mêmes.
Il est dit dans un psaume : Toutes les créatures s'attendent à toi, afin que tu leur donnes la nourriture en leur temps. Quand tu la leur donnes, elles la recueillent, et quand tu ouvres ta main, elles sont rassasiées de bien. Caches-tu ta face ? elles sont troublées ; retires-tu ton souffle ? elles défaillent et retournent en leur poudre.

En effet, quand Dieu se retire, le trouble survient, nous défaillons. Si Dieu persistait à se taire et à nous retirer sa présence, nous retournerions en notre poudre. Le silence de Dieu a un double caractère, selon les personnes envers lesquelles il l'observe.
Il y a un silence de Dieu qui règne autour du méchant, et un autre qui entoure le juste. Dieu se tait à l'égard du méchant quand il le laisse faire et qu'il le laisse marcher dans ses propres voies. Il se tait souvent ainsi pendant de longues années. L'homme les passe à s'endurcir et à amasser, par son impénitence, la colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu. Tous les méchants, pendant le silence de Dieu, continuent leur train de vie ; mais il y en a qui tombent de misère en misère, d'autres qui vont de succès en succès, et sont livrés à une effrayante prospérité. De ces deux sortes de jugements de Dieu, le dernier est le plus redoutable. La prospérité du méchant est cette coupe d'or, cette coupe d'étourdissement, de laquelle parlent les prophètes et que Dieu présente à ses ennemis pour les enivrer, pour rendre folles des nations entières, jusqu'au moment où le prestige tombe, où cette fausse prospérité s'évanouit, et où hommes et nations crient à cause de la douleur qu'ils ont dans le coeur, et hurlent à cause de l'amertume de leur esprit.

Le silence de Dieu, envers le juste, n'a point le même caractère. Il y a pour les enfants de Dieu des heures bien douloureuses ; ce sont celles où Dieu se cache, où sa voix paternelle ne se fait plus entendre, où le ciel est devenu comme d'airain, et le fond de l'âme comme un vrai désert. C'est dans ces moments que l'on crie : Mon Dieu ! mon Dieu ! pourquoi m'as-tu abandonné, l'éloignant de ma délivrance et des paroles de mon gémissement ? Mon Dieu ! je crie de jour, mais tu ne réponds point, et de nuit, et je n'ai point de repos.

Pourquoi ce silence où les heures se changent en siècles, et où David rugissait souvent dans le grand frémissement de son coeur ?

Il est difficile d'assigner les motifs qui déterminent le Seigneur à agir de telle ou telle manière ; mais nous pouvons répondre cependant que lorsque Dieu nous éprouve ainsi, c'est qu'il a à juger en nous certaines choses qui ne se révèlent que quand nous sommes forcés de rentrer en nous-mêmes. Le péché a des suites incalculables, et quand Dieu se retire, le souvenir de nos infidélités devient vivant en nous, en sorte que notre véritable état apparaît. De même que le méchant boit l'iniquité comme l'eau, on peut boire les grâces de Dieu l'une après l'autre, sans se rappeler que ce sont des grâces. Le silence de Dieu nous en renouvelle le sentiment ; on voit alors que Dieu peut tout nous retirer, que nous sommes entièrement sous sa dépendance, que la grâce dont nous vivons aujourd'hui n'est pas celle dont nous avons vécu hier, qu'elle se renouvelle chaque jour, que notre subsistance vient de sa bonne volonté.

Le silence de Dieu, à l'égard de ses enfants, a une autre cause encore. Dieu se tait pour mettre à l'épreuve notre persévérance. C'est la vertu la plus nécessaire et le signe le plus certain de la foi. Tenir bon jusqu'à la fin de l'épreuve, attendre avec patience que Dieu parle de nouveau, est un exercice que l'on ne supporte que lorsqu'on est fondé et enraciné dans la charité.
Quand Dieu nous a séparé du monde visible, il nous sépare encore du monde sensible, il nous dépouille de nos propres impressions. Il ne nous laisse que la foi, c'est-à-dire l'attachement à ce qui est hors de nous et non à ce qui est en nous.
C'est dans les moments où Dieu se tait, où tous nos approvisionnements spirituels semblent épuisés, que nous sommes le mieux placés pour acquérir la persévérance. Nous revenons alors à ce qui fit le commencement de notre subsistance, à Jésus, à lui seul. Nous nous affermissons sur le roc inébranlable, sur cette rançon payée une fois pour toutes par notre médiateur, rançon que Dieu a acceptée et qu'il ne demandera pas une seconde fois. Nous recherchons avec soin le Sauveur parfait qui a persévéré jusqu'à la fin, pour qu'il nous soit possible de persévérer à notre tour. Le silence de Dieu nous ramène à cette oeuvre éternelle ; il la rend de nouveau jeune, désirable, inouïe ; en ne nous laissant que cela, il nous oblige à n'estimer que cela.

Rangeons donc parmi les nombreux bienfaits dont Dieu nous entoure, le silence bienfaisant de la nature, celui de l'âme et celui de Dieu. Comme Jésus, devant Pilate, sachons à notre tour nous servir du silence comme d'un langage. Apprenons de notre Maître quel est le temps de parler, quel est celui de se taire. Le silence est un témoignage qui part de nous ou qui agit sur nous ; c'est une manière de recevoir, de donner ou de comprendre. Le règne de Dieu ne consiste pas en paroles, mais en vertu. Un homme qui abonde en paroles est rarement un homme profond. Tout sentiment intime est de sa nature discret. Donnons à Dieu nos moments de silence, et il nous parlera. Nous trouverons partout sa voix et son message. La nature, la conscience, l'attente, l'appauvrissement nous mettent en communication avec le Dieu révélé, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ, et rendent témoignage de son amour, de sa bonté et de sa vérité.


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