Demeurez en moi, et moi je demeurerai en vous.
Lisez attentivement la première moitié de ce chapitre, et remarquez
que Jésus-Christ y répète jusqu'à onze ou douze fois le mot demeurer.
L'intention bien évidente du Seigneur et l'enseignement capital
qu'il donne ici à ses disciples, c'est de leur apprendre qu'il faut
qu'ils demeurent en lui pour que lui demeure en eux. Aller
à Jésus, et marcher avec lui, ne suffit donc pas ; il faut de
plus demeurer en lui, car hors de lui nous ne pouvons rien
faire. Il en est de nous comme des sarments
de la vigne, qui ne sont plus qu'un bois inutile et mort du moment
qu'ils sont détachés du cep.
Le mot demeurer est le mot favori de Jésus-Christ ;
c'est le mot qui convient à la fidélité et à la persévérance. Un
soldat qui demeure à son poste, une servante qui vieillit au service
du même maître, un négociant qui a toujours été fidèle à ses
engagements sont des modèles chacun dans leur genre ;
Jésus-Christ demande cette fidélité à tous ses disciples, quelle que
soit leur position sociale.
Le Seigneur ne répéterait pas si souvent la même recommandation s'il
ne savait à quel point notre coeur est volage et inconstant ;
s'il le fait, c'est qu'il sait que c'est là ce qui nous manque
surtout.
Quand on y réfléchit, rien n'est si humiliant que de mériter des
reproches tels que ceux-ci : O Israël, ne m'oublie
point ! - Ils m'ont abandonné, moi qui suis la source
des eaux vives, pour se creuser des citernes, même des citernes
crevassées, qui ne peuvent contenir les eaux. - Soit que
je les aie châtiés, soit que j'aie fortifié leurs bras, ils ont
pensé du mal contre moi. - Le véritable Israël est celui dont
le coeur demeure où est son trésor ; sommes-nous de ce
nombre ? Nous éprouvons facilement des impressions
fugitives ; mais à quoi conduisent-elles ? À un
christianisme qui s'évapore et se volatilise comme la rosée sous les
feux du matin. Nous avons besoin de toute autre chose. II nous faut de
profondes racines et une variété de fruits toujours nouveaux.
Quand vous avez parcouru le cercle des fêtes religieuses, Noël,
Pâques, Ascension, Pentecôte, vous en reste-t-il quelque chose ?
Vos fréquentes communions, vos lectures assidues de la Bible et tous
les sermons que vous avez entendus du premier janvier au trente et un
décembre, ont-ils produit quelque chose de nouveau en vous, quelque
chose de fondamental et qui soit réellement du
progrès ? Je ne vous en demanderai pas même autant, si vous
voulez..... Sentez-vous seulement que vous avez besoin de croître et
gémissez-vous d'être une statue plantée au milieu du chemin, plutôt
qu'un disciple qui court vers le but ?
Du temps d'Esaïe, il y avait déjà de ces âmes mobiles qui voyaient beaucoup
de choses et qui ne prenaient garde à rien, qui avaient les
oreilles ouvertes et qui n'entendaient rien. Cependant
Jésus-Christ ne dirait pas : Demeurez en moi, si la
chose n'était pas possible. Il y aurait injustice à nous demander un
état de persévérance auquel nous ne pourrions arriver.
Si le Psalmiste, sous les ombres de la loi, a pu parvenir à un état
d'âme où il se proposait toujours l'Éternel devant lui, si ses
yeux ont été continuellement tournés vers l'Éternel, ne le
pourrions-nous pas, nous qui sommes parvenus à la plénitude de la
lumière ? Rien de si beau qu'une âme bien fondée, bien pénétrée
et invariablement attachée à Jésus-Christ. Mais
comment faut-il nous y prendre pour demeurer en lui et pour
sentir qu'il demeure en nous ? ou, en d'autres termes,
comment faire pour donner à notre vie intérieure plus de solidité et
de consistance ? Peut-on fixer les impressions
spirituelles ? car c'est là en réalité ce que le Seigneur
demande, quand il nous dit : Demeurez en moi, et moi
je demeurerai en vous. Voyons s'il y a moyen de trouver une
réponse à cette question et d'obtenir de l'Écriture quelques conseils.
À qui Jésus-Christ a-t-il dit : Demeurez en moi ? Ce
n'est évidemment qu'à ceux qui sont ses sarments ou ses
disciples. Si son oeuvre n'était pas même commencée en vous et que
vous eussiez à faire le premier pas, il n'y aurait rien d'étonnant que
tout ce que vous entendez s'en fût en fumée. Il faut un sol pour
planter un arbre, un terrain quelconque pour asseoir un fondement. -
Si votre christianisme est comme un château en l'air,
il ne peut manifestement pas vous servir d'habitation, et vous
comprenez qu'avant de songer à demeurer en Christ, il faut
premièrement et indispensablement être venu à lui pour avoir
la vie. On ne peut faire le second pas, qu'après avoir fait le
premier. Un voyageur qui ne s'est pas encore mis en route ne peut se
plaindre de ne pas avancer. Il faut donc avant tout sortir de votre
vieille et vaine manière de vivre, et vous déterminer à subir ce
changement que Dieu appelle la conversion ; le reste
viendra de soi.
Mais votre malheur est de ne pouvoir vous décider ; vous avez
l'air, il est vrai, d'être mécontent de vous-même, mais, au fond, vous
vous accommodez parfaitement du christianisme que vous possédez. Le
zèle de la maison de Dieu ne vous a pas encore rongé ;
votre coeur froid ne vous est pas à charge, et vos péchés ne
troublent pas souvent votre sommeil. Il n'est pas étonnant qu'avec
une vie semblable vous restiez tel quel, au milieu même des ressources
religieuses les plus abondantes : vous êtes un mort que les
morts enterreront. On ne cueille pas des raisins sur des
épines, ni des figues sur des chardons. C'est un autre esprit,
un autre coeur, une nouvelle volonté qu'il vous faut. Allez à
Jésus-Christ ; lui seul dispose de tout cela, et il vous le
donnera gratuitement, dès que vous le demanderez sérieusement.
Personne mieux que vous ne sait combien vous gagneriez à devenir un
véritable chrétien, car avec tous vos dehors de probité, de paix, de
bonne foi, vous n'êtes pas heureux. Si vous êtes sincère, vous
avouerez que vous avez beaucoup à souffrir de vous-même. Vous êtes
l'esclave de vos dispositions, ce qui arrive toujours quand on n'a pas
la vraie paix ; et cette inégalité d'humeur que connaissent très
bien ceux avec qui vous vivez, deviendra tôt ou tard beaucoup plus
grave.
Un état flottant comme le vôtre n'offre aucune garantie ; il vous
faut un christianisme qui soit une vie et non pas une doctrine, qui
ait une sève de croissance, et vous êtes obligé de confesser que cette
puissance de Dieu vous manque, et que jusqu'ici vous puisez vos forces
en vous-même et non dans la plénitude de Christ. C'est pourquoi entrez
sans tarder en rapport avec lui ; hors de lui vous ne pouvez
rien faire ; lui seul conduit au Père ; lui
seul peut donner un coeur touché d'une véritable componction. Alors,
et quand il vous aura éclairé sur vous-même et que le fondement
trompeur de votre sécurité actuelle sera ruiné, alors, dis-je, vous
serez dans le chemin de la vie, et il sera temps pour vous de vous
enquérir comment on demeure en lui quand il demeure en
nous.
Mais si on connaît Jésus, que faut-il faire pour que les impressions
divines se fixent et se consolident ?
Avant toutes choses, il nous faut veiller sur notre
manière d'être et ne pas tolérer dans nos actions quoi que ce soit de
louche, à plus forte raison quoi que ce soit qui manquerait décidément
de droiture.
Marchons dans la lumière et non dans le brouillard ;
écoutons les avertissements du Saint-Esprit à la conscience ;
plus nous les écouterons, plus ils se multiplieront. Il y a beaucoup
de choses qu'on ne peut appeler des péchés, mais qui peuvent cependant
conduire au péché. Gardons-nous, par exemple, de cette indolence
spirituelle qui nous envahit si souvent. C'est un mauvais symptôme. La
plupart des maladies corporelles s'annoncent par la perte de
l'appétit ; le relâchement de la vie de l'âme s'annonce souvent
aussi par une diminution de besoins. Dès que l'on se sent un esprit
distrait, un coeur refroidi et paresseux à la prière, un vague malaise
comme celui que donne la lourdeur de l'air à l'approche d'un orage,
tremblons, car le danger est proche.
Combattons le mal dans son principe ; il sera plus aisément
vaincu. Approchons-nous plus fréquemment du Seigneur et surveillons
les côtés par où l'ennemi nous attaque ordinairement. L'Écriture a
dit : Recherche l'Éternel et sa force ; considère-le
dans toutes tes voies, et il dirigera tes sentiers.
Si nous ne le faisons pas, voici ce qui nous arrivera. L'esprit
froid que nous avons laissé dominer nous jettera dans une foule
d'infidélités de détail qui rongent la vie intérieure, comme les
chenilles rongent la fleur des arbres. Un esprit mal discipliné
entraîne à de petites négligences, à de petits mensonges, à une foule
de caprices et de mauvaises humeurs. Quand cette ligne est franchie,
il n'y a qu'un pas pour être entraîné à quelque chose de plus grave et
d'où l'on ne sort pas si facilement. Encore une fois, veillez sur
toute votre manière d'être : c'est le premier conseil que nous
vous donnons.
En voici un autre : méditez la parole de Dieu
avec des intentions plus directes. Puisqu'elle est le lait
spirituel et pur par le moyen duquel nous croissons, désirons avec
ardeur ce lait ; ne le regardons pas seulement,
nourrissons-nous-en.
Je parle des applications personnelles qu'on laisse pénétrer jusqu'aux
moelles et aux jointures.
Lire ne suffit pas, il faut amener les pensées captives et
laisser fléchir la volonté. Il y a tant de passages incisifs dans la
Parole sainte ! Ce n'est pas sans raison qu'elle est appelée une
épée à deux tranchants.
Prenez des chapitres comme Matth.,
V, Rom.,
XII, Col.,
III, 1
Pierre, II, et lisez avec l'intention directe de vous juger
devant Dieu et de voir clair en vous-même.
La Bible a deux manières d'agir. Tantôt par des impressions
humiliantes elle frappe à mort notre vieil homme tantôt par des
impressions de vie elle ranime le courage. Le premier élément est pour
éclairer la conscience, le second pour restaurer le coeur ;
réunis ils entretiennent la spiritualité.
Ne fermez point la Bible avant qu'elle vous ait
parlé de ces deux manières.
Laissez-la vous montrer combien vous êtes naturellement éloigné de
Dieu, et combien Dieu a de grâces en réserve pour tout pécheur qui
croit. Plus la Parole de Dieu gagne en autorité, plus la vie
intérieure devient intense et le combat victorieux. Mais il faut que
cette méditation soit régulière et faite devant Dieu et dans la
présence de Jésus-Christ. Vous savez trouver du temps pour vos
affaires, pour votre famille, pour vos plaisirs ; sachez aussi
trouver le temps de vous recueillir devant Jésus-Christ. Demeurez
en lui, il demeurera en vous.
Un troisième conseil encore. Faites que votre prière, d'une simple
pratique, devienne un état, et un état habituel. Il y a deux manières
de prier : dans l'une, on parle au Seigneur ; dans l'autre,
on est avec le Seigneur.
La première conduit à la seconde, mais il faut commencer par la
première. Parler au Seigneur, comme un
ami parle avec son intime ami, répandre son coeur en sa présence,
lui exposer nos besoins en toutes occasions, est une nécessité
que rien ne remplace, pas même la lecture assidue de la Bible.
La prière est la récapitulation de la vie et le laboratoire de l'âme.
Ayez des heures fixes pour ces tête-à-tête avec Dieu ;
multipliez-les, si vous le pouvez ; une liaison devient d'autant
plus étroite qu'on se voit plus souvent et plus longtemps.
Mais cette première manière de prier ne suffit pas. Quand on a acquis
l'habitude de parler au Seigneur, il faut contracter l'habitude d'être
avec le Seigneur, et pour cela on n'a pas toujours besoin de paroles.
On s'établit près de lui, on vit pour ainsi dire dans l'air qu'il
respire, on agit dans le sentiment de sa présence, comme un voyageur
reste dans une bonne atmosphère, tout en continuant à marcher. Quand
la Bible dit : Priez sans cesse, priez sans vous relâcher
jamais, c'est de cette seconde manière de prier qu'elle
entend parler. La prière intermittente devient un état permanent, et
quand l'âme est dans cette attitude, elle peut être au milieu du
bruit, vaquer à toutes sortes d'occupations, et ne pas sortir du
commerce de son Dieu. On dit dans le monde qu'on n'est nulle part
aussi bien que chez soi ; eh bien ! l'âme est chez elle,
quand elle a pris une position solide aux pieds du Seigneur. L'aplomb
spirituel vient de cette seconde manière de prier. Si vous conservez
le vif sentiment qu'une seule chose est nécessaire, vous ne
perdrez point votre centre de gravité. Au lieu d'être dominé par les
choses de la terre, vous le serez car l'Esprit du Seigneur, et la
liberté est là où cet Esprit domine. Il vous établira sur la
pierre angulaire et précieuse, il vous préservera des chutes,
il vous fera habiter dans la retraite secrète du Souverain, il
vous donnera la pleine réalisation de cette parole : Demeurez
en moi, et moi je demeurerai en vous.
Cela ne veut pas dire cependant qu'il vous mette pour toujours à
l'abri de secousses, de tentations, ou de moments d'infidélité. Le
Seigneur parle de sarments qui portent du fruit, mais qui,
néanmoins, ont besoin d'être émondés pour qu'ils portent encore
plus de fruit. L'instrument tranchant du céleste cultivateur,
c'est tout ce qui attaque le vieil homme et le poursuit dans ses
derniers retranchements. Le Saint-Esprit a une discipline de feu et de
fer : heureux ceux qui s'y soumettent !
Ne négligez pas la repentance ; c'est encore un conseil que nous
vous donnons. Nos plus mauvais jours sont ceux où nous ne voyons rien
à émonder ; et s'il y a des jours pires encore, ce sont
ceux où nous nous imaginons que la repentance ne nous concerne plus.
Bien des chrétiens sont dans ce cas ; je dis des chrétiens et non
pas des gens du monde ; parce qu'ils connaissent le Seigneur et
qu'ils ont connu une fois cette conviction de péché
que donne le Saint-Esprit, ils croient que c'est une oeuvre faite et
que ce serait nier le pardon que Dieu leur a accordé que de le
redemander une seconde, une troisième fois. Aussi ils ne voient
bientôt plus les chameaux qu'ils avalent.
Malheureusement on peut s'habituer à tout, même à être un sel
insipide. Peut-on s'étonner alors qu'il y ait d'anciens
réveillés qui ne réveillent plus personne, parce qu'ils dorment
eux-mêmes ?
Ce qui leur manque journellement, c'est la sainte tristesse, sans
laquelle il n'y a pas de sainte joie. Voulez-vous demeurer en
Christ ? voulez-vous que vos dernières oeuvres
surpassent les premières ? Laissez arriver chaque jour
jusqu'à vous les accusations de la loi. Ecoutez-la comme si vous lui
étiez encore assujetti.
Le commandement qui ne peut donner la vie, peut garder dans la vie
celui qui y est ; il est au croyant ce que les barrières du pont
sont au voyageur. Souvenez-vous, du reste, que celui qui est lavé
a besoin qu'on lui lave encore les pieds, à cause des souillures
journalières qui s'attachent à nous tant que nous cheminons ici-bas.
Un mot encore et je finis. Mettez-vous chaque jour en présence de
votre mort et de votre éternité I Votre dernière heure peut vous
surprendre ; elle vient toujours plus tôt qu'on ne l'attend. En
ce moment-là, que servirait-il à un homme d'avoir gagné tout le
monde ? Quelle paix, quel soulagement peuvent donner des
biens qu'il faut laisser à d'autres ?
Heureux donc les coeurs libres, les coeurs détachés ! Ce sont eux
qui demeurent en Christ, et en qui Christ demeure. Enracinés
dans le sol de la vie, ils rendent le fruit dans leur saison et
leur feuillage ne se flétrit point. Ils se laissent émonder
avec joie, pour rester insérés dans le vrai cep, et ne
rien recevoir que de lui. Ils font la double expérience que hors
de lui ils ne peuvent rien faire, mais qu'ils peuvent tout
par lui, quand il les fortifie.
Ils sont dans le dénûment complet et pourtant ils ont la plénitude
de toutes choses. Ils sont étonnés de ce qu'ils font, car ils sentent
clairement que ce n'est pas eux qui le font. Ils sont humiliés de ce
que Dieu daigne se servir d'instruments comme eux, et toutefois, par
les résultats, ils ne peuvent méconnaître que Dieu se sert réellement
d'eux.
Quand nous entretenons la conscience de notre néant, le Saint-Esprit
entretient en nous la conscience que nous demeurons en Christ et
que Christ demeure en nous. C'est à cette permanence qu'il
faut arriver ; alors nos impressions spirituelles se fixeront, et
nous ne flotterons plus au gré des hommes.
Notre chaussure sera de fer et d'airain, et notre force durera
autant que nos jours. Vous qui hésitez, mettez-vous en
route ; et vous qui êtes en roule, ceignez plus
fortement vos reins, afin que ce qui cloche ne se dévoie pas tout
à fait, mais plutôt qu'il se rétablisse.
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