Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

VIII

La ferveur.

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Rom., XII, 11.

 Soyez fervents d'esprit.



Il y a dans ce chapitre un grand nombre de préceptes divers. Quand on lit un pareil morceau, on court souvent d'un verset à un autre sans s'être mis en présence des enseignements qu'ils contiennent. Pour retirer un fruit réel de ces sortes de lectures, on devrait transformer en prière la matière de chacun de ces préceptes, et ne pas aller plus loin avant de s'être demandé par exemple :
« Ce passage s'est-il déjà accompli en moi ? Ai-je tout au moins le désir d'en faire l'expérience ? »
Le Seigneur dit quelque part : Prenez garde de quelle manière vous écoutez ; si notre vie religieuse a si peu de profondeur, cela vient en grande partie de notre indolence spirituelle. Nous aimons qu'on nous fasse une belle morale, mais nous ne sommes pas trop disposés à rien changer dans notre conduite ni dans nos rapports avec Dieu. Les changements n'arrivent que quand l'Esprit de Dieu ne nous laisse plus de repos, et qu'il a tellement entrepris notre âme que nous ne pouvons plus échapper. Il fait de notre manière de vivre un vrai supplice, il nous manifeste avec vivacité la misère de notre état spirituel ; nous en avons le coeur serré et nous sentons qu'il est impossible de continuer à vivre ainsi. Nous sommes heureux alors de pouvoir recourir à une force supérieure à la nôtre, et Dieu, trouvant en nous un terrain préparé, accomplit lui-même en nous ce qui lui est agréable par Jésus-Christ notre Seigneur.

Parmi le grand nombre de préceptes que renferme le XIIe chapitre aux Romains, nous n'examinerons pour le moment que cette seule parole : Soyez fervents d'esprit.
Il est question ici d'une disposition dont nous avons un grand besoin dans nos rapports avec Dieu, car l'exaucement de nos prières et l'avancement de notre vie chrétienne dépendent de la ferveur de notre esprit.
Cette disposition nous manque cependant assez habituellement. Il n'y a donc rien d'étonnant si son absence nous laisse si morts et si stationnaires. Nous continuons, il est vrai, nos pratiques religieuses, mais sans avoir l'esprit qui les vivifie, et Dieu a le droit de nous dire, comme autrefois aux Pharisiens : Ce peuple s'approche de moi de sa bouche et m'honore de ses lèvres, mais leur coeur est bien éloigné de moi.

Dieu est esprit, dit Jésus-Christ, et il faut que ceux qui l'adorent, l'adorent en esprit et en vérité. Si Dieu n'est pas toujours près de ceux qui l'invoquent, c'est que ceux qui l'invoquent ne l'invoquent pas toujours en vérité. Ceux qui sont fervents d'esprit sont ceux qui reçoivent le plus. Mais qu'est-ce qu'être fervent d'esprit ? C'est la première chose que nous examinerons ; nous verrons ensuite ce qui produit la ferveur, et en troisième lieu, ce que la ferveur elle-même peut produire, quand nous en avons l'âme remplie.


I.

 Qu'est-ce que la ferveur ?

 Nous pouvons dire avec le Psalmiste que c'est la soif du Dieu vivant. Nous sommes fervents quand notre âme désire ardemment et qu'elle soupire après les parvis de l'Éternel ; quand nous sentons qu'un jour dans ses parvis vaut mieux que mille ailleurs, et qu'en cette terre déserte, où nous sommes altères et sans eau, nous ne sommes rassasiés que quand nous pénétrons jusqu'à l'autel de ce Dieu qui est notre joie et notre ravissement. La ferveur est le feu sacré qui entretient en nous la connaissance de Dieu et le goût des choses divines ; elle est pour l'âme ce que la chaleur vitale est pour le corps. De même qu'il y a une circulation du sang, il y a aussi une circulation de la vie spirituelle. Quand cette vie intérieure nous domine, quand elle nous révèle nos besoins et qu'elle nous met en contact avec la plénitude de Dieu, nous l'appelons ferveur. De même que l'eau, mise sur une légère flamme, entre peu à peu en mouvement et subit l'influence croissante de la chaleur jusqu'à entrer en ébullition, de même aussi, l'âme, froide et impassible d'abord, sent peu à peu les mouvements de l'Esprit de Dieu. Attirée par la force des intérêts célestes, elle est saisie d'un embrasement général qui la met en rapport avec les choses que l'oeil n'a point vues, que l'oreille n'a point entendues, qui jamais ne seraient montées dans l'esprit de l'homme, et que Dieu a préparées pour ceux qui l'aiment.

La ferveur n'est pas l'excitation des sentiments naturels, ni un simple enthousiasme ; notre propre esprit ne peut pas nous rendre fervents. Il y a entre la ferveur religieuse et l'entraînement de l'éloquence, la verve du poète, la véhémence du patriotisme, le feu de l'improvisation, la même différence qu'il y a entre l'homme et Dieu, entre ce monde et l'éternité. La ferveur n'est pas exposée à tomber dans l'excentricité ; une âme fervente n'est pas hors de son assiette ordinaire ; elle ne se trouve pas dans un état d'ivresse semblable à celui de la Pythie, quand, assise sur son trépied, elle rendait jadis ses oracles. Il n'y a point d'état plus normal pour l'âme chrétienne que la ferveur ; jamais nous ne voyons plus clair sur nous-mêmes, sur notre destination, sur notre avenir, sur nos rapports réels avec Dieu, que lorsque nous sommes fervents d'esprit. Il est beaucoup plus à craindre de manquer de ferveur que d'en avoir à l'excès. Les vapeurs qui nous jettent dans l'étourdissement viennent du monde, de la chair et du sang ; mais l'Esprit de Dieu, qui est l'Esprit de vérité, nous met à l'abri de ces écarts tant que nous suivons ses impulsions en les justifiant d'après la Parole de Dieu.

La ferveur est tellement notre état normal, qu'un vrai chrétien n'est jamais aussi malheureux que lorsqu'il se surprend dans une de ces dispositions qui ne viennent pas de l'Esprit de Dieu et qui sont contraires à la ferveur. Ceux qui ont passé dans la torpeur et qui ont senti comme une espèce d'épuisement spirituel ; ceux qui ont accompli leurs dévotions avec une âme froide, distraite et incapable de saisir le Seigneur ; ceux qui savent ce que c'est que la langueur, cette paralysie de l'âme où les besoins spirituels sont comme étouffés, où l'on voit ses péchés sans en être tourmenté, et la croix de Jésus-Christ sans qu'elle vous étonne, savent qu'alors on est tellement mal à l'aise et malheureux que cet état devient un véritable supplice. Que nous manque-t-il dans ces moments-là ? Notre texte nous le dit : de la ferveur, c'est-à-dire la chaleur de la vie. Nous sentons que nous ne sommes point dans l'ordre et que nous sommes abandonnés à notre état de chute et à toutes les conséquences de notre esprit naturel.

Peut-être direz-vous qu'on ne peut pas toujours être fervent, pas plus qu'on ne peut toujours prier ni toujours lire la Bible. Cette objection, si vous la faisiez, prouverait que vous n'avez pas une idée juste de la ferveur, et que vous la confondez avec la surexcitation des sentiments, ou avec un de ces états nerveux qui, après une tension d'esprit, jettent le corps et l'âme dans un profond abattement. Pour être fervent d'esprit, il suffit d'avoir l'âme ouverte à l'action de Dieu sur nous, de recueillir avec soin les avertissements qu'il nous envoie, de ne pas nous égarer dans le vague ni dans les désirs de la chair ou de la volonté propre. Dieu a mis des gardiens sur nos murailles ; si nous écoutons habituellement leur voix et que nous ne nous soustrayions pas à leur discipline, il ne nous sera pas difficile de rester fervents d'esprit. Nous serons toujours près de Dieu et Dieu sera toujours près de nous. Celte disposition n'a rien de fatigant ; elle entretient le calme, le repos, la vigilance et la fidélité. L'âme y trouve son bien-être, et soit qu'elle se mette en prière ou qu'elle agisse dans des cas particuliers, elle n'a pas besoin d'aller bien loin et comme en pays étranger, pour trouver la ferveur ; elle se présente d'elle-même et lui rend tous les services nécessaires pour la faire croître dans la connaissance de Dieu et dans tout ce qui conduit à la vie et à la piété.


II.

 Examinons maintenant par quels moyens on peut devenir fervent.

 Si nous étions réduits à nous-mêmes et à nos ressources naturelles, il nous serait aussi impossible de nous rendre fervents d'esprit que de nous convertir et de nous sauver. La ferveur, aussi bien que toutes les autres grâces spirituelles, est un don de Dieu ; elle ne vient pas de nous, afin que personne ne se glorifie.
Notre esprit naturel est profane ; à quelque degré qu'il s'élève, c'est toujours l'esprit du monde. La chair ne se transforme point en spiritualité ; il faut que Dieu intervienne lui-même et qu'il renouvelle le fond de notre existence. Vous auriez beau être placé dans les conditions les plus favorables, être entouré des moyens d'édification les plus puissants, d'amis chrétiens, de directeurs spirituels, il vous faudrait encore, pour obtenir de la ferveur d'esprit, un miracle de la bonté de Dieu.

Souvent, au milieu des moyens de grâce les plus abondants, on se sent non seulement froid et glacé, mais aussi incapable de se vivifier. En revanche, dans des moments où l'on s'y attendait le moins, et où peut-être on le méritait le moins, Dieu nous ouvre ses canaux et répand sur nous sa bénédiction, au point que nous ne pouvons y suffire. La grâce de Dieu est libre ; c'est ce qu'il nous montrera jusqu'à notre dernier moment, pour nous maintenir dans la dépendance et pour nous préserver d'un coeur blasé.

Mais s'il est vrai que la ferveur est un don de Dieu, il est vrai aussi que nous avons certaines conditions à remplir pour préparer le chemin à la grâce de Dieu. Si nous nous refusons à ces conditions, nous empêchons Dieu d'agir.

La première condition est de combattre la chair avec ses affections et ses convoitises. Comment voulez-vous arriver à la ferveur d'esprit, si vous laissez dominer un de ces penchants du vieil homme qui sont la mort de la spiritualité ? La ferveur est la domination du principe divin ; mais on n'arrive à cette victoire que quand l'affection charnelle a été frappée à mort, et qu'on n'est plus asservi à un péché quelconque. Je distingue entre les péchés qui nous dominent et les péchés qui nous surprennent. Un chrétien fervent peut avoir, lui aussi, des chutes à déplorer : mais le péché ne règne plus dans son corps mortel.

C'est déjà une grande conquête dans la vie spirituelle, que d'avoir rompu, à force de prières et de combats, avec les penchants les plus obstinés et de continuer à faire une guerre loyale à tout ce qui peut devenir un interdit. Mais il ne suffit pas d'être devenu maître des péchés grossiers, il faut avancer de plus en plus dans la connaissance de soi-même. La ferveur se plaît dans les coeurs qui sont non seulement purifiés de ce qui est iniquité toute jugée, mais qui sont assez délicats et vivants pour discerner les chatouillements de l'amour-propre, les secrets calculs de l'égoïsme, les insinuations de l'esprit de fraude et toutes ces petites attaches au moyen desquelles le monde nous enlace et nous dérobe à Dieu. Sans une connaissance approfondie de nous-mêmes, il est impossible d'arriver à une vraie ferveur et de s'y maintenir. C'est la seconde condition dans laquelle il faut entrer pour que Dieu fasse son oeuvre en nous et la mène à bonne fin.

Supposons que l'un de nous soit fidèle dans ces deux premiers points, cette fidélité le conduira à une expérience qui, plus que toute autre chose, lui facilitera la ferveur. Il découvrira dans son âme d'immenses besoins que Dieu seul et l'éternité peuvent remplir. Plus nous pénétrerons dans notre nature, plus ces besoins parleront distinctement.

Il y a dans le coeur déchu un vide qui fait crier comme le cerf, quand il brame après des eaux courantes. On languit souvent après un bien terrestre et l'on se consume en efforts pour l'atteindre ; on poursuit une espérance à la réalisation de laquelle on attache son bonheur et tout son avenir terrestre. Quand ces biens si ardemment désirés sont obtenus, et que sur mille espérances qui nous échappent, il y en a une enfin que l'on parvient à saisir, qu'on réalise et qui nous met en possession de l'idéal que nous avions rêvé, qu'arrive-t-il ? Après un moment de satisfaction profonde, nous nous sentons tout à coup pauvres ; notre âme n'a rien gagné, si ce n'est une nouvelle et grande déception, et il nous est prouvé une fois de plus que l'éternité seule a le pain vivant que notre coeur réclame.
C'est la vue de cette pauvreté qui rend fervent d'esprit. Quand nos besoins seront à découvert devant nous comme des abîmes, notre coeur se sentira embrasé d'un autre amour que celui des choses ou des créatures de ce monde : O Dieu, dira-t-il, nul n'est semblable à loi ; m'approcher de toi, c'est tout mon bien ; quand entrerai-je et me présenterai-je devant ta face, dans la terre des vivants ?


III.

 Nous venons de voir ce qui produit la ferveur et comment nous pouvons y arriver ; reste à nous demander encore ce que la ferveur elle-même produit, si notre âme en est remplie.

D'abord nous pourrons prier : c'est déjà un immense bienfait. Notre manière de vivre dépend toujours de notre manière de prier. C'est de la prière que viennent les bonnes impulsions, les forces cachées et les victoires, mais nous ne sommes en prière que quand nous sommes fervents d'esprit. Ce n'est qu'alors que nous avons le monde à nos pieds, que nous pouvons saisir le Seigneur et que nous avons une confiance fondée. La ferveur nous donne une âme attirée vers Dieu, un amour vivant des choses d'en haut, et une sainte indépendance.
Si l'on vous demandait quels sont vos moments les plus heureux, vous répondriez sur-le-champ que ce sont ceux où vous pouvez triompher du monde visible, où vous êtes délivré de l'esprit de dissipation, et où Dieu est d'une manière sentie votre intérêt suprême. Nous sommes entourés de bien des grâces, mais la faveur la plus excellente parmi celles dont nous jouissons est la connaissance de Dieu et la communication avec lui en Esprit et en Vérité.

Mais si la ferveur est à notre vie intérieure ce qu'est l'arrosement aux plantes, elle est aussi la condition de notre activité chrétienne. Elle donne la force de prier, elle donne aussi la force d'agir et de servir le Seigneur. Il y a une immense différence entre les oeuvres qui naissent de l'Esprit de Dieu, et celles qui viennent d'un simple goût ou du besoin d'agir.
On se sent souvent mal à l'aise dans des réunions de travail, dans des comités de bienfaisance, même là où l'on fait des lectures et où l'on se réunit régulièrement. Pourquoi ? C'est que le premier élément manque ; on ne sent point le souffle de l'Esprit de Dieu. Il y a des chrétiens qui se laissent enrôler facilement dans les oeuvres philanthropiques, mais après quelque temps ces oeuvres tombent ou ennuient ; on avait commencé chaudement, mais ce feu n'était pas celui de la ferveur. Avant de préparer des oeuvres, Dieu prépare ses instruments ; il nous dépouille de notre propre esprit avant de nous revêtir du sien ; mais si c'est Dieu qui revêt, soyons sûrs qu'il soutient aussi et qu'il donne la continuité et la persévérance.

Enfin la ferveur est accompagnée de la joie de courir vers le but et d'aller à la rencontre du Seigneur, les reins ceints et la lampe allumée. On est heureux de savoir que dans tout ce qui nous arrive, il y a une délivrance qui approche. Le temps vole et les années se précipitent, mais elles nous portent au-devant de Celui qui vient sur les nuées et dont le salaire est avec lui. Les enfants du siècle font des projets, ils se nourrissent d'espérances, mais l'âme fervente a un autre stimulant et un autre but qu'eux. Élevée au-dessus de ce qui est corruptible et visible, elle trouve sa joie et sa couronne dans sa réunion avec Christ. Le monde passe, les hommes changent, ce corps de mort va tomber en poussière ; mais pour une âme fervente toutes ces choses sont des chariots de feu qui la font monter au ciel.
Soyez fervent d'esprit, et l'éternité sera votre pays et le trône de Dieu votre forteresse. Qu'est-ce que la terre avec ses chaînes et ses trésors, quand la gloire à venir nous appelle et nous saisit ? Heureux ceux qui ont faim et soif ! ils seront rassasiés. Que l'homme extérieur se détruise, pourvu que l'intérieur se renouvelle de jour en jour.
Il y a une force d'attraction qui nous détache du monde, qui nous soutient sur l'abîme et qui nous ouvre le coeur et le sanctuaire de Dieu. Si notre âme gémit encore dans sa tente, elle se glorifie aussi dans son élévation ; elle ne connaît encore qu'imparfaitement les choses célestes, elle les voit comme dans un miroir, mais elle se hâte avec certitude vers l'époque de la perfection.
Bienheureux avenir ! Que faut-il de plus pour être fervent d'esprit, pour être fidèle jusqu'à la mort, et pour préférer l'opprobre de Christ à toutes les délices du péché ?


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