Soyez fervents d'esprit.
Il y a dans ce chapitre un grand nombre de préceptes divers. Quand on
lit un pareil morceau, on court souvent d'un verset à un autre sans
s'être mis en présence des enseignements qu'ils contiennent. Pour
retirer un fruit réel de ces sortes de lectures, on devrait
transformer en prière la matière de chacun de ces préceptes, et ne pas
aller plus loin avant de s'être demandé par exemple :
« Ce passage s'est-il déjà accompli en moi ? Ai-je tout au
moins le désir d'en faire l'expérience ? »
Le Seigneur dit quelque part : Prenez
garde de quelle manière vous écoutez ; si notre vie
religieuse a si peu de profondeur, cela vient en grande partie de
notre indolence spirituelle. Nous aimons qu'on nous fasse une belle
morale, mais nous ne sommes pas trop disposés à rien changer dans
notre conduite ni dans nos rapports avec Dieu. Les changements
n'arrivent que quand l'Esprit de Dieu ne nous laisse plus de repos, et
qu'il a tellement entrepris notre âme que nous ne pouvons plus
échapper. Il fait de notre manière de vivre un vrai supplice, il nous
manifeste avec vivacité la misère de notre état spirituel ; nous
en avons le coeur serré et nous sentons qu'il est impossible de
continuer à vivre ainsi. Nous sommes heureux alors de pouvoir recourir
à une force supérieure à la nôtre, et Dieu, trouvant en nous un
terrain préparé, accomplit lui-même en nous ce qui lui est
agréable par Jésus-Christ notre Seigneur.
Parmi le grand nombre de préceptes que renferme
le XIIe chapitre aux Romains, nous n'examinerons pour le moment que
cette seule parole : Soyez fervents d'esprit.
Il est question ici d'une disposition dont nous avons un grand
besoin dans nos rapports avec Dieu, car l'exaucement de nos prières et
l'avancement de notre vie chrétienne dépendent de la ferveur de
notre esprit.
Cette disposition nous manque cependant assez habituellement. Il
n'y a donc rien d'étonnant si son absence nous laisse si morts et si
stationnaires. Nous continuons, il est vrai, nos pratiques
religieuses, mais sans avoir l'esprit qui les vivifie, et Dieu a le
droit de nous dire, comme autrefois aux Pharisiens : Ce
peuple s'approche de moi de sa bouche et m'honore de ses lèvres,
mais leur coeur est bien éloigné de moi.
Dieu est esprit, dit Jésus-Christ, et il faut que ceux qui
l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité. Si Dieu n'est
pas toujours près de ceux qui l'invoquent, c'est que ceux
qui l'invoquent ne l'invoquent pas
toujours en vérité. Ceux qui sont fervents d'esprit sont
ceux qui reçoivent le plus. Mais qu'est-ce qu'être fervent
d'esprit ? C'est la première chose que nous
examinerons ; nous verrons ensuite ce qui produit la ferveur, et
en troisième lieu, ce que la ferveur elle-même peut produire, quand
nous en avons l'âme remplie.
Qu'est-ce que la ferveur ?
Nous pouvons dire avec le Psalmiste que c'est la soif du
Dieu vivant. Nous sommes fervents quand notre âme
désire ardemment et qu'elle soupire après les parvis de
l'Éternel ; quand nous sentons qu'un jour dans ses
parvis vaut mieux que mille ailleurs, et qu'en cette terre
déserte, où nous sommes altères et sans eau, nous ne sommes
rassasiés que quand nous pénétrons jusqu'à l'autel de ce Dieu qui
est notre joie et notre ravissement. La
ferveur est le feu sacré qui entretient en nous la connaissance de
Dieu et le goût des choses divines ; elle est pour l'âme ce que
la chaleur vitale est pour le corps. De même qu'il y a une circulation
du sang, il y a aussi une circulation de la vie spirituelle. Quand
cette vie intérieure nous domine, quand elle nous révèle nos besoins
et qu'elle nous met en contact avec la plénitude de Dieu, nous
l'appelons ferveur. De même que l'eau, mise sur une légère
flamme, entre peu à peu en mouvement et subit l'influence croissante
de la chaleur jusqu'à entrer en ébullition, de même aussi, l'âme,
froide et impassible d'abord, sent peu à peu les mouvements de
l'Esprit de Dieu. Attirée par la force des intérêts célestes, elle est
saisie d'un embrasement général qui la met en rapport avec les
choses que l'oeil n'a point vues, que l'oreille n'a point entendues,
qui jamais ne seraient montées dans l'esprit de l'homme, et que Dieu
a préparées pour ceux qui l'aiment.
La ferveur n'est pas l'excitation des sentiments naturels, ni un
simple enthousiasme ; notre propre esprit ne peut pas nous rendre
fervents. Il y a entre la ferveur religieuse et l'entraînement de
l'éloquence, la verve du poète, la véhémence du patriotisme, le feu de
l'improvisation, la même différence qu'il y a entre l'homme et Dieu,
entre ce monde et l'éternité. La ferveur n'est pas exposée à tomber
dans l'excentricité ; une âme fervente n'est pas hors de son
assiette ordinaire ; elle ne se trouve pas dans un état d'ivresse
semblable à celui de la Pythie, quand, assise sur son trépied, elle
rendait jadis ses oracles. Il n'y a point d'état plus normal pour
l'âme chrétienne que la ferveur ; jamais nous ne voyons plus
clair sur nous-mêmes, sur notre destination, sur notre avenir, sur nos
rapports réels avec Dieu, que lorsque nous sommes fervents
d'esprit. Il est beaucoup plus à craindre de manquer de ferveur
que d'en avoir à l'excès. Les vapeurs qui nous
jettent dans l'étourdissement viennent du monde, de la chair et du
sang ; mais l'Esprit de Dieu, qui est l'Esprit de vérité, nous
met à l'abri de ces écarts tant que nous suivons ses impulsions en les
justifiant d'après la Parole de Dieu.
La ferveur est tellement notre état normal, qu'un vrai chrétien n'est
jamais aussi malheureux que lorsqu'il se surprend dans une de ces
dispositions qui ne viennent pas de l'Esprit de Dieu et qui sont
contraires à la ferveur. Ceux qui ont passé dans la torpeur et qui ont
senti comme une espèce d'épuisement spirituel ; ceux qui ont
accompli leurs dévotions avec une âme froide, distraite et incapable
de saisir le Seigneur ; ceux qui savent ce que c'est que la
langueur, cette paralysie de l'âme où les besoins spirituels sont
comme étouffés, où l'on voit ses péchés sans en être tourmenté, et la
croix de Jésus-Christ sans qu'elle vous étonne, savent qu'alors on est
tellement mal à l'aise et malheureux que cet état
devient un véritable supplice. Que nous manque-t-il dans ces
moments-là ? Notre texte nous le dit : de la ferveur,
c'est-à-dire la chaleur de la vie. Nous sentons que nous ne sommes
point dans l'ordre et que nous sommes abandonnés à notre état de chute
et à toutes les conséquences de notre esprit naturel.
Peut-être direz-vous qu'on ne peut pas toujours être fervent, pas
plus qu'on ne peut toujours prier ni toujours lire la Bible. Cette
objection, si vous la faisiez, prouverait que vous n'avez pas une idée
juste de la ferveur, et que vous la confondez avec la surexcitation
des sentiments, ou avec un de ces états nerveux qui, après une tension
d'esprit, jettent le corps et l'âme dans un profond abattement. Pour
être fervent d'esprit, il suffit d'avoir l'âme ouverte à l'action de
Dieu sur nous, de recueillir avec soin les avertissements qu'il nous
envoie, de ne pas nous égarer dans le vague ni dans les désirs de la
chair ou de la volonté propre. Dieu a mis des
gardiens sur nos murailles ; si nous écoutons
habituellement leur voix et que nous ne nous soustrayions pas à leur
discipline, il ne nous sera pas difficile de rester fervents
d'esprit. Nous serons toujours près de Dieu et Dieu sera
toujours près de nous. Celte disposition n'a rien de fatigant ;
elle entretient le calme, le repos, la vigilance et la fidélité. L'âme
y trouve son bien-être, et soit qu'elle se mette en prière ou qu'elle
agisse dans des cas particuliers, elle n'a pas besoin d'aller bien
loin et comme en pays étranger, pour trouver la ferveur ; elle se
présente d'elle-même et lui rend tous les services nécessaires pour la
faire croître dans la connaissance de Dieu et dans tout ce qui conduit
à la vie et à la piété.
Examinons maintenant par quels moyens on peut devenir
fervent.
Si nous étions réduits à nous-mêmes et à nos ressources
naturelles, il nous serait aussi impossible de nous rendre fervents
d'esprit que de nous convertir et de nous sauver. La ferveur,
aussi bien que toutes les autres grâces spirituelles, est un don
de Dieu ; elle ne vient pas de nous, afin que personne ne se
glorifie.
Notre esprit naturel est profane ; à quelque degré qu'il
s'élève, c'est toujours l'esprit du monde. La chair ne se transforme
point en spiritualité ; il faut que Dieu intervienne lui-même et
qu'il renouvelle le fond de notre existence. Vous auriez beau être
placé dans les conditions les plus favorables, être entouré des moyens
d'édification les plus puissants, d'amis chrétiens, de directeurs
spirituels, il vous faudrait encore, pour obtenir de la ferveur
d'esprit, un miracle de la bonté de Dieu.
Souvent, au milieu des moyens de grâce les plus abondants, on se sent
non seulement froid et glacé, mais aussi incapable
de se vivifier. En revanche, dans des moments où l'on s'y attendait le
moins, et où peut-être on le méritait le moins, Dieu nous ouvre
ses canaux et répand sur nous sa bénédiction, au point que nous ne
pouvons y suffire. La grâce de Dieu est libre ; c'est ce
qu'il nous montrera jusqu'à notre dernier moment, pour nous maintenir
dans la dépendance et pour nous préserver d'un coeur blasé.
Mais s'il est vrai que la ferveur est un don de Dieu, il est vrai
aussi que nous avons certaines conditions à remplir pour préparer le
chemin à la grâce de Dieu. Si nous nous refusons à ces conditions,
nous empêchons Dieu d'agir.
La première condition est de combattre la chair avec ses affections et
ses convoitises. Comment voulez-vous arriver à la ferveur d'esprit, si
vous laissez dominer un de ces penchants du vieil homme qui sont la
mort de la spiritualité ? La ferveur est la domination du
principe divin ; mais on n'arrive à cette victoire
que quand l'affection charnelle a été frappée à mort, et qu'on n'est
plus asservi à un péché quelconque. Je distingue entre les péchés qui
nous dominent et les péchés qui nous surprennent. Un chrétien fervent
peut avoir, lui aussi, des chutes à déplorer : mais le péché
ne règne plus dans son corps mortel.
C'est déjà une grande conquête dans la vie spirituelle, que d'avoir
rompu, à force de prières et de combats, avec les penchants les plus
obstinés et de continuer à faire une guerre loyale à tout ce qui peut
devenir un interdit. Mais il ne suffit pas d'être devenu maître des
péchés grossiers, il faut avancer de plus en plus dans la connaissance
de soi-même. La ferveur se plaît dans les coeurs qui sont non
seulement purifiés de ce qui est iniquité toute jugée, mais qui sont
assez délicats et vivants pour discerner les chatouillements de
l'amour-propre, les secrets calculs de l'égoïsme, les insinuations de
l'esprit de fraude et toutes ces petites attaches
au moyen desquelles le monde nous enlace et nous dérobe à Dieu. Sans
une connaissance approfondie de nous-mêmes, il est impossible
d'arriver à une vraie ferveur et de s'y maintenir. C'est la seconde
condition dans laquelle il faut entrer pour que Dieu fasse son oeuvre
en nous et la mène à bonne fin.
Supposons que l'un de nous soit fidèle dans ces deux premiers points,
cette fidélité le conduira à une expérience qui, plus que toute autre
chose, lui facilitera la ferveur. Il découvrira dans son âme
d'immenses besoins que Dieu seul et l'éternité peuvent remplir. Plus
nous pénétrerons dans notre nature, plus ces besoins parleront
distinctement.
Il y a dans le coeur déchu un vide qui fait crier comme le cerf,
quand il brame après des eaux courantes. On languit souvent
après un bien terrestre et l'on se consume en efforts pour
l'atteindre ; on poursuit une espérance à la réalisation de
laquelle on attache son bonheur et tout son avenir
terrestre. Quand ces biens si ardemment désirés sont obtenus, et que
sur mille espérances qui nous échappent, il y en a une enfin que l'on
parvient à saisir, qu'on réalise et qui nous met en possession de
l'idéal que nous avions rêvé, qu'arrive-t-il ? Après un moment de
satisfaction profonde, nous nous sentons tout à coup pauvres ;
notre âme n'a rien gagné, si ce n'est une nouvelle et grande
déception, et il nous est prouvé une fois de plus que l'éternité seule
a le pain vivant que notre coeur réclame.
C'est la vue de cette pauvreté qui rend fervent d'esprit. Quand
nos besoins seront à découvert devant nous comme des abîmes, notre
coeur se sentira embrasé d'un autre amour que celui des choses ou des
créatures de ce monde : O Dieu, dira-t-il, nul n'est
semblable à loi ; m'approcher de toi, c'est tout mon
bien ; quand entrerai-je et me présenterai-je devant ta face,
dans la terre des vivants ?
Nous venons de voir ce qui produit la ferveur et comment nous
pouvons y arriver ; reste à nous demander encore ce que la
ferveur elle-même produit, si notre âme en est remplie.
D'abord nous pourrons prier : c'est déjà un immense bienfait.
Notre manière de vivre dépend toujours de notre manière de prier.
C'est de la prière que viennent les bonnes impulsions, les forces
cachées et les victoires, mais nous ne sommes en prière que quand nous
sommes fervents d'esprit. Ce n'est qu'alors que nous avons le
monde à nos pieds, que nous pouvons saisir le Seigneur et que nous
avons une confiance fondée. La ferveur nous donne une âme attirée vers
Dieu, un amour vivant des choses d'en haut, et une sainte
indépendance.
Si l'on vous demandait quels sont vos moments les plus heureux, vous
répondriez sur-le-champ que ce sont ceux où vous
pouvez triompher du monde visible, où vous êtes délivré de l'esprit de
dissipation, et où Dieu est d'une manière sentie votre intérêt
suprême. Nous sommes entourés de bien des grâces, mais la faveur la
plus excellente parmi celles dont nous jouissons est la connaissance
de Dieu et la communication avec lui en Esprit et en Vérité.
Mais si la ferveur est à notre vie intérieure ce qu'est l'arrosement
aux plantes, elle est aussi la condition de notre activité chrétienne.
Elle donne la force de prier, elle donne aussi la force d'agir et de servir
le Seigneur. Il y a une immense différence entre les oeuvres
qui naissent de l'Esprit de Dieu, et celles qui viennent d'un simple
goût ou du besoin d'agir.
On se sent souvent mal à l'aise dans des réunions de travail, dans des
comités de bienfaisance, même là où l'on fait des lectures et où l'on
se réunit régulièrement. Pourquoi ? C'est que le premier élément
manque ; on ne sent point le souffle de
l'Esprit de Dieu. Il y a des chrétiens qui se laissent enrôler
facilement dans les oeuvres philanthropiques, mais après quelque temps
ces oeuvres tombent ou ennuient ; on avait commencé chaudement,
mais ce feu n'était pas celui de la ferveur. Avant de préparer des
oeuvres, Dieu prépare ses instruments ; il nous dépouille de
notre propre esprit avant de nous revêtir du sien ; mais si c'est
Dieu qui revêt, soyons sûrs qu'il soutient aussi et qu'il donne la
continuité et la persévérance.
Enfin la ferveur est accompagnée de la joie de courir vers le but
et d'aller à la rencontre du Seigneur, les reins ceints et la
lampe allumée. On est heureux de savoir que dans tout ce qui
nous arrive, il y a une délivrance qui approche. Le temps
vole et les années se précipitent, mais elles nous portent au-devant
de Celui qui vient sur les nuées et dont le salaire est avec lui.
Les enfants du siècle font des projets, ils se nourrissent
d'espérances, mais l'âme fervente a un autre
stimulant et un autre but qu'eux. Élevée au-dessus de ce qui est
corruptible et visible, elle trouve sa joie et sa couronne dans sa
réunion avec Christ. Le monde passe, les hommes changent, ce corps de
mort va tomber en poussière ; mais pour une âme fervente toutes
ces choses sont des chariots de feu qui la font monter au ciel.
Soyez fervent d'esprit, et l'éternité sera votre pays et le
trône de Dieu votre forteresse. Qu'est-ce que la terre avec ses
chaînes et ses trésors, quand la gloire à venir nous appelle et nous
saisit ? Heureux ceux qui ont faim et soif ! ils seront
rassasiés. Que l'homme extérieur se détruise, pourvu que l'intérieur
se renouvelle de jour en jour.
Il y a une force d'attraction qui nous détache du monde, qui nous
soutient sur l'abîme et qui nous ouvre le coeur et le sanctuaire de
Dieu. Si notre âme gémit encore dans sa tente, elle se glorifie
aussi dans son élévation ; elle ne connaît encore
qu'imparfaitement les choses célestes, elle les
voit comme dans un miroir, mais elle se hâte avec certitude
vers l'époque de la perfection.
Bienheureux avenir ! Que faut-il de plus pour être fervent
d'esprit, pour être fidèle jusqu'à la mort, et pour préférer
l'opprobre de Christ à toutes les délices du péché ?
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