Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

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Pour qui vivez-vous ?

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Rom., XIV, 7, 8.

 Aucun de nous ne vit pour soi-même, aucun de nous ne meurt pour soi-même. Car, soit que nous vivions, nous vivons pour le Seigneur, soit que nous mourions, nous mourons pour le Seigneur ; soit donc que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur.



Les épîtres de saint Paul se divisent ordinairement en deux parties, dont la première est dogmatique, la seconde, pratique. L'Apôtre commence par établir le fondement de nos croyances ; cette base posée, il montre quelles conséquences ces croyances ont dans la vie et dans l'application. Il faut nécessairement que la vie s'appuie sur quelque chose qui nous vienne de Dieu, puisqu'elle ne peut s'appuyer sur notre savoir-faire. L'aplomb de l'âme vient de la foi, de la vive représentation des choses qu'on espère et de la démonstration de celles qu'on ne voit point. Une âme bien fondée possède une puissance qui ne la laissera point inactive et qui est le principe des bonnes oeuvres.

Lisez les huit premiers chapitres de l'épître aux Romains, et saint Paul vous dira quelle est notre unique espérance dans la vie et dans la mort ; c'est de pouvoir dire : Je suis justifié par la foi, et j'ai la paix avec Dieu par Notre Seigneur Jésus-Christ. Quand cette oeuvre de grâce s'est accomplie dans une âme, elle fait immédiatement sentir ses conséquences dans la vie ; le levain de la foi devient celui de la sanctification. Si vous lisez depuis le 12e chapitre des Romains jusqu'à la fin de l'épître, vous verrez quel caractère de renouvellement prend une vie déchue, quand la conscience a été frappée et que Jésus-Christ est né en nous. La vie du monde, celle de l'égoïsme, sont remplacées par une vie de renoncement à soi. On ne s'appartient plus à soi-même, on a été racheté à grand prix. Tous ceux qui ont reconnu la valeur éternelle de leur rançon prennent pour devise : Aucun de nous ne vit pour soi-même, et aucun de nous ne meurt pour soi-même. Car soit que nous vivions, nous vivons pour le Seigneur, soit que nous mourions, nous mourons pour le Seigneur ; soit donc que nous vivions, soit que nous mourions, nous sommes au Seigneur. Vivre et mourir, sont les deux plus grands faits de l'existence de chacun de nous. Mais pour bien mourir, il faut bien vivre ; il faut savoir clairement pour qui l'on vit et pour qui l'on meurt. Les épîtres de saint Paul peuvent se résumer en ces deux questions : « Que croyez-vous ? et pour qui vivez-vous ? » La seconde contrôle la première.

Les convictions sont la racine de l'arbre, mais c'est aux fruits qu'on reconnaît la bonté de la racine. La vie sous un certain rapport est quelque chose de bien compliqué ; mais qu'elle devient simple quand, laissant de côté les actes qui la composent et ne s'enquérant que de sa direction générale, on pose devant soi cette question unique : « Pour qui ai-je vécu ? pour qui vais-je mourir ? »

L'humanité ressemble à une fourmilière. Les hommes vont et viennent ; ils travaillent, ils voyagent, ils se croisent, ils s'échauffent ; puis, après un peu de bruit et de mouvement, ils disparaissent les uns après les autres. Le même gouffre engloutit les familles, les peuples, les siècles. La cloche qui sonne les heures indique avec indifférence la dernière de chaque existence. Cette agitation éphémère que nous appelons la vie n'est pourtant pas une pure vanité. Elle a un but, une destination, une responsabilité. Les discernons-nous nettement ? Quand nous nous levons le matin, nous demandons-nous :
« Pour qui vais-je vivre ? » et quand nous nous couchons le soir, nous demandons-nous encore : « Si je mourais cette nuit, pour qui mourrais-je ? » Sommes-nous au clair là-dessus ? Avons-nous une réponse positive ? Notre âme possède-t-elle une certitude à cet égard ?
Rien n'est plus important qu'une pareille demande. C'est le tout de la vie, et si l'incertitude seulement serait un grand mal, à combien plus forte raison l'erreur ? Mais il n'y a de certitude que dans la vérité ; assurons-nous donc que nous la possédons tout entière. Quand vous envisagez votre vie dans son ensemble, pouvez-vous dire que vous avez un but, un intérêt central, un bien suprême ? Ne morcelez pas vos années : elles se morcellent déjà assez ; réunissez-les, au contraire ; voyez s'il y a un lien qui les unisse, si elles suivent toutes une direction unique imprimée par votre coeur, si votre vie, en un mot, se dirige vers un point fixe comme l'aiguille de la boussole. Les oeuvres de Dieu ont toutes un caractère d'unité ; elles sont régies par des lois mathématiquement calculées, ce qui n'exclut pas cependant une admirable diversité. Les saisons et les jours obéissent à une règle constante ; les plantes et les animaux se divisent en classes, en espèces ; la création est un ensemble : la vie humaine doit en être un aussi, si elle est bien réglée, bien employée. Il faut, dans ce pêle-mêle qui nous entoure, il faut que nous soyons sous la direction d'une force qui nous domine, que notre activité soit circonscrite dans un cercle qui soit pour elle ce que l'orbe est à chaque planète, que nous cherchions une chose, seule nécessaire parmi tant d'autres choses qui s'écoulent.

Pour trouver ce qui fait l'unité de notre vie, nous n'avons qu'à regarder à quelle tendance nous obéissons habituellement. Nous avons un coeur à donner et quelques années à dépenser. À qui donnons-nous l'un, pour qui dépensons-nous les autres ? Il y a une foule de gens qui seraient fort embarrassés de le dire, car la vie de la plupart des hommes a une tendance au désordre ; c'est une dilapidation des forces vitales, une série de riens dont le résultat général est zéro. Oh ! quelles tristes existences que celles qui se consument en bagatelles, qui jamais ne s'arrêtent pour réfléchir sur elles-mêmes, qui nagent dans le vide, semblables à ces vapeurs qui traversent le ciel et disparaissent sans avoir produit ni rosée ni pluie ! Pauvres vies sans couleur, sans consistance, sans fond, sans réflexion, composées d'un concours fortuit de choses et d'événements qui se heurtent, comme la vague qui balaie un rivage désert, sans pouvoir le vivifier.

Quelques hommes cependant savent pour qui ils vivent. La vanité a pris pour eux un nom, un corps, une forme spéciale ; elle est devenue mondanité. Le monde, pour l'un, c'est l'argent et tout ce qu'il procure. Que ce soit un banquier ou un mendiant, n'importe ; la tendance est la même : c'est l'amour de l'argent.
Pour un autre, le monde, ce sont ses idées, ses plans, ses habitudes, l'horizon de ses espérances. Il est du nombre de ces hommes qui ont toujours pensé de la même manière, ont toujours vécu dans la même ornière et que désoriente tout ce qui est nouveau.
Pour un autre encore, le monde c'est la famille, la vie du coin du feu, le bonheur d'un égoïsme à plusieurs. On admire souvent une telle vie, on la cite comme un modèle ; tout y est si bien réglé, si convenable : jamais de bals ni de folles dépenses ; les heures du travail et des repas se succèdent avec exactitude ; c'est une véritable perfection bourgeoise, si l'on veut, mais ce n'est pas la perfection de l'Évangile.
Ailleurs, le monde a pris une autre forme. Il y a des originaux qui jouent les philosophes : sans parent, sans famille, ils sont parvenus à se suffire à eux-mêmes et se contentent pour toute société de leurs personnes. C'est un célibataire ou une vieille fille qui remplissent à eux seuls une maison où il y aurait place pour 20 personnes. Jamais dans ces maisons on n'a su ou on n'a cru qu'aucun de nous ne vit pour soi-même et qu'aucun de nous ne meurt pour soi-même. On y vit pour soi, on y vieillit pour soi ; la philosophie n'est qu'un prétexte ; c'est le moi qu'on adore.

Mais le monde est aussi dans ses dévotions qui n'ont aucune influence sur la vie, et, à plus forte raison, sur la conscience. On peut être orthodoxe comme une confession de foi, et faire cependant de la religion une affaire de coutume et d'usage. On la pratique sans avoir des besoins qui crient, une âme qui se réveille, un coeur qui s'affermit dans la vérité. Ce sont des plantes, mais ce n'est pas le Père céleste qui les a plantées ; aussi seront-elles déracinées au grand jour !

Pourtant, je dois en convenir, il y a des tendances plus nobles et qui pourraient, semble-t-il, rendre plus heureux. Il y a, grâces à Dieu, des natures aimantes, des âmes instinctivement dévouées ; mais, hélas ! malgré ce beau et aimable côté, elles ont autant besoin que des âmes plus laides, qu'on leur demande : Pour qui vivez-vous et pour qui mourrez-vous ?
Il y a une sensibilité naturelle qui est capable de grandes choses, mais qui exposé aussi à bien des illusions. Une mère se dévoue pour ses enfants ; un mari s'applique à faire le bonheur de sa femme ; un instituteur consacre sa vie à fonder une école modèle ; un philanthrope veut éteindre la misère ; ils travaillent tous avec dévouement, et aucun d'eux ne réussit. Les forces leur ont manqué en route, ou bien ils n'ont point atteint le but qu'ils poursuivaient. Ah ! pauvres victimes des vertus humaines, quand donc remonterez-vous plus haut que l'homme et prendrez-vous un autre point de départ que la terre ? Livrés à votre sensibilité ou au feu de voire dévouement, vous n'arrivez pas plus au but que si vous vous étiez livrés à vos péchés. Il y a de ces vertus qui rasent la terre et qui se remplissent de tous les miasmes qui s'élèvent de l'atmosphère terrestre.

J'ai parlé des coeurs sensibles : ne dirai-je rien du génie et des hautes facultés de l'homme ? On a vu des esprits élevés consacrer leur vie au culte d'une idée, à la découverte d'un système, à l'exécution d'une découverte ; la vie que les uns puisent dans le coeur, ceux-ci la puisent dans la science et dans ses spéculations. Ont-ils réussi ? Ont-ils eu la vie ? En supposant même qu'on leur ait accordé une place au Panthéon, que leur nom vive dans les chants d'une épopée ou se perpétue sur le socle d'une statue de marbre, vivent-ils malgré tous ces honneurs ? ont-ils vécu pour quelqu'un qui soit capable de les faire vivre à jamais ?
Il faut vous transporter à votre dernière heure, pour avoir la juste mesure de toutes choses. La terre est toujours la terre, et l'embrasement du génie n'est point le feu qui tombe du ciel et qui consume l'offrande.

Enfin, il y a une tendance qui n'est heureusement qu'une transition entre l'état présent et une position de l'âme qui cherche. Quand la grâce commence à travailler un coeur, ce coeur pressent qu'il y a un sacrifice à faire, et que ce sacrifice est le don de soi-même. Quelque chose lui dit intérieurement : Mon enfant, donne-moi ton coeur.
Mais c'est précisément cette oblation du coeur qui effraie ; on sent qu'elle emporte celle de la vie, et que donner son coeur, c'est renoncer à soi. Et l'on sent juste, ainsi que l'affirme notre texte : Aucun de nous ne vit pour soi-même et aucun ne meurt pour soi-même.
Si d'un côté il y a une tendance à obéir, il y en a aussi une à résister ; on veut et l'on ne veut pas ; on vient et l'on recule ; on se décide et l'on marchande ; car le coeur naturel est le terrain des contradictions, et quand il est partagé, il est plus que jamais inconstant dans toutes ses voies. Âmes flottantes, c'est vous surtout qui êtes à plaindre. Tous vos combats vous viennent de vos demi-résolutions. Vous ne voulez exclusivement ni de la terre ni du ciel, et c'est pour cela que la terre et le ciel vous rejettent. Ce n'est point ainsi qu'a fait Jésus, quand il a aimé votre âme. Il a su se décider, lui, à goûter la mort et même la mort de la croix. Il a agi avec décision pour vous ; faites-en autant pour lui. L'âme heureuse est celle qui s'est donnée à son Sauveur ; rompez le lien qui vous attache au monde ; quand vous lui aurez échappé, vous serez véritablement libre.

« Et que gagnent, demanderez-vous peut-être, que gagnent ceux qui ne vivent plus pour eux-mêmes, et qui ne meurent pas pour eux-mêmes ? »
où vous êtes encore. Ils ne sont plus comme le flot poussé ça et là par le vent. Se donner à Jésus, se laisser diriger par lui, c'est être dispensé de se diriger soi-même et être à l'abri des craintes et des soucis que cette responsabilité donne. Ils ont un guide, un ami fidèle. Le Prince de la vie, le Roi de paix est à leurs côtés ; leur chaussure est de fer et d'airain, leur force durera autant que leurs jours. Les situations les plus difficiles deviennent pour eux des parcs herbeux et des eaux tranquilles. Toutes choses sont à eux, parce qu'ils sont à Christ. Ils ont un trésor à l'abri de tous les événements fâcheux, parce qu'il est au-dessus du pouvoir des hommes. Heureux de cette possession, ils sont contents de l'état où ils se trouvent : ils ont appris à être satisfaits de la pauvreté aussi bien que de l'abondance. Quoi qu'il arrive, en toutes rencontres, leur âme est rassurée ; ils peuvent tout par Christ qui les fortifie.

Et c'est ici la véritable indépendance. Aussi longtemps qu'on tient à soi-même, ne fût-ce que par un lien menu comme un cheveu, on est agité et dépendant. On n'est libre que quand on appartient à Christ.
L'harmonie avec le Seigneur fait la force et l'affranchissement de l'âme. Le mystère du détachement est aussi le mystère de notre liberté. Tout est chaîne, quand on vit pour soi-même ; mais quand on se laisse gouverner par le Seigneur, on règne aussi avec lui. La volonté n'est plus une force de résistance, ni la soumission une pesante corvée ; on triomphe avec Christ quand on veut avec lui. La création s'embellit, les hommes deviennent plus traitables, les pertes se changent en gains. Notre vie doit être une vie à deux.
L'intimité de deux amis, ou celle de deux époux, est imparfaite encore ; il nous faut une union plus intime, une dualité plus compacte, une fusion de l'âme avec le Seigneur. Celui qui est uni au Seigneur, c'est-à-dire, comme l'explique l'Écriture, celui qui est devenu un même esprit avec lui, trouve dans cette union une individualité complète, que l'égoïsme promet sans pouvoir la donner. Si c'est Christ qui vous pénètre, c'est la liberté qui vous pénètre, car où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté.

Cette indépendance qui tient le monde à vos pieds est aussi l'affranchissement dans la prière. Quand l'âme est liée, la prière est liée ; il n'y a qu'un affranchi du Seigneur qui puisse prier avec efficacité.
Pourquoi y a-t-il tant de prières qui sont mélangées de tristesse ou d'incrédulité ? C'est parce qu'on s'appartient à soi-même ; celui qui voudra conserver sa vie la perdra, mais celui qui aura perdu sa vie à cause de Christ, la retrouvera.
Christ est votre vie, ce n'est pas vous ; de même, ce n'est qu'en Christ qu'on peut prier. Lui seul donne l'assurance de l'exaucement, mais pour cela il faut lui appartenir. La possession du Seigneur est la garantie de toutes les autres ; les richesses de Dieu vous seront ouvertes à toute heure, à tout instant, quand vous pourrez vous approcher de ces richesses, et que vous ne servirez plus deux maîtres. Nous savons, dit saint Jean, qu'il nous exauce, quelque chose que nous lui demandions ; nous le savons, parce que nous avons obtenu ce que nous lui avons demandé. C'est l'expérience de la vérité qui fait croire à la vérité, et votre prière elle-même vous dira ce qu'est la prière, quand ce ne sera plus vous qui vivrez, mais que Christ vivra en vous.

Une âme qui est au Seigneur possède seule aussi la force de combattre contre le péché. Qu'est-ce qui rendait saint Paul plus que vainqueur en toutes choses ? C'était son humble communion avec Christ. Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ, et ce qui vous est impossible vous sera donné.
Pénétrez-vous de la pensée que vous n'êtes point à vous-même, que vous avez été racheté à grand prix ; et Celui qui vous a racheté sera aussi Celui qui vous fera combattre. L'âme où Christ habite est forte dans la faiblesse, elle a l'abondance dans la disette ; il y a des miracles de délivrance dans les tabernacles des justes. Dans la fournaise ardente où sont jetés les trois jeunes témoins du Dieu souverain, vous en voyez un quatrième qui éteint la force du feu et qui ferme la gueule des lions. Appartenir au Seigneur, c'est avoir en main la victoire ; votre cause devient la sienne, quand la sienne est devenue la vôtre.

Si nous sommes partis de la question : Pour qui vivez-vous ? c'est parce que cette question embrasse toutes les autres. Elle embrasse votre bonheur ou votre malheur, votre liberté ou votre esclavage, votre ciel ou votre enfer. Si vous connaissez le vrai Maître, vous êtes-vous donné à lui ? Pour le savoir au juste, examinez la tendance qui vous gouverne, cherchez-la dans votre vie, dans vos habitudes, dans vos luttes, dans vos moments solitaires ; mettez tout cela dans la lumière, et la vérité parlera.
Votre vie s'envole, bientôt vous allez mourir. Si vous avez perdu votre passé, ne perdez pas du moins l'heure qui sonne ; ne perdez pas surtout votre éternité.
Il vous faut du réel, du divin ; ne courez pas de nouveau après des ombres, Jésus-Christ vous attend ; il est vivant, il vous aime, il vous l'a magnifiquement prouvé sur la croix.
Donnez-lui ce qui vous reste de vie, et votre jeunesse se renouvellera comme celle des aigles. Une richesse incompréhensible sera le prix de ce dépouillement. La vanité, rend malade, l'égoïsme n'est qu'un tourment ; Jésus-Christ seul résume vos besoins et les comble abondamment.
Ayez pitié de vous-même, et l'orient d'en haut se lèvera sur vous ; ce que vous aurez donné ne sera rien à côté de ce que vous recevrez ; et ce que Dieu donne est pour toujours, car Jésus-Christ est le même hier, aujourd'hui et pour l'éternité.



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